Algérie / Pourquoi le New York Times s’est payé un néo-harkisme ?

09.02.2020

Débats

Pourquoi le New York Times s’est payé un néo-harkisme ?

par Kaddour NAÏMI

Le « prestigieux » New York Times a publié un article de Kamal Daoud,le 15 octobre 2018 (1). À ce sujet, deux choses sont à préciser. Ce n’est pas la personnalité de Kamel Daoud qui sera examinée ici (le titre de cette contribution parle de néo-harkisme et non de néo-harki), ni son œuvre littéraire, mais uniquement les « arguments » contenus dans son article ; en outre, la présente contribution s’adresse prioritairement aux personnes (et non aux trolls, rétribués ou non) qui, de bonne foi, croient que certaines idées de K. Daoud sont bénéfiques au peuple algérien.

De la guerre.

À l’auteur qui examine les déclarations publiques de K. Daoud, certains reprochent une « obsession » et un « acharnement » concernant cette personne. Pourquoi ne s’agirait-il pas, au contraire, de l’obsession et de l’acharnent de ce dernier à évoquer le thème de la guerre de libération nationale ? Son article sur le NYT ne s’intitule-t-il pas : « Ma guerre avec la guerre d’Algérie » ?

Et pourquoi le choix de ce jeu de mots ? N’est-il pas un banal procédé rhétorique qui fait bien « sonner » les mots pour impressionner ?… On connaît la fameuse expression « guerre à la guerre ». Elle est inadéquate et incongrue comme slogan pacifiste. Pour un pacifiste, il ne s’agit pas de faire la guerre à une guerre, mais de mettre fin à toute guerre. Revenons à l’expression employée par K. Daoud. Ne serait-il pas plus pertinent, plus raisonnable de dire plutôt : Paix avec la guerre d’Algérie ?… En effet, K. Daoud déclare dans son article : « Tout ce que j’entendis alors a créé en moi, comme dans l’esprit de beaucoup de personnes de mon âge, une saturation qui provoqua le rejet. » Dès lors, ces deux résultats sont-ils surmontables par la « guerre » à la guerre, ou, au contraire, par la paix ?… Autrement dit par la résilience ?

Des idées qui dérangent, mais qui ?

D’autres lecteurs ont exprimé leur admiration pour K.Daoud parce qu’il « dérange » les idées officielles étatiques

Est-il certain que la critique de la version étatique suffit pour considérer un auteur utile à la clarification des idées et des conceptions ?… En effet, on peut critiquer la propagande officielle étatique dans deux buts différents : le premier est pour défendre les intérêts du peuple, dominé et exploité par les dirigeants de l’État en question. Est-ce la cas chez K. Daoud ?

Dans son article, il déclare : « Mes engagements en Algérie se préoccupent plus des libertés individuelles, d’un régime incapable de transition et de la montée de l’islamisme. » Certes, ces problèmes existent et exigent des solutions. Mais l’Algérie n’a-t-elle pas, également, d’autres problèmes ?… Le peuple n’est-il pas exploité et dominé par une oligarchie, en partie étatique, en partie privée, aux intérêts convergents ? Les associations citoyennes collectives, notamment les syndicats, ne sont-ils pas empêchés dans l’exercice de leurs droits légitimes ?… Ceci à l’intérieur. Et, concernant l’extérieur, n’y a-t-il pas une triple menace néo-coloniale française-impérialiste U.S.-sioniste israélienne ? Et, cela, parce que les dirigeants étatiques algériens, bien que anti-démocratiques à l’intérieur, manifestent cependant une indépendance nationale tout à l’opposé des régimes arabes soumis aux puissances néo-coloniales (anglaise et française), impérialiste états-unienne et sioniste israélienne ?

Dès lors, se limiter à évoquer les « libertés individuelles », le « régime incapable de transition » et la « montée de l’islamisme », est-ce suffisant pour décrire les problèmes qui affligent l’Algérie ?… Ces arguments, bien que pertinents, ne sont-ils pas des arbres qui cachent la forêt ?… En effet, les thèmes évoqués par K. Daoud ne sont-ils pas ceux habituels de la propagande néo-coloniale-impérialiste-sioniste ?… N’est-ce pas par celle-ci que furent et demeurent justifiées les agressions militaires contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, l’Iran ?… Dès lors, le contenu des « engagements » formulé par K. Daoud, qui dérange-t-il ?… Seulement le « régime » algérien et « l’islamisme » ?… Plus loin, nous examinerons la pertinence des trois aspects des « engagements » de K. Daoud.

Reconnaissance.

Considérons ce que certains commentaires (trolls ?) définissent comme « réussite » professionnelle et « reconnaissance » du « monde » envers K. Daoud.

Ce « monde », c’est qui concrètement ?… Est-ce celui des personnes et des associations citoyennes (algériennes ou étrangères) qui combattent réellement pour un monde sans agressions étrangères, sans dictatures internes, un monde où liberté et solidarité humaines se conjuguent et se complètent ?… Le New York Times est-il le journal qui exprime et défend ces combats ?… N’est-il pas, au contraire, la propriété de membres de l’oligarchie états-unienne, et, par conséquent, justifie et défend son comportement de gendarme de la planète, pour conserver l’hégémonie impériale sur ses ressources et ses peuples, condition indispensable pour garantir les richesses et le pouvoir de cette oligarchie ?… Alors, comment expliquer la publication de l’article de K. Daoud dans ce journal, si réellement ses « engagements » remettaient en question cette hégémonie impériale ?

Encore de la guerre, mais laquelle ?.

Notons le titre de l’article de K. Daoud dans le NYT : « Ma guerre à la guerre d’Algérie ». De par le monde, y compris l’Algérie, les personnes soucieuses de précision ne parlent pas de « guerre » (d’Algérie, de Viet Nam, de Chine, etc.), mais de guerres de libération nationale. Seuls les auteurs écrivant dans les médias de propagande impérialiste préfèrent les expressions « guerre du Viet Nam », « guerre de Chine » ou « guerre d’Algérie ».

En effet, ce genre d’expression, en se référant uniquement au terme indiquant le pays, occulte ce qui caractérisa ces guerres : une résistance populaire pour libérer la patrie d’une oppression militaire étrangère. Ainsi, l’on constate que les mots et les expressions ne sont pas innocents, ni le fruit du hasard. Soit l’auteur est un ignorant, et dans ce cas est-il un journaliste et un écrivain dignes de ces qualificatifs ? Soit il sait de quoi il parle, et, alors, son vocabulaire appartient à la propagande impérialiste, et donc manipule et conditionne les lecteurs pour servir les intérêts impérialistes.

Une expérience éclaire davantage ces observations. Sur le moteur de recherche de Google, j’ai écris d’abord en français : « guerre d’indépendance américaine » ; j’ai obtenu beaucoup de liens. Ensuite, j’ai écris : « guerre d’Amérique » : aucun ne concernait la guerre d’indépendance des États-Unis. Puis, en anglais, j’ai écris : « independence american war » : j’ai obtenu beaucoup de liens ; en écrivant : « America war » : le premier lien correspondait à ces deux mots, par contre le second fut « america war of independence » (les deux derniers mots en gras). Donc, le moteur de recherche Google, dont les propriétaires font partie de l’oligarchie états-unienne, sait très bien distinguer entre « guerre d’indépendance » des États-Unis et « guerre américaine » (2). Quant à l’encyclopédie en ligne Wikipédia, elle parle de « American Revolutionary War (1775–1783), also known as the American War of Independence ».

Par contre, les membres de l’oligarchie française commencèrent par parler d’ « événements » d’Algérie, ensuite certains ont fini par prononcer « guerre d’Algérie ». Mais aucun n’a dit, jusqu’à ce jour, pas même le Président Macron, « guerre de libération algérienne » ni « guerre d’indépendance algérienne ». Dès lors, quand K. Daoud parle de « guerre d’Algérie » dans le NYT, son discours et sa conception reflètent quelle vision, et donc position idéologico-politique, autrement dit servent quels intérêts ?… Ceux de la vérité historique ? Ceux du peuple algérien ?

L’emploi de l’expression « guerre d’Algérie » par K. Daoud, soit elle a été bien réfléchie par un journaliste et écrivain qui sait employer son cerveau correctement, et, alors, elle n’exprime que la formulation impérialiste de ce fait historique ; soit, il s’agit d’une expression pas suffisamment méditée par l’auteur, et, donc, qu’en est-il de l’effort de clarification historico-sociale qui devrait caractériser tout journaliste et écrivain digne de ces attributions ?

À ce sujet, examinons l’article. K. Daoud déclare : « Je n’ai pas connu la guerre, mais elle a été présente dans mon imaginaire. Par la voie de mes parents et proches et de leurs discussions, et par la voie de l’État : l’école, la télévision, les fêtes officielles et les discours politiques. »

K. Daoud n’a-t-il donc pas, comme d’autres personnes de son âge, connu ou entendu parler d’aucun authentique combattant (et combattante) de la guerre de libération ? Et n’a-t-il pas lu des témoignages publiés par certains d’autres eux ?

K. Daoud ajoute :

« Quand j’étais enfant, l’une des façons de faire rire autour de soi était de moquer les vétérans de guerre et leur propension à exagérer ou inventer leurs faits d’armes passés pour bénéficier de privilèges au présent. On sentait dès l’école qu’il y avait mensonge. Cette intuition était confortée par nos parents qui nous parlaient de faux moudjahidines — de faux anciens combattants — de plus en plus nombreux à réclamer des droits, et aussi par le spectacle des injustices induites par ces droits : accès privilégié au logement et à l’emploi, détaxes, protections sociales spéciales et autre. »

Décidément, l’enfant K. Daoud n’a entendu parler, de la part de ses « parents » que d’une catégorie de « vétérans de guerre » qui faisaient « rire » par leur « propension à exagérer ou inventer » ou à avoir un « accès privilégié ». Quant aux combattants de la guerre de libération qui ont courageusement affronté les tortures ou la mort et qui, après l’indépendance, ont simplement considéré avoir accompli leur devoir de citoyen désirant sa propre dignité, selon ses dires, K. Daoud n’en a jamais entendu parler de la part de ses parents. Que penser, alors, de ce genre de parents qui, eux, au contraire de leur enfant Kamal, ont connu la guerre de libération nationale ?

Présenter la guerre de libération nationale algérienne, en l’appelant « guerre d’Algérie », et en la réduisant à des « vétérans » risibles, imposteurs et profiteurs, est-ce acceptable de la part d’une personne définie comme journaliste et romancier (laissons de coté le fait qu’il soit algérien) ?… Considérons à présent le journal NYT. Publierait-il l’article d’un auteur qui se baserait uniquement sur des racontars de parents et de proches ainsi que sur la propagande étatique, pour définir la guerre états-unienne d’indépendance anti-coloniale seulement comme « guerre d’Amérique », avec principalement un ramassis de « vétérans », risibles, imposteurs et profiteurs, parce que l’auteur de l’article n’a connu que ce que ses parents, ses proches et une propagande étatique lui ont dit sur ce fait historique ?

K. Daoud conclut :

« Je fais donc partie de cette génération pour qui la mémoire de la guerre d’Algérie — et selon les manuels scolaires, son million et de demi de martyrs algériens — est marquée par la méfiance. Nous avons grandi convaincus qu’il s’agissait désormais d’une rente et non plus d’une épopée. »

Lire ces mots de la part d’un jeune algérien manquant de culture, d’instruction et de connaissances historiques peut être compréhensible. Mais est-ce le cas quand il s’agit d’une personne qui écrit dans des journaux algériens et new-yorkais, sans parler de la publication de deux romans ?… Sa « méfiance », – légitime -, pourquoi ne l’a-t-elle pas porté à connaître l’histoire réelle, pour distinguer et séparer le vrai du faux, savoir où est la « rente » et où est l’ « épopée » ? où sont les faux et les vrais combattants de la guerre de libération ? Où est la propagande étatique et la vérité historique ?… De la part d’un journaliste et écrivain digne de ce nom, ce genre d’étude, de recherche et de discernement ne sont-ils pas une obligation absolue ?… Par conséquent, ne voir qu’un aspect de la guerre de libération, à savoir ses représentants « risibles », imposteurs et profiteurs, autorise-t-il à ignorer et à rejeter l’aspect positif d’épopée que fut la guerre de libération algérienne, comme toute autre guerre de libération nationale, en dépit de ses errements et de ses carences ?… Dès lors, de la part d’un intellectuel, occulter l’aspect positif d’un fait historique, comment le caractériser ?… Ignorance ?… Mais, alors, est-on un intellectuel digne de ce nom ? L’autre hypothèse serait de connaître la vérité mais l’occulter. Qui en serai, alors, le bénéficiaire ?… Est-ce la vérité historique ? Est-ce le peuple algérien ? Sont-ce les lecteurs de l’article de K. Daoud ? Ou, plutôt, tous ceux qui veulent ternir, salir, stigmatiser, ridiculiser et s’esclaffer de rire en évoquant la « guerre d’Algérie » (ou toute autre guerre de libération nationale), en la (les) réduisant à des individus imposteurs et profiteurs, parce que, voyez-vous, c’est ce que mes « parents » et mes « proches » m’ont dit. Est-ce ainsi qu’un article doit décrire l’histoire réelle d’un fait historique ?… Il est vrai que le NYT est un journal « prestigieux », pour ceux qui ignorent qu’il est la propriété des membres de l’oligarchie impériale états-unienne. (fin partie 1)

De la mémoire (3)

Souvenons-nous. En décembre 2017, le Président français E. Macron, dans un bain de foule à Alger, déclara à un jeune qui l’interpella sur le passé colonial : « Mais vous n’avez jamais connu la colonisation ! Qu’est-ce que vous venez m’embrouiller avec ça ? »… Que dit K. Daoud dans son article ?… « Aujourd’hui, la France d’Emmanuel Macron — un président qui, comme moi, n’a pas connu cette guerre » ; et, ailleurs, le même Daoud dénonce le fait de « ressasser sa mémoire coloniale ». Notons les verbes : Macron (« embrouiller »), Daoud (« ressasser »), et leur signification sémantique concernant l’une des guerres de libération nationale les plus importantes du siècle passé.

Si l’on comprend bien la « logique » de Macron et de Daoud, une personne qui n’a pas connu une guerre ne devrait pas s’en sentir concerné, parce que ce conflit appartient au passé (ou, pourquoi pas, au présent). Cependant, la richesse de la France dans laquelle vit Macron n’est-elle pas, aussi et en partie, le résultat des entreprises coloniales de son pays ? Et la situation de Daoud, comme journaliste et écrivain non colonisé, n’est-elle pas, elle aussi et en partie, la conséquence d’une guerre de libération nationale ?

Le même Président français déclara : « Votre génération doit regarder l’avenir ». Et que dit K. Daoud dans son article ?… « il est aussi nécessaire aux décolonisés de dépasser le passé, et assumer leur présent, avec sincérité. »… On estimera que K. Daoud a la « liberté individuelle » de refléter la vision du Président français. Soit ! Mais que penser de cette coïncidence d’identité de vue, au point de quasi paraphraser les déclarations du Président français ?… S’étonnerait-on, alors, du fait que lors de sa visite à Alger, ce même Président invita à déjeuner, à Alger, entre autres « personnalités » de l’ « opposition », Kamel Daoud ?… Et devinez quelle photo accompagne l’article de K. Daoud dans le NYT ?… Une splendide photo du Président Macron, tout sourire et tendant amicalement la main à des Algériens, eux aussi tout sourire, lors de son fameux bain de foule à Alger.

Venons à la reconnaissance de ce Président au sujet de l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française. Concernant ce dernier, K. Daoud écrit aux lecteurs états-uniens : « Maurice Audin, un jeune communiste français ». Est-ce la vérité ?… La voici : plus exactement, Maurice Audin, bien que de souche française, ne fut pas membre du parti communiste français, mais algérien, et c’est en tant que militant de cette organisation qu’il a combattu l’armée coloniale française. Encore une fois, le vocabulaire de K. Daoud n’est-il le reflet direct de celui de l’oligarchie française ? C’est elle qui parle de « communiste français », occultant l’algérianité assumée par Maurice Audin.

À ce sujet, notons cette coïncidence. K. Daoud note, justement, ceci : « les islamistes salafistes ou les islamistes sans mandat politique direct insistent plutôt sur le fait qu’Audin était communiste et athée ». Ainsi, est occultée l’algérianité de Maurice Audin. Quel est, alors, le vocabulaire de K. Daoud ? Il présente Audin comme « français », reflétant ainsi le vocabulaire de l’oligarchie française. Il est vrai que plus loin, K. Daoud émet cette réserve : « Français ou non ». Mais, pourquoi pas : « Français ou Algérien » ?… Ce genre d’expression n’est-il pas, de la part de K. Daoud, identique à celui des salafistes qui nient l’algérianité de Audin ?

Revenons au Président Macron. K. Daoud parle de « son miracle de self-made-man politique »… Une personne soucieuse de vérité, encore plus si elle se prétend journaliste, trouvera autre chose. Ceci : « La subite apparition d’un nouveau parti politique, En Marche !, sur la scène électorale française, et la candidature de son président, Emmanuel Macron, à la présidence de la République ne doivent rien au hasard. Les partisans de l’alliance entre la classe dirigeante française et les États-Unis n’en sont pas à leur coup d’essai. » (4)

Quant à la mémoire de tous les méfaits commis par le colonialisme non seulement en Algérie mais sur la planète, à propos de la reconnaissance par le Président E. Macron, non pas de ces crimes contre l’humanité, mais uniquement de la torture puis l’assassinat du combattant algérien pour l’indépendance, Maurice Audin, K. Daoud écrit : « « J’avais du mal à trouver des mots sincères. Je voulais saluer le courage de la déclaration mais sans pour autant m’enfermer dans le rôle du décolonisé qui ne fait que ressasser sa mémoire coloniale et attendre des excuses (5). Je voulais à la fois honorer le passé et affirmer ma liberté vis-à-vis de lui. »

De quelle « liberté » s’agit-il ?… Celle de ne voir dans le passé que des faux combattants de guerre « risibles », imposteurs et profiteurs ?… Élargissons l’examen. Quand l’exigence de reconnaissance (n’allons pas jusqu’aux excuses) est exprimée par les peuples autochtones d’Amérique en ce qui concerne le génocide de leurs ancêtres, par les peuples d’Afrique en ce qui concerne leur esclavage dans les plantations états-unienne, par le peuple chinois en ce qui concerne les méfaits de l’armée impériale fasciste japonaise notamment dans la ville de Nankin, par le peuple japonais en ce qui concerne les deux bombardements atomiques sur des villes (non militaires), les peuples colonisés en ce qui concerne ce que les envahisseurs leur ont fait subir,… ce genre d’exigence, est-ce donc uniquement « ressasser sa mémoire » ?… Parler ainsi, n’est-ce pas là le discours précisément de toutes les oligarchies ayant commis des crimes contre l’humanité, et refusant jusqu’à aujourd’hui de les admettre ?… À une seule exception, – il faut le noter – du crime contre l’humanité que fut la « solution finale » nazie contre les Juifs ; ce crime a été non seulement reconnu par l’État allemand succédant au nazisme, mais des dédommagements financiers furent concédés aux descendants des victimes ; plus encore, une majorité des oligarchies européennes vont jusqu’à justifier les crimes de l’armée israélienne contre le peuple palestinien par le fait que le peuple juif fut victime d’un holocauste. Encore une fois, est-il juste que le peuple dit « juif » soit l’unique peuple à mériter reconnaissance, compensations financières et justification des crimes d’Israël ? Qui en a décidé ainsi ? Et dans quel but ?

Précisons, cependant, qu’en 2001, le Parlement français a reconnu officiellement que l’esclavage et la traite des Africains étaient un « crime contre l’humanité », et a consacré le 10 mai à leur souvenir. En 2007, pour la première fois, l’État U.S. de Virginie a admis sa responsabilité et a demandé les excuses pour l’esclavage des Africains et pour « l’exploitation des natifs Américains ». Et le colonialisme planétaire, quand sera-t-il reconnu, sans parler non pas d’excuse mais d’indemnisations pour les destructions humaines, matérielles et culturelles conséquentes ?… S’agit-il là seulement de « ressasser la mémoire » ?… Toute réconciliation, que ce soit entre individus ou entre peuples, ne nécessite-t-elle pas au moins la reconnaissance des torts commis, pour ne pas parler d’excuses et de dédommagements matériels ?… Quand le poète martiniquais Aimé Césaire écrit : « Combien de sang dans ma mémoire », est-ce qu’il « ressasse » ?

(page d’illustration)

Destinataires.

Quand le NYT publie un article de K. Daoud, à qui s’adresse-t-il principalement ?… Aux lecteurs des États-Unis (dans la version anglaise). En leur présentant une « guerre d’Algérie » (et non une guerre de libération nationale anti-coloniale), « risible », dominée par des imposteurs et profiteurs, favorisés par un « régime », quel est le but poursuivi par ce journal ?… Sachant que son éditeur en chef n’est pas un idiot amateur, mais sait ce qu’il fait, que ce journal est la propriété de membres de l’oligarchie impérialiste états-unienne, et qu’il a, par conséquent, toujours défendu leurs guerres d’agression, quelle conclusion s’impose ? Un tableau si méprisable de la guerre de libération nationale algérienne, en outre fourni par une personne présentée comme écrivain non pas états-unien, mais algérien et vivant en Algérie, ce genre de tableau ne prépare-t-il pas les lecteurs du journal NYT a justifier une éventuelle guerre de l’armée états-unienne pour offrir à l’Algérie, selon les dires de K. Daoud dans l’article concernant ses « engagements », les « libertés individuelles », combattre un « régime incapable de transition » et la « montée de l’islamisme », avec les résultat déjà constatés en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie ?… Et demain en Algérie, parce que ce dernier pays, malgré ses tares, n’a pas consenti à s’abaisser au misérable rôle de marionnette de l’hégémonie impériale ?… Toute guerre d’agression se prépare par des mots dans des organes dit d’information, faut-il le rappeler ? Et faut-il rappeler, aussi, que ces mots sont plus efficaces si ce ne sont pas les agresseurs qui les prononcent, mais des membres du peuple à agresser, vivant en son sein ?… Autrement, pourquoi, l’article de K. Daoud, tel que publié dans le NYT, commence par « ORAN, Algérie » ?

Culpabilité ou dette de reconnaissance ?

K. Daoud écrit: “On me faisait sentir coupable de n’être pas né plus tôt pour pouvoir faire la guerre. »… Quelle est l’identité précise de ce « on » ? La propagande étatique officielle ?… Et comment expliquer la contradiction suivante ? D’une part, K. Daoud affirme n’avoir connu de cette guerre que des aspects risibles, de vantards et profiteurs ; cependant, d’autre part, il s’est trouvé des « on » qui lui reprochaient de n’avoir pas participé à cette farce honteuse.… Peut-on culpabiliser une personne pour n’avoir pas été membre d’une imposture ?

Autre considération. Dans son excellent témoignage « Se questo è un uomo », Primo Levi, qui fut interné en camp de concentration, parla d’un sentiment étrange de culpabilité : celui d’avoir survécu à ses compagnons d’infortune. Primo Levi n’eut pas besoin de « on » pour le culpabiliser. La noblesse de sa conscience humaine, basée sur la solidarité avec les victimes, lui a suffi pour éprouver ce sentiment de culpabilité. Le porta-t-elle finalement au suicide ? Seul, lui le savait.

En ce qui me concerne, personne ne m’a fait « sentir coupable » de n’avoir pas participé à la guerre de libération nationale algérienne. Bien qu’enfant, j’ai cependant participé aux manifestations populaires patriotiques. Et j’ai regretté, sans avoir subi nulle pression, de ne pas être monté au maquis. Nous fûmes quelques uns, au lycée, à le proposer. Un dirigeant de la lutte vint nous dire : « Merci pour votre dévouement. Mais l’indépendance arrivera bientôt. Vous serez plus précieux au pays en lui fournissant par la suite vos connaissances. » Aussi, je n’ai éprouvé aucun sentiment de culpabilité, et je n’ai jamais connu des « on » qui me reprochèrent ce comportement.

Par contre, j’ai eu et je conserverai jusqu’à ma mort un sentiment de dette envers les compatriotes qui avaient sacrifié leur vie afin que je puisse être affranchi de ma condition de colonisé. Et je me considérerais un ingrat si je ne transmets pas ce sentiment de dette à mes enfants et aux autres enfants (6). Et cette dette ne s’arrête pas aux combattants de la guerre de libération nationale algérienne ; elle remonte aux premiers êtres humains qui, sur cette planète, ont combattu pour leur dignité, leur liberté et leur solidarité, en nous transmettant la mémoire de leurs luttes pour continuer à réaliser ce qui est le plus noble idéal de l’humanité. Ce devoir de dette ne se manifeste-t-il pas symboliquement chez tous les peuples du monde, par la commémoration annuelle de leur libération d’une domination étrangère, ou d’une domination oligarchique (fête internationale des travailleurs, le 1er mai) ?

K. Daoud écrit encore : « Reconnaître le crime [concernant Maurice Audin] c’est donc, pour le gouvernement français, enrayer le geste de ceux qui voudraient lancer ce passé [colonial] comme un cocktail Molotov dans le présent. »… Ainsi, reconnaître le passé colonial ne serait rien d’autre ? Ce langage n’est-il pas celui des membres de l’oligarchie coloniale et néo-coloniale ?… Comparaison n’est pas raison, dit-on. Mais, à ce sujet, vient en mémoire un fait. Voici quelques jours, une municipalité de Los-Angeles a décidé de déboulonner une statue de Christophe Colomb, désormais considéré comme une personne ayant commis des crimes contre l’humanité envers les populations autochtones d’Amérique. Il s’est trouvé quelques journalistes espagnols pour protester contre ce qu’ils considéraient comme inacceptable. Il est vrai que ce colonisateur a considérablement enrichi l’oligarchie espagnole de l’époque et que, d’une certaine manière, cette richesse continue à profiter à ces « journalistes » espagnols contemporains. Par contre, des représentants d’Amérindiens ont applaudi à ce qu’ils estiment être enfin un acte de reconnaissance de crime contre leurs ancêtres.

Ce fait permet de répondre à la question que K. Daoud se contente de poser : « Mais pour moi, pour nous ? Que doit faire le décolonisé quand il obtient les excuses de l’ex-colonisateur ? »… Mais il serait, enfin, décolonisé dans le domaine historique, parce qu’il verrait, enfin, les descendants de ses colonisateurs renier l’image qu’ils s’étaient confectionnée du colonisé : un « barbare » et un « fainéant » tout juste à coloniser, pour le « civiliser » et, pour cela, tenter de l’exterminer par des massacres collectifs, et, en cas de résistance, comme en Algérie, le réduire à une masse d’ « Arabes » et de « Kabyles » expropriés de leurs terres et condamnés à « suer du burnous » pour leurs « bienfaiteurs » coloniaux.

K. Daoud conclut : « Audin est enfin reconnu comme victime de torture et sa mort comme un crime. Très bien. Mais s’il est nécessaire pour le colonisateur de sortir de la mémoire coloniale avec honneur, il est aussi nécessaire aux décolonisés de dépasser le passé, et assumer leur présent, avec sincérité. »… Les déclarations du Président Macron, concernant Maurice Audin et le colonialisme en Algérie, suffisent-elles pour parler d’ « honneur » à leur propos ? Le reste serait donc insignifiant ? C’est-à-dire la destruction d’une entière société dans ses structures matérielles et culturelles, et la tentative de lui appliquer la « solution indienne », c’est-à-dire l’éliminer pour la remplacer par des colons français, sans parler des méfaits commis par l’armée française durant la guerre de libération nationale algérienne.

Quant aux décolonisés, « dépasser leur passé », consiste-il à le présenter comme une guerre uniquement finie en objet de « rire » et de « rente », sans rien d’autre ?… Et « assumer leur présent, avec sincérité » consiste-t-il uniquement à évoquer les « libertés individuelles », le « régime incapable de transition » et la « montée de l’islamisme » ?… Sont-elles donc insignifiantes la domination-exploitation du peuple algérien par l’oligarchie régnante, d’une part ? Et, d’autre part, la menace de plus en plus pressante de l’alliance des oligarchies impérialiste U.S.-britanique-française-israélienne pour réduire l’Algérie à ce qu’elle a fait des autres pays du Moyen-Orient (sans oublier le Maroc), à l’exception de la Syrie de l’Iran et du Yémen ?

Revenons en détail à ce que K. Daoud définit comme étant ses « engagements ».

Libertés individuelles.

Précisons d’abord l’origine de l’expression. Elle fut formulée par les partisans du « libéralisme », d’où le terme. Il s’agissait concrètement d’abord du fameux « laissez faire, laissez aller » en matière économique, base fondamentale du capitalisme. La bourgeoisie naissante avait besoin de disposer de toutes les libertés possibles (d’expression, d’association) pour vaincre l’aristocratie féodale. Par suite, les victimes de la conception « libérale » s’aperçurent que la « liberté individuelle » dont il était question était celle du détenteur de richesses (de capitaux) en vue d’exploiter ceux qui ne possédaient que leur force de travail, pour les « traire » comme une vache et en tirer le maximum de profit. Par conséquent, la « liberté individuelle » en question était et demeure celle d’une minorité d’assoiffés de profit financier au détriment de la majorité des autres ; cette « liberté » excluait toute solidarité entre les êtres humains. La preuve : dans tous les pays dits « libéraux », à présent que l’oligarchie bourgeoise capitaliste domine, et veut maintenir sa domination, les « libertés individuelles » sont de plus en plus supprimées dans les pays « libéraux ». Motif déclaré (propagandiste) ?… Auparavant, lutter contre le « communisme » ; à présent, « combattre le terrorisme islamique ». Dès lors, revendiquer des « libertés individuelles » sans en préciser le contenu concret, c’est dans le meilleur des cas une stupide platitude, dans le pire une manipulation.

En voici la raison. Si les « libertés individuelles » ne sont pas considérées en relation avec la solidarité collective, que sont ces libertés sinon l’expression de l’égoïsme arrogant d’une caste méprisant le peuple, et s’alliant à d’autres castes hégémoniques dans le monde ?… En effet, les « libertés individuelles » existant dans les pays soit disant « démocratiques » et « libéraux » ont-elles permis à leurs citoyens du bas de l’échelle sociale de bénéficier de la liberté de mieux vivre : avec un salaire plus juste, une sécurité sociale convenable dans la vieillesse, un système de santé plus accessible, un habitat plus vivable, un accès à l’instruction et à la culture plus émancipateur, enfin, un sentiment de justice empêchant leurs armées d’agresser et de massacrer d’autres peuples de la planète ?… Quant à la liberté de la presse, à la liberté syndicale, à la liberté de critiquer le régime capitaliste, à la liberté de lutter pour l’abolir et le remplacer par un système social plus juste, ne constate-t-on pas que dans tous les pays « libéraux », sans aucune exception, ces libertés sont de plus en plus niées et réprimées, à mesure que le système capitaliste mondial est en proie à des crises économiques et sociales, donc perd sa légitimité consistant à prétendre qu’il agit pour le « bien de l’humanité » et qu’il n’y a pas d’alternative meilleure ? (fin partie 2)

Régime.

Concernant le « régime incapable de transition » en Algérie, cette constatation n’est-elle pas vague, ressemblant à du langage diplomatique codé ? Un journaliste compétent et honnête ne devrait-il pas mentionner vers quel type de système socio-politique doit aller cette transition ?… Il est vrai que lorsqu’on écrit sur un journal comme le NYT, il faut veiller à ne pas « déranger » le vocabulaire employé, et surtout ne jamais appeler un chat, un chat, et un fripon, un fripon.

Mais si, par « transition », K. Daoud (et d’abord l’éditeur du NYT) sous-entend le mot « démocratie », il y a risque. Certains lecteurs avertis savent que, déjà, l’ex-Président Bush Jr., l’ex-premier ministre Tony Blair et l’ex-Président Sarkozy (sans parler de Bernard Henri-Levi) avaient promis la « démocratie » aux peuples d’Afghanistan, d’Irak et de Libye, avec les résultats constatés. Bien entendu, ces « personnalités » ne pouvaient pas déclarer de manière publique, franche et cynique : « En réalité, nous agressons les pays pour nous emparer de leurs territoires et y établir des bases militaires pour d’autres agressions, pour mettre la main sur des ressources naturelles notamment le pétrole et le gaz, afin de renforcer nos industries et nos armées, enfin pour exploiter la main-d’œuvre locale ; seulement ainsi les oligarchies, qui ont permis notre élection et les privilèges dont nous jouissons, maintiendront et augmenteront leurs richesses ». Ne reste-t-il pas donc à K. Daoud à préciser la « transition » qu’il souhaite ? Se limite-t-elle aux deux des thèmes qui composent ses « engagements » : « libertés individuelles » et pas d’ « islamisme » ?… Nous avons déjà dit que l’Algérie, plus exactement son peuple, n’a pas que ces deux exigences.

Islamisme.

Concernant, la « montée de l’islamisme », si, là aussi, ne sont pas nommés qui en ont été et demeurent les initiateurs réels de ce phénomène, fait-on du journalisme compétent et honnête 

Toute personne qui s’informe correctement sur internet sait que l’islamisme politique (salafiste et des Frères Musulmans), ainsi que l’islamisme terroriste (des organisations islamistes militaires), dans tous les pays du monde, dont l’Algérie, cette personne donc connaît désormais ses créateurs, ses financiers et ses soutiens : les oligarchies impérialiste U.S., néo-coloniales anglaise et française, colonialiste israélienne, ainsi que leurs sous-traitants : les oligarchies saoudienne et qatarie.

Ne pas porter ces précisions, en se contentant de dénoncer la « montée de l’islamisme », comme on le lit dans l’article de K. Daoud, c’est exactement ce que la propagande officielle des oligarchies mentionnées ci-dessus déclare. Après avoir créé cet « islamisme » pour déstabiliser les États récalcitrants à leurs visées hégémoniques, ces oligarchies prétendent le combattre. Or, désormais, en Syrie, les masques sont tombés : ce sont l’armée syrienne étatique, avec le soutien de la Russie, du Hezbollah libanais et de militaires iraniens qui combattent les organisations terroristes islamistes, tandis que les corps spéciaux des armées états-unienne, anglaise et française collaborent sur le terrain (en envahissant illégalement le territoire syrien) avec ces organisations islamistes, présentées comme « démocrates » (bien entendu !). La région d’Idlib en est la preuve la plus évidente : l’armée syrienne et ses collaborateurs russes ne peuvent pas éliminer les organisations terroristes qui s’y trouvent pour un seul motif : elles sont protégées par ceux-là même qui déclarent officiellement combattre l’ « islamiste » radical.

Bien entendu, l’organe de l’oligarchie impériale, le NYT, ne peut qu’accueillir toute version qui prétend combattre la « montée de l’islamisme », précisément en la liant à l’existence d’un « régime incapable de transition ». Et la présenter par la voix d’une « personnalité » algérienne est une excellente tactique propagandiste. À payer à prix d’or ! L’argent étant le nerf de toute entreprise, surtout quand elle est rapace et vile.

Lier l’ « islamisme » et un « régime » est une tactique propagandiste connue. L’exemple le plus significatif fut, par les propagandistes états-uniens, d’associer Al-Qaïda avec le régime de Saddam Hussein, certes dictatorial mais laïc ! Joseph Goebbels, le spécialiste en propagande, affirma : « Plus le mensonge est gros, plus il a de chance d’être cru ». Et certains y ont cru.

En outre, en évoquant la « montée de l’islamisme », fait-on preuve de déontologie journalistique en ne fournissant pas d’autres informations, qui complètent la situation ?… Celles-ci. Dans les pays occidentaux, notamment aux États-Unis, la montée des sectes évangéliques chrétiennes politiquement néo-conservatrices, donc en faveur des agressions impérialistes, et en Israël celle des intégristes juifs qui veulent l’extermination des Palestiniens pour réaliser le « grand » Eretz Israël, promis par leur Dieu au « peuple élu ».

Certains objecteront que le phénomène islamiste se manifeste de manière plus cruelle et plus brutale, d’où l’insistance à le condamner. Question : les manifestations bruyantes et violentes des islamistes, ainsi que les égorgements spectaculaires de prisonniers par les organisations islamistes, diffusés en vidéo, sont-ils plus cruels et plus barbares que les massacres de populations civiles par les bombardements des armées états-unienne, anglaise et française ?… Certes, il est vrai que les évangélistes chrétiens et les intégristes juifs agissent de manière discrète, et que les résultats des bombardements sont soigneusement occultés à l’opinion publique. Mais un journaliste compétent et honnête peut-il en être dupe, à moins de complicité ?

Je vous serais reconnaissant de démontrer aux lecteurs, d’un journal algérien ou français ou dans le NYT, l’inconsistance de mes arguments et mes propres errements, éventuellement en mettant en évidence leur aspect « islamiste », de voix du « régime », de « décolonisé » qui « ressasse sa mémoire » ou tout ce qui vous semblera utile. À moins de juger cette contribution citoyenne au débat indigne de mériter une clarification.

Adresse.

Qu’il soit permis de la formuler à l’auteur de l’article qui vient d’être discuté.

Après ce que vous avez admis concernant vos errements de première jeunesse dans la nébuleuse islamiste du Front Islamique du Salut, – ce qui est à apprécier -, n’êtes-vous pas, à présent, en errements dans la nébuleuse idéologique de leurs mentors états-uniens et français, en bénéficiant, cette fois-ci, des privilèges qui vont avec : une certaine gloire médiatique et, bien entendu, des rétributions financières pour vos écrits de journaliste et de romancier ?

Ignorez-vous que le NYT vient de se distinguer par une fake news ?… Elle fut révélée dans The Nation, un journal états-unien qui n’appartient pas, lui, à l’oligarchie états-unienne, et par un journaliste d’investigation (celle authentique) Tim Shorrock. L’article s’intitule « Comment le New York Times a trompé l’opinion à propos de la Corée du Nord », dans le but de manipuler les citoyens états-uniens pour une éventuelle agression contre ce pays (7). Bien entendu, la Corée du Nord est considérée par l’oligarchie états-unienne, pour employer votre langage (mais n’est-ce pas, d’abord, celui de cette oligarchie ?), un « régime incapable de transition ». Soit !… De quel droit une armée étrangère devrait opérer cette « transition », et non son propre peuple ?… N’avons-nous pas, déjà, les exemples de la manière dont des « régimes incapables de transition » ont été traités par les oligarchies états-unienne-anglaise-française en Afghanistan, Irak, Libye et ont tenté de faire en Syrie ?

« Errare humanum est, perseverare diabolicum » (L’erreur est humaine, l’entêtement [dans son erreur] est diabolique).

Il semble que vous n’avez pas seulement persévéré à errer de la nébuleuse islamiste à celle de leurs mentors oligarchiques occidentaux. Vous avez manifesté une autre double errance. La première fut votre article concernant les faits de Cologne. Vous vous êtes empressé, dans un journal bien entendu d’une oligarchie occidentale, « Le Monde », à dresser un tableau des jeunes algériens comme des obsédés sexuels. Vous affirmez : « Le sexe est la plus grande misère dans le ‘‘monde d’Allah’’ »… Ce n’est donc pas l’exploitation économique (avec sa corollaire, la domination politique) qui est à la base de la misère sexuelle, quelque soit la société considérée, et la religion qui y domine ?… Il est vrai que les personnes qui ne souffrent pas d’exploitation économique peuvent considérer leur sexualité frustrée comme « la plus grande misère », mais pas seulement dans le « monde d’Allah ».

À présent, dans le NYT, vous avez traité la guerre de libération de phénomène risible d’imposteurs profiteurs.

Or, quelle est l’une des caractéristiques de ce qu’on appelle la propagande, autrement dit les fausses informations visant à manipuler l’opinion publique pour servir une oligarchie dominante (et payante) ?… C’est l’extrapolation. Elle consiste à partir d’un fait relatif (réel ou supposé) pour en déduire une généralisation outrancière, ni logique, ni raisonnable, qui condamne une totalité dans son ensemble.

Deux exemples. La propagande nazie, partant du fait que quelques banquiers allemands étaient de religion juive, fit croire que tout Juif est un un financier véreux, donc que tout le peuple juif est obsédé par l’accumulation financière au détriment des autres peuples. Résultat ?… La solution finale des chambres à gaz. La propagande coloniale française, partant du fait que des résistants algériens employaient le couteau ou la bombe artisanale comme arme, parce qu’ils ne disposaient pas de mitraillettes ni de chars ni d’avions, décréta que les Algériens sont une race de « barbares cruels » (occultant la cruauté infiniment plus barbare des bombardements au napalm de l’armée coloniale française).

Et vous, quel fut votre « raisonnement » concernant les événements de Cologne, puis la guerre de libération nationale algérienne ?… Partant de quelques viols attribués à des jeunes Algériens (que le tribunal allemand reconnut, ensuite, comme infondés), vous avez évoqué le problème des frustrations sexuels (réels) en Algérie, pour laisser entendre que tout Algérien en Europe est un violeur en puissance. Cela est, de toute évidence, une fausseté. Mais c’est une musique qui sonne très bien dans les oreilles fascistes et racistes occidentales… Puis, avec votre article sur la guerre de libération nationale, vous partez des dires de vos « parents » et « proches » (comme s’ils représentaient la vérité historique objective), puis d’un fait réel (des faux moudjahidines) pour laisser croire que la guerre de libération nationale est un « passé » qui n’a donné comme résultat en fin de compte qu’un ramassis de profiteurs. Là, encore, cela ne correspond pas à la vérité historique. Mais c’est une musique pour les oreilles de l’éditeur du NYT. Et cet éditeur, avec vous, a fait mieux qu’avec la fake news concernant la Corée du Nord. Alors qu’au sujet de ce pays, le NYT publia l’article d’un journaliste états-unien, David Danger, connu pour ses liaisons avec la CIA, avec vous, concernant l’Algérie, le NYT a eu le coup de « génie » de faire écrire un Algérien, en prenant la précaution de commencer l’article par son lieu de résidence : « ORAN, Algérie ».

Si la fake news concernant la Corée du Nord a comme but évident de préparer l’opinion états-unienne à une agression contre ce pays parce que c’est un « régime incapable de transition », (comme, auparavant, le même « argument » de propagande fut employé pour préparer l’opinion états-unienne à l’agression contre l’Irak), quel est donc le but réel du même NYT en publiant votre « information » sur la guerre de libération nationale algérienne ?

Dès lors, « sincèrement », comme vous l’écrivez, êtes-vous certain d’être, pour votre part, un « décolonisé », non seulement dans votre « imaginaire », mais dans vos écrits ? Et que vos déclarations servent le peuple algérien, et non les oligarchies néo-coloniales (européennes, dans le cas de Cologne) et impérialiste (à propos de la guerre de libération nationale algérienne) ?

Je vous serais reconnaissant, et probablement également les lecteurs qui vous défendent en croyant à la sincérité et à la bienfaisance de vos engagements, de répondre à cette contribution, pour en réfuter, invalider ou nuancer l’argumentation ; ainsi, vous montrerez que vos engagements, tels que définis par vous, sont réellement en faveur du peuple algérien, et non de ceux qui voudraient encore une fois lui faire « suer le burnous ». à

Enfin, pourquoi ne pas ajouter à vos « engagements » la dénonciation de la mentalité harkie (économique, politique et « intellectuelle »). Ne continue-t-elle pas à exister sous une forme nouvelle, correspondante à la période néo-coloniale et impérialiste ? En proposant vos articles aux journaux Le Monde et The New York Times ?… À moins de nier l’existence de ce néo-harkisme, pour le présenter comme une « libre » défense des fameuses « libertés individuelles », de « combat contre l’islamisme » et contre un « régime incapable de transition ».

Approfondir.

Les lecteurs qui souhaiteraient enrichir ces considérations pourraient lire ou relire « Peaux noires, masques blancs » de Frantz Fanon, « Portrait du néo-colonisé » d’Albert Memmi, « Les chiens de garde » de Paul Nizan, « La trahison des clercs » de Julien Benda, et « Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi. On y découvrira ou on rappellera respectivement : que l’on peut avoir une peau noire tout en aspirant la voir blanche (par exemple, être algérien de peau basanée, tout en désirant avoir un « visage » ou masque « blanc », européen ou « occidental ») ; que pour être « dé »-colonisé, il faut encore ne pas devenir néo-colonisé ; que l’oligarchie sait toujours trouver les intellectuels qui la servent, tout en se réclamant d’idées généreuses telles que « liberté », «laïcité», « démocratie » ; que les personnes se présentant comme les intellectuels les plus « dérangeants » et les plus « sincères » peuvent, en réalité, trahir ces mêmes idéaux dont ils se parent, pour jouir d’une misérable gloire médiatique et d’un vile salaire de mercenaire ; qu’enfin la sincère sincérité n’a jamais été et ne sera jamais publiée dans les médias d’une quelconque oligarchie dominante, et donc exploiteuse, de cette planète, encore moins quand cette oligarchie manifeste concrètement et partout une ambition impériale.

Dès lors, il avait raison, Diogène dit le cynique : dans ma première pièce de théâtre, en janvier 1968, je l’avais représenté en tenant sa légendaire lanterne, en plein jour ; aux gens qui lui demandaient le motif de ce bizarre comportement, il répondait, selon les uns, « Je cherche un homme », selon d’autre « Je cherche la vérité ». Sacré Diogène !… Au puissant Alexandre le Grand, déjà conquérant impérialiste, qui vint le trouver en lui demandant : « Dis-moi ce que tu veux, et je te le donnerai », le vieux philosophe, modestement vêtu et étendu par terre tranquillement, lui répliqua simplement : « Enlève-toi de mon soleil. » Qu’est-ce donc que le soleil sinon la liberté authentique par rapport aux puissants du moment, qu’ils soient autochtones ou étrangers ? Et cette liberté ne se réduit-elle pas à forfaiture et privilège de caste, si elle n’est pas complétée par la solidarité égalitaire entre tous les êtres humains ? Et cette solidarité est-elle possible sans abolir le système capitaliste pour le remplacer par un autre qui assure cette solidarité ?… Lequel ? Aux citoyens de le trouver. Pour ma part, c’est l’autogestion sociale généralisée. J’y reviendrai.

Kaddour NAÏMI

[email protected]

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(1) Il est utile d’en lire le contenu ici : https://www.nytimes.com/2018/10/15/opinion/audin-macron-france-guerre-algerie-torture-crimes.html

(2) Le lecteur peut compléter la recherche en inscrivant au lieu de « Amérique » ou « America » respectivement « États-Unis » ou « United-States ».

(3) Pour ce thème, un ample développement se trouve dans mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?… »: PRÉMISSE ou droit de pensée et devoir de mémoire, Partie II. Mémoire, librement accessible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html

(4) Voir les détails ici : De la Fondation Saint-Simon à Emmanuel Macron, par Thierry Meyssan

http://www.voltairenet.org/article196012.html

(5) En passant, notons que le titre de l’article de K. Daoud, dans sa version anglaise sur le NYT est : « What to Do When Your Colonizer Apologizes ».

(6) J’en parle dans mon prochain roman « Grande-Terre, Tour A » ; j’ai, également, évoqué ce thème dans certaines de mes contributions précédentes dans la presse.

(7) Voir https://reseauinternational.net/comment-le-new-york-times-a-trompe-lopinion-a-propos-de-la-coree-du-nord-tim-shorrock/

Publié sur Le Matin d’Algérie (28.11.2018)


Lire aussi : Le New York Times peine à citer ses sources


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