par Djamal Limane
Le 22 février 2019 marque la fin d’un système et la naissance d’une Nation. Le peuple algérien a exprimé pacifiquement sa souveraineté pleine et entière marquant, ainsi, sa volonté d’un changement radical. Et comme la souveraineté nationale passe inévitablement par la souveraineté économique, il est important, aujourd’hui, de mener une réflexion sur un processus de restructuration de l’Economie algérienne qui accompagne simultanément la transition que vit actuellement la société algérienne.
Cette contribution va dans ce sens et propose un cadre d’analyse du secteur automobile et notamment de la volonté (ou pas) des pouvoirs publics d’aller vers une transition industrielle créatrice de la valeur. Une telle orientation de politique économique doit fixer ses priorités et ses orientations stratégiques. Qu’en est-il réellement ? Et quel est le rôle de notre ressource humaine qualifiée locale et de la diaspora dans un tel processus stratégique permettant d’insérer notre industrie (automobile) dans une chaîne de valeur internationale et en faire un avantage concurrentiel régional incontournable ?
Transition industrielle: Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Entre 2012 et 2017, le nombre de véhicules neufs importés chaque année, en Algérie, est passé de 605.000 à 20.000 à la faveur d’une réduction drastique des licences accordées aux concessionnaires locaux et la mise en place des quotas. Les prix des voitures neuves ont connu une hausse moyenne de 40% entre 2014 et 2017. Le gouvernement n’a fixé aucun quota pour 2018 puisqu’il comptait sur les 150.000 unités qui devraient être assemblées localement. Ce choix de maintenir le marché automobile sous tension s’explique par une volonté politique incitant (réellement ?) les constructeurs étrangers à implanter leurs usines en Algérie. Les différentes déclarations des ministres qui se sont succédé à la tête du ministère de l’Industrie, témoignent de la difficulté à trouver un équilibre entre les enjeux politiques et les intérêts économiques. Dans la société post-moderne et post-industrielle, le secteur de l’Industrie automobile représente un défi à la création d’emplois, l’exportation, le transfert et l’innovation technologique. Ce secteur, en Algérie, est caractérisé ces dernières années par une réglementation instable : régimes des licences, restriction par l’instauration de quotas, plusieurs cahiers de charges régissant l’activité automobile, SKD, CKD, taux d’intégration et sous-traitance, etc. Pour rappel, la chute des prix du pétrole, qui fournit plus de 90% des devises de notre pays, a propulsé la filière automobile en tête des priorités pour réduire la facture des importations. Sous cette contrainte, les pouvoirs publics ont fixé un objectif de départ qui était de passer l’Algérie d’un simple marché purement commercial vers des coopérations industrielles, sous forme de joint-venture internationale. Il était également question d’une intégration locale élevée pour l’instauration d’une production nationale dans le cadre du nouveau modèle économique : sortir de la dépendance à la rente pétrolière, diversification économique, croissance et création de la richesse et de l’emploi. Un beau discours et des slogans qu’on entend toujours depuis plus de 40 ans ! Cependant, cette transition voulue par les pouvoirs publics pour limiter à terme l’importation des véhicules, réduire la facture en devises et lancer une industrie automobile locale n’arrive pas à voir le jour. Pourquoi ?
Pour comprendre ce qui se passe dans ce secteur, il est important de rappeler le seul constat vraiment objectif avoué par un ex ministre de l’Industrie. Ce dernier a déclaré, dans un article publié par un journal en ligne (TSA) en juillet 2017, que la première évaluation effectuée par un groupe d’experts s’accorde à dire que « aucun objectif n’a été réalisé par rapport aux objectifs de départ ! Pire encore, au lieu de créer de l’emploi, le secteur de l’automobile en a perdu ». Le Trésor public a été mis en difficulté puisqu’il a été privé de la perception des droits de douane et de différentes taxes. Aussi, dans une autre interview accordée à un quotidien national, le même ministre a été catégorique puisqu’il a avoué que le secteur s’avère être impuissant à répondre aux aides et autres incitations qui lui ont été accordées par l’Etat. En d’autres termes, le ministre avoue l’échec de son département à insuffler une dynamique de croissance dans le secteur de l’Industrie automobile, qui pour rappel, connaît plusieurs scandales financiers (corruptions, magouilles et délit d’initié). Enfin, les objectifs de départ fixés par le gouvernement étaient de créer des sociétés de sous-traitance, réduire le coût des véhicules, booster l’emploi, diminuer la facture des importations, et d’exporter à moyen terme. Cependant, le résultat, aujourd’hui, est que les véhicules -montés localement- coûtent plus cher que dans le pays de provenance, l’emploi a baissé dans le secteur et la pièce de rechange reste chère et parfois indisponible ! En effet, nous avons tout fait pour ne pas suivre (copier puis adapter localement) les modèles de réussite et les expériences des économies émergentes connues à travers le monde. Comment ?
Menaces sur les opérateurs économiques de la filière, corruption et cafouillage sur le taux d’intégration local
Sénèque disait « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne connaît pas son port », il s’agit de la condition sine qua non pour réussir toute politique publique ; définir la direction en prenant en compte les moyens de sa politique. Prendre le temps nécessaire pour définir l’horizon et tracer ensuite le CAP ! Or, l’instabilité réglementaire qui a accompagné la politique d’industrialisation ainsi que le manque de visibilité ont été des facteurs bloquants pour les opérateurs économiques nationaux et internationaux. Le risque très élevé et l’absence de règles claires et définies sont un frein à la création de toutes formes d’alliance et de coopérations internationales. Concrètement, l’asymétrie d’information favorisée par les changements récurrents dans la réglementation a été fatale à l’Industrie automobile qui est à son stade embryonnaire. A cela s’ajoute l’arsenal juridique visant l’interdiction brutale- à l’importation d’une liste de produits qui n’a pas été d’ordre à rassurer les producteurs nationaux, bien au contraire ! La production nationale fragilisée depuis des décennies par une importation de masse, ne pouvait pas prétendre à une relance par un simple décret. L’Economie est dans un tel état que ce type de mesures urgentes et populistes ne puisse apporter la solution à un modèle en faillite depuis des décennies. Par ailleurs, la satisfaction à court terme de la demande locale des produits interdits à l’importation était une mission vouée à l’échec, c’est une réalité partagée, également, par le secteur de l’automobile. Les conséquences négatives sur le pouvoir d’achat des Algériens et notamment sur les prix des biens et services n’ont pas dérogé à la règle (de l’échec programmé). Des décisions de politique publique prises en inadéquation totale avec les recommandations des experts, peuvent-elles répondre aux défis majeurs de notre marasme économique ? Est-ce que les solutions conjoncturelles proposées par la tutelle peuvent répondre à un dysfonctionnement économique structurel ? Quelles sont leur efficacité ?
Comment -re-définir alors notre CAP, en prenant en considération nos moyens, nos expériences d’échec et de réussite, et les modèles de réussite des économies émergentes? Il s’agit d’abord de choisir les filières où l’Algérie peut être compétitive, et l’insérer dans une sorte de chaîne de valeur internationale pour en faire un avantage concurrentiel régional incontournable. Dans ce sens, la production nationale sera destinée, non seulement à un marché local qu’elle couvrira facilement, à court terme, mais aussi et surtout, à l’exportation (vers l’Afrique d’abord puis l’Europe) à moyen et long termes. Le défi d’une compétitivité régionale doit être relevé sur la base d’un avantage concurrentiel incontournable.
Aujourd’hui encore, le prix de la voiture montée localement est plus élevé que dans les pays de provenance. Cela est dû essentiellement au fait que les véhicules arrivent en kit (SKD, CKD). Il n’y a donc rien à intégrer, aucune création de valeur, peu de sous-traitants et des frais de logistiques qui viennent alourdir les coûts de montage. En réalité, il ne s’agit là que d’une forme d’importation déguisée de la part des constructeurs, tout en respectant une réglementation obsolète et mal conçue. A ce jour, les différents projets qui ont été lancés, un peu partout en Algérie (Renault, groupe TMC, Sovac, etc) sont tous portés sur le SKD/CKD. C’est d’ailleurs le point faible de cette transition qui se base, essentiellement, sur Semi Knocked Down (SKD). Cet approche consiste à importer les véhicules en kits pré-montés, le reste à faire localement se résume alors à « boulonner ». Donc, les véhicules arrivent semi ou complètement finis, en l’absence d’une intégration locale, que reste-t-il assembler ? Ici, nous reprenons, malheureusement, le même modèle échoué de nos expériences passées visant à instaurer une industrie nationale. Visiblement, nous n’avons pas réussi, également, à construire un système intelligent permettant de capitaliser nos expériences d’échec et de réussite.
Propositions et Perspectives
La réussite d’une transition industrielle dans le domaine de l’automobile passe, inévitablement, par l’intégration locale et la sous-traitance permettant d’asseoir une stratégie de renforcement industriel progressif. Les pouvoirs publics doivent orienter les avantages fiscaux et parafiscaux vers les activités à forte valeur ajoutée. Il est donc impératif de favoriser, aujourd’hui, la création des joint-ventures internationales en lien avec les équipementiers, et revoir dans ce type de partenariat la règle 51/49 (la maintenir éventuellement pour les secteurs névralgiques et de souveraineté). Dans les conclusions de la journée d’études sur l’Economie algérienne de l’après-pétrole, organisée à Relizane (avril 2017), et qui a réuni un groupe d’experts, il a été recommandé de disposer d’une instance pour penser « Algérie 2050 », et créer des sociétés spécialisées dans l’économie du savoir en se basant sur notre ressource humaine qualifiée locale et de la diaspora. Une économie émergente doit fixer ses priorités et ses orientations stratégiques (vocation et cœur de métiers). Pour accompagner cette transition, il est urgent aussi de débureaucratiser l’administration et aller vers le New Public Management, faciliter l’acte d’entreprendre en Algérie, promouvoir la finance islamique et agir pour favoriser une approche transversale de la modernisation du tissu productif existant, par l’amélioration de l’environnement des affaires, la mise à niveau des PME de la filière et le soutien aux acteurs en croissance.
Enfin, comme nous l’avons évoqué précédemment, le secteur de l’Industrie automobile ne peut réussir son défi que dans le cadre de cette chaîne de valeurs internationales permettant d’en faire un avantage concurrentiel régional incontournable. Dans cette optique, il convient de produire non seulement pour le marché local, mais aussi et surtout pour l’exportation. De cette manière, nous aurions réussi à créer des sociétés de sous-traitance, réduire le coût des véhicules, booster l’emploi, renflouer les caisses de l’Etat et exporter le « Made in Algérie » !
*Doctorant, Chargé d’enseignement IUT de Nice – Université Côte d’Azur