Le voile : pourquoi l’argument « c’est inscrit dans le Coran » ne tient pas

         Razika Adnani

L’argument qui revient constamment chez les adeptes du port du voile est celui affirmant que cette pratique est une recommandation divine incontournable pour la femme musulmane, car inscrite dans les textes coraniques. Pourtant, le foulard qui est la pièce principale du voile, de sorte qu’une femme ne peut être considérée comme voilée sans ce morceau du tissu qui couvre la tête, n’est pas recommandé par les textes coraniques étant donné que la chevelure de la femme n’est évoquée nulle part.

         Le voile et les textes coraniques

Le verset qui revient inlassablement pour défendre le port du voile est le numéro 31 de la sourate 24, La Lumière : « Dis aux croyantes de baisser leurs regards de garder leur chasteté et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur khimar sur leurs djouyoub […] », dans lequel ni le terme de chevelure ni celui de tête n’apparaissent.

Le terme djouyoub, qui est le pluriel de djaïb et signifie littéralement poche, est traduit par « poitrine » en référence aux commentateurs comme ibn Khatir même si certains pensent qu’il s’agit du col du vêtement. Ainsi, le verset recommande à la femme de couvrir sa poitrine et non sa chevelure. Quant au terme khimar, utilisé en arabe pour désigner le foulard, il ne peut logiquement être, dans ce cas, qu’un châle ou une écharpe.

L’autre verset sur lequel les adeptes du port du voile s’appuient est le numéro 59 de la sourate 33, Les Coalisés : « Ô Prophète dis à tes épouses à tes filles et aux femmes des croyants de ramener sur elles leurs djalabib[…]. »  Djalabib est le pluriel de djilbab signifiant robe longue ou manteau. Si les philologues ne disposent pas de détails qui leur permettent de savoir comment était exactement au VIIe siècle la tenue vestimentaire désignée par ce terme, ce qui est habituel c’est que la robe longue et le manteau couvrent le corps et non la chevelure.

Le troisième verset qui évoque le vêtement de la femme est le numéro 60 de la sourate 24, La Lumière : « Quant aux règles qui président aux femmes ayant atteint la ménopause et ne souhaitant pas se remarier nul grief ne leur est fait si elles déposent leur vêtement, mais sans exhiber leurs atours cependant il est préférable pour elles d’êtres chastes Dieu est celui qui voit tout. ».  Ce verset parle de vêtement sans aucune précision sur comment doit être ce vêtement et ne mentionne pas la chevelure ou la tête.

Le terme hidjab, est évoqué dans un seul verset le 53 de la sourate 33, Les Coalisés : « Si vous venez leur demander un ustensile, faites-le derrière un hidjab« . Selon les commentateurs, ce verset ordonne aux compagnons du prophète de ne s’adresser aux femmes de celui-ci que derrière un hidjab qui signifie le rideau.

Le verset, 31 de la sourate 24, La Lumière

Revenons au premier verset, 31 de la sourate 24, La Lumière, qui occupe la place la plus importante dans le discours des adeptes du voile. S’il ne donne aucune précision sur ce qui est considéré comme faisant partie de la beauté de la femme ni sur ce qui en est apparent et ce qui ne l’est pas, les hommes de la religion ont décidé que la chevelure de la femme faisait partie de ses atours de beauté. D’autres, plus exigeants et plus extrémistes ont décidé que la voix de la femme, son visage et ses mains faisaient également partie de la beauté qu’elle devait cacher du regard de l’homme. Ainsi, le voile qui couvre la chevelure de la femme ou son visage repose davantage sur l’interprétation des textes que sur les textes eux-mêmes.

Le verset 31 de la sourate 24, la Lumière, précise que les femmes ne peuvent montrer « […] leurs atours qu’à leurs maris ou à leurs pères ou aux pères de leurs maris ou à leurs fils ou aux fils de leurs maris ou à leurs frères ou aux fils de leurs frères ou aux fils de leurs sœurs ou à leurs femmes ou aux esclaves qu’elles possèdent ou aux domestiques mâles impuissants ou aux garçons impubères […] ». Cette partie du verset révèle des choses importantes à propos du terme « esclaves » et l’expression « les mâles impuissants ».

Concernant le premier, « esclaves », bien que l’esclavage soit cité dans ce verset ainsi que dans 24 autres, tous les pays musulmans ont déclaré entre la deuxième moitié du XIXe siècle et le XXe siècle l’abolition de l’esclavage. Le dernier à l’avoir fait est la Mauritanie en 1980.

Quant au second, « les mâles impuissants », c’est une autre expression sur laquelle les commentateurs ne sont pas précis. Cependant, la majorité pense qu’il s’agit des vieux ou des débiles ou encore des eunuques. Parce que rien ne garantit l’absence du désir sexuel chez les deux premiers, il est plus probable qu’il s’agisse des eunuques, autrement dit des esclaves émasculés. Cette mutilation du corps des hommes n’existe plus y compris dans les pays musulmans. Ainsi, le verset 31 de la sourate 24, la Lumière, cite deux pratiques qui sont aujourd’hui abandonnées par les musulmans quand ils utilisent ce même verset pour affirmer que la femme doit obligatoirement se voiler, car c’est cité dans le Coran.

Les musulmans n’appliquent pas toutes les règles inscrites dans les textes coraniques

Cette analyse nous permet de déduire que même si l’on admet que le voile est inscrit dans les textes coraniques, l’argument que ses adeptes veulent imposer, cela n’implique pas nécessairement sa mise en pratique. D’ailleurs, il suffit de se pencher sur le Coran pour réaliser que les musulmans ne pratiquent pas toutes ses recommandations. Ils interdisent par exemple la consommation du vin alors qu’elle est autorisée dans le verset 67 de la sourate 16, Les Abeilles : « Des fruits des palmiers et des vignes vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent il y a vraiment là un signe pour des gens qui raisonnent ». Les musulmans ont abrogé cette règle, sans supprimer le verset du Coran, pour sortir de la difficulté résultant du fait que d’autres versets l’interdisaient, mais aussi parce qu‘ils voulaient l’interdire.

L’argument « cela est inscrit dans le Coran » pose un énorme problème

 Ainsi, l’argument « cela est inscrit dans le Coran » qui revient comme une vérité absolue pour justifier le port du voile non seulement n’est pas conforme à la réalité ni aux textes qui n’évoquent nulle part la chevelure de la femme, mais aussi pose un énorme problème.

Rappelons que beaucoup d’autres règles qui n’ont plus leur place aujourd’hui dans nos sociétés et s’opposent à notre système de valeurs existent également dans les textes : l’esclavage, les inégalités femmes-hommes, les châtiments corporels et d’autres. Doit-on revenir à ces pratiques sous prétexte qu’elles existent dans les textes ? Doit-on effacer des siècles d’évolution et vivre selon les règles du VII siècle ? Les femmes musulmanes doivent-elles accepter à nouveau la claustration comme le recommande le verset 33 de la sourate 33, les Coalisés : « Restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas à la manière des femmes d’avant l’islam » ?

Dans le monde ouvert dans lequel nous vivons, les musulmans doivent-ils s’interdire d’avoir des relations d’amitié avec les non-musulmans comme l’exige le verset 144 de la sourate 4, Les Femmes : « Ô les croyants ne prenez pas pour alliés les mécréants au lieu des croyants voudriez-vous donner à Dieu un argument évident contre vous ? »

Doivent-ils violenter et tuer tous ceux dont ils considèrent le comportement hostile à l’islam étant donné que le verset 33 de la sourate 5, La Table Servie dit que : « La seule récompense à ceux qui font la guerre à la religion de Dieu et à son prophète, et qui provoquent le désordre sur terre, est qu’ils soient mis à mort… » ? En réalité les adeptes du voile dans leur grande majorité détestent la violence au nom de l’islam, la religion ne détermine en rien la relation qu’ils entretiennent avec les autres et les femmes voilées ne sont pas cloîtrées à la maison, même si ce phénomène n’a pas totalement disparu. C’est une autre preuve que l’argument qu’ils mettent en avant : « c’est un recommandation divine indiscutable car inscrit dans le Coran » pour défendre le port du voile ne tient pas.  Ainsi, rien n’oblige sur le plan religieux de continuer à se soumettre au port du voile qui est un signe de discrimination à l’égard des femmes mais qui déshumanise également l’homme.


Lire aussi : « L’islam est la religion de l’État » n’est bénéfique ni pour l’État ni pour l’islam

 

Tout au long de la première moitié du XXe siècle, les pays à majorité musulmane ont entamé une modernisation de leur société. Cependant, ils ont presque tous déclaré dans leur constitution que l’islam était la religion de l’État révélant les limites de cette modernisation et la force de l’opposition portée par les conservateurs. L’Algérie, ayant obtenu son indépendance en 1962, a inscrit elle aussi dans l’article 4 de sa première constitution de 1963 que l’islam était la religion de l’État. Un principe repris dans l’article 2 de toutes les constitutions qui ont suivi. Dans le projet de révision de la constitution lancé par le gouvernement actuel, cet article n’est pas concerné, ce qui annonce son maintien.

L’expression « L’islam est la religion de l’État » peut avoir deux sens différents mais très complémentaires. Elle peut signifier que l’islam appartient à l’État. Celui-ci veille sur son organisation et intervient dans son champ comme une de ses institutions. Elle peut signifier que l’État appartient à l’islam. Si l’État est une entité abstraite et ne peut avoir la foi lui permettant d’appartenir à l’islam, l’État appartient à l’islam signifie que l’État respecte dans son fonctionnement les recommandations de l’islam. Dans les deux sens, ce principe pose un grand problème non seulement à l’État, mais aussi à l’islam

En tant que religion, l’islam est censé être « ce qui relie à Dieu et à lui seul » ou une « relecture de Dieu en soi », deux étymologies que retient Saint Augustin. Ainsi, l’islam doit relever du monde de la spiritualité et de la relation de l’individu avec le divin. Or, l’État qui fait de l’islam une de ses institutions et intervient dans son champ le transforme en politique. Les imams devenant des fonctionnaires de l’État reçoivent leurs ordres de celui-ci. Ils n’expriment pas sincèrement et librement ce qu’ils pensent au sujet de la religion mais ce qui correspond aux exigences de l’État.

Quant à ceux ayant des ambitions politiques, ils affichent une appartenance à l’islam quand bien même ils n’auraient aucune foi et cela uniquement pour réaliser leurs objectifs. D’autres le font pour ne pas être accusés de désobéissance à l’État, étant donné que sortir de la religion officielle de l’État ou en avoir une autre, ou même avoir un avis diffèrent au sujet de la religion, peut être considéré comme une opposition à l’État. Ainsi, la foi qui devrait être une conviction personnelle devient pour beaucoup un calcul politique, une obligation sociale et même une hypocrisie.

L’islam, comme les deux autres religions monothéistes, affirme porter une vérité divine dont le champ dépasse, par conséquent et vu la nature du divin, l’entendement humain. Ainsi, le croyant doit être dans une recherche perpétuelle pour s’approcher au maximum de cette vérité. Une telle tâche nécessite une adhésion personnelle et une liberté totale de penser et de s’exprimer. Or, un islam institution de l’État est une entrave à cette liberté, car, par définition, l’État représente le pouvoir qui impose l’obéissance.

« L’islam est la religion de l’État » ne nuit pas seulement à l’islam, mais également à l’État. Il le met dans une grande difficulté d’ordre pratique qui résulte du fait que l’islam est multiple, ce qui impose une question importante : quel est islam qui est la religion de l’État ? Celui existant auprès de Dieu, selon la foi musulmane, ou celui existant dans les textes coraniques ou encore celui que les musulmans conçoivent et pratiquent. Cette multiplicité de l’islam sur le plan vertical montre qu’il y a trois niveaux de l’islam qui ont chacun leurs critères propres. Le premier, appartenant au monde de la métaphysique et du divin, est hors de portée humaine. Le deuxième est lui aussi hors de portée humaine étant donné que toute tentative de le comprendre ou de l’interpréter le place immédiatement dans le troisième niveau qui est celui de l’islam tel que les musulmans le comprennent et le pratiquent. C’est ce troisième islam qui est désigné par « L’islam est la religion de l’État ». Le problème, c’est qu’il est à son tour multiple. Multiplicité horizontale qui résulte des nombreuses façons de le comprendre et de le pratiquer.

D’aucuns pourront rétorquer, concernant l’Algérie, qu’il s’agit de l’islam malékite. En effet, l’État algérien par le biais de son ministère des affaires religieuses, affirme que le malékisme représente la référence religieuse en Algérie. Cependant, d’une part, les Algériens ne sont pas tous malékites ni même tous sunnites. Il y a des soufis, des ibadites, des wahhabites, des modernistes, des traditionalistes et la liste peut être longue. D’autre part, il y a une imbrication entre le malékisme et le soufisme et le malékisme et le wahhabisme telle qu’il est difficile de savoir quel est l’islam qui est la religion de l’État. Comme l’islam est une institution de l’État, c’est-à-dire une politique, on a donc une institution de l’État dont on ne sait pas clairement quelle est sa politique, ce qui est très problématique pour l’État.

Tout État a comme objectif d’être celui de tous les individus. Or, se réclamant de l’islam malékite (une école de l’islam sunnite), l’État se présente comme celui d’une partie de la population, celle qui y appartient, et non de toute la population étant donné qu’en Algérie, non seulement il y a plusieurs islams, mais les citoyens ne sont pas tous musulmans ni tous croyants. « L’islam est la religion de l’État » met donc l’État en contradiction énorme avec lui-même et l’empêche de ce fait de se réaliser en tant qu’État.

Il le met également en contradiction avec ses autres objectifs. Le plus important est celui de l’égalité stipulée dans les articles 32 et 34 de la constitution algérienne, étant donné que la première condition de l’égalité est la neutralité de l’État vis-à-vis des croyances religieuses et non religieuses. Or, un État déclarant appartenir à une religion particulière prend parti en faveur d’une religion (un islam), celle de l’État. Les individus n’ont par conséquent pas tous les mêmes chances d’exprimer et de vivre leurs convictions religieuses ou non religieuses. La religion de l’État, qui est celle d’une partie de la population, est promue et imposée à toute la population. À l’école, les enfants sont tous soumis à la même éducation religieuse, sans aucune distinction concernant l’appartenance religieuse de leurs parents et même code de la famille est appliqué à tous les Algériens.

Ainsi, alors que la constitution garantit l’égalité des Algériennes et des Algériens (articles 32, 34 et 38), le code de la famille donne aux hommes, parce que ce sont des hommes, des privilèges au détriment des femmes, parce que ce sont des femmes. Le juriste algérien a considéré plus important de légiférer conformément à la charia plutôt qu’à la constitution qui représente les normes suprêmes de l’État. Ainsi, l’article 2 de la constitution est en conflit avec les autres articles qui stipulent la liberté et l’égalité. Ces contradictions dans le fonctionnement de l’État en tant qu’institution portent atteinte à sa crédibilité et par conséquent l’affaiblissent.

Jusqu’aux années 1970 et bien qu’ils aient déclaré « L’islam est la religion de l’État », les pays du Moyen Orient et ceux du Nord de l’Afrique ont entamé une certaine sécularisation, donc une modernisation, de la politique et de la société. Un projet qui n’a pas pu se réaliser réellement. Bourguiba n’a pas pu émanciper le statut personnel de toute tutelle de la religion et des traditions et l’Algérie n’a pas pu promulguer un code de la famille issu de la raison et séparé de la charia.

Le principe « L’islam est la religion de l’État » a été une porte par laquelle la religion n’a cessé de s’introduire dans la gestion des affaires de la cité. En Algérie, en 2016, l’article 50 a été ajouté dans le texte de la constitution stipulant clairement que la liberté d’expression s’arrêtait aux frontières des valeurs de la religion (mais aussi celles de la morale et de la culture qui posent également beaucoup de questions nécessitant une réflexion profonde),ce qui signifie que l’État protégeait la religion (l’islam de l’État). Il en est de même en Tunisie où l’article 6 a été ajouté en 2014 affirmant que la constitution protégeait la religion et le sacré. Deux articles qui constituent une régression dans le projet de construction d’un État moderne dont le rôle est de veiller à garantir non pas l’intérêt de Dieu mais celui des individus qui est le sens même de l’existence de l’État et l’objectif du contrat social. Ainsi, le principe « L’islam est la religion de l’État » impose à l’État une fonction qui n’est pas la sienne, celle de protéger la religion, et un rôle qui n’est pas celui que la population attend du pouvoir. Les Algériens attendent de l’État qu’il leur garantisse les moyens d’accéder au travail, à la bonne éducation pour leurs enfants, au logement, aux soins, à la culture et à la sécurité.

L’État qui se veut protecteur de la religion se met sur le terrain du religieux et rivalise avec son discours. Il se retrouve ainsi dans une situation l’obligeant à se soucier d’être conforme aux recommandations de la religion au détriment des revendications sociales, culturelles et politiques du peuple. Il se détourne de sa fonction d’État comme on l’a vu lors de la distribution du Coran par la police pour le personnel soignant pendant la crise sanitaire causée par la Covid-19. En s’occupant de la vie religieuse des individus, ce qui ne relève pas de sa responsabilité, l’État disperse ses efforts mais aussi institue des inégalités, comme celles entre les hommes et les femmes, et de ce fait accepte des injustices alors qu’il est censé les combattre.

Un autre droit garanti par la constitution est celui de la liberté d’expression et de conscience stipulé dans l’article 42 et dans l’article 38 concernant les « droits de l’Homme ». Cependant, comment procéder si l’État protège la religion et même une version particulière de la religion ? La constitution qui protège une religion ne peut garantir la liberté de conscience. Bien au contraire elle donne à l’État et à la société un cadre juridique pour la piétiner.

La constitution qui veut protéger une religion et imposer à tous les lois de celle-ci révèle la persistance d’une conception de la société qui est fermée et dont les individus appartiennent tous à la même famille et donc croient tous à la même religion. Une vision tribale qui va à l’encontre de la réalité politique, démographique, géographique et culturelle de l’Algérie d’aujourd’hui. Tous ces paradoxes compliquent les textes juridiques fondamentaux et brouillent ainsi le fonctionnement de l’institution de l’État.

La séparation de la politique et de la religion est l’ultime solution

La séparation de la politique et de la religion est l’ultime solution pour mettre fin à la confusion entre ces deux domaines. Il faut que l’État soit une politique et non une religion et il faut que l’islam soit une religion et non une politique.

Il est dans l’intérêt de l’État, s’il veut construire une Algérie moderne, de mettre fin à l’introduction de la religion dans le domaine politique afin de mettre fin aux ambiguïtés et aux contradictions qui font perdre à la constitution sa crédibilité et fragilisent l’État. L’Algérie a besoin d’un système juridique issu de la raison qui sera, en accord avec les principes constitutionnels que sont l’égalité et la liberté, capable de s’adapter aux circonstances nouvelles et de suivre le dynamisme de la société. Les règles de la religion non seulement ont été conçues à une époque où les valeurs modernes, l’égalité et la liberté, n’étaient pas connues, mais aussi la religion, domaine du sacré, accepte difficilement le changement et l’évolution.

Il est indispensable que l’État s’émancipe de la religion pour remédier au fossé qui s’élargit entre les lois qui administrent la société et la société. Pour que l’État puisse être un État juste qui n’accorde aucun privilège pour des raisons de sexe ou de religion. Pour que tous les Algériens soient des citoyens égaux devant la loi.  Pour que l’État puisse être neutre à l’égard des religions et respectueux des libertés et des croyances religieuses. Pour le philosophe anglais John Locke (1632-1704), la neutralité de l’État est la condition qui lui permet de tolérer toutes les religions.

Il est également dans l’intérêt de l’islam de se libérer de la politique qui l’instrumentalise et de devenir une religion. Ceux qui font la politique en utilisant l’islam ne sont intéressés ni par le monde de la religion ni par Dieu mais uniquement par le pouvoir. Il est indispensable que l’appartenance à l’islam soit une conviction personnelle.

L’idée de la séparation de la religion et de la politique effraye, cependant, un grand nombre de personnes pensant que l’État doit protéger la religion. Or, la religion est fondée sur la foi qui est une conviction, c’est-à-dire un jugement intérieur strictement personnel. Quand elle a recours à l’État, qui est une force extérieure, pour exister, quand elle a besoin de punir des personnes pour se protéger, c’est qu’elle a cessé d’être une religion. Elle est devenue une politique. Elle met fin à son existence en tant que telle. Pour John Locke, si l’objectif de la religion est le salut de l’âme, il ne sert à rien d’obliger une personne à y adhérer de force car son âme ne sera de toute manière pas sauvée. L’idée de l’État qui protège la religion va même à l’encontre de plusieurs textes coraniques reconnaissant à l’individu la liberté de croire ou de ne pas croire. Ensuite pourquoi Dieu aurait-il besoin d’un État pour le défendre ou défendre sa parole ? N’est-il pas l’être parfait, le tout-puissant ?

Évoquer la séparation de la politique et de la religion ou la laïcité nous amène néanmoins à une question cruciale : comment séparer la politique de la religion si l’islam lui-même ne les sépare pas et cela depuis 622 ? Voilà ce qui nécessite, en plus d’une réforme de la politique pour séparer l’État de la religion, une réforme de l’islam pour le séparer de la dimension juridique et politique et d’adapter son discours aux nouvelles valeurs de l’humanité. Pour cela, une rupture épistémologique et psychologique s’impose pour passer à l’âge moderne. « La modernité est certes née en Occident, mais elle est un acquis de l’humanité, un signe de son évolution et de sa maturité »[1] .


[1]Razika Adnani, Charlie Hebdo : « Face à la violence, il ne suffit pas d’affirmer que l’islam la dénonce »


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