La transparence et le contrôle en Algérie

28.06.2020

La transparence et le contrôle sont des éléments indispensables pour assurer la bonne gouvernance. Mais tous les deux font souvent défaut en Algérie.

D’où les dysfonctionnements et les autres maux qui caractérisent l’exercice de la politique et la gestion des administrations et des organismes publics.

     I- La transparence : le droit de savoir

1)- Caractéristiques de la transparence 

La transparence implique que tous les actes, qu’ils soient de nature politique, sociale, économique, commerciale ou financière se déroulent dans la clarté la plus absolue.

Ils obéissent en même temps à des règles, des procédures formulées dans des réglementations qui sont simples, compréhensibles et disponibles pour le public. L’accomplissement de ces actes s’accompagne d’explications, d’éclaircissements, de débats en cas de besoin.

Il doit laisser trace et donner lieu, d’une manière régulière, à l’établissement de données statistiques et de rapports qui font l’objet de diffusion. Il est important que les données statistiques constituent des séries continues, complètes et précises qui sont tenues à jour et couvrent de longues périodes. Il est préférable qu’elles débutent dans notre pays à partir de 1962 au moins, date de l’indépendance. Dans certains pays, des recherches sont faites dans les archives pour trouver des éléments qui contribuent à enrichir les séries statistiques et à les faire remonter dans le temps aussi loin que possible.

Les données statistiques et les rapports qui décrivent les activités exercées sont à diffuser sous forme de publications imprimées et d’enregistrements dans les sites internet. Ils sont utilisés par les responsables pour suivre l’évolution de l’exécution des différentes tâches et pour prendre les décisions en connaissance de cause. Ils sont en même temps mis à la disposition d’un large public comprenant des chercheurs, des universitaires, des étudiants, des journalistes et de simples citoyens qui s’intéressent à l’actualité, au passé et au futur de leur pays.

En outre, il est indispensable que les administrations, les institutions et les entreprises publient leur organigramme, le nom et les coordonnées des personnes à la tête des directions et des services.

La disponibilité d’un système d’informations variées, régulières, actualisées, fiables couvrant les différents domaines est devenue une nécessité. Elle constitue un instrument indispensable pour réaliser des analyses, des études, des prévisions. Elle permet de la sorte de préparer les actions à mener sur des bases solides et d’éviter donc les improvisations et l’incohérence des mesures définies sans références.
En Algérie, la revendication populaire est que les décisions de caractère politique ne soient plus combinées dans des conclaves, des cercles fermés, des réunions secrètes, dans l’opacité en fait.

Elles doivent être prises dans le cadre d’institutions fonctionnant dans la clarté et conformément aux pratiques démocratiques. Il est demandé également que la désignation des hauts responsables à la tête des services administratifs des institutions et des entreprises publiques se fasse en tenant compte des critères de compétence, d’intégrité et d’expérience.

L’opacité cache les négligences, les insuffisances, les défaillances, les fraudes, des actes répréhensibles en somme. La clarté protège contre ces phénomènes et évite toutes sortes de dérives. C’est pourquoi elle doit être appliquée dans la formulation des engagements dans la prise de décisions, dans l’exécution des opérations, etc. Elle se concrétise par la disponibilité de l’information, notamment sous forme de données statistiques et de rapports préparés conservés et diffusés avec soin et rigueur, comme cela a été déjà indiqué.

2)- L’Office nationale des statistiques (ONS)

C’est, à cet égard, l’un des rares organismes à collecter, à établir et à publier régulièrement des statistiques se rapportant aux différents secteurs d’activités et s’étalant sur de larges périodes. C’est là son rôle mais il l’accomplit avec compétence.
En conséquence, il convient de le doter de tous les moyens dont il a besoin, d’étendre ses prérogatives et de le mettre à l’abri des interférences pour qu’il continue à le faire en toute indépendance et pour qu’il puisse l’élargir.

3)- La Banque d’Algérie 

De son côté, cette dernière occupe une place particulière dans le suivi des activités économiques. Elle publie, chaque année, un rapport exhaustif qui comporte des indications riches et variées relatives à l’évolution économique, à la politique monétaire et de change, à l’activité bancaire, etc. Elle élabore aussi une note de conjoncture très utile et tient des statistiques concernant la masse monétaire et la balance des paiements. Il faut espérer qu’elle maintienne ses publications à jour et à la disposition de ceux qui en ont besoin, et ce, d’une manière régulière et en temps opportun.

4)- La Direction générales des douanes (DGD) 

Elle aussi publie régulièrement et sans retard des informations relatives à la balance commerciale. Ces informations détaillent les importations et les exportations effectuées pendant la période concernée en les accompagnant de comparaisons et de commentaires qui aident le lecteur à mieux suivre les évolutions.

5)- Le manque de transparence en matière de gestion des finances publiques notamment 

Les autres administrations et institutions ne semblent pas être nombreuses à suivre d’une manière détaillée leurs opérations, à les chiffrer, à les enregistrer dans des rapports qui font l’objet de publications. Les informations qu’elles préparent sont, sauf exceptions, décalées et incomplètes. En outre, elles les considèrent le plus souvent comme confidentielles, secrètes et montrent de la réticence à les communiquer.

La consultation de leurs sites fait apparaître, dans plusieurs cas, l’absence de données et de commentaires ou affiche des informations partielles, anciennes datant d’une ou de deux années et mal classées.

C’est dans le domaine de la gestion des finances publiques que l’opacité est flagrante aussi bien au niveau central qu’au niveau local. Elle est régulièrement soulignée et dénoncée par les institutions financières multilatérales et par les organismes privés qui procèdent à l’examen du degré de transparence et de la qualité du contrôle en matière de finances publiques appliqués par les pays qu’ils suivent.

Le budget de l’Etat en Algérie présente en effet peu d’informations en ce qui concerne les prévisions de recettes, les prévisions de dépenses aussi bien celles du budget de fonctionnement que celles du budget d’équipement. Les sources des recettes sont rarement indiquées, le détail de la répartition des dépenses n’est pas mentionné non plus. Les montants figurant dans les états annexés à la loi des finances ont un caractère très général et sont difficilement exploitables. A titre d’exemple, les prévisions des recettes ordinaires dans le budget initial de l’année en cours – 2020 – sont de 4089,398 milliards de dinars.

Deux tiers de ce montant figurent dans trois rubriques seulement intitulées vaguement comme suit : produits des contributions directes, produits des impôts divers sur les affaires et produits divers du budget. Quelles sont les contributions  directes ? Quelles sont les affaires imposables ? Quel est le contenu des produits divers ? Aucune précision concernant tous ces produits n’est fournie. Les organismes qui recommandent les saines pratiques de transparence en matière budgétaire définissent les états que les pouvoirs publics sont tenus de produire et de mettre à la disposition des citoyens.

Il s’agit d’un ensemble de documents qui tracent sans faille les différentes phases du processus budgétaire depuis sa conception jusqu’à son exécution et son contrôle. Ces documents doivent être établis en temps opportun et sans retard et doivent comporter des informations et des données détaillées, fiables et incontestables.

En informant les citoyens sur la consistance des fonds publics prélevés et dépensés par l’Etat dans le cadre de décisions qui affectent leurs situations, les autorités gagnent leur confiance. Les citoyens adhèrent dans ces conditions à la politique suivie, la soutiennent, même si elle implique des sacrifices pour eux. Ils savent que la transparence est une garantie contre les mauvaises pratiques, les malversations, les fraudes, etc. et elle est la marque d’une gestion correcte des finances publiques.

Si en ce qui concerne le budget de l’Etat, les données publiées manquent de transparence, les budgets des collectivités locales, wilayas et communes ne font l’objet d’aucune information disponible. Les responsables au niveau des collectivités locales les considèrent souvent comme confidentiels.

Un travail considérable reste à faire pour introduire une nouvelle approche, de nouvelles méthodes dans la façon de traiter les fonds publics et d’en disposer.

6)- La rétention des informations 

Ce qui est profondément choquant et qui indispose dans l’attitude de certains parmi ceux qui sont à la tête de nos administrations et de nos institutions, c’est le refus qu’ils opposent aux personnes qui les sollicitent pour obtenir des informations auprès d’eux. Je me permets, à ce sujet, de citer deux cas où j’ai essuyé personnellement un refus désarmant et sans recours en essayant de collecter quelques statistiques dont j’avais besoin. Dans le premier cas, je me suis adressé à un haut responsable dans un ministère pour les avoir alors qu’elles devraient être normalement disponibles. Il me dit qu’il faut qu’il demande l’autorisation du ministre. J’attends sans qu’il y ait eu aucune suite. Dans le deuxième cas, je contacte le directeur des statistiques dans une institution, qui m’informe que la série qu’il a ne couvre qu’une période limitée. Toutefois, pour que je puisse en disposer, il me conseille d’écrire au directeur général pour avoir son accord.

C’est ce que j’ai fait, mais je n’ai eu aucune réponse. Les responsables des administrations et des institutions de ce genre n’exploitent pas les données statistiques en leur possession lorsqu’elles existent, ou ne le font pas convenablement et empêchent par leur refus ceux qui les demandent de le faire. L’absence d’intérêt de leur part d’avoir constamment des données chiffrées précises, régulières, actualisées et de les utiliser dénote le caractère superficiel, approximatif de la manière dont ils assument leurs fonctions.

Ils se contentent d’effectuer le travail quotidien, mais prennent peu d’initiatives en vue de produire des rapports, des comptes rendus, des bilans, des évaluations, etc. dans le but de maîtriser les problèmes de leur secteur et de progresser dans leur solution. Les jeunes cadres qu’ils recrutent, bien qu’ils présentent beaucoup de potentialités, sont confinés dans des tâches routinières et ne sont pas incités à faire des recherches, des analyses, des études. De ce fait, ils n’évoluent pas et deviennent incapables d’apporter la mondre contribution notable. La rétention des informations que pratiquent ces responsables est un acte mesquin et déplorable à la fois.

Cette attitude est si fortement ancrée dans leur mentalité, dans leurs comportements qu’il est très difficile de la changer. C’est la raison pour laquelle il est souhaitable qu’une réglementation ferme soit éditée et oblige toutes les administrations, tous les organismes publics et privés à établir des séries statistiques, des rapports concernant leurs activités, à les tenir à jour et à les mettre à la portée de tous ceux qui veulent les utiliser. Cette réglementation doit prévoir des sanctions financières et autres à l’égard des défaillants et des réticents.

Encore une fois, il est temps que notre pays pratique et généralise la transparence et qu’il puisse disposer d’un système d’informations complètes, régulières, fiables et actualisées. Ce système qui est indispensable ne peut exister que dans la mesure où les pouvoirs publics prennent le problème en charge et s’attachent à le résoudre dans les meilleurs délais. Sa réalisation sera d’autant plus utile qu’elle est soutenue par la promotion d’un contrôle efficace.

II) Le contrôle 

La généralisation des fraudes, le gaspillage des fonds publics, la fréquence de leurs détournements, tous ces phénomènes sont la conséquence d’un manque manifeste de contrôle.

1)- Le contrôle interne 

Il faut commencer, pour remédier à cette situation, par instituer dans chaque service un contrôle interne minutieux. Ce dernier consiste à vérifier la régularité des opérations effectuées dans le service avant d’engager leur bonne exécution.

2)- L’audit 

Il importe également de doter tous les organismes publics d’une structure d’audit a posteriori, indépendante de la direction et en rapport direct avec le conseil d’administration ou l’entité qui en tient lieu. Son rôle est d’examiner si les actions menées par l’organisme sont d’abord conformes à la réglementation générale (lois, décrets, etc.) et à la réglementation interne. Il consiste également à voir si les coûts et les délais d’exécution des opérations et des projets ont été évalués rigoureusement et ont été respectés, si les dépenses ont été effectuées correctement et ont permis d’obtenir les résultats escomptés.

Les rapports que dresse cette structure après chaque opération d’audit consignent toutes les anomalies, toutes les irrégularités constatées et comportent des recommandations pour y remédier, qu’elle veille soigneusement à ce qu’elles soient appliquées.

3)- Les contrôleurs financiers 

Au niveau des administrations, ministères, wilayas, communes existe un corps de contrôleurs financiers dont les prérogatives avaient été réduites sous prétexte que son intervention retardait l’exécution des opérations. Ce qui a affaibli le rôle de ces contrôleurs alors qu’il a besoin d’être renforcé. Il pourrait l’être en leur rendant notamment leur autonomie pour qu’ils ne dépendent que du ministère des Finances, leur ministère de tutelle en ce qui concerne leur recrutement, leur affectation, leur carrière, leur rémunération, leur logement, leur protection, etc. C’est là la condition pour qu’ils puissent empêcher les irrégularités et agir sans entraves.

4)- L’Inspection générale des finances (IGF) 

L’Inspection générale des finances qui relève aussi du ministère des Finances accomplit ses missions d’une manière efficace et rigoureuse qui est appréciée. Il est regrettable que ses rapports ne soient pas toujours bien exploités et ses recommandations ne soient pas souvent suivies d’effets.

5) La Cour des comptes 

Quant à la Cour des comptes, qui est l’instance maîtresse du contrôle, elle intervenait d’une manière timorée. Trois de ses rapports ont été seulement publiés, selon les indications fournies récemment par l’un de ses anciens cadres. Est-ce que la Cour des comptes s’est intéressée à l’exécution des budgets de tous les ministères sans exception ? S’est-elle penchée sérieusement sur la manière dont les ressources budgétaires ont été collectées et dépensées ? A-t-elle poussé les investigations jusqu’à déterminer les résultats obtenus à la suite des dépenses ? Celles-ci ont-elles engendré des améliorations, des progrès qui ont été identifiés ? A-t-elle cherché à cerner toutes les irrégularités commises dans la gestion des finances publiques ? A-t-elle attiré l’attention sur le manque de transparence de cette gestion ? Procède-t-elle à des enquêtes spéciales ? Ce sont là quelques questions en relation, en principe, avec les prérogatives de la Cour des comptes. Trouve-t-elle des réponses dans ses rapports ? De toute façon, il est attendu qu’elle intervienne à l’avenir d’une manière plus indépendante et plus pertinente.

6)- Les conseils d’administration : le contrôle de Sonatrach

Il ne suffit pas de créer des organes chargés du contrôle, encore faut-il qu’ils assument leurs attributions consciencieusement, sérieusement. Est-ce le cas des conseils d’administration dont sont pourvues toutes les entreprises publiques et qui ont parmi leurs missions le suivi et le contrôle des activités ? Jouent-ils pleinement leur rôle ? Celui par exemple de Sonatrach, étant donné la qualité de certains de ses membres, a-t-il rempli convenablement ses fonctions ? A-t-il pris connaissance des errements qui ont marqué la gestion de cette entreprise en faisant intervenir les services chargés d’effectuer les vérifications et les investigations ? Ces errements ont-ils provoqué une réaction de sa part ?
En fait, Sonatrach aurait dû avoir un traitement spécifique en matière de contrôle compte tenu de son poids dans l’économie nationale.

Faut-il rappeler que les exportations des hydrocarbures sont à l’origine de 95% des recettes en devises du pays, que la fiscalité pétrolière fournissait presque les deux tiers des ressources budgétaires à l’Etat et l’exploitation du pétrole et du gaz représentait 30% du Produit national brut (PIB) un certain temps ? Elle aurait dû être soumise à un contrôle plus strict et plus rigoureux et habituer sa direction à rendre des comptes. Elle devrait à l’avenir présenter, chaque année, au Parlement, un rapport complet pour qu’il procède à un examen détaillé de tous les aspects de sa gestion. Il vérifie notamment le contenu de son bilan et de son compte d’exploitation et ceux de ses filiales, ses programmes d’investissement. Il s’assure si la maîtrise des coûts et des dépenses est effective ou elle reste à réaliser. Afin que de telles tâches soient accomplies au niveau du Parlement, cela suppose, bien entendu, qu’il soit élu démocratiquement et qu’il soit composé de membres compétents, conscients de leurs responsabilités et soucieux de les assumer pleinement dans l’intérêt de la nation.

7) Espoir de voir le contrôle renforcé et élargi : création d’une structure de post-évaluation 

Il est vrai que l’ancienne équipe qui était à la tête du pays n’était pas soucieuse de défendre ses intérêts et d’y répandre les pratiques de la bonne gouvernance. Elle n’était pas par conséquent disposée à soutenir les opérations de contrôle. L’Algérie aborde maintenant une nouvelle ère où les pouvoirs publics, il faut l’espérer, donneront plus d’importance à la fonction de contrôle et veilleront qu’elle soit exercée avec rigueur et que les anomalies et irrégularités qu’elle décèle soient corrigées. Comme il est permis de croire qu’ils seront favorables à son élargissement en mettant en place plus particulièrement une structure ayant pour mission la post-évaluation des investissements publics, quelle que soit leur origine. Ceux initiés par le gouvernement et financés sur des fonds budgétaires ainsi que ceux engagés par des organismes publics utilisant leurs propres ressources.

Il est en effet indispensable de procéder à l’évaluation des projets d’investissement, une fois achevés, pour vérifier, entre autres, si les objectifs fixés initialement ont été concrétisés dans de bonnes conditions, si le coût et les délais d’exécution ont été respectés. Il convient également de relever les irrégularités et de tirer des enseignements de la manière dont les réalisations sont effectuées en vue d’enrichir l’expérience en la matière et éviter à l’avenir les insuffisances et les défaillances. Introduire la culture de la transparence et du contrôle dans la gestion de toutes les activités est devenu une aspiration à réaliser sans tergiversation et sans retard.

Par Bader-Eddine Nouioua , Ancien gouverneur de la Banque d’Algérie


 

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