Sahel : à la recherche de la stratégie perdue…

07 janvier, 2021
Note

Leslie Varenne

Depuis une dizaine de jours une suite d’événements tragiques se sont produits dans le Sahel. Le samedi 2 janvier dans deux villages de l’Ouest du Niger : Tchombangou et Zaroumdareye, dans la région des Trois frontières où sévit l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) 100 civils ont été assassinés lors d’une attaque perpétrée par une centaine d’assaillants arrivés à moto. Le même jour, deux militaires français appartenant au deuxième régiment de Hussards de Haguenau ont succombé à leurs blessures après que leur véhicule blindé léger ait été atteint par un engin explosif improvisé (IED) dans la région de Ménaka au Mali. Cinq jours plus tôt, trois autres soldats de Barkhane avaient trouvé la mort de la même manière à Hombori dans le cercle de Douentza. Ces décès portent à cinquante-cinq le nombre de militaires français décédés au Sahel

 

Crédit photo : ministère des Armées

 

La série continue…

Et comme si ces mauvaises nouvelles ne suffisaient pas, un autre drame s’est produit le dimanche 3 janvier dans la commune de Bounti, proche de la ville de de Douentza au centre du Mali. Selon un contact malien qui a dialogué avec des témoins et qui est donc très au fait du déroulé des événements, des villageois célébraient un mariage et comme le veut la tradition peule, un groupe d’hommes s’est regroupé et éloigné du village pour faire griller le taurillon qu’ils avaient reçu en offrande. C’est pendant le méchoui qu’ils ont été la cible d’une frappe aérienne, il y a eu 16 morts selon cette source, d’autres citent le chiffre de 19 décès, et des blessés.

Pendant 48 heures, ni l’armée malienne, ni Barkhane ne se sont exprimés, laissant ainsi les réseaux sociaux s’enflammer. Puis, mardi 5 janvier dans l’après-midi, l’état-major français a reconnu avoir mené une opération antiterroriste et a déclaré à l’AFP : « Une patrouille d’avions de chasse a « neutralisé » des dizaines de djihadistes préalablement repérés après une opération de renseignement de plusieurs jours. Les informations relatives à un mariage ne correspondent pas aux observations effectuées ».

Que s’est-il réellement passé ? L’armée française a-t-elle recueilli de mauvais renseignements ? A-t-elle agi trop vite sous la pression politique afin d’augmenter son bilan positif après la mort des soldats français ? Y avait-il un groupe terroriste dans une zone à proximité du mariage ? Ou bien encore, y-a-t-il eu deux interventions différentes au même moment dans deux endroits proches ? (1)

Toujours est-il que cette affaire tombe au pire moment pour l’armée française.

La stratégie de Paris

Ce flot ininterrompu de mauvaises nouvelles est une énième épine dans le pied de l’exécutif français dans la région. A l’occasion du premier anniversaire du Sommet de Pau (13 janvier 2020), Emmanuel Macron s’apprêtait, en se basant sur les victoires tactiques de l’armée française obtenues en 2020, à annoncer en grande pompe et sur un air victorieux une réduction du format de l’opération Barkhane. Même si, et c’est à déplorer, la politique internationale n’est jamais un véritable enjeu lors des élections présidentielles, le Président français sait que son bilan dans le Sahel comptera en vue de l’échéance de 2022. Les prétendants au poste ont d’ailleurs bien l’intention de s’emparer du sujet tant cette guerre est impopulaire dans le Sahel et est en passe de le devenir dans l’Hexagone. Les drames survenus au cours des derniers jours ont bouleversé la communication de l’Elysée, le chef de l’Etat attendra le sommet de Ndjamena prévu à la mi-février pour s’exprimer. La ministre des Armées, Florence Parly, a cependant annoncé dans le Parisien du 4 janvier, que la France allait « très probablement » réduire les effectifs de la force Barkhane.

Le timing de cette déclaration est pour le moins curieux. D’une part, il ne paraît pas opportun de proclamer une réduction des hommes sur le terrain après des revers. D’autre part, les événements qui se produiront au cours des cinq à six prochaines semaines avant la grande réunion du G5 Sahel au Tchad seront décisifs dans les choix de la redéfinition du format et des missions de Barkhane. De plus annoncer dès aujourd’hui une réduction des effectifs c’est une nouvelle fois placer les chefs d’Etat africains devant le fait accompli. Enfin, c’est inciter l’ennemi à redoubler d’efforts avec des frappes spectaculaires à base d’IED, (celles que Florence Parly nomme dans son entretien au Parisien « l’arme des lâches »), contre Barkhane pour transformer ces revers en déroute.

La stratégie de Iyad Ghali

En effet, le JNIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans) dirigé par Iyad Ghali qui a revendiqué les deux attaques qui ont tué les cinq soldats français compte bien peser autant qu’il le peut sur les décisions qui seront prises dans les prochaines semaines. C’est ainsi qu’il avait agi d’ailleurs avant le Sommet de Pau à l’automne 2019 et en janvier 2020. A l’époque, les groupes armés terroristes avaient multiplié les attaques contre des camps militaires maliens et nigériens (Chinagodar, Boulkessi, Mondoro, Inates) causant des pertes considérables aux sein des armées nationales. Tout laisse à penser que ce groupe s’est adapté à la nouvelle donne politique et militaire et a revu sa stratégie pour reprendre l’ascendant. Il ne cible plus l’armée malienne, puisqu’il est question de négociation avec le pouvoir de Bamako, et cherche à s’en prendre uniquement aux acteurs étrangers.

Il a également opéré des changements tactiques. Selon une source militaire, les explosifs utilisés lors des deux dernières attaques contre les soldats de Barkhane sont des IED à pression de fabrication belge, provenant des arsenaux de Muammar Kadhafi, ces explosifs provoquent l’effet d’un boulet de canon. Ces engins ultra sophistiqués ne peuvent être manipulés que par des spécialistes, toujours selon la même source, ceux-ci viendraient de Syrie via la Libye. Par conséquent, d’autres attaques sont à redouter.

Si le JNIM compte peser militairement, il entend aussi le faire politiquement. Il ne manquera pas d’instrumentaliser le drame de Bounti en surfant sur le ressentiment antifrançais. Dans sa dernière revendication, il apostrophe le peuple français « pour qu’il augmente la pression et les appelle à retirer leur fils engagés dans la campagne militaire de l’occupant français contre le Mali afin de préserver leurs vies et qu’ils reviennent à vous à leur famille sains et saufs. » Il se pose également en défenseur de la veuve et l’orphelin et promet de venger les 100 victimes nigériennes probablement tuées par l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) (ce massacre n’a toujours pas été revendiqué), cherchant ainsi à obtenir toujours plus le soutien des populations.

Quant à l’Etat islamique, même si le massacre nigérien est impressionnant, il apparaît très affaibli. Lors du Sommet de Pau, la France en avait fait sa cible prioritaire, il a donc été pris en étau entre Barkhane et le JNIM, qui après avoir collaboré avec lui jusqu’en 2019, l’a combattu tout au long de l’année 2020.

L’équation infernale

Dans cette configuration avec une situation sécuritaire toujours plus dégradée, la pression politique pèse lourd sur les épaules de l’armée française.  Partir ou rester ? C’est en ces termes que de nombreux spécialistes ou journalistes posent la question. Or, c’est une interrogation biaisée, la France s’étant enfermée dans une quadrature du cercle. Si Emmanuel Macron n’a pas initié cette guerre, c’est un héritage laissé par François Hollande, il a dès son arrivée à l’Elysée revêtu les habits de chef de guerre et est parti confiant et sûr de lui, la fleur au fusil. Alors même qu’en 2017, Barkhane était déjà enlisé, Il s’est mis en première ligne sans pour autant définir une stratégie qui a toujours manqué depuis le début de l’intervention.

Il a pris la tête du G5 Sahel qui était au départ une force africaine, ce qui a profondément agacé l’Algérie, acteur pourtant incontournable de la région. Quelques mois après son arrivée, en décembre 2017, il promettait des millions à cette force et déclarait vouloir des victoires en 2018. Las, les promesses de dons sont restées des promesses… Résultat, la force G5 est restée l’ombre d’elle-même au point que Paris ne la mentionne même plus, comme si son décès était déjà acté. Puis les technocrates de Paris ont inventé une nouvelle structure : Takuba, un rassemblement de forces spéciales européennes, sur le papier, dieu que l’idée était jolie. Pourtant, Takuba n’en finit pas de naître, à cette heure, seuls quelques Estoniens et Tchèques sont déployés sur le terrain. Ce n’est pas une nouvelle grande idée qui sortira la France de ce guêpier, ni l’empilement des structures et des forces internationales.

Le format de Barkhane n’est pas essentiel non plus, 600 hommes de plus ou de moins ne changera fondamentalement rien parce que la solution à cette crise est hors de portée d’une force militaire étrangère. Depuis le début de l’engagement français dans le Sahel se posent toujours les mêmes questions lancinantes et non résolues : quels sont les objectifs politiques de la France, au-delà des éléments de langage convenus, et comment y parvenir ? De ces réponses découlera la stratégie de sortie car la France ne peut ni partir dans ces conditions ni rester…

Leslie Varenne


(1) L’ONG MSF dit avoir pris en charge « huit blessés graves suite à des bombardements sur les villages de Bounty et Kikara, dans le centre du Mali, le dimanche 3 janvier 2021 » ce qui laisserait à penser qu’il y aurait pu y avoir deux frappes distinctes dans deux endroits différents situés à proximité. D’une part, cela paraît difficilement envisageable, d’autre part, dès le dimanche en fin d’après midi, les témoignages recueuillis par l’IVERIS rapportaient que les blessés de Bounti s’étaient rendus à Kikara, ces mêmes témoignages ne parlent jamais « d’hélicoptère » mais évoquent toujours un « avion non-identifié« . Seule une enquête pourra déterminer ce qui s’est réellement passé.


   34e sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba : Une absence de candidatures algériennes et des questions

L’Algérie est parmi les quelques rares pays en Afrique qui a toujours prôné une politique africaine constante et constructive.

Cette politique inspirée de notre lutte de libération est en parfaite harmonie avec nos principes de soutien aux mouvements de libération pour leur indépendance. Si l’objectif politique de soutien aux causes justes est presque atteint pour la plupart des pays colonisés qui ont reconquis leur indépendance, il reste le conflit au Sahara occidental qui relève de la responsabilité des Nations unies. Le Sahara occidental est un territoire non autonome qui est colonisé par Maroc.

Une absence économique et financière

En revanche, il y a lieu de constater avec une certaine déception voire même amertume l’absence quasi totale de notre présence économique et financière sur le continent. Rares sont les entreprises algériennes qui ont investi ou comptent investir dans les domaines de l’économie, de l’industrie, l’agriculture, la finance en Afrique, etc.

Notre présence est restée symboliquement cantonnée dans la sphère politique et sécuritaire. Le volet économique a été complètement sous-estimé au profit d’autres pays qui ont saisi l’opportunité de se positionner dans les domaines économiques et stratégiques, tels que les banques, les services et l’aviation.

Toute politique sans une implication économique et une présence humaine sur le terrain est vouée à l’échec. En termes concrets, c’est l’économie qui en fin de compte détermine la politique, quoi qu’on en dise.

Il est possible de voir notre pays rattraper son retard, surtout avec l’adoption de l’accord de libre-échange conclu par les pays africains en juillet 2020. L’Algérie risque toutefois de rater le train si elle continue à reléguer au second plan les questions économiques et financières.

Un périple diplomatique opportun ou opportuniste ?

Sur le plan diplomatique, Sabri Boukadoum, ministre des Affaires étrangères, a mené récemment des visites dans plusieurs pays d’Afrique. Ce dernier avait entamé un périple diplomatique en Afrique du Sud, au Congo démocratique, au Lesotho, en Angola, au Kenya et en Libye.

Ces déplacements qui interviennent à quelques jours du 34e Sommet des chefs d’Etat africains en Ethiopie, ne doivent pas nous faire oublier que depuis plus de deux décennies, aucun Président algérien ne s’était rendu dans au moins les pays de l’Afrique australe avec lesquels on partage les mêmes principes et préoccupations et surtout pour les avoir soutenus dans leur lutte pour l’indépendance.

Addis-Abeba était le seul point de rencontres et contacts. La capitale éthiopienne, qui abritera le sommet via la diplomatie du zoom. Elle verra une participation active de tous ses membres eu égard au menu et à l’agenda chargé des travaux. Il y a le conflit entre le Sahara occidental et le Maroc, les conflits internes en Libye, au Sud Soudan, dans la région des Grands Lacs au Tchad, le problème du barrage de la renaissance entre Ethiopie, Egypte et Soudan.

Ces conflits apparents et latents ne doivent pas occulter la question cruciale de l’opération lancée par l’Union africaine «faire taire les armes» et qui est prolongée jusqu’en 2030 en raison de sa complexité, aussi de la complicité des pays pourvoyeurs d’armes, de la multiplicité des acteurs non-étatiques (bandits et terroristes qui représentent 75% des conflits, en plus de l’existence de 40 millions d’armes légères et où la Libye a elle seule compte 23 millions avec toutes les répercussions sur notre paix et sécurité.

Un seul candidat comme au temps du parti unique

L’autre sujet délicat est l’élection du nouveau leader pour les commissions de l’Union africaine. La présidence ne change pas de mains, puisque curieusement l’actuel président Faki Moussa Mahamat est le seul candidat en lice pour sa propre succession.

Pourquoi ? L’Afrique n’est-elle pas en mesure de proposer d’autres candidatures pour au moins faire preuve de démocratie, transparence et de pluralisme. La pensée unique a-t-elle encore de beaux jours devant elle ?

S’agit-il d’un arrangement tacite entre Africains, ou la candidature du diplomate Mahamat est-elle le résultat d’une recommandation voire du forcing d’un pays européen ? Va-t-il succéder à lui-même ou peut-on s’attendre à des surprises faute de quorum de voix requis ?

Aucune candidature algérienne aux commissions de l’UA

Ce qui est cependant politiquement et diplomatique incompréhensible, c’est l’absence totale de toute candidature algérienne à aucune commission de l’Union africaine. Pourtant, notre pays est parmi les plus importants contribuables de l’Union africaine. Est-ce un retrait stratégique ou tactique ? Peut-on mieux défendre nos intérêts publiquement ou en coulisses ? Peut-on compter sur nos amis et alliés pour préserver nos intérêts ? Difficile à dire.

En tout cas, la première sortie physique du président Tebboune en février 2020 à Addis-Abeba pour le Sommet de l’Union africaine, juste avant l’avènement de la Covid-19 et le discours qu’il avait prononcé ne militent pas et ne justifient pas ce retrait des instances africaines. Il avait appelé à un engagement concret au sein de l’Union africaine.

La réponse est donc à chercher ailleurs. Elle est certainement à trouver auprès de ceux qui en ont décidé autrement, car ce ne sont pas les candidatures potentielles qui font défaut.

En effet, le pays recèle de compétences internationales avérées, mais l’étroitesse d’esprit, la mentalité clanique, régionaliste et revancharde de certains font acte d’opposition voire même d’obstruction, face aux vertus et valeurs de la compétence du bon sens et de l’intérêt national.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *