France / Le retrait militaire au Sahel, un débat qui échappe aux parlementaires

    par Romain Mielcarek

Alors que la situation sur le terrain reste particulièrement critique, le sujet peine à émerger en France.

Un soldat français à Hombori, au Mali, en mars 2019. | Daphné Benoit / AFP
Un soldat français à Hombori, au Mali, en mars 2019. | Daphné Benoit / AFP

Pendant que l’armée française attaque sa huitième année de présence au Sahel, une enquête d’opinion a donné pour la première fois une majorité de Français hostiles à cette opération militaire. Le 12 janvier, l’institut Ifop obtenait 51% de sondés défavorables à l’opération Barkhane, dont 19% franchement opposés. Un effet des cinq soldats tués en fin d’année au Mali? Le débat politique, lui, peine à émerger.

Le député de La France insoumise (LFI) Bastien Lachaud fait partie de ceux que l’on entend le plus régulièrement sur cette thématique, notamment pour réclamer un retrait. Membre de la commission Défense de l’Assemblée nationale, il accuse régulièrement le gouvernement de «botter en touche» lorsqu’il pose des questions sur la guerre au Sahel. «Personne ne considère chez nous qu’il existe une situation simple alors que la situation sur le terrain est complexe, tient à préciser l’élu de la Seine-Saint-Denis. Mais malgré cette complexité, on ne peut pas dire que la situation s’est améliorée depuis huit ans. Le nombre de djihadistes ne réduit pas durablement. Le coût humain et financier est sans commun rapport avec ce qu’on peut en tirer. Il faut redonner aux peuples sahéliens les moyens de décider eux-mêmes.»

 

Par culture, les élus français préfèrent en général se montrer prudents à propos de l’engagement des militaires. Comment remettre en question les choix du gouvernement sans donner l’impression de ne pas soutenir les troupes qui sont en première ligne? Un exercice d’équilibrisme délicat, d’autant plus que ce débat mobilise relativement peu l’opinion publique. Le député Thomas Gassilloud, du groupe Agir, préfère proposer de «rester au Sahel, mais autrement». L’élu du Rhône, ancien de La République en Marche (LREM), réclame d’«éviter la fuite en avant militaire, qui voudrait une solution uniquement militaire et [d’]éviter le retrait qui laisserait le Sahel sans solution. Barkhane peut gagner des batailles. Mais Barkhane, seul, ne peut pas gagner la guerre.»

Une version géostratégique du «en même temps» présidentiel, qui correspond en grande partie à la stratégie adoptée par la France. Le gouvernement promeut depuis le début de l’année 2020 une approche fondée sur quatre piliers: coercition militaire contre les groupes djihadistes par Barkhane, formation des armées locales par les Français et les Européens, diplomatie pour renforcer les États locaux et développement pour donner les moyens aux populations de leur subsistance et de leur épanouissement. Sur le terrain, au Tchad, au Mali et au Niger, les opérationnels rencontrés au mois de novembre, qu’ils soient militaires ou diplomates, affichaient tous leur confiance en ce plan.

Un Parlement impuissant

Dans la France de la Ve République, le pouvoir exécutif bénéficie d’une grande liberté en matière d’opérations militaires. Le président décide seul de déclencher une intervention. L’article 35 de la Constitution donne un rôle au Parlement si le déploiement dure plus de quatre mois: les élus doivent alors autoriser son maintien.

Le Parlement a donc donné son accord au maintien de l’opération Serval au printemps 2013. Depuis, plus rien. «Nous l’avons fait pour Serval, mais pas pour Barkhane», s’agace le député Bastien Lachaud, s’étonnant que le changement de format de 2014 pour regrouper les opérations dans l’ensemble de la sous-région n’ait pas été débattu dans l’hémicycle. «Il y a un vrai souci démocratique sur ces sujets, poursuit l’Insoumis. En lisant l’article 35 de la Constitution, on pourrait d’ailleurs comprendre qu’il faut revoter tous les quatre mois!»

«Tous les quatre mois, cela ne me paraît pas raisonnable vu la charge de l’agenda parlementaire, estime de son côté Sereine Mauborgne, députée LREM. Mais une fois par an, pourquoi pas?» Cette élue du Var a entamé en novembre une mission d’information, la première depuis juillet 2013, au sujet de l’opération Barkhane. Après s’être rendue sur le théâtre d’opérations, elle auditionne responsables militaires et gouvernementaux, mais aussi expert·es de tous horizons. Le tout dans l’idée de produire un rapport en avril prochain.

La députée espère qu’il contribuera à la réflexion et qu’il permettra d’aborder le sujet dans sa complexité, sans rentrer dans un débat purement politicien pour ou contre le gouvernement. «Nous ne sommes vraiment pas dans l’idée qu’il serve à caler des armoires, promet l’élue de la majorité. Il s’agit de proposer un cadre au débat.» Rien n’oblige cependant le gouvernement à prendre en compte ce rapport.

 

Des militaires français de l’opération Barkhane, au Burkina Faso, en novembre 2019. | Michele Cattani / AFP

En réclamant un calendrier de retrait du Sahel, le groupe LFI occupe la posture qui fut celle du Parti socialiste, lors des élections de 2012, à propos de l’Afghanistan: anticiper une rupture durable de l’opinion publique qui, elle, peut peser sur les choix du gouvernement. François Hollande était alors sorti de la modération habituelle au sujet des guerres de la France pour devenir le candidat, puis le président, du désengagement français de cette opération aux résultats mitigés. Les Insoumis ne proposent pas vraiment d’alternative aux alliés de la France au Sahel, qu’il s’agisse des Africains, des Européens ou encore de l’ONU. Mais ils réclament un retrait, tôt ou tard, dont personne ne situe concrètement l’échéance aujourd’hui.

Une posture qui anime les discussions, notamment dans la presse, mais qui agace les élus de la majorité. Jean-Michel Jacques, député LREM très écouté dans la commission Défense, est aussi un ancien militaire des forces spéciales qui fut déployé au Mali en fin de carrière, en 2011. Pour lui, il y a assez d’échanges entre l’exécutif et la représentation nationale sur ce sujet: «Cela a totalement été politisé. Un Parlement qui se saisit réellement du sujet a accès à énormément d’informations.» Comme beaucoup de ses collègues, il a intégré l’idée qu’une guerre de ce type durait longtemps.

Lors d’une visite aux troupes sur place, courant 2020, la ministre des Armées, Florence Parly, laissait entendre que les Français seraient encore là pour cinq à dix ans, selon un officier de l’armée de terre.

Épineuse question

Au-delà des tensions entre groupes politiques et de la volonté de ne pas donner l’impression de saper le travail des militaires, ces sujets peuvent prendre une dimension particulièrement lourde émotionnellement. Un sénateur de droite témoigne du climat particulier au sein de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. «Nous avons tous été touchés par la perte de notre collègue», confie-t-il. Le 25 novembre 2019, le sénateur Jean-Marie Bockel perdait son fils, le lieutenant Pierre Bockel, lors d’une collision entre deux hélicoptères qui coûta la vie à treize soldats. L’ancien secrétaire d’État aux Anciens combattants a marqué les esprits par la dignité de son deuil, laissant une empreinte forte même après avoir terminé son dernier mandat, le 30 septembre dernier. Ce sacrifice a même donné lieu à des échanges particulièrement pesants, comme lors d’une audition d’ambassadeurs sahéliens où le drame a été évoqué par l’ambassadeur malien.

Difficile dans ce contexte d’aborder sereinement l’épineuse question d’un retrait. Mais ce n’est pas le seul handicap que traînent certains élus. Début décembre, le même sénateur sortait d’une audition du général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane. Que retenir de cet échange? «Ce que j’ai trouvé très marquant, confiait alors cet élu de droite, ce sont les affrontements qu’il a décrits entre les djihadistes de l’EIGS et du GSIM. Je crois qu’il y a un truc à creuser par là.» Les combats meurtriers entre les hommes de l’État islamique au grand Sahara et du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, se revendiquant d’al-Qaida, en concurrence au Sahel, suscitent en effet beaucoup d’intérêt depuis le mois de février, époque à laquelle l’état-major des armées commence à lâcher des informations à ce sujet. Une révélation qui aura mis près de dix mois à parvenir jusqu’au sénateur.

 

Les élus ont parfois le sentiment d’être en retard sur les dossiers techniques. Bastien Lachaud, l’Insoumis, s’agace régulièrement d’apprendre par voie de presse des informations qu’il avait réclamées au gouvernement. «Je sais ce qui se passe uniquement en sources ouvertes, dénonce-t-il. Les députés n’ont pas tous les éléments pour se prononcer, notamment du fait du secret défense.» Il invoque régulièrement l’exemple américain où le Congrès dispose de moyens conséquents pour suivre les opérations militaires et où le débat est souvent virulent.

Le sénateur Cédric Perrin (Les Républicains), bien que plus nuancé, a également le sentiment que les élus sont parfois mis de côté. «Nous en apprenons parfois beaucoup plus en auditionnant des experts que lors d’auditions du ministre des Affaires étrangères, témoigne-t-il. Il m’est arrivé de ressortir d’une audition avec le ministre en étant pour le moins circonspect, tant il avait partagé peu d’informations.»


 

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