Révolution roumaine : trente ans après, l’espoir entravé

Le 25 décembre 1989, Nicolae Ceaușescu est fusillé au terme d’un simulacre de procès. Épilogue glauque d’une révolution en trompe-l’œil, dont l’histoire précise reste à écrire. Trois décennies plus tard, la corruption reste endémique, et la société civile se défie de son élite politique.



Des civils anti-communistes tiennent des portraits anti-Ceaușescu le 25 décembre 1989 dans le centre-ville de Bucarest. Alors que le soulèvement anti-communiste pour mettre fin aux 24 ans de régime dictatorial de Nicolae Ceaușescu se poursuit.
Des civils anti-communistes tiennent des portraits anti-Ceaușescu le 25 décembre 1989 dans le centre-ville de Bucarest. Alors que le soulèvement anti-communiste pour mettre fin aux 24 ans de régime dictatorial de Nicolae Ceaușescu se poursuit.• Crédits : Patrick Hertzog – AFP

C’était un soir de Noël, il y a trente ans. Les cadeaux sont à peine ouverts, la bûche tout juste digérée. L’Europe découvre avec stupeur, quasiment en direct à la télévision, les corps sans vie du couple Ceaușescu. Point final sanglant d’un règne despotique de 24 ans, peut-être le pire qu’ait vécu l’ex-bloc de l’Est. 

En à peine six jours, la dernière dictature communiste d’Europe vient de s’effondrer, dans des circonstances qui restent à élucider. Soulèvement populaire spontané ? Coup d’Etat téléguidé ? Aujourd’hui, Paul Cozighian, collaborateur régulier de Radio France en Roumanie, a son idée sur la question. Mais à l’époque, c’est une caméra qu’il possède. Un objet rare à Bucarest, où il est étudiant à la faculté de cinéma.  

« On va mourir, mais on sera libres ! »

Le 21 décembre 1989, c’est d’abord à la télévision qu’il suit le meeting de Nicolae Ceaușescu, censé mettre fin à la contestation qui a débuté à Timisoara cinq jours plus tôt. “La révolution est en marche et c’est pour cela que Ceaușescu organise le meeting, persuadé que le peuple est derrière lui. Sauf que le peuple va commencer à le conspuer. La retransmission télé s’arrête. Une grande partie de ceux qui sont venus l’écouter se retrouvent sur la place de l’Université, qui est à deux pas du siège du Comité central. Et c’est là où moi, je me rends. 

Soudain, quelqu’un derrière moi crie “à bas Ceaușescu !” et tout de suite, plusieurs centaines de gens se mettent à crier.                                          
Paul Cozighian, journaliste, étudiant en 1989   

À la tombée de la nuit, les manifestants ont compris que le bras de fer va s’installer. Ils construisent une barricade et on entend les gens qui disent “on va mourir, mais on sera libres !” 

L’armée tire. Il y aura 49 victimes ce soir-là.   

Des Roumains dans un camion se réjouissant en décembre 1989 du renversement des Ceaușescu. Ils agitent un drapeau roumain privé de l'emblème communiste.
Des Roumains dans un camion se réjouissant en décembre 1989 du renversement des Ceaușescu. Ils agitent un drapeau roumain privé de l’emblème communiste.• Crédits : David Turnley/Corbis/VCG – Getty

Dans le chaos ambiant, Ion Iliescu s’impose

En dépit de la répression, dès le lendemain 22 décembre, les Roumains convergent de nouveau vers la place du Comité central, où le couple Ceaușescu s’est retranché. Tout à coup, un hélicoptère s’élève dans le ciel : le tyran est en fuite.    

“Ce sont des moments de joie, c’est l’explosion, raconte Paul Cozighian. C’est le moment le plus fort de toute ma vie. On avait soif de liberté. On avait soif de vivre une vie normale. Chaque année, quand on se rapproche du mois de décembre, j’ai la voix de ce garçon dans les oreilles qui crie “le gâteau de la liberté !” Voilà ce que signifiait pour lui le départ de Ceaușescu.”   

Paul Cozighian@cozighian

L’église Arménienne de Bucarest à été la première à faire sonner les cloches de la liberté, le 22 décembre 1989, jour de la chute du dictateur Ceausescu… @Figaro_Inter @franceculture @franceinter @franceinfo @20hFrance2 @BFMTV @BBCWorld @JohnSimpsonNews416:42 – 22 déc. 2019Informations sur les Publicités Twitter et confidentialitéVoir les autres Tweets de Paul Cozighian

Au siège du Comité central investi par les insurgés, la révolution est en marche… mais dans la plus grande confusion. Les dissidents roumains sont depuis longtemps partis, il n’y a pas d’opposition comme en Pologne ou en Tchécoslovaquie. Et du chaos ambiant émerge un nomenklaturiste de second rang, apparatchik du parti écarté au début des années 80 : Ion Iliescu.   

La nuit tombe sur Bucarest quand, du balcon, le leader de la révolution prend la parole. Et ce sont d’abord des huées qui l’accueillent. “C’est le moment le plus fort symboliquement de cette nuit-là, se rappelle Paul Cozighian. Celui qui pense être le sauveur roumain se prend en pleine figure la réaction d’au moins 500 000 personnes qui sont en bas et qui crient ‘sans les communistes ! sans les communistes !’ Iliescu recadre alors son discours. Mais déjà, le mal est fait. La population commence à se poser des questions. Et le pire, c’est que moins de trente minutes après, les tirs reprennent. _Cette fois, ce n’est pas Ceaușescu qui fait tirer sur la foule_. » 

J’ai rencontré des mères de garçons qui sont tombés non pas le 21 ou le 22 décembre, mais bien après, parce qu’à la télévision, il y a eu des appels à la population pour venir défendre les bâtiments officiels. Pour ces morts-là, il faut trouver les coupables.                                        
Paul Cozighian

Bilan de ces journées aussi décisives qu’ambigües : 162 morts avant le 22 décembre, 862 dans les trois jours qui ont suivi. Cinq fois plus.  

Le procès des Ceaușescu expédié en moins d’une heure

Qui a provoqué les tirs, et pourquoi ? Ordre a-t-il été donné d’organiser le chaos pour faire croire à l’existence de snipers fidèles à Ceaușescu ? A-t-on appelé les Roumains à lutter pour apporter une caution révolutionnaire au nouveau régime ? Le 25 décembre, une rafale de mitraillette met un terme à la confusion. Dans la caserne de Targoviste, à 100 km au nord de Bucarest, le couple Ceaușescu est mis à mort, à l’issue d’un simulacre de procès expédié en moins d’une heure. 

Les ennemis n°1 du peuple roumain sont éliminés. Mais sont-ils les seuls ? L’Armée et la Securitate, sinistre police politique du régime, se sont-elles exonérées de leurs propres turpitudes en se débarrassant des tyrans ? 

Cette chute brutale du rideau de fer en Roumanie, alors que les autres régimes communistes se sont effondrés sans effusion de sang, pose beaucoup de questions. Questions auxquelles, trente ans après, la justice roumaine va peut-être apporter des réponses. Le 29 novembre dernier s’est ouvert devant la Haute cour de Bucarest un procès qui va durer des mois, celui de Ion Iliescu, héros de la révolution, premier Président de la Roumanie démocratique, poursuivi pour crimes contre l’humanité. 

« Tant qu’il n’y aura pas un éclaircissement judiciaire sur ces événements, les gens ne pourront pas se positionner et on ne pourra pas faire le travail de reconstruction estime Irène Costelian, politologue et journaliste à Bucarest. 

La Roumanie n’a pas eu de loi de lustration, ce qui a permis aux anciens communistes de garder leurs privilèges ou d’accéder à de nouveaux postes de pouvoir. C’est difficile dans ces conditions de construire quelque chose de sain et durable.            
Irène Costelian, politologue

Les premiers qui s’occupent d’implanter des multinationales en Roumanie sont des gens qui étaient déjà dans l’appareil politique communiste. Pour faire le deuil de ce qui s’est passé et des traumatismes qui ont été engendrés par ce régime, Il faudrait vraiment que la Roumanie fasse le clair sur ces événements. »     

Dans le musée ouvert par l'ONG Funky Citizens à Bucarest, le culte de la personnalité rendu à Nicolae Ceausescu
Dans le musée ouvert par l’ONG Funky Citizens à Bucarest, le culte de la personnalité rendu à Nicolae Ceausescu• Crédits : Louise Bodet – Radio France

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La corruption, pratique omniprésente

A Bucarest, l’horreur quotidienne de la dictature communiste est fidèlement restituée dans un appartement aménagé comme dans les années 80. A l’origine de ce musée ouvert en février 2019, l’ONG anti-corruption Funky Citizens« Les jeunes viennent ici faire des ateliers d’éducation civique explique sa présidente Elena Calistrou. Ils peuvent comparer concrètement la démocratie et le totalitarisme de la période communiste. Par exemple, dans la chambre de l’enfant, on voit tous les manuels scolaires qui faisaient de la propagande et alimentaient le culte de la personnalité.  

Mon souvenir personnel, à 3 ans, de la chute de Ceaușescu, c’est que ma mère en rentrant du travail m’a trouvée en larmes devant la télévision. Je lui ai dit : ‘Ils ont tué notre père !’ Pourtant, personne dans ma famille ne soutenait le régime, mais dans ma tête d’enfant soumise à la propagande, c’était notre père qui était mort. 

Il reste énormément de traces de cette époque, au niveau politique mais aussi personnel. C’est d’ailleurs pour cela que la corruption est une norme ici, parce qu’on manquait de tout, et que c’était un moyen de se débrouiller.            
Elena Calistru, présidente de l’ONG Funky Citizens

Pot de vin, enveloppes, bakchich : en Roumanie, la corruption, grande et petite, est un héritage de quatre siècles de domination ottomane. C’était un moyen de survivre pendant la dictature communiste. Et c’est une pratique qui reste omniprésente, notamment dans le milieu scolaire. 

“Dès le départ, tout de suite après la naissance de notre fille, nous avons su que trouver une école publique qui ait un niveau académique acceptable, et surtout qui réponde à nos critères d’intégrité et d’absence totale de corruption serait mission impossible, témoigne Oana Dimofte, une maman qui a choisi de scolariser sa fille Erika dans une école privée de la banlieue huppée de Bucarest. 

Dans le public, les enfants sont favorisés quand ils apportent des cadeaux, pour Noël, pour la journée de la femme, pour l‘anniversaire du professeur. On donne de l’argent, des bons d’achat, des objets de valeur.          
Oana Dimofte, parent d’élève

Pour beaucoup d’enseignants, ce n’est pas un complément de salaire, mais un mode de vie : On reçoit de l’argent de la part des enfants, ou on les oblige à prendre des cours particuliers rémunérés. Ce n’est pas un problème de subsistance, mais une question de confort personnel.” 

“Malheureusement, je pense que _c’est dans notre ADN_, cette habitude de donner l’enveloppe, renchérit Dan, le mari d’Oana. Je connais des cas où même dans le privé, on est prêt à verser un dessous de table, alors que tout est déjà payé ! Il faudra peut-être encore une génération pour que nos enfants soient délivrés de cette plaie.”

Drame du Colectiv : pas d’issue de secours, 64 morts

Une autre mère de famille, Beatrice Ene, se plaint également de la corruption dans le milieu médical : « Sans enveloppe, tu ne rentres pas dans la salle d’opération. Les salaires des médecins ont pourtant beaucoup augmenté ces dernières années, et en théorie ils n’ont plus besoin de ces attentions de la part des patients. Mais malheureusement c’est un geste qu’on a tous intégré. En remerciement de l’acte médical, on donne quelque chose. Je ne suis pas sûre que ce soit le communisme qui nous ait faits ainsi. Je pense que cela a à voir avec notre identité. 

Nous sommes un peuple pessimiste, on a beaucoup de mal à voir le bon côté des choses. Et je ne suis pas certaine que ce soit à cause du communisme.          
Beatrice Ene, mère de famille

« La corruption tue » : le slogan-phare des manifestations qui depuis quatre ans ont rassemblé jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes à Bucarest. A l’origine : l’incendie le 30 octobre 2015 du Colectiv, un club de la capitale. Pas d’extincteur, aucune issue de secours : le bilan s’élève à 64 morts – plus de la moitié à cause des défaillances du système de santé – et entraîne la démission du gouvernement de l’époque. 

 Angie Serban, activiste roumaine anti-corruption
Angie Serban, activiste roumaine anti-corruption• Crédits : Louise Bodet – Radio France

Soir après soir, sous les fenêtres du pouvoir, la société civile dénonce les « voleurs » à la tête de l’Etat. Elle crie sa colère contre l’incurie des pouvoirs publics qui laissent les transports, les routes, les hôpitaux à l’abandon.   

“La corruption est partout, affirme Angie Serban, activiste habituée aux têtes de cortèges, depuis le préposé au ticket de parking jusqu’au sommet de l’Etat. Et le plus dangereux, c’est qu’elle se diffuse de bas en haut, mais aussi du haut vers le bas. C’est au sommet que le ton est donné. 

La corruption ne frappe pas seulement le Parti social-démocrate, mais aussi les Libéraux, et d’autres partis politiques.          
Angie Serban, activiste anti-corruption

Il faut qu’ils fassent le ménage, qu’ils éliminent ceux qui ont trempé dans ces affaires, qu’ils commencent à reconstruire le pays. Et alors peut-être la société civile changera d’avis sur eux. En toute sincérité je suis plutôt inquiète. Je sais qu’une période de transition s’est ouverte, mais j’ignore comment l’opposition va pouvoir gérer cette période. J’observe, j’essaie de me forger une opinion. Avec une petite dose d’optimisme… »

mémorial aux 64 victimes de l'incendie de la discothèque Colectiv, le 30 octobre 2015 à Bucarest, à l'origine du mouvement "la corruption tue"
mémorial aux 64 victimes de l’incendie de la discothèque Colectiv, le 30 octobre 2015 à Bucarest, à l’origine du mouvement « la corruption tue »• Crédits : Louise Bodet – Radio France

Atteintes à l’indépendance de la justice 

Fin septembre 2019, pourtant, l’ambiance est à la fête parmi les activistes : l’égérie du mouvement anticorruption, la procureure Laura Codruta Kövesi vient d’être nommée cheffe du futur parquet européen, chargé par les 27 de traquer le détournement des fonds structurels de l’UE. Elle était auparavant à la tête de la Direction nationale anticorruption (DNA), un parquet indépendant créé il y a 17 ans, sur demande expresse de l’Union européenne. Ses procureurs ont depuis fait tomber des dizaines de dirigeants politiques, en dépit des atteintes à l’indépendance de la justice perpétrées par les gouvernements socio-démocrates successifs.  

Code pénal modifié, champ de compétences des magistrats rogné… et recrutement fragilisé, explique l’actuel patron de la DNA Calin Nistor : « Cela fait deux ans qu’à la DNA _40 postes de procureurs ne sont pas pourvus_. Cela représente presque le quart de notre effectif. Le problème, c’est que les conditions d’accès à la DNA ont changé. Il faut désormais dix ans d’ancienneté pour y obtenir un poste de procureur, contre seulement six ans auparavant. Et cela nous créé une difficulté, car en Roumanie un procureur qui a dix ans d’ancienneté exerce en Cour d’appel. La différence de salaire est minime, mais la charge de travail est plus importante à la DNA. Du coup, ce n’est pas attractif de venir ici. »    

Ces dix dernières années, la DNA a déclenché 9 000 procès pour corruption, qui ont abouti à 6 700 condamnations définitives. Un bon chiffre, selon Calin Nistor : « C’est la preuve que l’activité des procureurs a été validée par les instances judiciaires ».  

Revers électoraux pour le PSD

Mais la version est toute autre au sein du PSD, le parti social-démocrate roumain, principale cible – et donc principal adversaire des procureurs anti-corruption. Héritier du Front de salut national de Ion Iliescu, et donc du Parti communiste roumain, il a dominé la vie politique pendant trente ans, mais son hégémonie est aujourd’hui contestée. En mai dernier, son numéro 1 Liviu Dragnea a écopé de trois ans et demi de prison pour corruption. Le PSD multiplie par ailleurs les revers électoraux, aux élections européennes au printemps 2019, puis au scrutin présidentiel de novembre, un mois après la chute du gouvernement social-démocrate.   

Pour le jeune député PSD Florin Manole, cela n’a cependant rien à voir avec les scandales de corruption, orchestrés dit-il par les magistrats et les médias : « En tant que jeune responsable politique, je respecte les décisions de justice. Je pense qu’à partir du moment où un juge se prononce, qu’il s’agisse d’une condamnation ou d’un acquittement, je n’ai pas à commenter. En revanche, tant qu’aucune condamnation n’a été prononcée, qu’importe les accusations proférées dans l’espace public : la presse, les médias démocratiques, nous tous devons respecter le principe de présomption d’innocence. 

Je peux vous donner des dizaines d’exemples d’hommes politiques roumains qui ont dû démissionner après avoir subi une opprobre publique massive, et qui ont été ensuite lavés de tout soupçon. Mais politiquement, ils étaient morts !            
Florin Manole, député PSD

Je n’accepte pas une seule seconde d’entendre que tous les élus du PSD seraient des escrocs et des bandits”.

Clientèle électorale fidèle 

Sur le marché populaire d’Obor, au nord-est de Bucarest, le PSD suscite, comme ailleurs du rejet. Mais il peut aussi compter sur le soutien d’une clientèle électorale fidèle : “L’ancien gouvernement ? dommage qu’il soit parti regrette un retraité venu faire ses courses. Le nouveau gouvernement, on ne sait pas ce que ça va donner. 

Le PSD a fait des choses pour nous, le peuple. Pour les retraités, pour les travailleurs, pour absolument tout le monde !            
Un client du marché populaire d’Obor

Le PSD n’est pas corrompu. C’est maintenant que les corrompus arrivent »

Adriana, 64 ans, acquiesce : « Moi, je fais confiance au PSD. Désolée pour les autres, mais s’il y a eu des choses positives dans ce pays, c’est grâce à lui. Tout le monde le critique, mais ce n’est pas mérité ».  

Michaela, ancienne chercheuse en mathématiques aujourd’hui âgée de 78 ans, soupire : « le PSD sait manœuvrer les gens, qui sont très faciles à manipuler et à acheter, avec un kilo de sucre, de farine. C’est normal : ils ont eu une vie misérable jusqu’en 1989. Et puis  beaucoup de retraités ont des pensions complètement insuffisantes. Alors ils sont prêts à suivre ceux qui leur font des promesses ».  

« C’est une question de génération, abonde Adrian Cioroianu, historien, ancien ministre libéral, aujourd’hui ambassadeur roumain à l’UNESCO. Les électeurs de PSD proviennent souvent du milieu rural et sont âgés. Bien sûr on a des jeunes qui votent aussi pour le PSD, mais je dirai que ceux qui contestent le PSD dans la génération de mes étudiants sont plus nombreux que ceux qui votent pour lui. Le mot d’ordre des socialistes, au moins en Roumanie, c’est la stabilité, la prévisibilité. Nous savons ce que l’on va faire demain, on va vous augmenter vos salaires, vos pensions… Cette stabilité, pour certains citoyens, c’est rassurant ».  

Quant au pessimisme ambiant, il fait selon Adrian Cioroinanu « partie du paysage

Les lamentations font partie du charme national, alors que les Roumains sont parmi les peuples les plus dynamiques de la région.          
Adrian Cioroianu, historien

Les changements de ces dernières années le prouvent, ils sont considérables pour moi. En tant qu’historien, j’observe des progrès visibles, et je ne crois pas dans ces lamentations, même si c’est vrai que je les rencontre partout ».     

La tentation de l’exil

Mais le progrès est lent, trop lent pour toute une génération qui aspire à l’exil. Ces trois dernières années, la Roumanie a connu la vague d’émigration la plus importante au monde après la Syrie. Et un Roumain sur quatre âgé de moins de 40 ans vit aujourd’hui hors de son pays natal.  

Cela pourrait être bientôt le cas de Joana Vulcan, salariée dans le secteur de la publicité. Elle dispose d’un emploi stable et bien payé, mais entretient l’idée de quitter la Roumanie pour l’Allemagne, « parce que c’est difficile de vivre dans un pays où on paie des impôts et des taxes pour enrichir des gens qui sont vraiment nuls. Les politiciens professionnels sont corrompus, et en plus ils sont vraiment stupides ! Je sais qu’il faut avoir de la patience, mais je ne suis pas sûre d’y parvenir. 

Je pense à avoir des enfants, mais dans un pays avec un tel système scolaire et de tels hôpitaux, c’est une folie !                        
Joana Vulcan, 33 ans, tentée par l’émigration  

Je fait partie de la société civile qui se mobilise. Je proteste, je vote… mais je ne suis pas sûre que cela suffise pour changer ce qui aurait dû l’être il y a trente ans. C’est une question historique. Ici, on n’a pas la tradition de la démocratie, mais celle de la corruption, du népotisme, de la fascination pour l’autoritarisme. C’est difficile de changer cela en une génération. De plus, on n’a pas fait un vrai procès du communisme, et on a beaucoup de lacunes dans notre connaissance de l’histoire. _On n’a pas nettoyé notre histoire avec le communisme_. C’est difficile dans ces conditions de construire quelque chose de sain et durable. »


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A Bucarest, contre la corruption, une société civile naissante descend dans la rue et se rassemble plusieurs fois par semaine depuis le début de l’année sur la place devant le siège du gouvernement.

Manifestation Place du Gouvernement à Bucarest
Manifestation Place du Gouvernement à Bucarest• Crédits : Daniel Mihailescu – AFP

Chanson de fin : « Chihlimbar » par Luna Amara – Album : « Don’t let your dreams fall asleep » (2009) – Label : Sunete.

  • Reportage : Rémi Douat
  • Réalisation : Emmanuel Geoffroy

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