Roman : « GRANDE TERRE, TOUR A » de Kadour Naïmi – partie III, chap. 13-14

La Tribune Diplomatique Internationale publie ce roman

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       depuis  le 21 décembre

 

 

 

 

 

 

13. La nuit de l’infamie

 

Après le dîner, Karim a besoin de se « nettoyer », selon son mot, des pénibles sensations causées par les opinions de son frère et de sa sœur. Pour y parvenir, à défaut de la mer, sa meilleure solution est le plein air. Il l’appelle : « le pays de mon émigration intérieure ». En réalité, celle-ci est extérieure : il s’agit de sortir d’un endroit fermé, la maison ou le lieu de travail ; alors, cet extérieur permet à Karim de se réfugier en son intérieur. Comme il fait nuit, Karim veut offrir à ses yeux un champ d’étoiles scintillantes dans le ciel serein.

Il sort de la Tour, dépasse la petite place, s’engage dans la longue et large rue où se trouve le bar, fermé à cette heure tardive. La lumière publique est faible, jaunâtre, et personne n’est dans la rue. Les années sanguinaires du terrorisme, bien que passées, influencent encore le mode de vie.

De très rares véhicules, les phares tout allumés, presque aveuglants, passent comme des fantômes. Un chat, tout maigre, au poil gris, frôle les murs, à la recherche attentive de nourriture. Soudain, il se précipite à toute vitesse vers un gros rat noir sorti d’un trou ; la bestiole, se rendant compte du danger mortel, parvient à rejoindre une autre cavité où elle disparaît. Le chat affamé s’immobilise, en poussant un miaulement triste.

Karim poursuit sa tranquille promenade en direction de l’avenue. De temps à autre, il lève les yeux vers le ciel. Son étendue, sa profondeur, son calme et son silence impressionnent Karim, purifient son esprit.

Abaissant le regard vers les trottoirs, Karim se désole : « Malheureusement, trop peu d’arbres, et pas de fleurs !… Il y a, quand même, Zahra[1], ma voisine ; mais c’est une fleur dont je ne connais pas le parfum, et qu’il m’est difficile de cueillir. »

Pour se détendre, l’amoureux fredonne : « Ah ! Zahra ! Zahra !… Ah ! Si, pendant que j’évoque ton nom, de ton coté, tu penses à moi ! ». Aussitôt, Karim se rappelle l’affirmation de son frère : « Pour te marier, il te faut une maison ! Et tu n’en as pas ! »… Cette constatation résonne cruellement dans le cerveau de Karim. « Que dirait, alors, Zahra ?… s’interroge-t-il, avec une pointe d’amertume. Peut-être la même chose. »

Ses réflexions sont brutalement interrompues par les haut-parleurs qui diffusent, de trois mosquées toutes proches les unes des autres, l’appel à la dernière prière du jour. Karim n’a jamais compris pourquoi cet appel n’est pas lancé par un seul haut-parleur et d’une voix supportable aux oreilles. C’est un insupportable tintamarre où entrent en concurrence trois voix, l’une d’elle étant particulièrement tonitruante. Jamais Karim n’a pu s’accommoder de cette manière totalement inopportune, indélicate et trop bruyante pour rappeler un devoir religieux. Karim pense en particulier aux petits enfants, aux vieillards et aux malades qui ont besoin de silence, mais sont dérangés cinq fois par jour par ces trop criards haut-parleurs. Surtout le matin, à l’aube, quotidiennement, le calme est violemment brisé par les trois haut-parleurs, interrompant le sommeil. Karim trouve cette façon totalement insensée, incivile. « Je comprends, se dit-il, l’appel du muezzin à l’époque où n’existaient pas les montres pour indiquer le temps ; mais, aujourd’hui, quelle est l’utilité de ces appels, surtout à travers d’assourdissants haut-parleurs, se chevauchant en désordre les uns les autres ?… N’est-ce pas, sous prétexte de religion, manquer de respect aux gens ? »

Alors que Karim rumine ces considérations, brusquement, des ombres l’assaillent Karim et l’encerclent. Effrayé, il tressaille, recule puis regarde pour savoir de quoi il s’agit : trois hommes l’entourent, menaçants.

– Qui êtes-vous ? demande-t-il.

Les trois inconnus gardent le silence, en le fixant droit dans les yeux.

Karim s’efforce de demeurer calme, malgré sa peur. Il dévisage mieux les trois hommes. Ils sont jeunes, la vingtaine d’années chacun, leurs habits sont modestes, mais l’expression de leur visage est d’une hostilité effrayante.

– Qui êtes-vous ? répète Karim.

–  Si tu étais intelligent, lance l’un des trois, tu ne poserais pas la question.

– Que voulez-vous ?

– Te faire réfléchir.

– À quoi ?

–  À ton comportement dans le quartier.

– Que veux-tu dire par là ?

– Décidément, tu n’es pas intelligent ! réplique, goguenard, le jeune homme.

– Laisse-moi le rendre intelligent, dit le second inconnu.

– Vas-y ! consent le premier.

Un violent coup de poing s’abat sur le visage de Karim, si fortement qu’il trébuche et recule de plusieurs pas. L’agresseur et le troisième personnage se ruent sur lui, et le rouent de coups. Karim tente de se protéger avec les bras, en cherchant à fuir. Impossible. Il est fermement encerclé. Les coups pleuvant sur lui sont tels qu’il tombe par terre, en se tordant de douleur, tout en essayant de protéger son visage.

– Suffit ! ordonne le chef du groupe.

Il lance à Karim :

– Pour cette fois, la leçon devrait être suffisante. Sinon, nous t’en donnerons une autre avec plaisir ! Et autant d’autres qu’il sera nécessaire.

Les trois agresseurs s’éloignent dans la nuit.

 

De retour chez lui, Karim est soulagé de voir que sa mère et sa sœur Zahia dorment. Sans faire de bruit, il entre dans la petite salle de toilette, se soigne et se lave. Ensuite, il rejoint son lit, éteint la lumière et se demande : « Qui sont-ils, et pourquoi leur agression ? »

Le lendemain, avant le réveil de sa mère et de sa sœur, Karim se lève très tôt et sort de l’appartement.

À l’hôpital, des collègues remarquent ses blessures au visage. Interrogé,  Karim déclare : « Tombé d’une échelle, à la maison, durant un travail ». Il est conscient de ne pas convaincre tout-à-fait. Qu’importe !

Le soir, il revient chez lui. À la vue de ses hématomes sur les joues et les sourcils, sa mère lui demande, très inquiète :

– Qu’est-ce que c’est ?

Il sourit :

– Accident de travail. Un malade est tombé et, en voulant le relever, j’ai chuté à mon tour, mon visage a rencontré l’angle d’un lit. Par chance, rien de grave.

L’excuse tranquillise la mère. Zahia se contente d’observer d’un regard scrutateur le visage de son frère, sans rien dire. Puis, elle se réfugie dans sa « grotte au désert », comme la nomme Karim.

Deux jours après, le matin, il entre dans l’épicerie pour effectuer des achats. Il trouve Zahra, occupée à prendre un paquet de couscous sur des étagères. Elle note, effrayée, les traces rougeâtres sur le visage de Karim : toutefois, elle n’ose pas lui adresser la parole.

Une fois retournée chez elle, elle s’isole dans la cuisine. Très inquiète, elle prépare un couscous, en s’interrogeant : « Que s’est-il passé ?… Qui l’a frappé, et pourquoi ? »

 

Le jour suivant, elle se retrouve en face du policier, dans son bureau. Elle l’informe de ce qu’elle définit comme « agression dont Karim fut victime ».

– Ah ! se limite à commenter l’homme, comme s’il vient d’apprendre la nouvelle.

Zahra sent le besoin de lui demander qui, selon lui, est le mandataire de cet acte. Elle se retient, connaissant la règle à laquelle elle doit se conformer : se limiter à répondre aux questions du chef, sans jamais poser de questions.

Voici que le « patron » lui pose une question :

– As-tu une idée sur l’identité des agresseurs ou sur leurs mandataires ?

Zahra réfléchit rapidement : « L’ignore-t-il vraiment, lui ? Ou veut-il simplement me tester ? »

– Non, répond-elle.

– Alors, essaie de le savoir, ou, plutôt, tu dois réussir à le savoir.

Désormais, Zahra connaît suffisamment son chef pour être consciente d’un fait : ce qu’il dit n’est jamais la vérité, il ne peut pas la dire, son but est uniquement de connaître celle des autres, des citoyens, des adversaires. Quant à sa vérité, à lui, c’est top secret, ou, alors, des mensonges présentés comme vérités. Zahra ne serait donc pas étonnée de découvrir que l’agression contre Karim fut commandée par lui. Il est vrai que les intégristes du quartier pourraient, également, être les mandataires de cette infâme action. Comment trouver les preuves ?

Alors que Zahra pense à ce problème, le policier intervient :

– Cherche du coté des salafistes ![2]

Zahra ne réplique rien, elle pense : « Veut-il me lancer sur une fausse piste ? Ou la considère-t-il vraiment comme la bonne piste ? »

En quittant le bureau, Zahra parcourt l’avenue Larbi Ben Mhidi[3], d’un pas lent, la tête baissée, pensive. Elle se rend compte combien elle n’est rien d’autre qu’une marionnette manipulée. Elle se rappelle : « Ce n’est pas la première fois que je suis réduite à un instrument ». Elle ajoute : « Entre les mains d’un sadique. » Elle écarte vivement de son souvenir ses manipulateurs précédents.

Pour se soulager, elle préfère contempler des vitrines. L’une d’elles l’attire. Elle présente des robes de mariage. « Ah !… Dieu ne m’a pas réservé ce bonheur ! Et j’ignore pourquoi. À lui aussi, je ne peux pas poser  de questions, mais uniquement recevoir des ordres. Décidément !… »

 

14. Cercle infernal

 

En retournant vers son immeuble, Karim rencontre Si Lhafidh dans la rue.  Ce dernier s’aperçoit des ecchymoses sur le visage de son voisin :

– Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il, alarmé.

– Je t’expliquerai ce soir, si tu es à la maison.

– D’accord, à dix heures, tu peux ?

– Oui.

À l’heure dite, les deux amis sont assis sur le même divan. Karim relate  l’attaque nocturne, et conclut :

– Mes agresseurs ne sont certainement pas des voleurs, sinon ils m’auraient demandé de l’argent. Donc, leurs mandataires sont soit la police, soit les intégristes islamistes.

– Évidemment, dit Si Lhafidh, ces agresseurs ne sont pas du quartier. Ainsi, les mandataires restent difficiles à connaître. Une chose est positive : en restant cachés, ils ne se considèrent pas assez forts pour assumer ouvertement leur action, et cela, par peur de la réaction populaire. Comme quoi, en dépit du mépris que certains manifestent contre le peuple, celui-ci fait néanmoins peur à ses ennemis.

Karim et Si Lhafidh réfléchissent.

– Une chose est certaine, déclare ce dernier. Le recours à la violence prouve la faiblesse des idées. Or, qu’est-ce qui caractérisent principalement les tiennes ?

Il attend une réponse de la part de Karim. Celui-ci demeure pensif et silencieux. Le vieillard pose une autre question :

– Qu’as-tu fait de particulier, de nouveau dans le quartier, qui aurait pu contrarier les mandataires de tes agresseurs ?

Karim réfléchit un instant, puis :

– Je ne vois pas autre chose que le nettoyage avec Saïd.

– Donc ?

– Alors, estime Karim, c’est la solidarité entre les habitants des immeubles pour nettoyer leur quartier qui dérange ! Et on a voulu le faire savoir en m’agressant.

– Pourquoi, relance Si Lhafidh, toi et pas moi, ni les autres qui ont aidé Saïd ?

Karim se concentre davantage pendant quelques secondes, puis :

– Le syndicat, alors ! Mon activité autonome !

Soudain, il se rappelle la rencontre avec le policier, au commissariat. Il raconte la discussion à Si Lhafidh, en soulignant la conclusion qui semblait une menace.

– Tu ne vois pas autre chose ? insiste Si Lhafidh. Réfléchis bien ! Rappelle-toi tout ce qui aurait pu, dans tes actes, contrarier quelqu’un.

Un soupir soulève la poitrine de Karim, tandis qu’il met en action sa mémoire… Il finit par trouver quelque chose. Il raconte à son voisin la scène de l’égorgement des moutons, et l’altercation avec le marchand de fruits, Omar. Puis, il conclut :

– Effectivement, c’est là un autre motif pour me donner un avertissement.

– Une autre question encore, poursuit Si Lhafidh. Crois-tu que l’agression dont tu as été victime ne visait que toi ?

Un bref instant de réflexion, puis Karim répond :

– Alors, vous aussi !… Notre solidarité avec Saïd dérange tous ceux qui n’ont pas intérêt à voir les citoyens s’entraider en prenant en charge la gestion de leurs problèmes.

Si Lhafidh remarque :

– Ces gens-là n’ont-ils pas, en effet, peur que cette simple action de nettoyage, autonome et collective, donne l’idée aux citoyens d’entreprendre d’autres actions dans le même esprit ?

– C’est certain ! admet Karim. Le nettoyage des immondices peut donner envie de nettoyer la société de tous ses parasites, quels qu’ils soient.

– Alors, que faire ? demande Si Lhafidh.

Karim ne répondant pas immédiatement, le vieillard ajoute :

– Rappelle-toi la fameuse déclaration de l’écrivain et poète Djaout : « Si tu parles, tu meurs ! Si tu ne parles pas, tu meurs ! Alors, parle et meurs ! »… Et il est mort, assassiné, lui et tant d’autres. Ne fallait-il pas plutôt conclure : « Alors, organise-toi pour ne pas mourir ou, du moins, pour rendre le plus difficile possible ta mort » ?

– Oui, c’est vrai !… Sans organisation, n’importe qui sera certainement vaincu. C’est la raison pour laquelle, à l’hôpital, nous avons créé notre section syndicale autonome.

– Reste un autre problème fondamental à affronter, ajoute Si Lhafidh.

– Lequel ?

– S’organiser, d’accord, mais pour entreprendre quel genre d’action ? Répondre à la violence de manière pacifique ou par une contre-violence ?

Le cerveau de Karim se met au maximum d’effervescence.

– Explique-moi davantage, suggère-t-il.

– Tout ce qu’on sait, précise Si Lhafidh, c’est ce que l’histoire nous montre. Et ce qu’elle montre est ceci : les dominations sociales n’ont pu être éliminées que par une contre-violence, opposée à la violence dominatrice. Il en fut ainsi des révoltes anti-esclavagistes, des révolutions anti-féodales, des guerres contre le nazisme allemand, le fascisme italien et le fascisme japonais, des guerres de libération nationale. Même les religions monothéistes ont vaincu, en définitif, par la violence. Affirmer que le Christianisme ne fut pas dans ce cas est une erreur : sans l’armée de l’empereur Constantin, cette conception serait restée celle d’une petite secte persécutée. D’exemple contraire, il n’y a eu que Gandhi et l’indépendance de son pays. Exception confirmant la règle, diraient les mathématiciens.

– Alors ? demande Karim, serais-tu pour la contre-violence ?

– Ce que je réprouve le plus au monde, c’est la violence, et cela par principe. Malheureusement, ce que je constate dans le monde, c’est la violence, laquelle n’a été éliminée que par une contre-violence. Un cercle vicieux dont l’humanité n’est pas sortie. Et tu l’as lu dans les livres que je t’ai prêtés : les deux expériences autogestionnaires, russe et espagnole, bien que pacifiques, furent écrasées par la violence, la première par les prétendus « révolutionnaires », et la seconde, par les déclarés fascistes, avec, également, le concours des staliniens. Quant à l’autogestion algérienne, elle fut éliminée par des décrets bureaucratiques, et, chez les récalcitrants, par la violence.

Remarquant l’expression désolée de Karim, Si Lhafidh hausse les bras et les épaules :

– Désolé, mon cher Karim ! L’humanité n’a jusqu’à maintenant pas découvert la recette juste et parfaite pour sortir du cercle infernal de sa préhistoire, sans douleur et sans néfaste conséquence. L’ancêtre néandertalien vit encore en nous, et sévit !

– Donc, si j’ai bien compris, tu es pour la contre-violence ?

– Non pas ! Non pas !… La violence, je te l’ai dit, ne fait absolument pas partie de mes principes, du moins depuis mon âge adulte. Seulement, je constate ce qu’est la réalité. Je n’en tire pas, comme conclusion, la nécessité de la contre-violence. Non ! Pas du tout ! Je souhaite, et cette question est en tête de liste de mes interrogations, trouver une solution pour changer en mieux la société de manière pacifique. Je n’ai encore trouvé nulle part la réponse réellement convaincante. Alors, je cherche ! Je cherche encore !

 

Depuis l’agression subite, chaque fois que Karim est devant le marchand de fruits pour en acheter, il est mal à l’aise. Quand ses yeux rencontrent ceux de Omar, il les écarte aussitôt, pour ne pas donner l’impression de se méfier. Néanmoins, Karim ne renonce pas  au commerce de cet homme : « S’il est derrière cette agression, pense Karim, il n’en est pas le seul et le premier responsable. Il n’est qu’une marionnette, victime de ses misères sociales et de la manipulation des loups qui le conditionnent. Il en vient à considérer comme ennemi les personnes qu’il devrait, au contraire, choisir comme amies… Peut-être !… Peut-être un jour, je parviendrai à le lui faire comprendre. »

Karim est conscient de formuler, de temps à autre, des désirs ayant tout l’air d’illusions vaines. Néanmoins, il a besoin d’y croire. Adolescent, il avait écrit sur une feuille de cahier, ensuite fixée sur le mur, tout près du chevet de son lit : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »[4] Un autre fait l’avait profondément impressionné, lu dans un article de presse. Durant l’occupation nazie en France, un anarchiste s’était trouvé devant un peloton d’exécution. Juste avant la détonation fatale, il cria aux jeunes militaires allemands : « C’est pour vous que je meurs, prolétaires manipulés ! »

Karim est conscient du motif qui le porte à ce genre de considérations. Depuis son enfance, il a été sensible aux cruautés humaines, non seulement parce que subies par les victimes, mais, aussi, parce que causées par les auteurs de ces actes choquants. Cependant, Karim, après de profondes réflexions, en était venu à ne pas éprouver de la haine pour les coupables, mais une sorte de tristesse. Elle s’expliquait ainsi : « Qu’est-ce qui porte une personne à agir de manière cruelle ?… Si elle avait eu la chance d’avoir un père et une mère comme les miens, plein d’attention, de bonté et d’altruisme, cette personne aurait-elle senti le besoin de se comporter en méchants ?… » Progressivement, Karim comprit qu’à la méchanceté et à ce qui la produit, la haine, il fallait absolument éviter d’éprouver le même sentiment et d’en tirer le même comportement. La haine était ressentie par Karim comme une maladie psychique. « Non ! décida-t-il un jour. Jamais je ne permettrai à la haine de me polluer… Oh, certes ! Je n’irai pas jusqu’à tolérer le résultat néfaste de la haine, je le combattrai de toute mes possibilités, sans toutefois jamais m’abaisser à cet hideux sentiment. Il me suffit d’en comprendre la cause et de chercher à l’éliminer, et si cela m’est impossible, de m’occuper de meilleure façon. »

Un soir, il confia cette conception à sa sœur Jamila, espérant, encore une fois, comme Don Quichotte, améliorer son prochain, dans ce cas sa sœur. Elle le toisa froidement et grinça avec mépris, les lèvres serrées :

– Alors, tu es un lâche ! Un peureux !

Elle ajouta, gonflant son corps graisseux de fierté ridicule :

– Moi, à la haine des autres, je réplique par une haine plus forte !… Non pas œil pour œil, mais pour un œil, les deux yeux de l’adversaire ! Et même tout son visage ! Et même ses organes internes ! Qu’il meurt de la mort la plus atroce !

« Elle est gravement malade, cette malheureuse sœur ! » fut la conclusion de Karim, sans la formuler à haute voix.

A suivre …


[1]     Rappelons que le nom signifie « fleur ».

[2]     Rappelons qu’il s’agit d’intégristes d’obédience islamiste.

[3]     Un des dirigeants les plus populaires de la guerre de libération nationale, arrêté, torturé et assassiné par l’armée coloniale.

[4]     Déclaration attribuée à Guillaume dit le Conquérant.


 

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