La Russie et l’Allemagne gagnent la guerre du Nord Stream 2

La bonne nouvelle, c’est que les USA, malgré leur pouvoir de coercition et leur influence sur l’UE, n’ont pas eu gain de cause dans l’affaire du Nord Stream 2. La mauvaise nouvelle, c’est que l’Allemagne, qui fait déjà la pluie et le beau temps en Europe de l’Ouest, va gagner encore plus de pouvoir à travers son contrôle du gaz à bon marché en provenance de Russie. Devons-nous nous réjouir parce qu’au moins, nous pouvons tabler sur une stabilité des prix du gaz dans l’UE, ou nous inquiéter de l’emprise économique accrue allemande ? A chacun son opinion.


Par B.
Paru sur Moon of Alabama sous le titre Russia And Germany Win War Over Nord Stream 2


La guerre de sanctions menée par les États-Unis contre l’Allemagne et la Russie au sujet du gazoduc Nord Stream 2 s’est soldée par une défaite en rase campagne des États-Unis.

Les tentatives américaines de bloquer le gazoduc s’inscrivaient dans le cadre de la campagne anti-russe massive menée au cours des cinq dernières années. Mais elles se fondaient depuis le début sur un malentendu. Le gazoduc n’est pas spécialement à l’avantage de la Russie, mais il est important pour l’Allemagne. Comme je l’ai décrit dans un précédent article :

Ce n’est pas la Russie qui a besoin du gazoduc. Elle peut vendre son gaz à la Chine pour un prix aussi élevé que celui qu’elle gagne en vendant du gaz à l’Europe.

C’est l’Allemagne, locomotive économique de l’UE, qui a besoin du gazoduc et du gaz qui y passe. En raison de la politique énergétique malavisée de la chancelière Merkel – elle a mis fin au nucléaire en Allemagne après qu’un tsunami au Japon ait détruit trois réacteurs mal placés – l’Allemagne a un besoin urgent de gaz pour éviter que les prix déjà élevés de l’électricité n’augmentent encore.

Le fait que le nouveau gazoduc contourne les anciens, qui passent par l’Ukraine, profite également à l’Allemagne et non à la Russie. L’infrastructure des gazoducs en Ukraine est ancienne et passablement délabrée. L’Ukraine n’a pas d’argent pour les remettre en bon état. Politiquement, elle est sous l’influence des États-Unis. Elle pourrait utiliser son contrôle sur le flux d’énergie vers l’UE pour faire du chantage. (Elle a déjà essayé une fois). Le nouveau gazoduc, posé au fond de la Baltique, ne nécessite aucun paiement pour traverser les terres ukrainiennes et est protégé de toute influence contraire potentielle.

Peut-être que la chancelière Merkel, lors de sa récente visite à Washington DC, a finalement réussi à expliquer cela à l’administration Biden. Mais il est plus probable qu’elle ait tout simplement envoyé les États-Unis sur les roses. Quoi qu’il en soit, le résultat est là.

Comme le rapportait hier le Wall Street Journal :

Les États-Unis et l’Allemagne ont conclu un accord permettant l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2, selon des responsables des deux pays.

Dans le cadre de cet accord en quatre points, l’Allemagne et les États-Unis investiront 50 millions de dollars dans les infrastructures ukrainiennes de technologie verte, qui englobent les énergies renouvelables et les industries connexes. L’Allemagne soutiendra également les discussions sur l’énergie dans le cadre de l’Initiative des trois mers, un forum diplomatique d’Europe centrale.

Berlin et Washington s’efforceront également de faire en sorte que l’Ukraine continue de percevoir les quelques 3 milliards de dollars de droits de transit annuels que la Russie lui verse dans le cadre de l’accord actuel avec Kiev, qui court jusqu’en 2024. Les responsables n’ont pas expliqué comment ils comptent s’assurer que la Russie continuera à effectuer ces paiements.

Les États-Unis conserveraient également la prérogative d’imposer des sanctions futures sur les pipelines dans le cas d’actions considérées comme représentant une coercition énergétique russe, ont déclaré des responsables à Washington.

L’Allemagne va donc dépenser de la menue monnaie pour racheter, avec les États-Unis, quelques entreprises ukrainiennes actives dans le domaine de l’énergie solaire ou éolienne. Elle « soutiendra » des négociations sans importance, peut-être en offrant le café. Elle promet également d’essayer quelque chose qu’elle n’a aucune chance de réussir.

Tout cela n’est que de la poudre aux yeux. Les États-Unis ont capitulé sans rien obtenir pour eux-mêmes ou pour leur régime client en Ukraine.

Le lobby ukrainien du Congrès US sera très mécontent de cet accord. L’administration Biden espère éviter un tollé à ce sujet. Avant-hier, Politico a rapporté que l’administration Biden avait préventivement demandé à l’Ukraine de ne plus soulever cette question :

Au milieu de négociations tendues avec Berlin sur un gazoduc controversé reliant la Russie à l’Allemagne, l’administration Biden demande à un pays ami de taire son opposition véhémente. Et l’Ukraine n’est pas contente.

Les responsables américains ont fait savoir qu’ils avaient renoncé à stopper le projet connu sous le nom de gazoduc Nord Stream 2, et qu’ils s’efforcent désormais de limiter les dégâts en concluant un grand accord avec l’Allemagne.

Dans le même temps, les officiels de l’administration ont discrètement exhorté leurs homologues ukrainiens à ne pas critiquer l’accord à venir avec l’Allemagne concernant le gazoduc, selon quatre personnes ayant connaissance de ces conversations.

Les officiels américains ont indiqué que le fait de s’opposer publiquement à l’accord prévu pourrait nuire aux relations bilatérales entre Washington et Kiev, ont précisé ces sources. Les responsables ont également exhorté les Ukrainiens à ne pas discuter des plans potentiels des États-Unis et de l’Allemagne avec le Congrès.

Si Trump s’était permis ce qui précède, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, aurait de nouveau demandé un impeachment.

Le président ukrainien Zelensky est furieux de cet accord et de s’être fait sommer de se taire. Mais il ne peut guère faire autrement que d’accepter le prix de consolation que l’administration Biden lui a proposé:

La pression exercée par les responsables américains sur les responsables ukrainiens pour qu’ils ne critiquent pas l’accord final conclu par les Américains et les Allemands, quel qu’il soit, se heurtera à une résistance importante.

Une source proche du président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que la position de Kiev est que les sanctions américaines pourraient encore empêcher l’achèvement du projet, si seulement l’administration Biden avait la volonté de les utiliser aux stades de la construction et de la certification. Cette personne a déclaré que Kiev reste farouchement opposée au projet.

Entre-temps, l’administration Biden a donné à Zelensky une date pour une réunion à la Maison Blanche avec le président plus tard cet été, selon un haut fonctionnaire de l’administration.

Le Nord Stream 2 est prêt à 96 %. Les essais commenceront en août ou septembre et, à la fin de l’année, il devrait livrer du gaz à l’Europe occidentale.

Des discussions sur la construction du Nord Stream 3 devraient bientôt commencer.


Traduction et note d’introduction Corinne Autey-Roussel
Photo : A bord du Fortuna, le navire russe qui pose le pipe-line Nord Stream 2. Crédit inconnu.


     Poutine et Merkel «satisfaits» de l’achèvement prochain du gazoduc Nord Stream 2


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *