Le gouvernement de Pedro Sánchez pourrait devenir le premier gouvernement démocratique à faire un geste pour rectifier la grave injustice faite au peuple sahraoui
La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par le président Donald Trump oblige l’Espagne à faire un geste après plus de 43 ans d’inaction dans le conflit non résolu de son ancienne province en Afrique de l’Ouest, située à moins de 100 kilomètres des îles Canaries. La démarche de Trump a créé une euphorie et un sentiment illimité de puissance à Rabat, qui agit en termes géopolitiques avec cette attitude d’arrogance dangereuse, comme c’est le cas avec les voisins abusifs qui, en profitant de la patience des autres, finissent par croire qu’ils ont le droit de bafouer les règles élémentaires de la coexistence en toute impunité.
La responsabilité de cette situation n’incombe pas uniquement à Trump. Depuis 1975, ses prédécesseurs à la Maison Blanche ont soutenu l’occupation marocaine du Sahara occidental et ont réagi à ses excès avec une attitude complaisante qu’ils n’ont pas eue avec l’invasion irakienne du Koweït. Plus dommageable encore est l’attitude de la France, qui a utilisé son statut de membre du Conseil de sécurité disposant du droit de veto pour aider son allié favori en Afrique du Nord à entraver la Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui a débarqué en 1991 sur le territoire pour y tenir une consultation qui, selon le pacte signé par le gouvernement marocain lui-même, devait donner au peuple sahraoui la possibilité de décider de son avenir, y compris l’option de l’indépendance.
Que dire de l’Espagne, désormais principale victime de ce que l’ambassadeur usaméricain Frank Ruddy, témoin des événements, a défini comme « l’attitude criminelle du Maroc ». Elle a commencé par donner le mauvais exemple en violant gravement le droit international en février 1976, lorsqu’elle a annoncé à la communauté internationale qu’en plus d’abandonner le peuple sahraoui à son pire ennemi, elle renonçait à ses responsabilités juridiques en tant que puissance administrante. En théorie, cette mesure a signifié la fin des responsabilités clairement décrites à l’article 73 du chapitre XI de la Charte des Nations unies, qui stipule que les puissances administrantes ont le « devoir sacré » de défendre les intérêts des peuples sous leur tutelle et de les protéger contre tout abus.
Il s’agit d’une responsabilité qui, légalement, n’expire pas tant que le peuple sous sa tutelle n’a pas atteint l’autodétermination. C’est pourquoi, depuis lors, année après année, l’ONU n’a cessé de rappeler que le Sahara est toujours un territoire non autonome (situant le conflit comme un problème de décolonisation et non de sécession, comme on dit à Rabat) et que l’Espagne n’a pas cessé d’être, légalement, sa puissance administrante.
Tous les gouvernements espagnols qui ont suivi le transfert de l’administration du Sahara occidental au Maroc en vertu des mal-nommés « accords de Madrid » du 14 novembre 1975, ont été très clairs sur le fait que ce qui a été fait le 26 février 1976 était contraire aux normes du droit international et, en particulier, à la Charte des Nations unies. Mais, au lieu de rectifier et de rendre justice au peuple sahraoui, ils ont tous préféré continuer le simulacre. Ils ont ainsi donné à l’annexionnisme marocain un grand avantage diplomatique à l’ONU, où la représentation des peuples des territoires non autonomes devrait être assurée par la puissance administrante. Les gouvernements espagnols ont cru à tort que la grande faveur qu’ils rendaient au Maroc, au prix de laisser le peuple sahraoui sans voix dans la communauté internationale, achèterait la paix avec un voisin aussi gênant. La spirale de crispation actuelle est une preuve évidente de l’échec de cette politique.
Il y a ceux qui ne veulent pas ou préfèrent ne pas le voir. Ce sont eux qui demandent maintenant au gouvernement de Pedro Sánchez d’utiliser la position de prééminence que l’Espagne continue d’avoir légalement dans le conflit pour régler la question en faveur du Maroc. Il est vrai que la monarchie alaouite a suggéré à de nombreuses reprises qu’une reconnaissance espagnole du statut marocain du Sahara serait récompensée par de bonnes relations bilatérales. Mais l’héritage de l’histoire est jonché de violations par le Maroc de ses engagements internationaux envers l’ONU, ses voisins du Maghreb (qui font également l’objet de revendications territoriales) et, surtout, envers l’Espagne. Le général Franco lui-même a été victime de l’une d’entre elles, lorsqu’en 1958 il a remis au royaume marocain Cap Juby, une partie du territoire ancestral du peuple sahraoui. Le dictateur a alors appris que ce type de transactions est voué à l’échec en raison du mécontentement incurable de l’État marocain, marqué par l’idéologie expansionniste du Grand Maroc : le reste du Sahara serait suivi par Ceuta et Melilla ; puis, pourquoi pas, les îles Canaries (nous savons déjà par notre propre expérience que les nationalistes ne se satisfont jamais des concessions qu’on leur fait). L’actuel Premier ministre espagnol a déjà eu la preuve de cette ligne marocain car, l’année dernière, lorsque le Maroc a revendiqué les eaux maritimes au sud des Canaries afin de s’approprier d’énormes richesses minérales, il l’a fait précisément en profitant de sa position illégale actuelle au Sahara. Que ne ferait-il pas après une annexion « légalisée » ?
Ceux qui défendent néanmoins l’entente avec le Maroc devraient prendre note des arguments avancés aux USA par James Baker ou John Bolton pour exiger du démocrate Biden l’annulation officielle de la reconnaissance de Trump. Tous deux sont des figures de proue de la politique étrangère du parti républicain et sont de bons connaisseurs de ce qui se passe au Sahara occidental.
Baker, ancien secrétaire d’État pendant la première guerre du Golfe et représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental de 1997 à 2004, a averti que la mesure prise par Trump en faveur du Maroc n’a pas de contrepartie pour compenser le discrédit que cet acte de « cynisme » entraîne, par sa violation des principes fondamentaux du droit international et de la diplomatie. Il a également averti que le maintien de cette dérive contribuerait à alimenter la guerre dans une région déjà assez instable. Mais ce sur quoi Baker a particulièrement insisté, c’est sur le dangereux précédent d’impunité que la reconnaissance de Trump en faveur du Maroc crée pour les États qui aspirent à une extension de leurs frontières en dehors de la légalité internationale. Il a clairement raison : le Maroc n’a pas pris cinq minutes pour se conformer aux prévisions de Baker, ouvrant un nouveau front de menaces vis-à-vis de l’Espagne concernant Ceuta et Melilla qui, soit dit en passant, n’ont jamais été incluses dans la liste des territoires non autonomes de l’ONU.
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La remise définitive du Sahara occidental au Maroc ne favorise pas les intérêts de l’Espagne, bien au contraire. Dans les forums internationaux, le fait de négliger ses responsabilités concernant le Sahara a été préjudiciable au prestige de l’Espagne pendant toutes ces années. Avec la guerre qui se profile dans la région, nous avons maintenant toutes les chances de subir des conséquences fâcheuses. De plus, l’enjeu est la cohérence de notre politique complexe consistant à rester sur la côte nord-africaine et aux îles Canaries tout en réclamant la colonie de Gibraltar aux Britanniques. Seul le strict respect du droit international et des résolutions de l’ONU maintient cette situation, que certains considèrent comme contradictoire.
Le gouvernement de Pedro Sánchez a une autre option, celle de prendre le taureau par les cornes et de reprendre le rôle qui revient à l’Espagne pour revenir au cessez-le-feu, annulant ainsi toute possibilité de guerre au Sahara qui menace la stabilité de l’Afrique du Nord et des îles Canaries.
Elle a à sa disposition l’exemple du Portugal au Timor oriental, la colonie portugaise annexée par l’Indonésie en 1975 qui occupe aujourd’hui une place au sein de l’ONU en tant qu’État souverain. Cette voie exige de reconnaître l’absence de validité juridique des accords de Madrid, car c’est l’occasion de préciser qu’ils n’ont jamais été légitimes, et de ramener cette situation à l’ordre international en remettant à l’ONU l’administration du territoire afin que, avec son soutien, le référendum d’autodétermination libre et transparent qui devrait mettre fin à la décolonisation du peuple sahraoui puisse enfin avoir lieu. L’Espagne a déjà essayé cette voie en 1975 avec le « plan Waldheim ». Elle a été sabotée par ceux qui, à Madrid, voulaient faire un nouveau cadeau au Maroc en imposant la signature des accords de Madrid susmentionnés.
Au lieu de s’aligner sur l’action de Donald Trump, le gouvernement de Pedro Sánchez fixerait un nouveau cap qui rendrait à l’Espagne cette initiative en Afrique du Nord. Il deviendrait enfin le premier gouvernement démocratique à faire un geste pour rectifier la grave injustice faite au peuple sahraoui, seule nation arabe hispanophone. Un changement, sans doute stratégique, dans notre politique étrangère qui nécessiterait de réorganiser notre politique d’alliances, en profitant de l’opportunité offerte par la présence d’un nouveau locataire plus fiable à la Maison Blanche*.
NdT
*Le traducteur se permet d’exprimer quelques doutes sur la « plus grande fiabilité » du nouveau locataire de la Maison Blanche. Mais il n’est pas interdit de rêver…
par Ana Camacho & Fernando Maura, et traduit par Fausto Giudice
Merci à Tlaxcala
Source: https://blogs.elconfidencial.com/mundo/tribuna-internacional/2021-01-31/que-deberia-hacer-espana-en-el-sahara-occidental_2929019/
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