

D’ESPOIRS EN DÉSENCHANTEMENTS, UN PAYS EN PLEIN DOUTE
LA DATE DES ÉLECTIONS REMISE EN CAUSE ?
Longtemps sevrés de démocratie, les Birmans dans leur majorité* entendent bien participer au rendez-vous électoral national de novembre, deuxième scrutin démocratique libre du demi-siècle écoulé. Certes, les contraintes sécuritaires prévalant dans certains États (Shan, Kachin, Chin ou Arakan) encore offerts aux hostilités entre l’armée régulière (la Tatmadaw) et certains groupes ethniques armés** ne permettront pas d’organiser en tout point du territoire (676 000 km²) l’élection législative de l’automne.
Certaines formations politiques de l’opposition, dont l’USDP, le parti pro-junte, mettent en avant les contraintes épidémiologiques du moment* pour interroger l’opportunité de maintenir les dates originelles du scrutin alors qu’une seconde vague épidémique s’empare de l’ouest du pays (Arakan) et de Rangoun. Ces forces politiques pourraient également inciter la Commission électorale de l’Union (CEU) à reporter sine die l’événement, en attendant un contexte médical plus propice à pareil rendez-vous national.
Mentionnons enfin – en y portant un crédit relatif – la suggestion émise mi-août* par trois partis mineurs proches de l’influente Tatmadaw de confier l’organisation du scrutin démocratique… à l’armée, en arguant que la partialité de la Commission électorale rendait impossible le déroulement libre et honnête de l’élection… Passons.
LA LND À L’HEURE DU BILAN
Triomphant* dans les urnes à l’automne 2015 à l’issue de la première élection démocratique de son histoire moderne, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), le parti fondé par The Lady, a alors pu composer le premier gouvernement civil depuis les années 1960, sans toutefois pouvoir confier la fonction suprême, la présidence de la République, à sa célèbre figure de proue, la faute à une disposition constitutionnelle sur-mesure (article 59 f) lui interdisant de briguer le poste**. Le long semestre qui s’écoula entre l’élection générale et l’entrée en fonction, en avril 2016, de l’administration démocratique, civile aux couleurs rouge, blanche et jaune de la LND, augurait sans doute déjà le poids des obstacles et la foultitude de limites qui se dresseraient sur sa route les quatre années qui allaient suivre.
Le gouvernement civil post-junte fut porté au pouvoir par un électorat enthousiaste, mais aux attentes déraisonnables – au regard notamment des compétences considérables réservées à l’armée par la Constitution de 2008*, à la coopération très limitée de cette dernière à la transition démocratique en cours, mais également de l’inexpérience totale de la LND en matière de gestion des affaires nationales – et pour cause. Ce gouvernement n’est guère parvenu à réaliser les miracles espérés, idéalisés par les 56 millions de Birmans. Aung San Suu Kyi elle-même, les fines mains plongées dans le cambouis politique national et les manches retroussées pour mieux œuvrer à la tâche, a rapidement pu mesurer le gouffre séparant l’espéré du possible. Il lui a fallu fort peu de temps pour prendre la mesure du peu de champ libre finalement laissé par une caste des généraux officiellement en retrait mais conservant une emprise considérable, bien au-delà des affaires sécuritaires, sur la gestion du quotidien de la nation. Lestée dès le départ par la « mauvaise volonté » du puissant patron des armées, bien décidé à ne pas faciliter la feuille de route de la « Dame » mais plutôt à la transformer en chemin de croix, la coopération entre le gouvernement LND et l’armée est restée à l’état d’espoir non concrétisé. Du côté du prix Nobel de la paix 1991, face à l’évidence du piège se refermant sans tarder sur ses frêles épaules, à l’exaspération a rapidement succédé la résignation ; et au succès espéré de son administration se substitua une pénible désillusion.
DES SURPRISES À « ANTICIPER » ?
Si ce principe de précaution – de bon aloi – laissait in fine de marbre les autorités et que des conditions peu ou prou normales, acceptables (« good enough », résument parfaitement les acteurs sur place…), finissaient par prévaloir, alors il semblerait possible de considérer les grands traits suivants : les élections sont organisées comme prévu* ; nouveau succès comptable de la LND mais en retrait de sa performance de 2015 ; progression notable dans les urnes de la myriade de partis ethniques (au détriment de la LND) ; légère progression ici encore de l’USDP (parti pro-junte) mais loin de ses attentes (décalées de la réalité) ; l’armée accepte le résultat de ce scrutin comme en 2015 et à l’inverse de 1990 ; la communauté internationale – peu présente en tant qu’observatrice du fait de la pandémie – considère le scrutin globalement libre et honnête et valide également le résultat. S’ouvre ensuite une interminable période (plusieurs mois a priori) avant l’entrée en fonction de la prochaine administration – un semestre entier s’était écoulé lors du scrutin de 2015 – et l’intronisation du gouvernement civil.
L’OMBRE DES GÉNÉRAUX
Une hypothèse qui, sans être aujourd’hui garantie en aucun cas, gagne pourtant, progressivement, irrésistiblement, en crédit. Une trame éventuelle qui toute constitutionnelle soit-elle, peinerait certainement à contenter un électorat épris de démocratie mais toujours exposé à une réalité plus rude, plus triste, celle de l’omniprésence, sinon de l’omnipotence démontrée des généraux.[/asl-article-text]
Par Olivier Guillard