ZIAD MAJED, POLITOLOGUE LIBANAIS : “Une enquête internationale pour en finir avec l’impunité”

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 Les manifestations de colère, au lendemain de l’explosion de Beyrouth, sont-elles, selon vous, l’acte II de la Révolution d’octobre 2019 ?


Ziad Majed : 
On peut certainement parler d’un “acte II” du soulèvement populaire ou de la Révolution qui avait commencé en octobre 2019. On peut dire que l’acte I a subi des revers face à des contraintes et d’énormes difficultés d’oppression et de répression, et le contexte récent lié à la crise sanitaire mondiale n’a pas permis aux manifestants de maintenir la mobilisation et l’élan populaire qu’on avait connus il y a près de dix mois. À cela s’ajoute la contre-révolution menée par le Hizbollah, qui a mobilisé tous ses moyens pour avorter l’élan populaire, avec des attaques en règle contre les manifestants dans les rues de Beyrouth. Il y a par ailleurs la grave crise économique à laquelle le pays fait face et qui a quelque peu fini par éreinter la population et désespérer beaucoup de personnes qui ont temporairement perdu leur argent dans les banques.

Tous ces éléments ont fait que pendant des mois les manifestations se sont quelque peu essoufflées. La semaine dernière, les explosions du port de Beyrouth ont eu un effet direct sur les populations qui se sont réveillées le lendemain de la catastrophe désemparées, se sentant abandonnées et trahies encore une fois par l’élite dirigeante déjà cible de la contestation. La colère des Libanais est dirigée aujourd’hui contre cette élite (ministres, parlementaires et président de la République), accusés de corruption, de médiocrité et d’irresponsabilité.

Les griefs retenus contre les dirigeants ne se limitent pas uniquement à la gestion du port, qui a conduit à cette calamité, mais concernent aussi l’incapacité des gouvernements successifs à assurer la gestion de l’électricité et ses coupures récurrentes, les déchets ménagers et leur crise, les questions financières et tous les scandales qui s’en sont suivis, la distribution des revenus de l’État sur la base du clientélisme et confessionnelle, le chômage endémique, en somme, des éléments potentiellement déclencheurs de la colère des Libanais. Et l’explosion de colère a eu lieu. Le scandale du port de Beyrouth a agi comme la goutte de trop qui a fait déborder le vase.

Peut-on dire que la rupture est définitivement consommée entre les Libanais et leurs dirigeants ?

Oui. Il est vrai que cette fois il y a une volonté chez certains manifestants et militants d’aller occuper les ministères et de libérer les institutions publiques en considérant que ces institutions sont occupées par les mêmes figures de cette classe politique tant décriée et qui, depuis des années, dans leurs administrations, ne font que vider les caisses de l’État sans pour autant offrir aux populations le minimum de leurs droits. Beaucoup de citoyens veulent libérer ces institutions pour pouvoir imposer la démission des dirigeants tenus pour responsables des échecs successifs à tous les niveaux. C’est également une manière pour les jeunes Libanais notamment de faire pression sur le président de la République dont ils réclament également la démission. La colère des Libanais est aujourd’hui dix fois plus importante que lors du soulèvement d’octobre 2019. Le port de Beyrouth est pour les Libanais le poumon économique du pays.

La démission du gouvernement permettra-t-elle d’atténuer les tensions et de rétablir la confiance ? 

Théoriquement, la majorité des manifestants veulent voir la classe dirigeante partir, qu’il s’agisse de parlementaires, de ministres ou du président de la République. Un départ qui conduira, toujours en théorie, à des élections anticipées, libres et démocratiques. Mais, en même temps, la question lancinante qui se pose est dans quel cadre ces élections vont-elles se tenir et surtout avec quelle loi électorale ? Le découpage électoral au Liban est très important : quotas confessionnels, partage des sièges entre les différentes communautés, sur la base de quoi, depuis des décennies, la classe au pouvoir a toujours été fait en sorte de privilégier leurs alliés en modifiant parfois les cartes électorales géographiquement parlant et démographiquement afin de s’assurer des majorités ici et là. Sans changer les règles du jeu (loi électorale), l’on produira toujours une élite politique et confessionnelle attachée aux tenants du pouvoir en place. Plus important pour les manifestants, la Constitution libanaise actuelle maintient et ce, depuis 1943, à l’indépendance du pays, l’âge du vote à 21 ans.

Une aberration, quand on sait qu’une grande partie de la population qui occupe la rue depuis 2019 a entre 18 et 21 ans. Aussi, en l’absence de mécanismes qui permettent aux Libanais de voter à l’étranger, ces derniers sont obligés de se rendre au pays natal pour accomplir leur devoir. Ce n’est pas toujours évident avec toutes les dépenses que cela implique. Seuls les partis du pouvoir, dont Hezbollah, qui bénéficient de gros moyens de financement peuvent rapatrier leurs électeurs et booster par conséquent leurs listes, contrairement aux indépendants et autres partis modestes qui ne peuvent pas sécuriser leurs fidèles. Cela pose le problème de l’équité des chances et le problème de la liberté des Libanais quant à leur choix de vote. Les appels à des élections législatives anticipées sonnent pour beaucoup de Libanais comme un piège.

Plusieurs parties du Liban réclament une enquête internationale sur les explosions survenues dans la capitale. Comment interprétez-vous cette demande ?   

Il n’est pas du tout surprenant de voir les manifestants et certaines forces politiques du pays réclamer une enquête internationale pour comprendre ce qu’il s’est passé au port lors des explosions. Cela s’explique par l’absence de toute confiance dans les enquêtes nationales qui se font, et ce n’est pas un secret, sous l’autorité accusée elle-même d’être responsable, directement ou indirectement, de l’explosion. D’autre part, il y a la question du système judiciaire libanais. Il s’en trouvera toujours des juges propres et indépendants certes, mais le système lui-même n’est pas indépendant et est incapable de mener une enquête transparente en raison des interférences et des pressions des responsables politiques corrompus.

Une enquête internationale est considérée pour beaucoup de Libanais comme étant la seule garantie pour savoir exactement ce qu’il s’est passé dans le port de Beyrouth. Cette enquête est nécessaire pour en finir avec l’impunité qui règne au Liban. Ceux qui redoutent et évoquent une ingérence étrangère de la France, de l’Europe ou occidentale de manière générale, il faut qu’ils sachent que la classe politique aux commandes a tout fait pour que le pays n’ait pas une souveraineté nationale. Les forces au pouvoir sont aujourd’hui à la solde de l’Iran ; elles étaient dans le passé à la solde du régime syrien, ou encore à la solde de l’Arabie Saoudite, ou encore des pro-Américains… Quand on permet à des acteurs régionaux et internationaux d’avoir une présence politique directe au Liban à travers des alliés, on a déjà mis la souveraineté du pays en péril.

Entretien réalisé par : Karim Benamar


    L’explosion du port de Beyrouth : Une analyse complète


Par Leonid Savin − 12 août 2020 − Source Oriental Review

Beirut Port Explosion

Le soir du 4 août, deux explosions ont eu lieu dans la zone portuaire de Beyrouth. La première était relativement petite et a été causée par des feux d’artifice enflammés que les pompiers sont allés éteindre. D’énormes nuages de fumée ont attiré un grand nombre de spectateurs, qui ont filmé la seconde explosion. Celle-ci ressemblait à la détonation d’un engin nucléaire tactique. L’explosion était si puissante que tous les bâtiments du quartier des affaires de la ville et même l’aéroport, qui se trouve dans une autre partie de la ville, ont été endommagés par l’onde de choc.

 

Dans la soirée du 5 août, le nombre de morts s’élevait à 135, avec près de 5 000 blessés. Il ne s’agit cependant que de statistiques officielles. Il est probable que des chiffres plus précis suivront. Des étrangers ont été tués et blessés. Selon un journal du Bangladesh, par exemple, quatre ressortissants bangladais ont été tués et 101 blessés, dont 21 membres de la marine bangladaise qui se trouvaient au Liban dans le cadre d’une mission de l’ONU.

On sait qu’un employé de l’ambassade de Russie au Liban a également été blessé dans l’explosion. La Russie est intervenue immédiatement et le premier avion est arrivé à Beyrouth le lendemain, chargé de secouristes, de médecins et d’équipements spéciaux.

Le maire de Beyrouth a qualifié l’incident de tragédie nationale, et le premier ministre libanais a déclaré une période de deuil.

Dans les premières heures qui ont suivi l’explosion, les médias sociaux étaient pleins de soupçons envers les États-Unis et Israël, ce qui est logique étant donné le long conflit entre le Liban et ces pays.

La publication américaine Veterans Today s’est intéressée à un étrange objet qui a été filmé en l’air au-dessus des entrepôts du port avant la seconde explosion. En outre, une signature radiologique de l’explosion reçue d’une source en Italie a montré un pic d’activité radioactive. Certains ont suggéré qu’Israël (peut-être avec les États-Unis) a attaqué le Liban en utilisant une arme nucléaire tactique. Les opposants à cette théorie ont fait valoir que, dans un tel cas, il y aurait eu une impulsion électromagnétique qui aurait éteint les téléphones portables de tout le monde. Mais comme les images ont été prises sous différents angles, cela prouve que la théorie de l’ogive nucléaire compacte est fausse. L’hypothèse suivante était l’utilisation possible d’un autre type d’ogive pour faire exploser une grande quantité de salpêtre, qui, à elle seule, ne peut pas produire un tel effet par la seule mise à feu.

Il est intéressant de noter que cette théorie a même été mentionnée sur la chaîne de télévision américaine CNN, lorsque l’ancien agent de la CIA Robert Baer a déclaré que le nitrate d’ammonium ne pouvait pas, à lui seul, produire une telle explosion.

Une agence de presse iranienne a également publié des informations sur l’activité suspecte de quatre avions espions de la marine américaine sur la côte libano-syrienne dans la soirée du 4 août. Des drones israéliens ont également été aperçus au-dessus de Beyrouth quelques jours avant l’incident. Une semaine auparavant, des drones avaient également été vus passer au-dessus du Sud-Liban, dont l’un s’est écrasé, selon le Hezbollah. Il convient de mentionner que le Liban ne dispose pas de capacités anti-aériennes, de sorte qu’Israël utilise souvent l’espace aérien libanais pour lancer des attaques aériennes sur la Syrie.

Le matin du 5 août, la version officielle de ce qui s’est passé a été annoncée. Des travaux de soudure étaient en cours dans l’entrepôt 12, dont les étincelles ont allumé les feux d’artifice. Au bout d’un moment, les flammes se sont propagées aux sacs de nitrate d’ammonium, qui ont ensuite explosé. Au total, l’entrepôt contenait 2 750 tonnes.

Beirut Port Explosion-map

Le nitrate d’ammonium est arrivé au port à bord du cargo Rhosus, qui était immatriculé en Moldavie. Selon les documents, la cargaison était transportée du port de Batumi en Géorgie au Mozambique, mais en 2013, elle a fait escale à Beyrouth pour prendre d’autres cargaisons. Le navire a ensuite été interdit de quitter le pays. Un tribunal libanais a retenu le navire et sa cargaison pour non-paiement des droits portuaires. Le capitaine et plusieurs autres membres de l’équipage ont également été détenus pendant une longue période, mais ont ensuite été autorisés à quitter le navire par les autorités. Depuis lors, la cargaison était stockée dans des entrepôts du port. Derrière toute cette histoire se cache un citoyen russe de Khabarovsk, Igor Grechushkin, qui a abandonné la cargaison et l’équipage à leur sort. Grechushkin vit aujourd’hui à Chypre. Il va sans dire que l’inclusion de tout homme d’affaires russe dans l’histoire (peu importe qu’il ait été directement impliqué ou qu’il se soit simplement laissé entraîner, attiré par l’argent facile) nuit encore plus à l’image de la Russie en général, et du Liban en particulier.

Mais cette version est réfutée par un correspondant de la chaîne de télévision Al-Manar, Ahmad Hajj Ali. Il pense que le nitrate d’ammonium était destiné à des groupes terroristes en Syrie, et que la cargaison était transportée pour le compte des monarchies arabes du Golfe Persique, qui agissaient sous les ordres de Washington. Cela explique pourquoi le propriétaire de la cargaison n’a pas été retrouvé, alors qu’elle valait une telle somme d’argent.

Mais la question se pose alors : pourquoi un volume aussi important de cette substance dangereuse a-t-il été stocké pendant tant d’années dans un centre de transport d’une importance capitale et à proximité des silos à grains et des zones résidentielles ? Le problème est que, ces dernières années, il n’y a pas eu de gouvernement stable au Liban. Le pays a été secoué par des scandales de corruption. Beaucoup de ceux qui sont au pouvoir abusent de leur position. Ils sont arrêtés et remplacés, y compris par ceux qui aiment aussi l’argent facile et le risque. Les autres sont tout simplement incapables de contrôler la situation.

Il est tout à fait possible que de nombreux autres produits douteux aient été stockés dans les entrepôts, comme des déchets chimiques ou nucléaires. Il y a de fortes chances que cela explique le pic d’activité radioactive. En fait, des sources à Beyrouth ont déclaré que des déchets radioactifs provenant d’Europe étaient auparavant enterrés au Liban en violation de la législation. Les hommes d’affaires locaux ont été payés très cher pour cela, mais il sera très difficile de trouver le responsable final.

La situation est exacerbée par la fragmentation politique et la présence au Liban d’agents étrangers provenant de pays tels que les États arabes, Israël et les États-Unis. Par conséquent, les informations concernant la localisation exacte de ces quantités de nitrate d’ammonium n’étaient pas un secret pour leurs services de renseignement. S’ils avaient eu besoin de mener un acte de sabotage, c’était la situation idéale pour les aider à couvrir leurs traces.

Et l’on peut, bien sûr, se demander : à qui profite une telle situation ? Le port libanais traite au moins 70 % des importations du pays. Outre les entrepôts, des stocks de médicaments ont également été brûlés, dont certains provenaient d’Iran. Comme le Liban est également soumis à des sanctions strictes et au bord de la faillite, un tel coup porté à ses infrastructures vitales rend en fait le pays directement dépendant des donateurs étrangers.

Le journal israélien Haaretz a déjà prédit  que le Liban pourrait être confronté à un effondrement économique et à des soulèvements sociaux, et les médias israéliens conservateurs ont interprété l’explosion comme une punition venant d’en haut  et l’accomplissement des prophéties qui annoncent l’arrivée du Messie, c’est-à-dire du faux Christ, notant en chemin que les forces armées israéliennes n’auraient pas pu attaquer Beyrouth.

Immédiatement après l’explosion, le président français Emmanuel Macron s’est rendu dans le pays et a effectivement lancé un ultimatum en évoquant une possible intervention de l’OTAN. Dans le même temps, la situation sociale au Liban même a commencé à s’intensifier. Les manifestants se sont heurtés à la police et à l’armée et ont pris possession du bâtiment du ministère des affaires étrangères et d’autres installations gouvernementales. Ils ont été chassés peu de temps après, mais la situation est loin d’être normale. Il semble que les protestations, qui ont déjà été décrites comme une tentative de nouvelle révolution de couleur parrainée par l’Occident, pourraient être au premier plan des nouvelles, alors que l’explosion elle-même devait juste servir à déclencher un soulèvement.

Pourtant, une enquête détaillée sur les causes de l’explosion est essentielle. Après tout, quelques jours après l’incident, le président libanais Michel Naim Aoun a déclaré qu’une intervention d’une force extérieure utilisant une roquette ou une bombe était possible./

Leonid Savin –  Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone


   Le gouvernement Hassan Diab est tombé

Le Liban entre statu quo et vrai changement

Le pays est en plein effondrement économique, avec une dépréciation historique de la monnaie nationale. Mais cette fois, Beyrouth ne peut compter ni sur Washington ni sur les traditionnels alliés des pays du Golfe.

L’explosion apocalyptique au port de Beyrouth a détruit des quartiers entiers de la capitale, mais suffira-t-elle à renverser une classe politique au pouvoir depuis des décennies, jugée responsable du drame de par sa corruption et son incurie? Les principaux politiciens qui orchestrent la vie politique sont ceux-là mêmes qui durant la guerre civile meurtrière de 1975-1990 se battaient à la tête de différentes milices. De nombreux Libanais exigent qu’ils rendent des comptes et veulent voir des têtes tomber, après la déflagration du 4 août qui a fait 160 morts et plus de 6.000 blessés.

Attaqué de toute part, le gouvernement Hassan Diab a démissionné lundi. Quels scénarios peut-on prévoir pour la formation du prochain gouvernement, dans un pays habitué aux crises: Comme l’histoire le montre, former un gouvernement au Liban n’est pas une sinécure. Officiellement, le régime politique permet de préserver un équilibre entre les communautés religieuses.
Officieusement, il est accaparé depuis des décennies par les mêmes leaders et leurs partis, abonnés aux marchandages interminables sur la répartition des portefeuilles, qui peuvent durer de longs mois. Reste à voir si cette fois-ci l’ampleur du cataclysme va les pousser à faire preuve de rapidité.
À l’origine de l’explosion du 4 août: un incendie dans un entrepôt où étaient stockées 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium depuis six ans, une substance chimique dangereuse sans «mesures de précaution» de l’aveu même de M. Diab. Le drame est venu alimenter la rage contre la classedirigeante, déjà décriée à l’automne 2019 par un vaste mouvement de contestation qui avait mobilisé à l’époque des centaines de milliers de Libanais. Optimiste, Hilal Khachan estime que l’explosion pourrait «changer la donne». Avec l’ampleur de la colère, il va jusqu’à prédire une «nouvelle république» et pronostique l’émergence de «nouvelles formations politiques», la vindicte populaire touchant aussi les partis traditionnels. D’autres analystes sont plus circonspects. «Il est quasi impossible de considérer et même d’imaginer que l’explosion va balayer la classe politique au pouvoir», estime Jeffrey G. Karam, politologue à la Lebanese American University de Beyrouth.
Pour lui, la démission du gouvernement est une tactique visant à «absorber une partie de la colère et de la frustration dans la rue». «La classe dirigeante va absorber le choc, la colère, la frustration, et exploiter le sang», accuse-t-il, estimant que les politiciens vont «promettre des solutions à court terme».Il craint un scénario du pire, un «gouvernement d’unité nationale», composé de prétendues figures indépendantes et de technocrates, mais formé par les partis. «Ce sera un retour à la case départ». Avant de démissionner, le Premier ministre avait évoqué la possibilité de législatives anticipées, une des demandes qui circule au sein de la contestation. Mais de telles élections sans une révision de la loi électorale ne feraient que préserver le statu quo. «Cela permettrait quelques changements des blocs parlementaires et la répartition des sièges, plutôt qu’une refonte totale d’une classe politique minée par la corruption et le confessionnalisme», dit-il. Depuis plusieurs mois, la communauté internationale a durci le ton, face à un gouvernement libanais qui promet des réformes sans jamais les concrétiser. Le pays est en plein effondrement économique, avec une dépréciation historique de la monnaie nationale. Mais cette fois, Beyrouth ne peut compter ni sur Washington ni sur les traditionnels alliés des pays du Golfe, particulièrement hostiles au Hezbollah pro-Iranien. Les autorités sont appelées à revoir à la baisse les dépenses publiques, améliorer la collecte des taxes en luttant contre l’évasion fiscale, et surtout assainir un secteur de l’électricité moribond, véritable gouffre financier.
En 2018, une conférence d’aide internationale organisée par Paris avait permis la levée de quelque 11 milliards de dollars. Mais ces fonds n’ont jamais été débloqués, faute de réformes. Le Liban avait encore une fois promis de concrétiser ces changements avant d’engager à la mi-mai des négociations avec le Fonds monétaire international. Trois mois plus tard, le processus est au point mort. Après l’explosion au port, la France s’est mobilisée pour lever des aides d’urgence pour les Libanais. Mais Paris a souligné qu’il s’agissait de la faire parvenir directement aux bénéficiaires. Pour le politologue Bassel Salloukh, après l’explosion du 4 août les politiciens libanais «n’ont plus de marge de manoeuvre». «Il sera très difficile d’éviter les réformes structurelles que la communauté internationale réclame comme pré requis à toute aide», souligne-t-il. «Cela va-t-il déraciner le système politique? Non, mais cela pourrait le forcer à faire les concessions auxquelles ils résistaient», conclut-il.


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La colère ne retombe pas six jours après les deux explosions qui ont ravagé la capitale libanaise et fait près de 160 morts. Ce dimanche 9 août, des manifestants ont pris d’assaut certains ministères de la ville de Beyrouth, engendrant des affrontements avec les forces de l’ordre. Le peuple libanais demande la démission du gouvernement, seul moyen d’obtenir selon eux des changements structurels.  Car c’est la classe politique qui est jugée responsable de cette double explosion. Corruption, clientélisme, pots-de-vin… Le système libanais est corrompu depuis plusieurs années et le pays marqué par une crise économique qui plonge la moitié des habitants sous le seuil de pauvreté. Pour tenter d’apaiser les tensions, le premier ministre Hassan Diab a annoncé qu’il allait proposer des élections législatives anticipées. Il doit soumettre sa proposition, ce lundi, au Conseil des ministres. Pour l’heure, la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad, le ministre de l’Environnement et du développement administratif, Damianos Kattar, et la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, ont démissionné. Participer à la reconstruction de Beyrouth, c’est la priorité de la communauté internationale.

Le président Emmanuel Macron s’est rendu sur place jeudi 6 août pour apporter son soutien à la population et organiser l’aide internationale. Véritable chef de file, il a co-présidé avec l’ONU, un sommet réunissant une trentaine de pays dont la Chine, les États-Unis, l’Union européenne, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Jordanie ou encore l’Australie et le Brésil. Au total, ce sont 250 millions d’euros débloqués qui serviront à reconstruire les écoles, hôpitaux, consolider le reste des bâtiments endommagés et apporter de l’aide médicale et alimentaire. La France a déjà mis en place un pont aérien d’envergure permettant de faire voyager jusqu’au Liban près de 700 tonnes de nourriture et 18 tonnes de matériel médical. Et le président libanais Michel Aoun est sommé de rendre des comptes. Ancien militaire élu en 2016, il était jusqu’à présent l’homme fort du pays. Dans une position plus que délicate, ce dernier a évoqué l’idée selon laquelle l’explosion pourrait avoir été causée volontairement. « Il est possible que cela ait été causé par la négligence ou par une action extérieure, avec un missile ou une bombe », a-t-il déclaré lors d’un entretien vendredi 7 août avec des journalistes retransmis à la télévision. Il a également rejeté une enquête internationale, demandée la veille par Emmanuel Macron, estimant qu’elle « diluerait la vérité ». Les manifestations contre le gouvernement vont-elles se poursuivre au Liban ? Comment la classe politique va-t-elle réagir ? De quelle manière l’aide internationale va-t-elle s’organiser ? Le président libanais risque-t-il sa place ?

Invités : – Philippe Dessertine, économiste, directeur de l’Institut de Haute Finance – Armelle Charrier, éditorialiste à France 24, spécialiste des questions internationales – Rym Momtaz, journaliste libanaise, correspondante en France pour Politico – Dominique Moisi, géopolitologue, conseiller spécial à l’Institut Montaigne


 

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