LEÇONS D’HISTOIRE… EN LIVRES

            par Belkacem Ahcene-Djaballah 

   Sétif, la fosse commune. Massacres du 8 mai 1945. Enquête de Kamel Beniaiche (Préface de Gilles Manceron). El Ibriz Editions, Alger 2016, 900 dinars, 337 pages

Mardi 8 mai 1945 : Le monde libre scelle la capitulation des armées nazies.

Le matin, la ville de Sétif est en ébullition. La cité a été repeinte pour l’occasion…Une ambiance de kermesse. C’est, de plus, jour du marché hebdomadaire, ce qui a amené à la ville bon nombre de ruraux.

Environ 8 000 Algériens sans armes et sans «aâssa» (canne habituelle) doivent défiler, pacifiquement, scouts en tête (répondant à l’appel de l’AML et du PPA, interdit depuis 1939, selon l’auteur, p 38)… et aller déposer une gerbe de fleurs au monument aux morts, et seulement «brandir des slogans politiques», «démontrant leur bonne foi». Car, des dizaines de milliers d’Algériens sont morts pour libérer l’Europe du nazisme. La France coloniale (dont une bonne partie avait épousé la «cause» nazie à travers le pétainisme) l’oublie assez vite. En cours de route, le drapeau algérien est brandi… Bousculade. Saâl Bouzid est abattu par le policier européen Olivieri (Peur ? Une «autorité» mal contrôlée ? Exécution d’ordres venus d’en haut ? Ou provocation délibérée ?…). D’autres tirs et «chasse à l’Arabe». Réaction de la foule… à Sétif et ailleurs, la rumeur ayant la part belle : 103 morts et 110 blessés européens… Répression féroce… même dans les endroits de la région (et du pays) où il n’y eut aucun incident durant les défilés… Jusqu’à Guelma. Kherrata, El Eulma, Bordj Bou Arréridj, Aïn El Kébira, Bougaa, Aïn Abbasa, Bouandas, El Ouricia… 45.000 morts algériens (6.000 tués et 14.000 blessés selon le Gouvernement général de l’époque), des exécutions sommaires (dans une «chasse aux merles» menée par les troupes – composées entre autres de légionnaires, de soldats sénégalais et marocains – et les milices formées de colons haineux), des emprisonnements sans jugement ou suite à des procès expéditifs, des milliers de disparus sans sépulture victimes d’exécutions extra-judiciaires, des charniers sans compter (dont beaucoup restent encore à découvrir), des villages et douars entiers bombardés, mitraillés et détruits (300 sorties aériennes en six jours et pilonnages des montagnes des Babors par les forces navales – dont le croiseur «Duguay -Trouin» – à partir des rivages de Bejaia et Jijel), des familles et des tribus décimées, des viols, des incendies, des humiliations publiques, des cadavres sans sépulture livrés aux chacals et aux chiens… les leaders politiques nationalistes accusés d’être responsables des «émeutes» et emprisonnés (à l’exemple du «Tigre», Ferhat Abbas et du Dr Ahmed Saâdane – qui furent arrêtés dans le salon d’attente du gouverneur général d’Alger, le 8 mai 1945 à 10h30. Mis au secret, ils n’apprirent les événements du Constantinois que deux semaines après – et de Cheikh Bachir Brahimi… et, même Mme F. Abbas, Marcelle Stoetzel, sera malmenée et écrouée à El Harrach, puis à Alkbou, puis en résidence surveillée, à Mascara), des interdictions de séjours… des traumatismes pour la vie, que l’on redécouvre à travers les témoignages recueillis auprès de survivants. Même les enfants ne sont pas épargnés. Ainsi, 17 collégiens sont priés «de quitter les bancs du collège» (ex-Albertini) pour avoir participé à la manifestation de Sétif…On y retrouve les noms de… Kateb Yacine, Abdelhamid Benzine, Benmahmoud Mahmoud, Mostefai Seghir, Maïza Mohamed Tahar, Zeriati Abdelkader, Torche M-Kamel, Khïer Taklit, Abdeslam Belaïd, Djemame Abderezak… et, certains seront, par ailleurs, emprisonnés. Un véritable massacre en «vase clos», la presse coloniale (mis à part, un peu plus tard, «le Courrier algérien») et, aussi, «métropolitaine» (comme «Le Monde» ou «Le Figaro») n’évoquant que les morts européennes. Seules les révélations du consul général britannique à Alger, Carvell et du consul de Suisse à Alger, Arber, lèveront, par la suite, le voile sur une partie de l’holocauste. De Gaulle, qui dirigeait alors la France (gouvernement provisoire), ne lui a consacré que deux lignes dans ses «Mémoires».

Avis : Onze années de recherche et cinquante témoins. Un livre – pas facile à lire – qui fourmille de détails sanglants et émouvants. Un livre qui alimente la nécessaire réflexion sur les responsabilités françaises dans la répression (un «crime d’Etat» selon le préfacier Gilles Manceron) mais aussi qui pousse à s’interroger sur les responsabilités personnelles et particulières… Un ouvrage qui n’oublie pas de mentionner les meurtres et les violences commises à l’encontre d’Européens.

Un ouvrage qui est, aussi, disponible en arabe (nouvelle couverture et à compte d’auteur. Edité en 2018)

Droit d’évocation et de souvenance sur le 17 octobre 1961 à Paris. Essai de Mohammed Ghafir, dit Moh Clichy (préfaces de Jean Luc Einaudi et Boualem Aïdoun), Edition à compte d’auteur (?), Alger 2013 (3ème édition actualisée), 587 pages

Voilà un livre (plutôt un recueil de textes et de documents) qui constitue pour l’auteur «le rêve de toute une vie» parce qu’il comporte non seulement une page d’histoire quasi exhaustive, sur la lutte pour l’indépendance de l’émigration algérienne en France, mais qui est aussi une compilation des étapes importantes des rapports entre l’Algérie et la France. De la documentation, des commentaires et, aussi, beaucoup de témoignages ! Ce qui en fait un livre à part si on le compare à tout ce qui s’est fait, jusqu’ici, en matière de «mémoires» de moudjahidine. Le parcours, le surnom de l’auteur (devenu chef d’une Super-Zone parisienne), ses photos de jeunesse dont l’une conduisant une moto sont, à eux seuls, un résumé à nul autre pareil de la jeunesse, du courage et et du dynamisme de (presque) tous ceux qui ont déclenché et/ou participé à la guerre de libération nationale, en Algérie, et aussi, en France même (ce qui était une «première», soulignée par beaucoup de spécialistes, dont le général Giap). Durant les sept années de guerre en France (de janvier 1956 à janvier 1962) et, selon les statistiques françaises (forcément incomplètes, bien des crimes colonialistes ayant été commis, mais omis volontairement), la Fédération de France du FLN a mené 11 896 actions armées.

Un des hauts faits du combat a été l’organisation des manifestations du 17 octobre 1961. Suite au couvre-feu (visant seulement les Algériens) imposé à partir du 6 octobre par la Préfecture de police parisienne, des dizaines de milliers d’Algériens, hommes, femmes et enfants, organisés en immenses cortèges, ne portant aucune arme ou quelque chose de semblable, ont franchi les portes de Paris et ont occupé les grandes artères, scandant seulement des slogans antiracistes, demandant la libération des militants détenus, des négociations avec le GPRA et l’indépendance totale de l’Algérie. La répression, menée par le ministre de l’Intérieur de l’époque Debré et le SG de la préfecture de la Seine – Paris, l’ancien pro-nazi Maurice Papon (il avait sévi à Paris déjà en 53 puis à Constantine en 56-58 et il avait créé, en juillet 59, la Force de police auxiliaire (FPA) constituée de 500 harkis sélectionnés d’Algérie et installés à Barbès et dans tous les points «chauds» de Paris), est sanglante. Près de 400 tués et disparus (beaucoup jetés dans Seine et jamais retrouvés ou retrouvés bien plus tard comme la jeune collégienne de 15 ans, Beddar Fatima), mais certainement bien plus.

Avis : De nombreux textes et documents à grande valeur historique.

Les insurgés de l’an 1. Margueritte (Aïn Torki), 26 avril 1901. Etude de Christain Phéline. Casbah Editions, Alger, 2012.870 dinars, 270 pages

L’affaire de Margueritte (aujourd’hui Aïn Torki) sur les pentes du Zaccar… une révolte populaire (100 à 200 personnes conduits par un certain Yacoub, appartenant à une famille maraboutique) certes circonscrite à un petit village colonial, mais qui trouve une grande valeur annonciatrice… préfigurant tout ce qui allait se passer jusqu’à la révolte suprême, celle de 54. Elle avait commencé à mettre en lumière, aux yeux des plus conscients des observateurs (si peu nombreux et encore bourrés de préjugés) les pratiques par lesquelles la puissance coloniale, au cours des cinq décennies suivantes, fermera obstinément la voie à toute issue pacifique. Elle a préfiguré les méthodes (dépossession, exploitation, racisme ou mépris…) qui, avec des conséquences irréversibles, allaient se développer à grande échelle à partir des événements de Guelma et de Sétif en 1945… accroître l’ «anticolonialisme» et surtout développer la conscience nationale. 26 avril 1901. Un petit centre de colonisation (du côté de Hammam Righa… avec sa placette, son église, ses «petits blancs», son garde-champêtre, son institutrice laïque, ses petits colons, son caïd, ses vignobles… et un gros propriétaire terrien détenant à lui seul quelque 1 299 hectares, la plupart acquis par licitation et spoliation… et, tout autour, des tribus réduites à la ruine, à la misère, à l’errance et à la mendicité.

Un soulèvement populaire (des individus «à la recherche d’une mort plus digne qui n’était leur survie»),… cinq européens et un tirailleur «indigène» morts (et non 30 ou 50 comme il est rapporté au public). La répression s’abat assez vite sur la région et ses habitants musulmans ; ordre est donné «d’amener tous les indigènes de 18 à 60 ans rencontrés». Il y en aura 400. 188 inculpés, 137 incarcérés et renvoyés devant les assises… et des dizaines et des dizaines de victimes (200 selon un article du journal «Turco») des exactions, soit des militaires (tirailleurs, chasseurs et zouaves) organisant des «battues» et des «chasses à l’homme», tuant, brûlant, pillant et violant, soit de colons armés se vengeant à qui mieux mieux. Un procès en France. Certes, quelques défenseurs. Mais, pas assez pour plaider la révolte politique et un traitement de «prisonniers politiques», les accusés ayant été pris «les armes à la main». Par contre, beaucoup pour accuser le fanatisme religieux. Certes, aucune condamnation à mort mais des travaux forcés à perpet’ (à Cayenne, en Guyane, connue pour être «la guillotine sèche») pour 9 dont quatre y trouveront rapidement la mort… y compris Yacoub qui avait été «affecté» aux îles du Salut, un lieu suscitant «l’effroi de tous les bagnards», de lourdes peines allant de 5 à 15 ans. Et des interdictions de séjour. Peu d’acquittements (81). Encore faudrait-il préciser qu’en cours de route (en plus des séquestres des biens), étant donné les conditions inhumaines de transport (maritime), de détention, de non-prise en charge médicale et psychologique, beaucoup (19 entre avril 1901 et l’ouverture des assises) sont morts de maladie ou de déprime… et même les acquittés, ne connaissant pas le français, dénués de tout, furent abandonnés, à Montpellier, à leur sort en terre inconnue peuplée d’ «infidèles». Les interdits de séjour, «rapatriés», seront accueillis par les agents de l’Administration qui les enverront, menottes aux mains, dans le Sud de l’Algérie, au pénitencier. Quant aux «acquittés», il ne leur sera pas permis de revenir auprès de leurs familles et seront «interdits» de pénétrer dans le village.

Ni idéologue, ni militant, modeste et rigoureux, s’interdisant tout commentaire ou jugement de valeur. Un maximum d’éléments d’information… sur un événement que beaucoup d’Algériens ont mis aux «oubliettes» de leur Histoire. Et, pourtant, une page (parmi les toutes premières) de la lutte pour la libération.

Rescapé de la guillotine. Mémoires de Mostefa Boudina. Editions ANEP. Alger 2008, 160 pages, 360 dinars.

C’est vrai, nos héros ont «pris de la bidoche» dans leurs fauteuils de sénateurs, et on avait, peu à peu, oublié leurs prouesses ou leurs sacrifices de moudjahidine, allant parfois, sinon souvent, jusqu’à les «descendre en flammes», sans autre forme de procès, pour leurs prestations après l’Indépendance. A tort ou à raison !

Des «pas de chance» ? Non, tout simplement, à mon sens, parce qu’ils n’ont pas su (ou voulu, ou pu) raconter leur vie d’avant.

Heureusement, les choses sont en train de se remettre, tout doucement, mais sûrement, en place, et l’Histoire de la lutte de libération nationale se (re-) construit grâce, notamment, à des œuvres telles que les mémoires, les témoignages et les souvenirs de tous ceux qui y ont, peu ou prou, joué un certain rôle ou un rôle certain.

L’œuvre (préfacée par Ali Haroun qui n’est plus à présenter et qui la valide plus qu’il n’en faut) de Mostefa Boudina est de celles-ci.

Condamné à mort (deux fois), poursuivi pour une troisième accusation, il relate son séjour – après l’emprisonnement et les tortures – dans le couloir de la mort lyonnais, en attendant «d’avoir la gorge tranchée».

Horrible séjour, émouvants souvenirs… qui, à un certain moment, surtout celui où il raconte le martyre des frères emmenés, à l’aube, brusquement, à la guillotine, amène des larmes aux yeux… et vous pousse, quel que soit votre niveau intellectuel, votre pacifisme et votre envie de «réconciliation», à devenir haineux pour tout ce qui touche au fait colonial et à ses ultras… ainsi qu’à leurs héritiers d’aujourd’hui. Bref, passons !

Il faut que tous le sachent et l’auteur fait très bien de nous le rappeler : Les tribunaux militaires ont condamné à mort 2010 patriotes algériens (sans parler des condamnés à mort par contumace). 215 ont été graciés, mais, 210 ont été guillotinés et une dizaine ont été fusillés ou brûlés vifs. Les listes sont publiées en annexe du livre et devraient figurer sur un monument aux morts, peut-être le plus symbolique… qui reste à élever. Le nombre des rescapés de la machine criminelle s’élève à 1795. Mais, peut-on vraiment parler de rescapés après un passage – toujours long, trop long – au «couloir de la mort» colonial. On en sort vivant, mais à moitié éteint, la joie ayant déserté à jamais les cœurs.

Ceci explique, peut-être, cela !

Avis : Doit obligatoirement être lu. Toutes vos dérives vous seront pardonnées. Et, pour les «fainéants» des méninges, il se lit d’un seul trait, tant il est prenant par son style simple et direct, et émouvant à travers les sacrifices (et les guillotinés) racontés. En espérant voir, un jour, de larges extraits intégrés dans les livres scolaires d’histoire.


Des soldats tortionnaires. Guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable. Une recherche universitaire de Claude Juin. Media Plus Editions. Alger 2012. 364 pages, 1400 dinars

Près de deux millions de jeunes gens (de France) ont été appelés ou rappelés entre 1955 et 1962…pour aller «mettre fin à l’action des agitateurs (…), au règne de la terreur (…) et rétablir pour tous la sécurité et la confiance» au sein de départements «français».

Ils étaient partis, tout du moins au début, la fleur au fusil, croyant aller à la découverte de l’Orient… d’un pays dont, globalement, ils ignoraient l’existence. La population européenne, surtout les puissants lobbies colons, étant le tamis cachant le soleil… faisant accroire en une «patrie mise en danger» par des «Indigènes terroristes».

Huit années de guerre…trente mille d’entre-eux y périrent… deux cent mille blessés ou gravement malades…

Pourquoi ? Parce que bien d’entre-eux furent confrontés rapidement à une triste et douloureuse réalité : l’exploitation des populations arabes par la population européenne, une sur-exploitation par les gros propriétaires et grands industriels, un apartheid déguisé, un racisme patent… et une résistance populaire des «Arabes» bien souvent insaisissables.

«En Algérie, (au sein de leur Armée et de la société européenne environnante qui vivaient dans un «totalitarisme ambiant»), ils n’ont pas découvert le mal, ils étaient plongés dedans»… plongés «dans la violence extrême», perdant sans le savoir, et pour les plus faibles psychologiquement, «toute humanité» à l’endroit des «Arabes». «Tous des «fells» qu’il fallait éliminer !»

«Je n’avais jamais pensé que la méchanceté des hommes pouvait aller jusque-là : tuer pour le plaisir de tuer» écrit, dans une de ses lettres, un prêtre rappelé en Algérie.

Bien après le retour au pays natal, «l’inhibition de la honte» a conduit inexorablement, de leur vivant, «au néant» et à leur départ vers l’au-delà, «en enfer». Bon voyage du fond du cœur ! A tous ceux qui ne se sont pas repentis… en n’oubliant que parmi les appelés (dont un fameux collectif de trente-cinq des cinquante-cinq prêtres rappelés) ), beaucoup furent ébranlés dans leur foi et leur amour du prochain, s’insurgèrent et osèrent dénoncer publiquement les exactions et les pratiques honteuses de l’armée française (comme Jean Muiller, un ancien de la Route des Scouts de France, comme les cent cinquante militaires qui assistèrent à la messe de Saint-Séverin le 29 septembre 1955…). Ils furent poursuivis par la justice, emprisonnés ou affectés dans des sections difficiles. Il fallait bien s’en débarasser et rien de tel qu’une «embuscade»… avec des balles qui ne se perdent pas.

Avis : Un auteur engagé qui, déjà en 1960, avait publié un ouvrage Le Gâchis, un ouvrage rapidement interdit. Appelé du contingent en Algérie en 1957-1958, il y racontait «sa» guerre, sous le pseudonyme de Jacques Tissier. Une photo terrible : un gamin (arabe, bien sûr) de douze ans à qui l’on fait porter un poste radio de dix-huit kilos, qui «ouvre la route» et «nous protège de possibles mines». A l’arrière, on aperçoit les soldats.

La guerre d’Algérie en France (1955-1962) ou Les combattants du Fln en exil. Récit (romancé) de Ali Boukerma (Préface de Kamel Bouchama). Editions Juba, Alger 2017. 600 dinars, 159 pages.

Si la guerre d’Algérie en France n’a pas été aussi meurtrière (quantitativement ) pour les Algériens que la guerre en Algérie même, elle a été presque aussi terrible… les militants nationalistes du Fln se retrouvant «immigrés», agissant dans des eaux hostiles à plusieurs niveaux :une forte population européenne, certes pas toute hostile (il y eut les «porteurs de valise» et beaucoup de sympathisants ) mais ne comprenant pas le combat pour l’Indépendance des «Arabes» («L’Algérie, c’est loin !») et il a fallu attendre les envois massifs d’appelés pour que l’angoisse naisse et se généralise ; une vie communataire se déroulant dans des conditions économiques et sociales difficiles, bien souvent dans des «ghettos» ; une police qui jouissait de tous les droits,quand elle était appelée à «ratonner», d’autant que la justice et une «certaine presse» n’étaient guère pressées de demander des comptes quant aux dépassements; toute une armée de «harkis» «importés» d’Algérie dans le but de seconder la police hexagonale… ..et pour couronner le tout, les facilités accordées, de manière directe ou insidieuse, aux messalistes du Mna afin qu’ils infiltrent et combattent les militants du Fln. Sans compter les «mouchards» et les traîtres» habituels.

C’est dans cette atmosphère dangereusement polluée que le jeune militant Khaled (surnom de l’auteur) a tracé son chemin de combattant au sein de la Fédération Fln de France. Un chemin parsemé de luttes, d’héroisme, de clandestinité, de souffrances, d’embûches, d’emprisonnement, de grèves de la faim, mais aussi d’engagement, de solidarité et de courage Quatre chapitres sur : la lutte sur le terrain / la vie en prison et les rencontres d’autres combattants (Othmane Belouizdad, Ali Zamoum, Félix Colozzi, Samir Imalayene, Fadel, Daksi…) / face aux «juges» du Tribunal militaire permanent des forces armées / les tentatives d’évasion… Un parcours du combattant en vrai !

Avis : Un récit de combat et de résistance. Un récit avec des phrases simples, claires et parfois rudes.

Massinissa. La légende berbère. Roman (historique) de Auguste Ngomo. Editions La Pensée, Tizi Ouzou, 2020, 302 pages, 850 dinars

Au commencement, il y a le demi-dieu Hercule mort quelque part en Espagne. Sa puissante armée, composée de divers peuples, désormais sans chef charismatique se dispersa… et un groupe de soldats constitué de Mèdes, de Perses et d’Arméniens, recherchant une terre d’accueil accostèrent sur les côtes nord de l’Afrique. Ils s’y installèrent. Les Perses vers l’Ouest et rencontrant les Gétules, peuple local, firent alliance… et se donnèrent le nom de Numides (les Nomades). Les Mèdes et les Arméniens firent alliance avec les Libyens… ils devinrent les «Maures»… Plus tard, cela a donné deux grands royaumes concurrents : à l’ouest le royaume des Massaesyles gouverné par le roi Syphax et à l’est, le royaume des Massyles gouverné par le roi Gaïa, fils du roi Zelalsan, fils d’Iles et père du prince Massinisa, fils de la reine Telli. Celui qui allait changer l’histoire de l’Empire romain. Une légende berbère venait de naître, laissant bel et bien vivant aujourd’hui encore et pour longtemps, un grand nom de l’Histoire du pays (son tombeau est toujours dressé à El Khroub, près de Constantine, l’ancienne Cirta).

Massinisa, un roi guerrier berbère intrépide, brave et courageux ayant passé la majeure partie de sa jeunesse sur les champs de bataille. Mais, aussi, un homme tombé éperdument amoureux de Sophonisbe qui le lui rend bien, la fille, ô combien belle, fille du roi de Carthage Barca auprès duquel il avait été envoyé pour étudier et parfaire sa formation militaire. Il aura, par la suite, pour (première) épouse l’autre ô combien belle, la guerrière, Azia, fille de Baga, le roi des Maures, un roi qui préfère une alliance avec Massi plutôt que d’être occupé par les Massaesyles… dont le roi Syphax, ayant «épousé» Sophonisbe (résultat de la géopolitique du temps carthaginois), n’a qu’une envie : trucider Massinissa pour récupérer tout le territoire. C’était sans compter sur le génie de Massinissa, aidé en cela par un ami fidèle, Efès… et par les Romains (dont Scipion… l’Africain) auquel il s’était allié… pour un temps, le temps de récupérer son royaume et de gouverner… jusqu’à l’âge de 90 ans… et ce après avoir réunifié le territoire amazigh (jusqu’à la destruction complète de Carthage… les Carthaginois toujours considérés comme des envahisseurs occupant des terres amazighes), créé sa propre monnaie, instauré la paix, installé de nombreuses ambassades à travers le monde connu, développé le commerce dans plusieurs cités, organisé une armée imposante et aguerrie, ouvert des ports commerciaux tournant à plein régime. L’agriculture était florissante, exportant vers l’Europe d’alors, et le royaume connaissait une certaine activité culturelle et philosophique. Avec lui, «l’Afrique était enfin totalement revenue aux Africains» ! Le reste est une autre Histoire… qui reste à écrire… romancée, svp !… pour les besoins de nos rêves et des futurs réalisateurs de films.

Avis : De l’histoire «vivante»… en souhaitant que l’auteur étende son œuvre à d’autres héros maghrébins et africains. Certes, bien avant lui, chez nous, nous avons eu des précurseurs (Tahar Oussedik avec «L’la Fat’ma N’Soumeur», «Oumeri», Bensalah Abderrezak avec «Nesmis», «Les amants de Théveste», Akkache Ahmed avec «La révolte des saints»… ) mais restés mal (ou pas) lus et mal compris.

Laghouat, la ville assassinée ou le point de vue de Fromentin. Roman (Récit romancé ?) de Lazhari Labter (préface de Daho Djerbal), Hibr Editions, Alger 2018, 250 pages, 700 dinars

Une terrible histoire qui s’est passée il y a longtemps, il y a très longtemps ! Un pan de l’histoire d’El-Aghouat (Laghouat)

Mars 1852 : Une armée (française) composée de 3.000 hommes et de 600 chevaux, renforcée de 100 spahis, 200 cavaliers et 1 800 dromadaires, 5 bataillons d’infanterie, 4 escadrons et d’une batterie de montagne établit son camp devant les murs de Laghouat… la ville alors dirigée par Benacer Benchohra (l’agha incontesté de la puissante confédération des Larbâa) qui a refusé toutes les offres de reddition. Un échec qui ne fut pas accepté… Déjà, depuis 1844, Thomas-Robert Bugeaud, alors gouverneur général, estimait la prise de Laghouat absolument nécessaire car la ville était la clef pour la colonisation des villes du Sahara, de Ghardaia à In Salah.

Décembre 1852 : Une autre expédition (dirigée par les généraux Randon, Pélissier, Yusuf et Bouscaren… des noms tristement connus pour leurs macabres «exploits») avec une colonne considérable atteint Laghouat. Elle est «composée de 2 800 hommes et 1.700 animaux dont 1.700 soldats d’infanterie, 2 pièces de montagne de 80 coups chacune, 30 artilleurs avec fusils de rempart, le train l’équipage des dromadaires… en tout 2.100 hommes de troupe, puis 400 cavaliers du goum (ndlr : les goumiers déjà !), 300 Arabes attachés à divers services et 1 499 bêtes de somme (…), 72.000 cartouches de réserve et 60 dans chaque giberne». Plus un régiment de dromadaires, composé de 100 hommes et 100 bêtes (ndlr : le syndrome égypto-bonapartiste). Globalement, une armée de 6 000 hommes contre 800 à 1.000 Laghouatis (un rapport de six, bien équipés, contre un)

Très forte résistance de la ville et de ses guerriers (quelque centaine d’hommes en armes dont une grande partie d’adolescents) avec ses actes héroïques et aussi, des femmes-courage (comme Messaouda el Hrazlia)… La bataille fera rage et le 4 décembre 1852, tout «sera emporté dans le bruit et la fureur». Un mot d’ordre : «Pas de blessés, tuez-les tous !». Un carnage affreux. Un massacre sans nom. Sans état d’âme : 2.500 hommes, femmes ou enfants tués (et 60 soldats français tués… dont le général Bouscaren et un commandant) pour une population de 4.000 habitants. Toute une ville jonchée de cadavres. Toute une «ville assassinée». Une trace indélibile dans la mémoire collective sous le nom de Aâm el-Khalia.

Benacer Benchohra, le «marin du désert» (pour son habileté dans la guérilla des sables), celui qui avait levé d’étendard de la résistance dès 1841, continuera la lutte… en d’autres lieux… presque jusqu’à sa mort en 1875. Il décèdera en exil, à l’âge de 80 ans, à Damas où il y est inhumé (cimetière des Maghrébins)

Avis : Daho Djerbal a bien résumé ce livre à la forme originale : «C’est un livre d’histoire de la conquête du sud algérien par la France, dite par les propres auteurs de ces massacres sans nom, décrits comme une «promenade militaire». Un roman historique ou de l’histoire romancée (en bonne partie car émaillé de témoignages et de documents..)… une forme d’écriture qui fait participer les acteurs, les victimes, les témoins…

«LA TORTURE». Essai fe Henri Alleg El Moudjahid M.Bourkaib, 2020

Ce livre-témoignage demeure un stupéfiant document sur la torture qu’avait subie, en 1957, Henri Alleg, né le 20 juillet 1921 à Londres et mort le 17 juillet 2013 à Paris. De son vrai nom Harry Salem, membre du Parti communiste algérien, directeur du quotidien «Alger républicain», il était tombé entre les mains des parachutistes français. Il faut imaginer les sévices qu’il a endurés : emploi de la gégène, roué de coups, le supplice de la baignoire, privé d’eau, de nourriture, d’hygiène élémentaire, Henri Alleg ne parlera pas. Il écrira un récit poignant pour en témoigner. Son arrestation date du 12 juin 1957. Les soldats l’attendaient au domicile de Maurice Audin, jeune assistant en mathématiques, lui aussi militant du PCA. Il mourra le 21 juin sous la torture.

Parmi les nombreux ouvrages qu’Henri Alleg a écrits, deux sont de nature très différente, mais se complètent convenablement ; «La Question», publié aux Editions de Minuit en 1958, et «Mémoire algérienne» édité chez Stock en 2005 puis aux Editions Casbah à Alger. Le premier document est un récit circonstancié rédigé dans les geôles de Serkadji à Alger, où il a été transféré après son «séjour» à El Biar. De prison, les petits bouts de papier sortent au compte-gouttes, Gilberte, l’épouse d’Henri Alleg les tape à la machine. Jérôme Lindon, qui dirige les Editions de Minuit, publie l’ouvrage en février 1958. Le livre fait l’effet d’une bombe, la chape de plomb maintenue exprès pour dissimuler ces actes de torture vole en éclats.

Le témoignage va être pour notre lutte de libération, ce que la photo des enfants brûlés au napalm sera durant la terrifiante guerre du Vietnam. La Question est rééditée en Suisse, avec une postface de Jean Paul Sartre. Nils Andersson, un Suisse, qui faisait partie des soutiens de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, se chargera de le republier en terre helvétique. Des extraits de cette vigoureuse charge contre la torture ont été publiés dans plusieurs journaux. «L’Humanité», «France Observateur», «L’Express» ou «Témoignage chrétien». Il faut noter qu’Henri Alleg signera, en 2000, «l’Appel des Douze» pour la reconnaissance par l’Etat français de la torture. Le mérite de Jérôme Lindon fut d’avoir engagé les éditions de Minuit dans un combat honorable, en s’élevant contre la torture et les dérives de «la guerre qui ne dit pas son nom», avec la collaboration du célèbre avocat Jacques Vergès et de l’historien Pierre Vidal-Naquet. Jérôme Lindon publia 23 livres dédiés à la guerre d’Algérie jusqu’en 1962, pour douze saisies et un procès. «La Question» provoqua une onde de choc en frappant l’opinion publique : aux 84.000 exemplaires diffusés, s’ajoutèrent les 90.000 du bulletin «Témoignages et Documents» de Maurice Pagat qui reproduisait le texte en intégralité. À la fin des années 1960, les Editions de Minuit devinrent une tribune éditoriale en faveur de la Cause palestinienne, avec la publication en 1969 de «Pour les Fidayine» de Jacques Vergès, préfacé par Jérôme Lindon, suivi de la «Revue des Études palestiniennes» de 1981 à 2008, et des poèmes du regretté Mahmoud Darwiche au cours des années 1980. Comme François Maspero, Nils Andersson, Jérôme Lindon incarne un éditeur militant. La sinistre OAS plastiquera, d’ailleurs, ses locaux. Fidèle au modèle éprouvé depuis les années 1950, la maison d’édition demeure toujours d’une taille modeste, ne dépassant jamais la dizaine d’employés pour au plus une vingtaine de nouveaux titres par an. Malade, Jérôme Lindon mourut à Paris le 9 avril 2001. Nous ne saurions trop conseiller aux lecteurs de lire ou de relire cet accablant document contre la bête immonde. C’est d’autant nécessaire que depuis la fin de notre lutte de libération, des «révisionnistes», en mal de notoriété, s’échinent à travestir la réalité historique, persistent à glorifier ceux qui avaient commis des crimes impardonnables, à les blanchir.


«Leçons» d’histoire


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