Covid-19 : comment faire face à la peur vaccinale ?

    Alors même que l’épidémie de Covid-19 continue d’affecter sévèrement les populations et l’économie, la bataille vaccinale n’est pas gagnée par avance. Enrayer l’épidémie dépend désormais encore davantage de chacun d’entre nous.

Au 11ème siècle, en Chine, les mères piquaient leur nourrisson avec une aiguille souillée du contenu d’une pustule variolique pour les protéger de la maladie. A l’ère moderne, la vaccination contre la rage, fondée sur les travaux de Louis Pasteur, a eu un retentissement considérable. Elle a initié une période de mise au point de vaccins contre des maladies à juste titre considérées comme des calamités majeures. A cet âge d’or au cours duquel les vaccins ont contribué à réduire la « peur infectieuse » s’est progressivement substituée une « peur du vaccin » qui entrave maintenant de manière significative les objectifs de santé publique en matière de lutte contre les maladies infectieuses.

L’ère de la vaccination incontestée

En 1980, il y a exactement quarante ans, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait la disparition complète de l’une des pires maladies infectieuses auxquelles l’homme a été confronté : la variole. C’était un mal redouté car il tuait près d’un malade sur trois, notamment les enfants de moins de cinq ans. Il laissait sur le visage et sur le corps de ceux qui survivaient les marques indélébiles des pustules caractéristiques de la maladie. La variole a été éradiquée grâce à des campagnes massives de vaccination, complétées par des campagnes plus ciblées autour des cas qui se déclaraient ici ou là.

La dernière flambée de variole en France date de 1954-1955 en Bretagne. Mais une autre maladie redoutable continuait à se répandre en France et dans le monde : la poliomyélite. Atteignant fréquemment les enfants et les adolescents, la létalité des formes neurologiques atteint 5 à 10 %. Elle provoque chez ceux qui survivent des séquelles irréparables, notamment aux poumons, ainsi que des paralysies des membres. Dès qu’un vaccin a été disponible dans les années 1950, des campagnes de vaccination ont été lancées. Une génération se souvient encore des longues queues qui s’étendaient dans la rue, les parents accompagnant leurs petits pour recevoir le précieux vaccin dans une école de quartier. Au début, cette vaccination n’était pas obligatoire ; elle l’est devenue en 1964 et peu s’en plaignaient, bien au contraire. Elle était acceptée et attendue. A cette époque, il y avait déjà la capacité logistique de mener de grandes campagnes nationales d’immunisation.

Aujourd’hui, si la poliomyélite a disparu en France et dans la plupart des pays grâce à la vaccination obligatoire, la médecine mondiale peine à l’éradiquer. Les guerres et les conflits sont en cause, mais l’utilisation d’un vaccin administré par voie orale a aussi compliqué la donne. Ce vaccin utilise un virus atténué qui, passant par les voies digestives, peut se retrouver dans l’environnement et redevenir plus actif par mutation. L’avenir du vaccin polio oral est aujourd’hui compromis, alors même que les populations des pays touchés sont souvent réticentes à l’administration du vaccin polio par injection qui ne présente pas ces inconvénients.

L’impact vaccinal salutaire ne se limite pas à ces deux exemples. D’autres maladies, aussi bien bactériennes que virales, ont nettement régressé grâce aux vaccins : la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la grippe, l’hépatite B, la rougeole, la rubéole, les infections à Haemophilus

L’adhésion populaire à la vaccination aurait pourtant pu être freinée à la suite d’accidents vaccinaux comme celui survenu à la suite d’une campagne de vaccination par le BCG lancée fin 1929 et qui fut à l’origine de décès d’enfants dans la ville de Lübeck. Il n’en fut rien… du moins pendant longtemps.

Comment nous nous sommes crus à l’abri des épidémies

Dans le domaine des maladies infectieuses, alors même que la médecine a progressé, non seulement la situation ne s’améliore plus mais elle se dégrade, en raison notamment de l’augmentation des résistances aux antibiotiques ou de l’émergence de maladies nouvelles, mais aussi de la méfiance par rapport à la vaccination, alors même que les vaccins sont plus sûrs qu’autrefois.

La rougeole était pratiquement éradiquée dans nos pays médicalement développés, mais elle réapparaît de plus en plus fréquemment faute de vaccination d’un nombre suffisant d’enfants en très bas âge et d’un respect des obligations par nombre de familles. En France, le virus circule à nouveau, le taux de vaccination étant tombé en dessous du seuil à partir duquel l’immunité collective le fait disparaître. Pourtant la rougeole inquiète peu car l’aggravation de la situation se fait à bas bruit et cela d’autant plus que la lutte contre cette maladie souffre de l’idée reçue mais tenace qu’elle serait systématiquement bénigne. Or sa contagiosité est très élevée parmi les personnes non vaccinées : un cas peut en infecter 15 à 20. Sa létalité et sa morbidité (encéphalites) peuvent atteindre quelques pourcents des cas, davantage que pour la Covid-19. Le 12 novembre 2020, l’OMS alertait une fois de plus : le nombre de décès dus à la rougeole dans le monde a augmenté de près de 50 % depuis 2016, 207 500 personnes étant mortes de cette maladie pendant la seule année 2019. Si le vaccin venait à être abandonné, il y aurait chaque année un bilan dramatique dans notre pays, les encéphalites causées par le virus touchant plus largement les enfants de moins de cinq ans et les adultes de plus de trente ans.

Face à cette situation qui s’est désormais également aggravée dans les pays européens, l’Allemagne a rétabli en 2019 l’obligation de vaccination des enfants contre la rougeole, avec une amende pouvant atteindre 2 500 euros en cas de non-respect. En France, cette vaccination obligatoire a été rétablie en 2018 et la sanction spécifique prévue en cas de non-respect des obligations vaccinales a en même temps été supprimée.

Une cause majeure des difficultés rencontrées aujourd’hui est le déni fréquent de l’existence et de la gravité des risques épidémiques, parfois même parmi les soignants. Elle est en partie liée au fait que la mortalité des dernières pandémies est moins visible qu’autrefois, notamment parmi les plus jeunes. 50 000 décès de plus, comme pour la Covid-19 en France, représentent en moyenne moins d’un décès dans une patientèle de médecin généraliste. Cela explique en partie pourquoi, à son propos, certains ont cru pouvoir parler de « grippette ». Mais s’il fallait attendre que les conséquences de la pandémie deviennent dramatiquement concrètes pour chacun, il serait déjà trop tard. En outre, il faut être d’autant plus prudent que rien ne permet d’exclure qu’une prochaine pandémie ne décime majoritairement des personnes bien plus jeunes, voire les enfants.

Il y a encore un an, quand étaient évoqués les 100 000 à 200 000 morts de la grippe espagnole dans la France de 1918, la réponse la plus fréquente était qu’il ne fallait pas comparer la situation actuelle à cette époque – notre pays étant alors affaibli par la guerre, épuisé et dénutri. Or, fin novembre 2020, avec 2 millions de cas déclarés à l’OMS, la Covid-19 a déjà fait plus de 50 000 morts en France en dépit des mesures drastiques qui ont été prises, y compris le confinement. Ces mesures ont pourtant démontré leur efficacité à travers la baisse du taux de reproduction, c’est-à-dire du nombre moyen de personnes contaminées par un cas de Covid-19, en le réduisant très rapidement de 2,9 à environ 0,7 . Il est donc sensé de supposer que les 100 000 décès auraient été dépassés en 2020 si aucune mesure n’avait été prise, en particulier en l’absence de confinement et de gestes barrières.

Après la pandémie grippale à virus A(H1N1) de 2009, un rapport public de 2010 reprochait à ceux qui avaient préparé le pays et conduit la réponse d’avoir privilégié le scénario du pire. Aujourd’hui c’est une maladie inconnue bien plus dangereuse que la grippe qui nous frappe dans des conditions qui ne sont pas si éloignées que cela de ce scénario, avec une association létalité-contagiosité qui n’avait pas été rencontrée depuis plus d’un siècle et une grande incertitude sur ce que les médecins croyaient au départ limité à une pneumonie. Ils ont découvert peu à peu les autres effets à court terme (i.e. thromboses, atteintes cardiaques, neurologiques ou rénales, maladie pédiatrique spécifique), sans compter les conséquences à long terme qui commencent seulement à être identifiées.

Quand les personnes vulnérables ont besoin de la protection vaccinale de chacun d’entre nous

L’argument que chacun est « propriétaire de son corps » est souvent utilisé pour justifier le choix de ne pas se faire vacciner. S’il était généralisé dans la population et conjugué à la perception assez répandue que les formes sévères de la maladie n’affectent que des personnes âgées ou vulnérables en raison de leur état de santé, il ferait courir le risque que la vaccination ne finisse par se résumer de facto à ces seuls groupes de population.

Or, l’efficacité des vaccins est souvent plus réduite pour une grande partie des populations vulnérables, faute de réponse immunitaire suffisante. Celles-ci comprennent en premier lieu les personnes âgées, mais aussi tous ceux qui souffrent d’une immunodéficience d’origine génétique, résultant de maladies pouvant affecter le système immunitaire (diabète, leucémie, VIH…) ou de la prise de certains traitements vitaux (chimiothérapies, corticothérapies, biothérapies, transplantations…). Dans certains cas, l’administration de vaccins doit même être proscrite, en raison du risque faible mais réel d’induire une maladie infectieuse vaccinale (vaccins vivants atténués contre-indiqués pour les personnes immunodéprimées) ou de l’absence de données suffisantes pour un groupe de population (par exemple, pour les enfants ou les femmes enceintes en cas de faible inclusion voire d’exclusion lors des essais cliniques).

Dès lors, il y a surtout une vérité qui est de moins en moins connue, faute de l’expliquer largement à la population, voire parfois de ne pas suffisamment insister dans la formation des personnels de santé de tous niveaux, de l’aide-soignant au médecin : la vaccination n’est pas qu’une mesure de protection individuelle. Pour une maladie contagieuse comme la Covid-19 ou la rougeole, cela doit être aussi une mesure collective.

Il s’agit dès lors de construire une barrière de personnes vaccinées autour de celles qui sont vulnérables, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents ou de personnes plus âgées, pour leur permettre de faire partie intégrante de la société et de vivre comme les autres, d’aller à l’école, d’utiliser les transports en commun, d’aller au spectacle…

Pour cela, il faut disposer de vaccins qui non seulement protègent ceux qui les ont reçus, mais les empêchent aussi de transmettre le virus à d’autres personnes. Or, au moment où les autorités décident de lancer une campagne de vaccination, la capacité du vaccin à empêcher cette transmission n’est pas toujours connue. Il faudra pour cela recueillir et analyser les données provenant d’un grand nombre de patients.

Lors de la première étape de la campagne de vaccination, la seule voie possible est de privilégier une approche individuelle d’immunisation des personnes les plus vulnérables. Compte tenu de la fréquence élevée des formes graves chez les plus âgés, a fortiori lorsqu’ils vivent en EHPAD, le Comité technique des vaccinations (CTV) de la Haute autorité de santé (HAS) a ainsi préconisé que leurs pensionnaires soient vaccinés dès que possible, ainsi que les personnels de ces établissements de plus de 50 ans ou souffrant d’une vulnérabilité particulière.

Plus globalement, pour que la « barrière » des personnes vaccinées puisse protéger les personnes vulnérables, il faudra que la majorité de celles qui sont au contact direct de ces dernières soient aussi immunisées avec un vaccin prévenant la transmission. Après les établissements où des personnes fragiles vivent collectivement, la vaccination de chacun sera donc aussi indispensable, notamment en famille, dès lors que l’on est amené à côtoyer des personnes âgées ou présentant des handicaps ou encore des pathologies les rendant vulnérables. Le personnel de santé doit être vacciné à double titre, d’une part pour sa protection individuelle, d’autre part afin de pouvoir continuer de prodiguer des soins et de ne pas contaminer ses patients et son entourage.

Les membres du CTV vont devoir adapter la stratégie vaccinale en permanence, non seulement pour tenir compte, pour chacun des différents vaccins, de leur capacité à prévenir la transmission, de leur efficacité pour chaque groupe d’âge et de la durée de protection apportée, mais aussi, entre autres, de leurs effets indésirables et de l’éventuelle découverte de traitements curatifs ou prophylactiques. A l’adaptation de la stratégie de vaccination pour protéger les plus vulnérables s’ajoute le fait que les livraisons des vaccins seront échelonnées sur toute l’année 2021 pour des questions de capacités de production et de logistique. Autant dire qu’une grande flexibilité sera nécessaire et qu’il faudra, pour cela, que le CTV dispose des éléments détaillés issus de la campagne de vaccination.

Sans réduction drastique de la circulation du virus, la vie de la société restera très perturbée

Au-delà de la protection des personnes vulnérables, la couverture vaccinale devra être suffisante pour atteindre l’objectif d’interrompre la circulation du virus (ce dernier ne trouvant alors plus suffisamment d’hôtes), ce qui fera disparaître la maladie comme cela a été le cas pour la variole dans le monde et la polio en France. C’est l’immunité collective (ou grégaire). A cette étape, annoncée par certains pour le second semestre 2021, l’objectif ne sera donc plus seulement de vacciner 25 à 30 % des gens mais bien la plus grande partie de la population jusqu’à atteindre le stade d’immunité collective où la maladie ne tuera plus, ce qui permettra enfin de reprendre une vie normale en société et un fonctionnement satisfaisant du commerce et de la vie économique.

Selon les conclusions d’une récente étude sur la Covid-19, il faudrait qu’un vaccin ait une efficacité minimale de 80 % et que 75 % de la population se fasse vacciner pour interrompre totalement la circulation du virus en l’absence de toute autre mesure. Dans son avis du 27 juillet 2020, le Conseil scientifique mis en place en France est plus optimiste : se référant à une récente modélisation, il évoquait une couverture vaccinale de 43 à 49 % de la population pour un vaccin interrompant la transmission du virus.

Le pire serait que, faute d’une adhésion suffisante à la vaccination et de l’atteinte d’un stade d’immunité collective – seule option disponible –, la vie en société reste donc pour longtemps bouleversée, l’économie perturbée, et que le compte des décès et des personnes durablement affectées continue à s’aggraver.

Ce constat pose la question très sensible de l’obligation vaccinale. Notons que l’opposition très large qu’elle suscite actuellement n’est pas la conséquence d’un rejet de tout type d’obligation. En France, dans les circonstances difficiles du premier confinement, les sondages d’opinion – mais aussi les faits – ont montré que la population, loin de dénoncer les obligations, les a approuvées massivement et paraît plutôt rassurée par une mise en œuvre des décisions avec une certaine autorité : 94 % des personnes interrogées ont jugé pertinent le port du masque obligatoire dans les transports en commun (22 avril 2020) ; 93 % ont aussi considéré nécessaires les restrictions de déplacement, y compris les sanctions en cas de sortie non justifiée (17 et 18 mars 2020). La réponse à la question de l’obligation vaccinale n’est donc pas triviale.

Cette question est profondément liée à la rigueur du processus d’élaboration du vaccin et aux résultats des tests préalables qui doivent démontrer l’absence de danger. En fonction des Etats, cette question d’obligation est perçue différemment, tant par les autorités que par la population, notamment en raison de différences politiques, culturelles ou historiques d’un pays à l’autre.

Certains mettent en avant le fait que l’obligation serait de nature à braquer davantage les populations et à faire le jeu des anti-vaccins, ces derniers affirmant que c’est l’absence de sécurité des vaccins qui imposerait de devoir rendre la vaccination obligatoire. Pour d’autres, c’est la notion même d’obligation qui leur semble contraire à leur vision de la liberté de choix de chacun dans une démocratie, même s’il faut admettre que la notion d’obligation n’est pas opposée à la démocratie : elle se traduit dans la Loi qui n’est pas seulement destinée à garantir les libertés individuelles mais dont l’une des fonctions est également de préserver l’intérêt collectif dès lors que c’est indispensable.

Pour d’autres encore, il s’agit surtout, par un caractère non obligatoire, de protéger l’Etat et ses agents en cas de mises en cause devant les tribunaux par des plaignants souffrant dans les jours ou les semaines suivant la vaccination d’une pathologie qu’ils imputeraient à l’administration du vaccin. Quant aux tenants de l’obligation, ils la justifient le plus souvent par la nature collective de la vaccination et la nécessité d’une très forte couverture vaccinale pour interrompre la circulation de certains virus.

Sur ce sujet délicat, chaque cas est particulier et exige une réflexion, notamment en fonction des enjeux. Dans le cas présent, le Président de la République a tranché en décidant que la vaccination contre la Covid-19 ne sera pas obligatoire.

Comprendre la peur du vaccin et y répondre

Paradoxalement, alors que les vaccins n’ont aujourd’hui que très rarement des effets secondaires sévères, contrairement à ce qui a pu se produire autrefois, la réticence à la vaccination s’est considérablement renforcée. Ainsi, s’il fallait aujourd’hui éradiquer la variole de la surface de notre planète ou faire disparaître la poliomyélite en France, comme ce fut le cas dans la deuxième moitié du 20ème siècle, ce ne serait dans l’absolu pas impossible mais, avec les réticences actuelles, nous en serions vraisemblablement incapables.

Il est bien sûr légitime de se poser des questions et de solliciter des éléments d’information transparents, nécessaires pour permettre un consentement éclairé.

Les difficultés proviennent d’une méfiance largement entretenue par les lobbies anti-vaccins et plus encore d’un manque de réponses des autorités sanitaires de beaucoup de pays aux fausses informations largement diffusées. Mais il s’agit surtout d’un déficit d’explications claires et facilement compréhensibles pour un public non spécialiste, permettant de répondre à un impératif de transparence et aux inquiétudes normales de la population vis-à-vis d’un geste redevenu inhabituel pour de nombreux adultes.

S’agissant de la vaccination de masse (millions de personnes), il est malheureusement statistiquement vraisemblable qu’un certain nombre de personnes qui se seront fait vacciner déclencheront une maladie dans les semaines qui suivent, sans aucun lien avec le vaccin. Bien que ce soit très rare, il peut également arriver qu’une pathologie sérieuse soit provoquée chez certains par une vaccination. Cette réalité, qui doit être expliquée, n’est pas propre aux vaccins. Elle peut être rapprochée du cas de médicaments pouvant être à l’origine d’effets secondaires rares mais graves. Le risque reste néanmoins limité dans la mesure où les essais cliniques de phase 3 auront ici permis de suivre les effets de la vaccination sur des dizaines de milliers de personnes. De plus, lorsque la vaccination généralisée est entreprise, commence aussi la quatrième phase : celle de la pharmacovigilance où, en quasi-temps réel, tout événement suspect, incident ou doute, est remonté pour analyse vers les agences de sécurité du médicament. Toute alerte sérieuse justifierait un moratoire du vaccin impliqué, comme cela déjà été le cas pour deux d’entre eux lors des phases de test.

Il faut prendre en compte le fait que la crainte des effets secondaires du vaccin est aussi liée à la perception par chacun de la gravité de la maladie, qui n’est pas la même pour tous les citoyens. Pour la Covid-19, cette perception est bien plus faible dans les tranches d’âge jeunes, où les formes graves sont très rares, que chez les personnes âgées et/ou malades, ce qui peut compliquer fortement l’adhésion à la vaccination et donc l’obtention de l’immunité collective.

La principale crainte de la population – constatée après la pandémie de grippe A(H1N1) – est que le vaccin ne soit pas sûr parce qu’il aura fait appel à des techniques nouvelles et surtout parce qu’il aura été élaboré plus vite qu’en temps normal. En dehors des dossiers remis par les grands laboratoires aux autorités sanitaires, il appartient aux industriels, mais aussi aux pouvoirs publics, de fournir les explications vulgarisées mais suffisamment précises sur les principes utilisés, notamment pour rassurer le public sur les techniques nouvellement utilisées pour les vaccins et qui représentent souvent l’aboutissement de décennies de recherche et de réalisations.

L’urgence n’est pas la précipitation

Il faut tempérer les craintes liées à la rapidité de mise au point compte tenu des contrôles très stricts et des dispositions qui permettent aujourd’hui d’accélérer l’élaboration des vaccins et leur utilisation opérationnelle sans générer de risques additionnels. Il s’agit notamment du fait que les essais cliniques sont menés à l’échelle européenne, voire internationale, de même que le suivi des campagnes de vaccination. Ainsi, l’Agence européenne du médicament (EMEA), qui assure ce suivi sur des populations beaucoup plus importantes que ce n’est le cas au niveau de chaque nation, peut détecter plus rapidement les effets indésirables suspects, même très rares, et vérifier leur lien éventuel avec la vaccination. En phase 3 des tests, le fait que les vaccins soient testés en pleine épidémie permet également de vérifier plus rapidement leur niveau réel d’efficacité qu’en situation où il n’y aurait que des cas dispersés.

Cette « régionalisation », voire mondialisation, s’appuie sur des grandes plates-formes d’évaluation des vaccins, profitant largement des technologies du numérique. Celles-ci permettent d’accélérer certaines étapes sans induire de risque supplémentaire ou en les réduisant : recherche de volontaires pour les tests et sélection en fonction de critères rigoureux ; exploitation quasi immédiate des données remontant du terrain ; échanges d’informations entre les équipes de recherche ; capacité de fournir sans délai des statistiques fiables en fonction d’une grande variété de critères.

Pour toute une série de pays, il s’agit également de plates-formes d’administration du vaccin, créées notamment à l’initiative de l’OMS, qui permettent d’assurer le suivi vaccinal de toute une population.

La limitation de la prise de risque financière par les industriels permet aussi de gagner du temps. La recherche et le développement (R&D) d’un vaccin sont extrêmement coûteux. En temps normal, le fabricant étale davantage les étapes de mise au point du vaccin pour mieux maîtriser les coûts de R&D et de fabrication en regard des perspectives de vente, car les dépenses sont majoritairement à sa charge. En situation de pandémie, les Etats assurent une partie plus importante du financement, ce qui offre une garantie financière aux industriels et permet d’enchaîner plus rapidement les phases d’élaboration et de test, voire d’exécuter plusieurs tâches simultanément. Le PDG d’une firme pharmaceutique ayant mis au point un vaccin à ARN explique ainsi que l’accélération conduit à faire un pari financier sans prendre de risque concernant la sécurité du vaccin : « On a pu mener des étapes en parallèle : fabriquer le matériel pour la phase 2 des essais, alors qu’on n’en était qu’à la première. En cas d’échec, tout partait à la poubelle. Un risque endossé par nos actionnaires… et le contribuable américain ».

Face à un défi inédit, le devoir de parler haut et fort, en toute transparence

Une certaine partie de la population justifie aujourd’hui son refus de la vaccination en affirmant que les autorités ont réagi de façon excessive et que 50 000 morts de la Covid-19 ne représentent pas une surmortalité inacceptable par rapport au nombre de décès annuels. Alors que les avancées de la médecine ont considérablement amélioré la lutte contre certaines pathologies en termes d’espérance et de qualité de vie, un tel argument, largement diffusé via les réseaux sociaux, soulève des questionnements éthiques qui dépassent le cadre de cette pandémie. S’il venait à être appliqué à d’autres domaines, ce même raisonnement hasardeux conduirait à remettre en question l’intérêt de poursuivre les efforts consentis en matière de prévention routière, de sécurisation du transport aérien ou de prise en charge des maladies rares.

Le bilan humain qui ne cesse de croître ne laisse d’autre choix que de tenir un discours de fermeté. Au siècle dernier, de grandes campagnes d’information soulignaient le caractère de combat collectif de la vaccination et ce message était bien compris par la population. Ces campagnes ont contribué à obtenir une forte adhésion à la vaccination et leur rôle a été important dans les victoires contre la variole, la polio ou la diphtérie. De telles campagnes d’ampleur n’existent pratiquement plus aujourd’hui dans les pays les plus développés sur le plan médical. Pourquoi ? La peur de susciter des polémiques est-elle une explication et surtout une justification suffisante ? Est-il acceptable de renoncer à déployer une action efficace contre les fausses affirmations, voire les mensonges, qui circulent, notamment sur les réseaux sociaux ?

Alors que les adversaires de la vaccination ont le champ libre dans beaucoup de pays du monde, ne répétons pas l’erreur de la pandémie de grippe A(H1N1), celle de se taire et d’attendre que le vaccin soit là pour tenter de contrebalancer efficacement les affirmations erronées et les craintes compréhensibles. En juillet 2009 en France, peu après la commande des vaccins, 67 % des personnes interrogées déclaraient vouloir se faire vacciner ; ils n’étaient plus que 19 % en octobre à la veille de la vague pandémique d’automne et seulement environ 8,5 % se sont présentés dans les centres de vaccination.

Il ne faut pas laisser l’histoire bégayer. Il y a quelques mois un sondage faisait apparaître qu’un quart de la population ne souhaitait pas se faire vacciner contre la Covid-19. Depuis, les chiffres se sont aggravés et, le 28 novembre 2020, le Journal du dimanche publiait un sondage IFOP selon lequel 59 % des personnes interrogées n’avaient pas l’intention de se faire vacciner.

L’erreur serait de croire que toute la population est dès aujourd’hui consciente de la nature solidaire et collective de la vaccination et que les personnes sondées en ont tenu compte. C’est un message qui n’a pas encore été suffisamment diffusé et encore moins expliqué.

Il est clair qu’il y a un besoin immense dans ce domaine et donc un devoir d’explication sur la vaccination, sans cacher ses possibles effets secondaires. Comme au cours des essais cliniques, il sera normal qu’il y ait des interruptions liées au signalement de tel ou tel effet, le temps de s’assurer qu’il n’est pas en lien avec la vaccination. Cela signifiera que la veille est efficace.

Il y a aussi un devoir essentiel d’information sur la nécessité d’une adhésion massive à la mise en œuvre de la vaccination si l’on veut retrouver une vie normale où chacun puisse vivre, travailler et se distraire librement.

Dans tous les cas, sans cacher les incertitudes et les difficultés, cette solidarité doit être encouragée aujourd’hui par les institutions scientifiques et éthiques, par les professionnels de santé, par l’Etat et les élus ; elle peut aussi être discutée dans les familles. Les médias ont également le devoir de contribuer à cet effort en posant toutes les questions permettant d’éclairer le public et en relayant les explications afin de vaincre la Covid-19. Il n’y a pas de manque à l’impartialité à le dire et à l’écrire. L’enjeu le mérite. La vaccination est à ce titre l’exemple même des avantages et des contraintes de la vie en société.

La vaccination du plus grand nombre, seule perspective actuelle de revenir à une vie normale

Face à la plus grave épidémie à transmission respiratoire depuis la grippe espagnole de 1918, il serait difficile d’admettre qu’au pays de Pasteur, qui a développé l’usage de la vaccination et dont le nom a été donné à des instituts de recherche médicale dans le monde entier, notre population ne se montre pas capable de cette démarche collective pour protéger les plus faibles.

En cherchant à susciter l’adhésion, et en prenant garde de ne pas adopter un discours culpabilisateur, il faut expliquer et répéter que la vaccination – comme le vote – n’est pas seulement un droit mais aussi une forme de devoir vis-à-vis des millions de personnes vulnérables face à la Covid-19, qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes jeunes ou âgés, sans compter ceux qui, aujourd’hui en parfaite santé, ignorent qu’eux-mêmes ou leurs proches le sont également pour des raisons encore inexpliquées. Cela a malheureusement été constaté maintes fois depuis le début de la pandémie.

Au-delà des conséquences directes de la Covid-19, il faut aussi garder à l’esprit tous les patients pour qui les consultations de dépistage ou de suivi, les soins mais aussi les opérations ont été freinés ou repoussés, à leur initiative ou par suite de la saturation des capacités médicales. Ces reports entraînent pour les cas les plus graves des décès qui viennent s’ajouter au bilan déjà lourd de la pandémie. L’ampleur de ce phénomène, plus insidieux, est encore loin d’être évaluée. Il y a aussi tous ceux qui se retrouvent isolés et dont le quotidien a été envahi par le découragement, voire la dépression, souvent en raison des conséquences que cette situation prolongée a provoquées dans leur vie.

Bien sûr il reste des inconnues, de la durée de l’immunité vaccinale aux risques toujours présents de mutation significative du virus. La vaccination, comme tout acte médical, peut aussi avoir des effets secondaires qui sont actuellement presque toujours bénins. Les bénéfices de la vaccination pour la société ont été, à ce titre, largement supérieurs à ses inconvénients. Il y a, sur ce sujet, un contrat avec les citoyens en vertu duquel l’Etat s’est encore récemment et publiquement engagé à une transparence totale. Cette transparence doit valoir aussi bien pour l’explication de toute difficulté qui serait rencontrée au cours de la vaccination que pour le démenti, sans polémique et toujours assorti d’explications, des fausses nouvelles qui pourraient circuler.

Pour une partie de nos concitoyens, la vaccination est attendue ; ceux-là iront se faire vacciner dès que cela sera possible en fonction des priorités qui ont été définies par le Comité technique des vaccinations de la HAS. D’autres souhaitent prendre du recul. Ils sont en attente d’informations complémentaires transparentes qu’il faut commencer à leur donner si l’on veut qu’ils s’engagent dans le mouvement de vaccination, en soulignant l’objectif à atteindre : interrompre la circulation du virus dans notre pays. Le dispositif de vaccination doit donc s’adresser à tous et être maintenu dans la durée.

Dans l’état actuel des réponses que nous pouvons apporter à la Covid-19, interrompre la circulation du virus par le vaccin serait le seul moyen de revenir à la possibilité de nous projeter dans l’avenir et de reprendre une vie en société, en particulier avec nos familles et nos amis, sans avoir la crainte permanente de les contaminer. Mais c’est aussi la condition pour revenir à une activité économique saine, notamment pour faire reculer la pauvreté qui s’est fortement accrue depuis le début de la pandémie, sans oublier la nécessité de revenir à un parcours scolaire et universitaire offrant des perspectives au plus grand nombre.

Se faire vacciner est enfin l’une des rares actions qui, pour un risque individuel qui reste limité, peut donner à chacun d’entre nous la possibilité d’un engagement permettant de sauver des vies et de redonner espoir à tous ceux qui, en raison de la situation, ne perçoivent plus leur avenir.


TÉLÉCHARGER AU FORMAT PDF


LIRE AUSSI :

                                   Le Maghreb face au Covid-19

Le Maghreb se présente en ordre dispersé face au coronavirus, sans cohésion ni solidarité, chaque pays au pupitre de ses préoccupations. Tensions sociales en Tunisie, autorité et abcès de fièvre islamiste au Maroc, faillite sanitaire en Libye, contestation algérienne en quête d’un second souffle et désert mauritanien protecteur d’une population lasse du confinement : la gestion de la pandémie est annonciatrice de l’après-crise. Une désarticulation de la scène maghrébine dans un monde devenu multipolaire, où Pékin qui ne manquera pas de poursuivre son entrisme régional en promulguant la santé comme vecteur de puissance.

L’épidémie de coronavirus est globalement contenue au Maghreb. Si les chiffres officiels ont pu faire l’objet de corrections baissières, une tragédie ne saurait être dissimulée ; les réseaux sociaux veillent. Outre l’incertitude du cas libyen, le bilan comptable du Covid-19 reste moins tragique qu’en Occident.

Par un effet d’opportunité, les mesures de confinement préconisées par l’OMS sont les seules que les pays de la zone étaient en mesure d’appliquer réellement. Leurs forces de sécurité ont été sollicitées ainsi que le maillage des moqadem pour limiter la mobilité des citoyens et réduire l’activité économique de proximité au risque de provoquer des tensions sociales. Un choix politique difficile, mais le seul disponible. Les infrastructures de santé maghrébines sont insuffisantes (lits de réanimation, personnels soignants et couverture médicale discontinue en province). Dans l’hypothèse d’une propagation générale, l’inégalité des citoyens devant les soins se poserait en termes de survie, la priorité revenant aux plus fortunés et aux plus influents. Le risque de troubles à l’ordre public s’en trouverait décuplé.

Après le choc des images télévisées de l’Occident confiné, des anciennes puissances tutélaires comptabilisant leurs masques de protection et professant les gestes-barrières, le Maghreb s’est ressaisi. La stupeur a laissé place à un mainstream de dénigrement de l’Union européenne, comparée à un corps sans muscle, sans autorité (incivilité française), sans coordination (régionalisme espagnol), sans efficacité sanitaire (cas italien), sans solidarité géopolitique (exception britannique), sans autre solution qu’injecter des milliards de liquidités pour empêcher l’effondrement de la zone euro. Si la récupération politique est évidente – les États maghrébins en sont coutumiers –, d’aucuns se demandent sincèrement si le modèle européen n’est pas arrivé au terme de sa puissance, si la relation Nord-Sud, « historique et exceptionnelle » selon la rhétorique d’usage, ne se déliterait pas à la faveur d’un nouvel épicentre mondial incarné par la Chine.

Cette analyse en vogue de Rabat à Tunis ne reflète pas cependant la réalité de la lutte contre le Covid-19, une réalité à l’image du Maghreb : disparate.

Algérie

Lorsque le virus apparaît, le pays est déjà à l’arrêt. Chute des cours du pétrole, érosion de la réserve de change et manifestations du Hirac depuis douze mois, Alger vit une crise récursive. L’annonce de la pandémie réveille le spectre de la pénurie alimentaire, infondé puisque l’État a pris ses dispositions avant le ramadan, mais fortement mobilisateur du secteur informel, qui se prépare à suppléer le ralentissement économique. Les produits de première nécessité (farine, lait) sont la cible de spéculations tarifaires. Le coût des masques de protection fluctue selon les stocks et les taxieurs clandestins profitent de l’arrêt partiel des transports en commun. Le premier impact du Covid-19 procède donc d’une tension sur les prix à la consommation et d’un climat d’anxiété qui conduit les Algériens, même les plus réfractaires aux caciques du FLN, à se tourner vers l’autorité régalienne en charge de la santé publique.

Le président Tebboune comprend l’enjeu et tente de restaurer la crédibilité de son régime en multipliant les mesures d’ordre sanitaire et social dans un pays qui compte 1,9 lit d’hôpital pour 1 000 habitants (13,4 au Japon). Sans contester la dimension humanitaire de ses initiatives, la crise reste une « aubaine pour Alger », estime l’universitaire Saïd Belguidoum, qui note la poursuite des arrestations des figures populaires du Hirac. Des sources internes au mouvement s’interrogent sur la reprise de la contestation dès le confinement levé, la crainte étant que l’épisode épidémiologique en ait brisé l’élan. Quelques dizaines de personnels soignants sont récemment descendus dans les rues de Tlemcen pour réclamer une implication plus significative de l’État dans la mise à niveau du système de santé. Alger n’a pas répondu.

Maroc

Malmenée durant les révoltes arabes de 2011, défiée par les manifestations d’Al-Hoceima en 2017, la monarchie marocaine se devait de relever le défi du coronavirus.

Rabat mène une diplomatie reposant sur la notion d’exemplarité ; à l’adresse du Nord, en essayant de s’imposer comme un interlocuteur régional crédible, et du Sud, en consolidant sa profondeur stratégique sur le continent africain. Une gestion ratée de l’épidémie serait génératrice de discrédit.

À l’appui d’un appareil sécuritaire solide, le roi Mohamed VI réagit rapidement face au Covid-19. Sa stratégie est duale : autorité quant à l’exécution des règles de confinement, et solidarité par l’adoption d’un train de mesures sociales inédites dans le Royaume et dont certaines eurent été politiquement incorrectes en d’autres temps, comme soutenir massivement le secteur informel, à l’évidence le plus vulnérable face à l’épidémie. L’habileté du souverain est de muter la menace sanitaire en cause nationale. Des campagnes de dons sont menées tambour battant (entreprises, salariés). La société civile se mobilise en faveur des SDF, des enfants de la rue et autres laissés-pour-compte. Sur la base de quoi le FMI consent un prêt de 3 milliards de dollarsà Rabat, geste salué par les médias officiels chinois comme « un engagement » des instances internationales en faveur du Royaume.

Deux indices de fragilité demeurent néanmoins perceptibles. Le poids de l’économie informelle : elle est certes un précieux facteur de résistance en ces temps chahutés ; sans elle, le petit peuple ne tiendrait pas ; mais c’est aussi une réalité sociétale qui indique le long chemin restant à parcourir avant de rejoindre les standards de l’économie mondiale. Enfin, les islamistes toujours en embuscade. A l’annonce de la fermeture des mosquées, le prédicateur salafiste Abou Naïm lance un appel à la résistance passive en criant « Allahou akbar » sur le toit des maisons. Après deux nuits de contestation (sonore) et quelques rassemblements sur l’axe Tanger-Tétouan, la police arrête l’instigateur des événements. L’épisode rappelle la prégnance de l’islamisme politique au Maroc qui saisit toutes les opportunités pour braver le pouvoir.

202026-03

Tunisie

Après des mois de joutes et d’incertitudes politiques, l’élection d’un quasi-inconnu à la présidence de la république, Kaïs Saïed, la Tunisie renoue avec le volontarisme étatique.

Trois hommes forment la clef de voûte de la lutte anti Covid-19. Le président : des photos le montrent transportant des cartons d’aide humanitaire envoyés aux populations en souffrance. Le Premier ministre Elyes Fakhfakh réorganise l’appareil d’État. Les erreurs des premières semaines ont été reconnues, comme oublier d’inclure les petits retraités dans la catégorie des Tunisiens vulnérables. L’Exécutif a corrigé – par l’adoption d’une mesure exceptionnelle de réévaluation des pensions. Enfin le ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, médecin et membre du mouvement islamiste Ennahdha. Ce qui était un simple fauteuil ministériel obtenu dans le cadre de transactions politiques est devenu un poste résolument stratégique.

Sur le terrain, les mesures de confinement sont accueillies par des nuits de contestations dans les quartiers populaires (Ettadhamen-Mnihla). Parler d’émeute serait exagéré, la protestation n’a jamais cessé depuis la révolution de 2011, mais force est d’admettre que la peur d’une famine échauffe les esprits. L’épidémie réveille la fracture sociale tunisienne et dit la faiblesse d’un État qui peine à organiser la distribution de l’aide d’urgence, environ 50 millions d’euros. Les interminables files d’attente pour percevoir les subsides sont parfois empruntées par des citoyens porteurs du virus, qui, faute de moyens de subsistance, se joignent à l’attroupement pour (sur)vivre au jour le jour.

Libye

La pause humanitaire réclamée par l’ONU n’a jamais été respectée, en témoigne la contre-offensive du GNA, qui vient de desserrer l’étau autour de Tripoli en libérant les villes côtières de Sorman et Sabratha. La ronde des drones se poursuit inlassablement dans le ciel libyen. Des patients atteints du Covid-19 ont dû être évacués de l’Hôpital de l’Indépendance (ex-al-Khadra) en raison des bombardements. Quant aux coupures d’eau et d’électricité, elles ne cessent de dégrader les conditions de vie de la population, notamment les personnes âgées.

Rompues à la traumatologie de guerre, les infrastructures libyennes de santé ne sont pas adaptées au risque épidémiologique. Selon l’OMS, le secteur médical est « proche de l’effondrement ». Les quelques distributions de masques à Tripoli et opérations de désinfections dans les parcs de Misrata émanent d’un gouvernement el-Sarraj qui tente malgré tout de réagir. Le Centre national libyen pour le contrôle des maladies (NCDC) communique sur les gestes-barrières. Un e-site a été créé pour monitorer la pandémie.

202026-1
Prospectus de sensibilisation au risque du Covid-19

Nombre de sources libyennes redoutent que la population paie chèrement la lutte fratricide entre l’Est et l’Ouest, autorités bicéphales dont la faible réactivité face au virus s’expliquerait par l’idée que le confinement était inutile car la Libye est déjà confinée. Aéroports fermés. Mobilité réduite. Flux économiques atones. Même les migrants clandestins vivent confinés sur leurs lieux de transit, où ils s’entassent dans des « conditions épidémiologiques alarmantes » avant de tenter la traverser la Méditerranée pour rejoindre, espèrent-ils, l’espace Schengen.

Au Maghreb, le cas libyen reste le plus inquiétant. Opaque et peu accessible aux équipes soignantes, si une poudrière infectieuse venait à se déclarer, le pire serait à craindre.

Mauritanie

Non coutumier des crises sanitaires, le gouvernement mauritanien commet quelques erreurs de communication au début de la crise avant de se ressaisir. Le président Ould Ghazouani annonce la mobilisation de 64,88 millions de dollars pour l’achat de médicaments et d’équipements de première nécessité. Un programme de soutien aux activités pastorales est lancé.

En Mauritanie, l’épidémie est peu virulente. Le premier décès intervient le 30 mars 2020 alors qu’en France, à cette date, plus de 3 000 victimes sont déjà déplorées. Nouakchott engage des mesures simples et pragmatiques d’anticipation de la crise mondiale. Instruction est donnée de constituer un stock alimentaire de 20 000 tonnes de poisson qui seront soustraites aux prises halieutiques initialement destinées à l’export.

La Mauritanie et le Sénégal ferment leur frontière.

202026-02

L’armée mauritanienne positionne des éléments de long du fleuve éponyme pour empêcher les passeurs d’acheminer des migrants clandestins, parfois de simples citoyens mauritaniens qui tentent de rejoindre désespérément leur domicile. En ville, l’application des mesures de confinement suscite l’impatience des acteurs économiques, informel inclus, qui aspirent à reprendre leurs activités. Certains s’en désespèrent, estimant que l’État surjoue les règles sanitaires au regard du nombre de cas constatés. Des Mauritaniens confinés dans un hôtel de Nouakchott entament une grève de la faim (éphémère) pour protester contre leur mise en quarantaine.

Lucide, la Mauritanie a conscience de vivre un épisode épidémiologique de virulence moindre, étant aussi peu affectée qu’elle n’est soutenue par la communauté internationale. « On ne peut d’abord compter que sur nous-mêmes », écrit Mohamed Mahmoud Mohamed Salah, professeur à l’Université de Nouakchott. Effectivement, quand le G20 décide d’engager 5 000 milliards de dollars pour résorber la crise du coronavirus, le dossier mauritanien est loin de s’inscrire au rang de ses priorités.

Le Covid-19, un agent révélateur

Bien qu’il soit prématuré de faire un bilan de l’épidémie, notons ces quelques éléments factuels. Le Maghreb résiste. L’épidémie est globalement contenue. Les mesures de confinements sont acceptées par les populations et les États qui, aussi antinomiques soient-ils, ont en partage le souci d’instaurer, voire de restaurer un lien de confiance avec leurs citoyens.

L’un des premiers enseignements de la crise, inattendu à bien des égards, porte sur le poids du secteur informel, de facto l’économie réelle, sans laquelle les mesures de confinement seraient insupportables aux classes moyennes et aux populations déshéritées. Ce modèle autarcique entre des acteurs économiques d’infortune, fameux système D ne figurant sur aucun PowerPoint de la Banque mondiale, permet de patienter en attendant le déconfinement. Certes peu orthodoxe et calamiteux d’un point de vue empirique, l’informel a le mérite de constituer un socle de subsistance qui, couplé aux aides étatiques, en fait un co-acteur de la stabilité politique.

La question qui se pose désormais est celle du redémarrage. La Libye en sera dispensée, guerre civile oblige, ainsi que la Mauritanie, globalement peu affectée. En revanche, seront soumises à des turbulences les économies connectées à l’échiquier mondial. L’Algérie – l’État a besoin d’un baril à 100 dollars pour boucler son budget. Le Brent étant aux abords de la trentaine, la donne est quasi impossible. Le Maroc – sa bulle attractive des IED (investissements directs étrangers), parmi lesquels figurent Renault et PSA, se prépare à des heures difficiles en raison de la chute vertigineuse des ventes de véhicules neufs. Enfin, la Tunisie. Dans une lettre ouverte au Premier ministre, dont il convient de souligner le ton conciliant, une soixantaine d’acteurs de la société civile s’alarme. « Nous avons conscience que les marges de manœuvre au niveau du budget de l’État sont limitées sinon inexistantes. Et pourtant l’État doit voler au secours de tous ses opérateurs économiques ». C’est un fait, les caisses de l’État tunisien sont vides. Là encore, la mission semble impossible.

Émettons deux hypothèses prédictives :

  • H-1. Suite à l’épisode pandémique, le Maghreb enregistre des pertes mesurées. L’enjeu devient économique. Le financement du déconfinement ne pourra solliciter l’Occident qu’à la marge, celui étant préoccupé par ses propres plans de relance. Dans la région, une seule puissance possède le cash flow pour intervenir massivement : la Chine.
  • H-2. Une déflagration à retardement se produit, un second round pandémique à l’instar de la grippe espagnole. L’Afrique, qui compte 1 % des dépenses mondiales de santé, vit un drame sans précédent. Les populations se dressent contre leurs gouvernements submergés par la crise. L’islam politique s’empare du dossier au motif que le Covid-19 est une malédiction de la mondialisation qui s’obstine à humilier la umma. Le temps est venu de faire triompher le « vrai » islam. La guerre éclate.

À l’évidence, le scénario H-2 est hautement improbable. Si une seconde vague épidémiologique venait à frapper le Maghreb, tout porte à croire que les États sauraient résister, dans la douleur, la pauvreté et les tensions sociales, mais résister.

La santé, un nouveau vecteur de puissance

La question n’a rien de saugrenu, elle se pose à l’aune de cette crise sanitaire sans précédent : que sont devenus les French Doctors des années 1980 ? Que reste-t-il du devoir d’ingérence, quand les navires humanitaires croisaient les océans et des avions déchargeaient sur des tarmacs d’infortune l’aide médicale provenant d’un Occident alors au faîte de sa puissance ?

Depuis le mois de mars 2020, le ciel maghrébin est silencieux. Les rares appareils qui atterrissent déchargent du matériel chinois et des équipes soignantes venues soutenir les « frères africains ». Pendant que l’Occident se replie derrière ses frontières, Pékin projette sur zone ses relais d’influence.

La diplomatie du masque convient au Maghreb, car elle ne promeut aucun projet civilisationnel. Hormis un discours peu consistant sur la solidarité des peuples, le partenariat avec la Chine repose sur la solidarité organique des nations (Durkheim), sans autre sous-entendu que la diplomatie de gré à gré, le mieux disant tarifaire pour le moins faisant politique. Las des relations passionnelles avec les ex-puissances coloniales, les États maghrébins apprécient la stabilité politique chinoise, sa métrique comptable.

Faire du secteur de la santé un vecteur de puissance en Afrique, l’idée est séduisante. Rabat vient de lancer une initiative auprès du Sénégal et de la Côte d’Ivoire pour apporter une réponse commune à la menace du Covid-19. D’un contenu encore imprécis, la posture consiste à développer une diplomatie sanitaire, sans présence occidentale il va de soi, en renforçant les collaborations multisectorielles 

. Il s’agit en clair de ne pas laisser le champ libre aux Chinois et de se prépositionner pour les décennies à venir. Une expression arabe ne dit-elle pas ما يدوم حال ? Rien ne dure ? Pendant que l’Afrique salue l’action de Pékin, certains pensent déjà à son départ.


TÉLÉCHARGER AU FORMAT PDF


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *