La Russie a mis en route son appareil diplomatique et invité les ministres des Affaires étrangères azéri et arménien à Moscou pour négocier une trêve. Ce à quoi ils ont répondu positivement. Un premier pas concret vers un cessez-le-feu? Analyse.
Bientôt le début de la fin des hostilités dans le Haut-Karabakh? Sur invitation du Kremlin, les ministres des Affaires étrangères arménien et azéri se sont rendus vendredi à Moscou afin de négocier pour essayer d’arriver à un cessez-le-feu et éventuellement à une forme de paix durable.
Une mission compliquée du fait des prétentions des deux protagonistes du conflit. En effet, du côté arménien, on réclame la reconnaissance internationale du Haut-Karabakh, territoire peuplé d’Arméniens mais qui se trouve à l’intérieur des frontières azéries. Les Azéris, eux, veulent asseoir leur autorité sur l’ensemble de leur territoire. Deux positions qui, en tant que telles, ne sont pas conciliables.
L’ours russe, acteur diplomatique incontournable?
L’issue de cet imbroglio est, à ce jour, totalement incertaine. Pourtant, s’il est une puissance qui peut aider à résoudre le conflit, c’est bien la Russie, estime au micro de Sputnik Roland Lombardi, historien, spécialiste de la politique russe au Moyen-Orient et auteur de Poutine d’Arabie (Éd. VA, 2020):
«Déjà géographiquement, le conflit se situe dans le Caucase, tout proche de la frontière russe. Ce sont les marches de ‘l’empire russe.’ Donc il y a forcément un rapport privilégié de la Russie à ces pays, et c’est une des rares puissances à vouloir la stabilité dans cette région.»
Selon lui, c’est le faiseur de paix idéal car la Russie et l’Arménie ont un traité d’alliance et ils sont tous deux membres de l’Organisation du traité de sécurité collective. La Russie préside, avec les États-Unis et la France, le groupe de Minsk qui travaille à la désescalade du conflit. «Les deux pays sont également proches au niveau culturel et historique puisque l’Arménie est en majorité orthodoxe», ajoute-t-il.Mais la Russie entretient également de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan à qui elle vend des armes.
«La Russie parle à tous ses interlocuteurs. C’est d’ailleurs son avantage par rapport aux puissances occidentales: elle ne fait pas d’hypocrisie diplomatique. La diplomatie sert peut-être à parler à tout le monde, même ses ennemis, mais la règle essentielle c’est de choisir son camp et une fois qu’on a fait ça, parler à tout le monde. Adopter comme le font certains une posture de neutralité alors qu’on sait qu’en diplomatie il n’y a pas de neutralité, c’est de l’hypocrisie», explique Roland Lombardi.
Cette tradition diplomatique peut donc faciliter le dialogue entre deux camps que tout oppose. La métaphore de l’ours pour décrire la Russie est, à cet égard, tout à fait appropriée, selon l’historien.
«C’est une image adéquate. C’est vrai que l’ours est le mammifère terrestre le plus puissant, mais il évitera toujours le conflit. Par contre, si on vient le chatouiller d’un peu trop près, ça peut faire très mal», prévient-il.
«C’est d’ailleurs le rôle que la Russie veut se donner et qu’elle démontre depuis une dizaine d’années, notamment au Moyen-Orient. Pour elle, cette image de médiateur et de pacificateur est très importante», ajoute-t-il.
La Turquie, un «caillou dans la chaussure» de la Russie?
La tâche de la Russie n’est pourtant pas facile, d’autant qu’elle doit composer avec la Turquie qui a pour la première fois pris part aussi ouvertement et violemment au soutien de son allié, l’Azerbaïdjan.
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Pour Roland Lombardi, la Turquie joue un jeu trouble dans ce conflit et il faut bien du temps pour contourner la stratégie d’Ankara:
«Il faut prendre en compte le rôle de Recep Tayyip Erdogan qui montre ses muscles et bluffe beaucoup.» Et même s’il est en grande faiblesse sur le plan intérieur, notamment financier: «Il faut savoir que son économie est sous perfusion qatarie. Pour redorer son blason en interne mais aussi dans le monde sunnite, il montre les muscles», poursuit le chercheur.
Il insiste d’ailleurs sur le fait qu’il ne faut pas sous-estimer sa capacité de nuisance.
«Erdogan a jeté un peu d’huile sur le feu en donnant son appui aux Azéris, en sachant que les Russes sont dans une situation compliquée avec ces deux partenaires et que les Américains sont coincés par les élections.»
En effet, la promesse d’Erdogan de soutenir le camp azéri au nom de la proximité ethnique, religieuse et économique des deux pays a revigoré Baku et lui a donné la confiance nécessaire pour s’engager dans une guerre qui pourrait lui permettre de récupérer le contrôle total de son territoire.
«Erdogan est le plus gros caillou dans la chaussure des diplomates russes mais Moscou possède toujours des leviers imparables, qu’ils soient militaires et surtout économiques et commerciaux», affirme Roland Lombardi.
Il rappelle que certains observateurs expliquent le délai entre le début du conflit et le début de l’action diplomatique de la Russie par le fait qu’elle ait été surprise par l’embrasement dans le Haut-Karabakh. Mais c’est une théorie à laquelle il ne croit «pas du tout».
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«Depuis un an, les services et les chercheurs russes alertent sur un danger de crise dans la région», relate l’historien.
Par contre, il se peut selon lui que «les Russes aient laissé pourrir la situation car les dirigeants actuels en Arménie sont en froid avec les dirigeants moscovites du fait que les politiciens et responsables arméniens proches de Moscou aient été majoritairement écartés du pouvoir ces dernières années».
Pourtant, Roland Lombardi estime tout de même que la médiation russe peut bien mener à un cessez-le-feu et que le conflit a atteint son niveau maximal d’intensité.
«Pour l’instant, cela va certainement se passer comme en Syrie ou ailleurs, avec un cessez-le-feu, ce qui serait un premier pas. Je ne crois pas à une détérioration de la situation», conclut-il.