Kamel Daoud: le peuple algérien doit trouver un leadership

Sur les réseaux sociaux, l’écrivain et journaliste Kamel Daoud estime, avec son talent et sa force de conviction, que le mouvement de protestation en Algérie ne peut plus continuer sans un leadership.

La difficulté, c’est de trouver des figures qui puissent incarner le nouveau consensus. Et c’est là le problème : la culture du consensus a été détruite par le Régime. Il nous a reclus dans les régionalismes, les méfiances, le doute sur la bonne foi.

Pourtant cela devient une urgence que de déléguer à des personnes le pouvoir de parler en notre nom. Car, sinon, le Régime va gagner. Le régime a trouvé qui parle et négocie à sa place, mais pas nous. Il nous faut mettre en sursis nos différences, nos exigences, notre méfiance même envers le leadership et la représentativité. Et trouver des personnes. Elles ne sont pas appelées à être des Présidents à vie, ni des délégués à vie. Juste pour ce moment, pour passer ce cap.
Le nihilisme est bon pour détruire une dictature, pas pour bâtir une nouvelle nation.

Il nous faut guérir de notre haine des élites. C’est une maladie que le Pouvoir a semé dans nos esprits depuis des décennies. Le lettré n’est pas un traitre, c’est une lucidité, une réflexion. Il n’est pas le voleur d’une quelconque légitimité.

Notre haine de l’étranger

Il nous faut guérir de notre haine et de notre méfiance envers l’étranger. L’Autre peut être amical, visiteur, voyageur, touriste et pas seulement l’ancien voleur de terres et de vies. On ne peut pas réclamer notre place dans le monde et refuser que le monde ait une place chez nous, en nous. L’universel n’est pas le contraire de la patrie, c’est son champs d’extension.

Il nous faut guérir du doute et du soupçon. Il faut arrêter avec le murmure malsain, la théorie du complot, la culture du maquis qui se cache derrière les apparences, la clandestinité et la tentation de l’occulte. Le monde est là sous nos yeux, sa vérité est celle qui s’offre à la main et au regard. Il faut réhabiliter la vérité brute du fait, le vérifiable, l’évident et cesser de regarder derrière les êtres et les choses pour distinguer un maitre caché ou des raisons secrètes. Revenons à la lumière des faits. Arrêtons avec les procès. Nous sortons à peine d’une vaste prison. 
Il nous faut guérir du chauvinisme, de la haine de nos voisins, de la confusion entre nationalisme et détestation des autres. Notre pays est né aussi par l’aide généreuse des autres et ne peut s’ériger dans l’enfermement et le culte de soi.

Il nous faut guérir, un jour, de la vanité : oui, nous avons réussir à briser notre soumission, nous avons presque repris notre pays au gang, nous avons réinvesti par la couleur, le chant et le courage nos rues et nos villes, mais cela n’est pas suffisamment. Le croire, c’est déjà être vaincu. Il nous faut construire notre pays, le reconstruire. Le bâtir et pour le moment, c’est un champs de ruines et de nouvelles fiertés.

Il nous faut, après le départ de ce Régime, réhabiliter la notion d’effort, rebâtir la justice, pas celle des palais, mais celle du sens et de la morale, relier le muscle et la fortune, le travail et le salaire. Il nous faut non s’attarder le chemin parcouru, mais entrevoir celui qui reste à faire.

Cette liberté si fragile, aujourd’hui, a besoin que l’on arrête de confondre l’émotion saine et l’intelligence. On fait une révolution avec de la passion, mais pour continuer, il nous faut du sens, des figures, des représentants, des délégués et de la confiance sans procès.

C’est mon humble avis. Il ne vaut pas plus que celui d’autres, mais il peut, peut-être, dans le bruit de ces jours, servir.


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