« Un vent nouveau souffle sur le Liban ». Retour en images sur les premières semaines de la révolution citoyenne au Liban

Par Carole André-Dessornes

Le 17 octobre dernier débute le soulèvement qui n’a jusqu’alors cessé de prendre de l’ampleur, et ce contre toute attente des dirigeants. On assiste alors à un véritable réveil de la société libanaise, une « Révolution citoyenne » qui s’empare de tout le pays, du nord au sud, de Tripoli à Nabatiyé, en passant par Saïda, Tyr, Baalbeck… Ce qui paraissait jusqu’alors inimaginable s’est réalisé, à savoir l’expression et la revendication d’une citoyenneté qui n’avait jamais réussi à prendre sa place ! Dans toutes ces manifestations, c’est le drapeau libanais qui domine, en tant que symbole d’un Peuple et d’une Nation.

Comme on le sait tous, la « taxe whatsApp » a mis le feu aux poudres sans pour autant être le fond du problème. Les causes de cette explosion de colère sont bien plus profondes et anciennes.

Est-il nécessaire de rappeler les incendies ayant dévasté le pays les 15 et 16 octobre, qui ont mis au grand jour de graves dysfonctionnements : les trois hélicoptères dédiés à la lutte contre le feu n’étaient pas en état de décoller par manque d’entretien et de ressources ; à cela il faut ajouter l’absence de centralisation de prise de décision, les failles dans la chaîne de commandement, les réserves d’eau artificielles insuffisantes, etc…

Les premières critiques étaient à l’encontre d’un gouvernement paralysé et incapable de se mettre d’accord sur les dossiers vitaux pour l’avenir du pays.

Au-delà de la crise économique et financière qui frappe le pays, le Liban traverse une crise de régime majeure. Les Libanais attendent de l’Etat qu’il soit au-dessus des intérêts privés et confessionnels. La rue rejette un Etat et une classe politique qui ne sont pas en mesure d’assurer les services de base : couverture sociale, éducation accessible à tous, électricité sans coupures, eau potable, ramassage des ordures, sécurité…

Il s’agit également de lutter contre l’injustice sociale de plus en plus profonde.
Sont, tour à tour, dénoncés la corruption présente à tous les échelons de la société – laquelle corruption est qualifiée par certains de « racket institutionnel » -, l’affairisme profondément ancré, un confessionnalisme paralysant la politique, le communautarisme qui a justement poussé chaque communauté à chercher des parrains tant sur la scène régionale qu’internationale, une économie à bout de souffle, une pauvreté galopante, une absence de perspectives.
Les responsables politiques ont concentré la colère des manifestants, en particulier Gibran Bassil, gendre du président Aoun, et ministre des Affaires étrangères.

A travers ce mouvement spontané sans leader, une Nation libanaise est en train d’émerger… Cette contestation sans précédent consacre en quelque sorte la faillite du modèle libanais, tel qu’on le présentait, mais le plus dur reste à faire.
L’establishment politique pointé du doigt n’est pas prêt à lâcher prise, malgré les critiques de plus en plus vives à son encontre. Le Hezbollah, qui se voulait hors système, fait face à la contestation au sein de sa propre communauté du fait même de sa politique régionale qui au final le conduit à soutenir un système, auquel il a pris part, complètement sclérosé.

Ce système, tant décrié, se trouve à l’origine de gouvernements incapables de répondre aux besoins de la population et qui au final ne sont que les produits de tractations et de bras de fer entre les différents partis cherchant, au mieux à trouver un terrain purement consensuel, au pire à se bloquer les uns les autres et ainsi verrouiller toute tentative de réforme. Avec ces manifestations organisées à travers tout le pays, un tabou est tombé avec la remise en question du confessionnalisme. Malgré les menaces, les plus vulnérables n’ont plus peur d’exprimer leur mécontentement et leurs critiques ! Les femmes jouent un rôle essentiel dans ces manifestations, comme ce fut le cas dans les autres révolutions et soulèvements en 2009 en Iran, 2011 en Tunisie, en Egypte, en Syrie, mais aussi en Algérie depuis février 2019…

Quelles sont les avancées ?

Malgré l’annonce faite par le Premier ministre Saad Hariri le 21 octobre soir de mettre sur pied une batterie de réformes, la rue n’a pas lâché, et le 29 octobre Hariri annonce son intention de démissionner, laquelle démission et donc celle de tout le gouvernement est alors acceptée par le président Aoun.

Le 14 novembre, un nom circule pour le poste de Premier ministre ; en effet, certains partis soutiennent la candidature d’un magnat des affaires, Mohammad Safadi. La réaction de la rue ne s’est pas fait attendre… face à ce candidat, incarnant cet establishment politico-financier libanais. Sous la pression des manifestants, ce dernier renonce à devenir Premier ministre.

Le 17 novembre, maître Melhem Khalaf, candidat indépendant issu de la société civile et éloigné de tout lien avec un quelconque parti, a été élu haut la main bâtonnier de Beyrouth. Cette élection est un symbole fort !

Mardi 19 novembre, et pour la deuxième fois, le Parlement libanais a été contraint de renoncer à l’examen d’une proposition de loi d’amnistie accusée de vouloir exonérer toutes les personnes condamnées ou soupçonnées d’évasion fiscale ou de crimes environnementaux.
Les manifestants avaient appelé à encercler mardi le Parlement, dans le centre de Beyrouth, pour empêcher les députés d’accéder au Parlement. La séance a été reportée sine die.

Mais les blocages persistent

L’impasse demeure, alors que la rue réclame depuis le début la constitution d’un gouvernement exclusivement composé d’experts indépendants, le parti du président Aoun (le CPL – Courant patriotique libre fondé par le président libanais, Michel Aoun) et ses alliés chiites (Hezbollah et Amal) restent sur leur position, à savoir la constitution d’un gouvernement technico-politique.

Mais le mouvement de protestation n’a pas dit son dernier mot et fait la preuve d’une certaine créativité en matière de contestation, alternant le blocage des routes, avec les méthodes plus douces, comme les sit-in devant des institutions mises à l’index comme la Banque centrale, des débats et conférences sur l’indépendance de la justice, sur l’égalité hommes-femmes.

Il ne faut pas oublier que le Liban est un lieu d’affrontements entre les puissances régionales, ce qui ne facilite pas la tâche de la rue. Le clientélisme et le culte de la personnalité pour l’un ou l’autre des leaders ont dominé le système depuis des décennies, et la crainte persiste de voir cette « Révolution citoyenne » confisquée et détournée par cette « caste » politique peu rongée par les scrupules.
Quant à l’armée, elle est la garante de l’unité nationale, mais elle ne saurait être une solution politique.

Le Liban a besoin d’une nouvelle classe politique qui aurait les compétences pour exercer le pouvoir mais serait surtout indépendante des leaders confessionnels et intérêts privés… Alors là seulement nous pourrons réellement parler de « Miracle libanais » et peut-être célébrer l’indépendance effective du pays !

Photo une : Début des rassemblements pour la Place Riad el-Solh Beyrouth (photo prise le 20 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo deux : Manifestants Place des Martyrs Beyrouth (photo prise le 20 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo trois : Tentes de la place des Martyrs où se déroulent des débats (photo prise le 19 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo quatre : « Thawra » Révolution en arabe (photo prise le 21 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo cinq : La révolution citoyenne inspire l’art des rues (photo prise le 20 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo six : La place des Martyrs est la place centrale de Beyrouth. Elle porte ce nom en souvenir des nationalistes arabes du Liban pendus par les Ottomans le 6 mai 1916. Trône l’ensemble de statues de bronze éponyme (photo prise le 26 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo sept : Statues de la Place des Martyrs (photo prise le 28 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo huit : Rassemblement répondant à l’appel de l’AUB et de l’USJ, 2 universités clefs de Beyrouth (photo prise le 26 octobre 2019). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo neuf : La chaîne humaine sur 170 km du nord au Sud du Liban dimanche 27 octobre (photo prise à Beyrouth le 27 octobre). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo dix : Idem. Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo onze : Place des Martyrs 1h après une attaque d’une grande violence des partisans du Hezbollah et d’Amal lancée le 29 octobre contre les manifestants place des Martyrs et place Riad el-Solh. Les tentes ont été saccagées (photo prise le 29 octobre). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo douze : Idem. Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo treize : Les partisans du Hezbollah et d’Amal ont tenté de brûler l’un des symboles forts de cette contestation « Le poing de la révolution » (photo prise le 29 octobre). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Cette œuvre de neuf mètres de haut est la création de l’artiste Tarek Chebab. Ce poing a été érigé dès les premiers jours du mouvement.
Les manifestants, très rapidement après, plus déterminés encore sont revenus massivement dans la rue, place Riad el-Solh et place des Martyrs, où ils ont remonté leurs tentes.
Mais vendredi 22 novembre (jour de la célébration de l’indépendance du Liban) très tôt le matin, l’installation a été incendiée par un inconnu venu à moto.
Le soir même, l’artiste et les manifestants ont à nouveau érigé au même emplacement que le précédent un « poing », plus haut encore !

Photo quatorze : Début des rassemblements pour la grande manifestation du dimanche 3 novembre (photo prise le 3 novembre). Crédits photo : Carole André-Dessornes

Photo quinze : Idem. Crédits photo : Carole André-Dessornes


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