De la réforme du théâtre en Algérie

Plan du Site         Par  Kaddour Naïmi

Kaddour Naïmi (centre) entouré de comédiens auxquels il prodigue ses conseils. D. R

Dernièrement, un journal national publia un article sur un actuel projet de réforme du théâtre en Algérie, en instituant une commission.

Depuis l’indépendance, on a créé des commissions pour réformer ce théâtre. On connaît les résultats. Les réunions eurent l’avantage de faire bénéficier les membres de compensation financière, autrement, si la participation était « bénévole », la personne recueillait un profit sous forme de contrats bien payés en présentant une pièce de théâtre ou/et en la réalisant. Quant au résultat de la « réforme », on change pour ne rien changer, perpétuant le système.

À ma connaissance, l’unique réelle réforme tentée pour la création d’un théâtre populaire fut la décentralisation prônée par Abderrahmane Kaki. Hélas ! La direction nationale s’y opposa. Quand cette décentralisation eut lieu, les carences du Théâtre National de la capitale se répétèrent généralement dans les théâtres régionaux.

Comment des personnes, intéressées d’abord par une « carrière », autrement dit un salaire, accompagné éventuellement d’un « prestige » médiatique, seraient-elles capables d’opérer une réforme qui rende la production théâtrale digne ? Et qu’est-ce que la dignité du théâtre sinon d’offrir  un contenu présentant complémentairement l’utile, le bon et le beau,  en intéressant le public le plus large ?

Pour sa part, l’auteur de la présente contribution a tenté de définir ce genre de théatre en le pratiquant, dès 1968 en créant le « Théâtre de la Mer »[1]. De l’avis de critiques nationaux et étrangers, ce fut la première et la plus radicale expérience de théâtre authentiquement populaire en Algérie. Bien entendu, comme tout ce qui est authentiquement populaire en Algérie, cette expérience théâtrale fut, par la suite, occultée quand pas récupérée en la travestissant ou en se l’appropriant[2].

Revenons au projet de réforme théâtrale actuelle. Qui trouve-t-on parmi les membres de la commission ?

Omar Fetmouche. Comme ex-directeur du Théâtre Régional de Béjaïa, il laissa, sauf erreur, un bilan financier déplorable, caractérisé par la gabegie. Comme commissaire du Festival International de Théâtre, il me proposa l’écriture et la réalisation d’une pièce théâtrale. J’ai mis la condition, formulée publiquement, d’une liberté totale tant éthique qu’esthétique. Elle fut acceptée. Mais, assistant à la répétition générale de « Al hnana, ya ouled ! » (La tendresse, les enfants !), le « commissaire » voulut interdire la représentation. Seule la menace de ma part d’une conférence de presse pour dénoncer la censure, le contraignit à  accepter, mais il fit en sorte que la représentation se déroula dans les pires conditions. Ensuite, contrairement à la promesse, la pièce fut interdite de représentation dans des théâtres régionaux[3]. Ainsi l’argent public qui servit à la production de la pièce fut gaspillé.

Autre membre de la commission : Hmida Layachi. Quelle est donc sa compétence en matière théâtrale ? Ajoutons un aspect éthique. Dans une interview à un journal national, il m’accusa en 2013 d’être retourné en Algérie pour « faire de l’argent ». J’ai usé d’un droit de réponse. Il ne fut publié, contrairement à la déontologie journalistique, qu’une semaine plus tard, et non pas dans le journal papier, mais dans celui électronique. Ce personnage fut à la tête d’un journal et d’une télévision. Sait-on d’où est venu l’argent, et pour quel motif ces deux moyens fermèrent ?

En Algérie, il n’y aurait donc pas de personnalités plus indiquées pour examiner une réforme du théâtre algérien ?

Une troisième personne déclara participer à la commission de manière « bénévole ». Ne sait-on pas que ce « bénévolat » se traduit généralement par des contrats ailleurs que dans la commission ?

Écartons un malentendu. Ces considérations ne sont pas causées par une aigreur pour n’avoir pas été personnellement sollicité à participer à cette commission. Dans mon essai publié en 2017, je déclarai ne pas être un candidat parce que ma conception théâtrale a des exigences : des pièces dont le contenu stimule l’esprit critique en vue d’une société libre, égalitaire et solidaire ; une forme esthétique alimentée par la meilleure production internationale conciliée avec des formes algériennes populaires ; un lieu de représentation qui soit le lieu de travail, d’études, de vie ou de loisirs des spectateurs, et non pas attendre leur venue dans un édifice théâtral qui leur est étranger comme architecture[4], des artistes de théâtre qui travaillent et ne se contentent pas d’un salaire fonctionnant comme achat de paix sociale[5].

Dans l’essai, j’ajoutai :

« Que cesse donc la priorité accordée à l’allégeance idéologique,  quelque soit  sa nature ; elle ne     produit que conformisme, c’est-à-dire platitude. La seule « allégeance »  acceptable et souhaitable est celle d’améliorer la situation matérielle et intellectuelle du peuple.

Que cesse le flot d’argent ministériel, même  si restreint par la situation économique, à des arrivistes sans scrupules, nommés à des postes de gestion du secteur théâtral, ou comme directeurs de théâtres régionaux. Leur présence ne donne pas une bonne image de ceux qui les ont nommés : elle porte à croire que ces derniers sont soit incompétents soit complices. »[6]

Pourtant, en Algérie, des personnes compétentes existent. Par exemple, les membres du jury de la 10ème édition du Festival du théâtre professionnel d’Alger de 2015 déclarent :

« Le jury recommande également la révision des mécanismes de production des différents théâtres et notamment l’élaboration d’une dynamique d’encadrement et de distribution des pièces produites. Il a, par ailleurs, insisté sur la sacralité de la liberté de création et de critique, sur l’urgence de développer une politique de formation efficiente, la création d’une  revue  mensuelle spécialisée dans le 4e art et dans la critique théâtrale, et enfin rapprocher les lieux d’hébergement et y organiser des activités parallèles au festival. »[7]

Une authentique réforme du théâtre doit contribuer à l’émancipation culturelle du peuple, et non bénéficier uniquement à des personnes sous forme de salaire et de privilèges, même si ces personnes ont l’imposture de se proclamer « progressistes », « démocrates », « pro-mouvement populaire ».

Ceci étant dit, il ne faut pas pointer du doigt uniquement les responsables étatiques. Les artistes ont également, et eux d’abord, la responsabilité de la situation du théâtre en Algérie. La prochaine contribution s’adressera à eux.

Kaddour Naïmi

[email protected]


[1]     Voir  « Éthique et Esthétique au théâtre et alentours », Livre 1 : « En zone de tempêtes », point 6.2. « A propos de « pop » ;  Livre 5 : « Bilan général et perspectives », partie Annexe 2. « Charte », Annexe 5 : « Naïmi Kaddour à la recherche d’un théâtre algérien, moderne et révolutionnaire », Annexe 7 : « Alter et auto­théâtre », Annexe  14 : « Nous essayons de promouvoir un théâtre dialectique ». Librement disponible inhttp://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre_ethique_esthetique.html

[2]     « Éthique… », Livre 2 : « De l’écriture de l’histoire ».

[3]     Détails in « Éthique… », Livre 4 : « Retour en zone de tempêtes ».

[4]     Voir « Éthique... », Livre 5, Annexe 28 « Au théâtre, les absents sont les artistes ! »

[5]     Voir « Éthique... », Livre 5, Annexe 29 : « Rêve théâtral ».

[6]     « Éthique… », Livre 5 / point 5.1. « Responsables de la gestion du secteur théâtral. »

[7]     « Éthique… », Livre 5, point « 2. Un jury libertaire, ça existe ! »


 

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