Source : IRIS, Jean de Gliniasty, 17-01-2020
L’annonce de la démission du Premier ministre et du gouvernement russe, suivie par l’annonce de la réforme de la Constitution a amené à réfléchir sur la succession de Vladimir Poutine. Comment la Russie se prépare-t-elle pour l’après-Poutine ? Le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS.
Le dernier mandat de Vladimir Poutine s’achèvera en 2024. Le référendum sur la Constitution qu’il a proposé prépare-t-il le terrain pour sa succession ?
En effet, ce référendum prépare le terrain pour sa succession. Poutine ainsi que les pays de la région ont été très impressionnés par la transition douce qui a eu lieu au Kazakhstan. Avant de démissionner, l’ancien président Nazarbaïev a changé les institutions, préparé son poste à la présidence du Conseil national de sécurité, fait élire un nouveau président et s’est fait nommer père de la patrie avec le droit de participer au Conseil des ministres. Il assure la continuité tout en restant au pouvoir, sachant que son influence diminuera parallèlement à son vieillissement.
Vladimir Poutine est donc en train de préparer sa succession, qui lui permettra, en abandonnant le poste de président, d’avoir une influence sur les institutions. D’autre part, la réforme renforcera les pouvoirs du Premier ministre et du parlement : il sera ainsi très utile à Poutine, étant le président du Conseil national de sécurité et peut-être d’un « Conseil d’État » renforcé, d’avoir un président affaibli et un Premier ministre regonflé. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la volonté du président Poutine d’encourager une évolution lente et douce vers plus de démocratie. Si le parlement doit désormais élire le Premier ministre, et même si ce parlement est aujourd’hui majoritairement composé de députés de Russie Unie qui soutient le président, une transition vers plus de pluralité est possible et donnerait une capacité d’évolution démocratique aux institutions.
La notion de référendum a été évoquée par le président, mais il semble que l’on s’éloigne de cette idée et que l’on se dirige vers une approbation du peuple à l’occasion des élections législatives. Un comité constitutionnel sera réuni pour réfléchir à cette réforme, laquelle implique aussi une modification de l’article 81 de la constitution stipulant que le président ne peut pas faire plus de deux mandats consécutifs : l’idée est de supprimer le caractère consécutif des mandats et de limiter leur nombre total à deux.
La popularité de Vladimir Poutine a baissé depuis un an, notamment à cause des questions de retraite et de santé. Quel bilan tirer de la politique économique et sociale du président jusqu’alors ?
La popularité du président a certes chuté, mais elle reste supérieure à 50 %, un score dont rêveraient la plupart des présidents occidentaux. L’ancien premier ministre Medvedev avait par exemple une popularité bien plus basse.
Le bilan de son gouvernement est cependant faible : la croissance est balbutiante, les grands projets nationaux pour relancer l’économie n’ont pas vraiment démarré, la pauvreté n’a pas diminué et le revenu moyen des Russes a diminué de 12 % depuis cinq ans.
Le contrat politique et moral que Poutine avait avec la population russe a déjà changé une fois et est en train de changer une seconde fois. Le premier contrat, au moment de son arrivée au pouvoir en 2000, était de ramener la prospérité au pays, ce qui a fonctionné, grâce à une meilleure gestion de l’économie, une hausse des prix du pétrole, la réduction du rôle de la mafia, etc. La Russie a connu une croissance de 6 % durant une dizaine d’années, jusqu’à la crise ukrainienne. Le contrat moral et politique a alors changé : il s’agissait cette fois de récupérer le statut de grande puissance de la Russie via l’annexion de la Crimée.
Aujourd’hui, le nouveau changement de contrat que le président propose aux Russes par la réforme qu’il est en train de mettre en place est fondé sur une nouvelle politique sociale et de santé.
Que peut-on attendre du nouveau gouvernement ? Quelles devraient être ses priorités ?
Dans le programme du nouveau gouvernement, comme dans le discours de Poutine au parlement, une grande partie est consacrée aux questions sociales : augmentation de la natalité, donner un capital aux mères, organisation de la médecine d’urgence, amélioration des retraites… Le nouveau gouvernement devra donc gérer le budget dans l’intérêt de la dépense sociale, et il sera jugé sur ce sujet.
Outre la question sociale, Poutine a brièvement évoqué la question militaire dans son discours au parlement : la Russie a maintenant des missiles hypersoniques que les Occidentaux souhaiteraient aussi acquérir et a donc de l’avance sur eux. On a vu depuis deux ans que le budget militaire russe allait en diminuant (il est aujourd’hui inférieur à celui de la France) et que les dépenses sociales augmentaient. Poutine a voulu dire que la Russie a déjà fait l’effort militaire nécessaire et que ce n’est plus la priorité.
Les nouvelles priorités du gouvernement sont donc de diminuer la pauvreté, de développer la recherche, de mettre fin à l’exode de la population jeune et de faire de la Russie un pays plus riche et plus apte à répondre aux besoins de sa population. C’est une sorte de tournant social du régime.
Source : IRIS, Jean de Gliniasty, 17-01-2020