Dix ans après l’assassinat de Kadhafi, la Libye pourrait-elle renaître de ses cendres?

 Le 20 octobre 2011 restera dans l’histoire comme la date de l’assassinat du colonel Kadhafi. La Libye continue toujours à se chercher un destin politique, mais nombreux sont les Libyens qui regrettent l’ancienne époque. Auteur d’un ouvrage de référence sur le pays, le chercheur Patrick Mbeko fait le point sur la question pour Sputnik.
Il y a dix ans, jour pour jour, le monde entier a assisté devant son écran de télévision à la capture brutale et à l’assassinat de l’ancien dirigeant libyen, le colonel Mouammar Kadhafi. Ce dernier se trouvait dans un convoi d’une cinquantaine de véhicules lorsqu’il a été attaqué par un drone Predator et un Mirage 2000-D de l’OTAN. L’Alliance atlantique avait lancé une opération militaire d’envergure contre la Libye au prétexte de protéger la population de Benghazi et d’instaurer la démocratie dans le pays. Dix ans après les 26.000 sorties des chasseurs de l’Otan ―à raison de 120 sorties par jour―, l’ancienne Jamahiriya arabe libyenne, rebaptisée « État de Libye » en 2013, continue de se chercher un destin politique.
Après des années de guerre civile et d’instabilité politique consécutives à la chute du régime Kadhafi, une lueur d’espoir semble toutefois poindre à l’horizon depuis la mise en place d’un gouvernement de transition en mars 2021, sous l’égide des Nations unies. Celui-ci doit conduire le pays vers une élection présidentielle prévue le 24 décembre. Mais le chemin qui mène au « salut » est parsemé d’embûches et rien n’indique que le scrutin se déroulera comme prévu ou dans la sérénité, compte tenu de l’animosité qui règne entre les camps ennemis…

Le bon vieux temps

En attendant, les Libyens se posent des questions, manifestent une certaine lassitude tout en se remémorant le bon vieux temps, époque où leur contrée était un havre de paix et de prospérité. Il faut dire qu’en dépit du caractère autoritaire du régime qui y était établi, la Libye sous Mouammar Kadhafi était l’un des pays les plus prospères d’Afrique.
La Jamahiriya était en effet un état social où des biens publics étaient mis à la disposition de la population: l’électricité et l’eau à usage domestique étaient gratuites; tout le monde avait accès à l’eau potable, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les banques libyennes accordaient des prêts sans intérêts; la dette publique représentait 3,3% du PIB contre 84,5% en France, 88,9% aux États-Unis et 225,8% au Japon. Le système de santé publique aux normes européennes, de même que le système éducatif (le taux d’alphabétisation moyen était de 82,6%), qui permettait aux meilleurs étudiants de poursuivre leurs études supérieures à l’étranger en bénéficiant d’une bourse du gouvernement, étaient gratuits; il existait des endroits nommés «  Jamaiya  » où l’on vendait à moitié prix les produits d’alimentation pour les familles nombreuses sur présentation du livret de famille.

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Bref. Les Libyens vivaient tellement bien sous Mouammar Kadhafi que le nombre d’immigrés économiques libyens dans l’ensemble de l’Europe était infiniment plus faible que celui des immigrés algériens, tunisiens, marocains. À cet égard, le témoignage de Yacoub Salah, 27 ans, ancien guide touristique libyen devenu demandeur d’asile en France après l’intervention de l’Otan, est parlant. À un journaliste de L’Humanité venu s’enquérir de la condition des réfugiés installés au lycée Jean-Quarré, à Paris, Salah a confié: «  La Libye était riche, plus riche que la France. En arrivant ici, je n’ai vu que la misère. ». Des propos peut-être un peu exagérés?

La « nouvelle Libye » version Otan

Reste qu’en sept mois, soit du 19 mars au 31 octobre 2011, les forces de l’Otan ont détruit ce que les Libyens avaient mis quarante-deux longues années à bâtir au prix d’énormes sacrifices. Politiquement, socialement et économiquement, la Libye n’a plus de pays que le nom. Les conséquences de l’intervention otanienne que l’on feint aujourd’hui de voir comme une fatalité surprenante étaient pourtant parfaitement prévisibles, comme en atteste un rapport  » secret  » des services de renseignement mili­taires canadiens. Daté du 15 mars 2011, soit quatre jours avant l’entrée en scène de l’Otan, celui-ci souligne qu’une intervention militaire extérieure en Libye risquait de plonger le pays dans l’instabilité et une longue guerre civile. Ayant le fait le choix de la confrontation et du changement de régime, le Canada comme le reste de l’Alliance atlantique ont préféré agir, plongeant la Libye dans une situation de chaos généralisé. Pour beaucoup de Libyens, la démocratie et le bien-être tant promis à leur pays par l’Otan peinent à tenir ses promesses.

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Selon le dernier rapport de l’Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), on estime que 823.000 personnes, dont environ 248.000 enfants, ont besoin d’une aide humanitaire en Libye en raison de l’instabilité politique persistante, des conflits et de l’insécurité, de l’effondrement de l’État de droit, de la détérioration du secteur public et du dysfonctionnement de l’économie. Les personnes ayant besoin d’aide sont les personnes déplacées à l’intérieur du pays, les rapatriés, les personnes non déplacées touchées par le conflit et les communautés d’accueil, ainsi que les réfugiés et les migrants.
Les principaux besoins humanitaires en Libye sont liés en premier lieu à la protection, deuxièmement à l’accès aux services essentiels tels que les soins de santé et l’éducation, ainsi que l’eau potable et l’assainissement, et enfin à l’accès aux biens et produits ménagers de base, y compris la nourriture et les articles non alimentaires essentiels. Ces besoins humanitaires reflètent les risques de mort liés à l’exposition à la violence, à la vulnérabilité et à l’incapacité de faire face aux violations et aux abus des droits de l’homme, ainsi qu’à la privation de services et de produits essentiels. Nombreux sont les Libyens qui espèrent que la prochaine élection fixée à la fin de l’année permettra de sortir leur pays de sa calamiteuse situation.

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L’option Saïf al-Islam?
Nombreux sont aussi ceux qui espèrent que Saïf al-Islam Kadhafi puisse prendre part à ce scrutin. Pressenti pour être le dauphin de son père du temps où ce dernier régnait sur la Libye, il a participé aux négociations qui ont permis au pays de sortir de son isolement international après les embargos imposés par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France suite aux attentats de Lockerbie et de la compagnie UTA imputés à la Jamahiriya par ces pays. Au printemps2000, Saïf al-Islam, qui menait la diplomatie parallèle de Tripoli pour le compte de son père, est intervenu pour faire libérerdes otages occidentaux, dont deux Français,détenuspar le groupe islamiste Abu Sayyaf dans la petite bourgade de Jolo, aux Philippines. Dans le cadre des négociations avec les Américains et les Britanniques sur l’affaire Lockerbie, il a rencontré, en avril 2003, en compagnie de la «  boîte noire  » du régime, Moussa Koussa, sir Mark Allen et Steve Kappes, respectivement sous-directeur du MI6 pour le contre-terrorisme et directeur des opérations spéciales de la CIA.
Pour ainsi dire, le fils Kadhafi a été de toutes les tractations avec les pays occidentaux du temps où sa famille était au pouvoir. Il personnifiait la tendance libérale à l’œuvre dans l’entourage de l’ancien Guide libyen. Arrêté par une brigade à Zintan après la chute du régime, il a été jugé et condamné par la justice libyenne avant de bénéficier d’une amnistie en juillet 2016. Très discret depuis, il est pourtant très actif en coulisses, ont confié plusieurs sources libyennes à l’auteur de ces lignes.

Réputé rassembleur —il a contribué à la libération (entre 2009 et début 2011) des centaines d’islamistes, dont les principaux leaders du GICL (Groupe islamique de combat libyen), dans le cadre de la politique de réconciliation nationale— et disposant d’un carnet d’adresses important, Saïf al-Islam Kadhafi est de plus en plus perçu par un grand nombre de Libyens et d’observateurs étrangers comme une option à considérer pour l’avenir de la Libye. Bien qu’il ne se soit pas encore prononcé sur une éventuelle candidature au prochain scrutin, il ne serait pas surprenant que certains acteurs majeurs de la communauté internationale l’encouragent dans ce sens, compte tenu du pedigree problématique des principaux acteurs libyens actuels, lesquels peinent toujours à accorder leurs violons sur la gestion de leur pays…


            Une décennie de chaos : 2011, fin dramatique de Kadhafi

En février 2011, dans le sillage du Printemps arabe, une contestation violemment réprimée débute à Benghazi (est), avant de s’étendre. En mars, une coalition emmenée par Washington, Paris et Londres lance une offensive après un feu vert de l’ONU. Le 20 octobre, Kadhafi est massacré dans un assaut rebelle contre sa région d’origine, Syrte. Trois jours plus tard, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la «libération» du pays.

2012, premier scrutin post-Kadhafi
Le 7 juillet 2012, les Libyens élisent la première Assemblée nationale, un scrutin émaillé d’actes de sabotage et de violences dans l’Est. Un mois plus tard, le CNT remet ses pouvoirs au Congrès général national (CGN, Parlement).
2014, autorités rivales
En juin 2014, après de nouvelles élections, le Congrès général national, dominé par les islamistes et de plus en plus contesté, est remplacé par un Parlement contrôlé par les anti-islamistes. Mais fin août, après des semaines de combats meurtriers, une coalition de milices, en majorité islamistes, s’empare de Tripoli. Elle rétablit le CGN et installe un gouvernement. Le gouvernement en place jusque-là et le Parlement tout juste élu s’exilent dans l’Est. Le pays se retrouve avec deux gouvernements et deux Parlements.
2015, le GNA
Fin 2015, des représentants de la société civile et des députés signent un accord parrainé par l’ONU. Un Gouvernement d’union nationale (GNA) est proclamé. Son chef, Fayez al-Sarraj, s’installe à Tripoli en mars 2016, mais le cabinet parallèle, soutenu par l’homme fort de l’Est Khalifa Haftar, et le Parlement rejettent le GNA.

2017, coup de force de Haftar
En juillet 2017, Haftar annonce la «libération totale» de Benghazi des jihadistes, après plus de trois ans de combats. Début 2019, ses forces prennent Sebha, chef-lieu du Sud désertique et al-Charara, énorme champ pétrolier. Le 4 avril, elles lancent une offensive vers Tripoli.

2020, Ankara dans le jeu et des «avancées
En juin 2020, les forces du GNA, aidées par la Turquie, reprennent ‘ensemble de l’Ouest, en chassant les combattants de Haftar, soutenu notamment par la Russie, l’Egypte et les Emirats arabes unis. Le 23 octobre 2020, les parties signent un cessez-le-feu sous l’égide de l’ONU. Le 13 novembre, 75 délégués libyens réunis en Tunisie s’entendent sur la tenue «d’élections nationales» en décembre 2021. Le 10 mars 2021, le gouvernement de transition obtient la confiance du Parlement. Il remplace le GNA et le cabinet dans l’Est.

2021, doutes sur les élections
Début octobre, le Parlement confirme la tenue de la présidentielle le 24 décembre mais repousse à fin janvier les législatives.
Le 8 décembre, le Haut Conseil d’Etat libyen (HCE), instance faisant office de Sénat, propose de reporter au mois de février la présidentielle en raison de désaccords persistants entre camps rivaux. Le 11, la Haute commission nationale électorale décide le report de l’annonce de la liste des candidats retenus pour la présidentielle, rendant de plus en plus improbable la tenue du scrutin. Le 21, la Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul) se dit «préoccupée par l’évolution de la situation sécuritaire à Tripoli», après le déploiement de groupes armés dans une banlieue de la capitale. Le 22 décembre, une commission du Parlement libyen chargé du suivi de l’élection présidentielle conclut à «l’impossibilité» de tenir ce scrutin le 24 décembre. La Haute commission électorale libyenne (HNEC) a proposé de reporter l’élection d’un mois, soit le 24 janvier 2022.


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