Menaces de sanctions contre la Turquie: les Européens laissent «une porte de sortie» à Erdogan

Par

Claude Blanchemaison

L’alliance contre Erdogan prend corps. La France, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, Chypre, Malte et le Portugal sont tombés d’accord lors du sommet Med7 pour accroître la pression sur la Turquie par la menace de sanctions économiques. Une stratégie crédible? Sputnik France a posé la question à l’ancien diplomate Claude Blanchemaison.

L’Europe du Sud accroît la pression sur Erdogan. La réunion annuelle du Med7 a été quasi exclusivement consacrée au brûlant dossier des tensions en Méditerranée orientale. D’ordinaire, cette réunion de chefs d’État cherche à créer une alliance du sud de l’Europe, à promouvoir des politiques économiques de relance ou à faire entendre la voix singulière de ses membres. Pourtant, le 10 septembre, tous ces sujets sont passés au second plan.

Exercices en mer Méditerranée, le 13 août 2020
© PHOTO. ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE NATIONALE GRECQUE

 

Les pays d’Europe méditerranéenne unis face à la Turquie?

«Nous soutenons que si la Turquie ne progresse pas sur la voie du dialogue et ne met pas un terme à ses activités unilatérales, l’UE est prête à élaborer une liste de mesures restrictives supplémentaires qui pourraient être évoquées lors du Conseil européen des 24 et 25 septembre 2020», ont indiqué les sept dirigeants dans la déclaration finale du sommet du Med7 (France, Grèce, Italie, Espagne, Chypre, Malte, Portugal) qui s’est tenu en Corse.

​C’est donc sur le ton de la menace de sanctions économiques que s’est conclu ce format Med7. Ce qu’a –sans surprise– plutôt mal pris Ankara, qui campe sur ses positions: «Les éléments contenus dans la déclaration finale en lien avec la Méditerranée orientale et la question de Chypre sont biaisés, déconnectés de la réalité et dépourvus de base juridique», a annoncé dans un communiqué le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Hami Aksoy.

​Quelle est donc la stratégie derrière ce mécanisme de sanctions?

Ramener Erdogan à de meilleurs sentiments?

Claude Blanchemaison, ancien diplomate français, estime au micro de Sputnik que c’est la seule solution crédible pour ramener la Turquie à des positions plus raisonnables, tout en évitant de l’ostraciser complètement et donc de la pousser hors de l’orbite occidentale:

«Il y a une volonté d’installer un mécanisme qui fait que si le Président Erdogan décide d’arrêter de tenir un discours belliqueux et de prendre des mesures unilatérales agressives, et bien il aura une porte de sortie.»

Une stratégie crédible? Oui, selon le diplomate. Ce dernier estime d’ailleurs que «cette réunion a été utile de ce point de vue là.» Elle peut d’ailleurs servir de catalyseur pour décanter la situation, même si, pour le moment Ankara n’a pas fait évoluer sa rhétorique.

​Selon Claude Blanchemaison, ces menaces pourraient inciter certains pays européens, peu favorables à la mise en place de sanctions contre la Turquie, à mettre eux-mêmes plus de pression sur Ankara pour qu’il revienne à des positions plus consensuelles.

«Les sensibilités des États membres de l’Union européenne ne sont pas les mêmes. L’Allemagne veut tout faire pour arriver au plus vite à un résultat à l’issue de négociations. Je pense qu’à partir d’aujourd’hui, Angela Merkel et Josep Borrel vont tout faire pour ramener Erdogan à de meilleurs sentiments», explique-t-il.

Cela pourrait grandement changer la donne sur certains sujets, et c’est déjà beaucoup du point de vue de Paris, car la liste des désaccords est longue. Entre les interventions en Libye et en Syrie, la déstabilisation de la Méditerranée orientale, les menaces verbales contre la France, le chantage aux migrants, l’achat d’un système de défense antimissile russe S-400, il sera évidemment difficile de faire s’entendre les capitales européennes et Ankara sur tous les points. Mais si des sanctions économiques permettent d’éviter un conflit ouvert entre les deux membres de l’Alliance atlantique que sont la Turquie et la Grèce, la victoire serait déjà belle pour la diplomatie européenne.


  Méditerranée, une Mare Turca ?

Le sommet MED7 a eu lieu en Corse, à Ajaccio, le 10 septembre de cette année. Ce sommet institutionnalisé a pour objectif la coordination des sept pays du sud de l’Union européenne[1] et traite des sujets d’intérêt commun. Cette année, la situation en Méditerranée orientale à cause du comportement agressif de la Turquie à l’égard de la Grèce de Chypre et de la France notamment, fut au centre des discussions. La Turquie tente par la menace et l’intimidation de faire main basse sur la Méditerranée, notamment sur sa partie orientale et sur la Mer Égée.

Afin de rapporter la teneur des discussions, je mets ci-après un extrait les déclarations du président Macron, lors de la conférence de presse ainsi que des extraits de la déclaration commune des sept chefs d’État :

Déclaration de Monsieur Macron[2] : « Le deuxième grand sujet que nous avons abordé, c’est évidemment celui de la Méditerranée orientale et de la relation avec la Turquie. Nous avons défini, comme nous l’avions fait au cours de l’été avec la chancelière fédérale d’Allemagne, un agenda commun pour faire respecter la souveraineté européenne, le droit international et favoriser la désescalade. Et je crois pouvoir dire que d’abord nous avons eu sans ambiguïté un message de soutien à l’égard de la Grèce et de Chypre, message de solidarité et de soutien face aux provocations unilatérales, aux forages illégaux ou aux mouvements de menace de la souveraineté d’États européens.

Mais nous avons aussi collectivement réaffirmé une volonté, que nous porterons autour de la table du Conseil européen à 27, une volonté de réengager un dialogue responsable et de trouver les voies de l’équilibre dans toute la région. Ce dialogue, nous en savons tous la difficulté, nous n’avons aucune naïveté, mais nous souhaitons le réengager de bonne foi et nous comptons beaucoup sur le rôle du Haut représentant, du président du Conseil, MM. Borrell et Michel, dans la période qui s’ouvre.

Nous avons une déclaration commune qui est en train d’être éditée qui, dans son paragraphe 6, détaille de manière très scrupuleuse exactement notre position commune ainsi négociée. Et au fond, notre objectif c’est véritablement de restaurer des relations normales qui permettent la stabilité dans la région avec la Turquie, d’obtenir la fin des actions unilatérales, de pouvoir obtenir la fin des forages évidemment, un plein respect de l’embargo sur les armes pour l’ensemble des puissances de la région en Libye et d’accepter que sur les désaccords qui existent dans la région la manière de les régler doit être négociée, et devant les enceintes internationales pour ce qui est des débats juridiques qui sont les nôtres. Voilà le cadre de la discussion et, encore une fois, il est très clairement notarié dans ce paragraphe 6 de notre communiqué.

Nous avons la détermination de réengager ce dialogue en coopération, mais l’exigence aussi que nos principes soient respectés dans la durée. Je suis convaincu aussi que l’échange entre l’Union européenne et la Turquie est bénéfique pour les deux parties. Il y a un agenda économique, il y a un agenda d’échanges énergétiques qui peut être retrouvé et c’est notre souhait collectif. Exigence, volonté de désescalade avec des principes simples et clairs que nous avons réaffirmés parce qu’aucun dialogue n’est possible s’il repose sur un abandon de souveraineté ou une faiblesse coupable. Voilà le cadre qui est le nôtre. »

Déclaration d’Ajaccio à l’issue du 7e Sommet des pays du sud de l’Union européenne (Ajaccio, 10 septembre 2020) ; rubrique : Paix et stabilité en Méditerranée : « Nous réitérons notre plein soutien et notre entière solidarité avec Chypre et la Grèce face aux atteintes répétées à leur souveraineté et à leurs droits souverains ainsi qu’aux mesures agressives prises par la Turquie. Nous appelons l’ensemble des pays de la région à respecter le droit international, notamment le droit international de la mer, et nous encourageons toutes les parties prenantes à régler leurs différends par le dialogue et la négociation. À cet égard, nous saluons les efforts de médiation du haut représentant et vice-président et de l’Allemagne visant à permettre une reprise du dialogue entre la Grèce et la Turquie sur la question de la zone maritime. En outre, nous accueillons favorablement l’invitation du gouvernement de Chypre à négocier avec la Turquie, en relevant que la délimitation des zones économiques exclusives et du plateau continental devrait être traitée par le dialogue et la négociation de bonne foi, dans le plein respect du droit international et en accord avec le principe des bonnes relations de voisinage. Nous appelons en outre la Turquie à répondre à l’invitation du gouvernement chypriote afin d’engager des négociations de bonne foi pour délimiter les zones maritimes à l’ouest et au nord de l’île, ainsi qu’à soumettre le problème de la délimitation des frontières maritimes à la Cour internationale de Justice. Dans le prolongement des conclusions récentes du Conseil européen et du Conseil de l’UE, nous regrettons que la Turquie n’ait pas répondu aux appels répétés de l’Union européenne à mettre fin à ses activités unilatérales et illégales en Méditerranée orientale et dans la mer Égée. Nous réaffirmons notre détermination à utiliser tous les moyens adéquats dont dispose l’Union européenne pour répondre à ces actions agressives. À la suite de la dernière réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l’UE (Gymnich), nous convenons d’accélérer les travaux concernant les inscriptions supplémentaires sur la liste des sanctions à partir des propositions déjà sur la table, en vue de leur adoption rapide. Nous soutenons que si la Turquie ne progresse pas sur la voie du dialogue et ne met pas un terme à ses activités unilatérales, l’UE est prête à élaborer une liste de mesures restrictives supplémentaires qui pourraient être évoquées lors du Conseil européen des 24 et 25 septembre 2020.

La situation imprévisible en Libye représente une menace pour la stabilité du pays et de l’ensemble de la région, y compris de l’Union européenne, et contribue à l’aggravation de la menace terroriste, de la traite des êtres humains et du trafic illicite de migrants. Nous rappelons la nécessité pour l’UE de faire tout son possible pour contribuer aux efforts de stabilisation de la Libye. Il est essentiel de renforcer les capacités des autorités libyennes pour leur permettre de contrôler les frontières terrestres et maritimes et de lutter contre les activités de transit et de trafic illicite. Nous accueillons avec satisfaction les annonces faites le 21 août dernier par les présidents du Conseil présidentiel et de la Chambre des représentants de l’État libyen, qui ont posé les fondements d’une solution commune à l’impasse actuelle. Il s’agit d’une avancée positive dans la bonne direction et il convient de continuer sur cette voie. Il n’existe aucune solution militaire à l a crise. Nous engageons vivement toutes les parties à convenir d’un cessez-le-feu et à s’engager à nouveau en faveur du dialogue politique facilité par les Nations unies et des paramètres agréés lors de la conférence de Berlin. Nous appelons également à reprendre immédiatement la production de pétrole dans l’ensemble du pays et à travailler en parallèle à la création de mécanismes visant à garantir une répartition équitable et transparente des recettes pétrolières. Nous réaffirmons notre opposition à toutes les ingérences étrangères dans ce conflit, d’où qu’elles proviennent, et nous restons déterminés à faire respecter, notamment au moyen de l’opération Irini, l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies dont les violations ont exacerbé l’escalade militaire actuelle en Libye. Nous restons également prêts à adopter des sanctions à l’encontre des acteurs impliqués dans la violation de l’embargo et des droits de l’Homme, ainsi que de ceux qui s’opposent au processus politique.

À Chypre, reconnaissant que le statu quo ne constitue pas une option satisfaisante pour le pays, nous soutenons pleinement la volonté affichée par le secrétaire général des Nations unies de poursuivre ses efforts visant la reprise des négociations là où elles s’étaient arrêtées lors de la conférence de Crans Montana en 2017, afin de trouver une solution viable et globale au problème de Chypre sur la base d’une fédération bicommunale et bizonale avec l’égalité politique, comme le prévoient les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies et conformément à l’acquis, aux valeurs et aux principes de l’UE. Nous exhortons toutes les parties à s’engager en faveur d’une solution de ce type et à y participer, y compris en ce qui concerne ses aspects extérieurs.  »

Les déclarations sont claires et constituent un avertissement à la Turquie, qui, comme à son habitude, a réagi violemment en insultant carrément le président Macron. Maintenant, reste à passer de la parole aux actes, mais ça, c’est une autre affaire…


[1] France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Malte et Chypre.

[2] Site de la Présidence de la République.


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