LIVRES / MANIGANCES D’ALCÔVES

        par Belkacem Ahcene-Djaballah

                                                                             Livres

Les vagues d’Océane. Roman de Said Kamel Gueroui. Editions Les presses du Chélif, , Chlef 2021, 203 pages

Une ville, Annaba et son «Cours» (de la Révolution, au centre-ville) aux histoires bouleversantes… Sidi Salem, le bidonville… Une belle jeune fille à la recherche de son frère «disparu» mystérieusement : Bahria… «Océane»… La passion… Mouldi, un jeune à la recherche de son destin, à la vocation d’«homme inutile», amoureux de théâtre… Josip, un (futur) député et bien d’autres. Tous se rencontrant d’abord derrière le théâtre de la ville, sis dans un bel immeuble imposant mais dont la porte d’entrée et de sortie des personnels donne sur la pissotière (vespasienne) principale de la ville et sur une presque «Cour des miracles»… puis sur la scène. Du théâtre partout ! Joutes politiques et intrigues amoureuses se mêlent en permanence avec de l’authenticité, de la solidarité, des jalousies, des ambitions, des revanches, des rêves, des règlements de comptes… Avec, en arrière-plan, guettant les occasions d’attentats, des «forces occultes» dont le «groupe de Bou Merouane», en fait, des activistes dirigés par «Napoléon».Tout un microcosme singulier assez représentatif de toute l’Algérie, avec ses réussites et ses échecs, avec ses événements souvent assez anodins, parfois essentiels, ayant lieu dans le pays mais au retentissement sur le quotidien de chacun… Chacun croyant porter le fardeau de tous les autres ou pouvoir l’alléger. Même l’attentat contre le président en visite est évoqué… Ce sera le chapitre final -assez politique- d’une aventure politicienne et culturelle… avec la mort brutale au bout.

L’Auteur : Né à Announa (Guelma). Diplômé en santé du travail et en ergonomie, professeur de médecine du travail (Annaba). A été vice-recteur chargé de la recherche à l’Université Badji Mokhtar (Annaba).

Extraits : «La mort à plusieurs n’est plus la mort, c’est un simple cérémonial où s’attardent des proches et des amis, une formalité à remplir par solidarité minimum, une saynète où on tend vers l’absurde et le pathétique mais qui s’abîme dans un flop final, le couac du dernier souffle de ceux qui meurent avant même de naître» (p 32), «Gagner ou perdre une élection n’a rien à voir avec le verdict de la démocratie (…). Ça se négocie entre clans, c’est la vérité des clans de tout poil ! Bientôt, vont rentrer en lice les fameux «adeptes du sac» (p 89), «Josip (le politicien local) triait les hommes en trois catégories : ceux qui subissaient les lois, ceux qui les faisaient et, enfin, ceux qui en étaient affranchis» (p 139), «Le pays glorifie ses morts, rarement ses vivants. Dans un bel exercice d’exorcisme, il sème, à mains négligentes, les cimetières dédiés aux martyrs. Il fait fort alors : il enfouit ses héros sous des tonnes de béton comme s’il craignait d’entendre leurs chuchotements navrés; il aligne leurs tombes pour dissuader toute sortie du rang» (p 189).

Avis: Beaucoup plus des réflexions sur le pays à travers une situation locale… Un essai bien plus qu’un roman malgré la présence d’une intrigue de haut niveau, une sorte de dialogue entre l’auteur et ses lecteurs, ce qui rend difficile le «démarrage» de la lecture. Une très belle couverture et un titre très accrocheur… et quelques mots «bizarres» qui vous obligent à consulter le dico : «Dégravoyait», «Eburnéenne», «Eteule», «Carencule», «Exuvie».

Citations : «Il y a pire que la mort; c’est l’attente indéfinie et sans objet. La mort procure un repos éternel, assure-t-on; la perte de l’espoir et l’absence de mise en projet fatiguent en s’insinuant dans les travées les plus intimes, en les fragilisant. La mort devient alors un soulagement» (p 22), «La vedette est un héros consacré par le moment, les circonstances : il lui est loisible d’escamoter tout, alentour… Chez nous, il y a une inflation inquiétante de héros ! (p 29), «Quand un amour commence à éclore, aucune incertitude ne peut le calmer, aucune difficulté ne peut le dissuader» (p 68), «Les convictions les plus puissantes ne durent que le temps d’une manœuvre politicienne» (p 141), «Le théâtre, quand il méritait son nom, ne relevait pas de l’escroquerie, de la vile tromperie d’un public invité aux quiétudes et aux certitudes ficelées d’un monde idéal. C’était, au contraire, une voix puissante qui plantait dans le tréfonds de chacun de nous des mots de passe et des thérapies qui prémunissaient contre les aliénations» (p 152), «Les Algériens ont hérité d’une identité tourmentée, en tout cas traumatique, forgée par le viol durable de la colonisation» (p 174).

Les folles nuits d’Alger. Récit («Conte ?») de Mengouchi (préface de Bachir Dahak). Editions Frantz Fanon, Alger 2021, 201 pages

Ce livre aurait été écrit et édité en France en 1974… une année algérienne particulière avec, confiait-on en catimini, des «intrigues plus ou moins divulguées» et des luttes internes entre gens du pouvoir d’alors. Tout le monde en parlait mais absolument personne ne l’avait vu ou lu. On avait seulement su (et le préfacier l’écrit) qu’un imprimeur parisien venait de se faire «acheter» par d’étranges clients» (la Sm ?) quelques milliers d’exemplaires d’un livre brûlot sur l’Algérie. Il aurait réussi, cependant, à sauver une trentaine d’exemplaires. La légende et la rumeur venaient de trouver leur plat préféré, accompagné d’accusations multiples visant tel et tel(elle) membre de la nomenklatura de l’époque. Il est vrai que celle-ci ne se privait pas de profiter pleinement, le soir venu, pour trouver des «réconforts» après l’effort… comme partout ailleurs, mais avec moins d’ostentation… En tout cas, bien moins que ce que l’on a constaté durant les années 2000, avec des dégâts collatéraux bien plus importants sur toute la société, les «choses» se passant alors en cercles très fermés et bien clos, avec ses sélections rigoureuses.

Le livre actuel a été déjà, je crois, édité en 1984 puis en 2019 en France, mais était passé inaperçu. Celui-ci va-t-il connaître le même sort d’autant qu’aucun nom, ni lieu précis ne sont mentionnés… Ne restent plus que des supputations… 50 ans après ! Encore faudrait-il que les lecteurs (les septuagénaires et plus) aient encore de la mémoire et que les plus jeunes n’aient aucun autre «chat à fouetter»; les histoires du passé politique du pays -encore moins celles des alcôves et des tyrannies d’antan- n’intéressant plus beaucoup.

L’Auteur : Inconnu (pseudonyme ! Quant au préfacier (plutôt le présentateur de l’écrit), Bachir Dahak, c’est un juriste de formation, avocat mais aussi chargé de cours aux Universités de Tizi Ouzou, d’Alger et de Montpellier… ancien président de l’Association de soutien aux travailleurs migrants et du Réseau d’accueil et d’intégration de l’Hérault (France). Auteur d’un essai : «Les Algériens, le rire et la politique. De 1962 à nos jours», alors préfacé par Boualem Sansal, postfacé par Elisabeth Pérégo et illustré par Ali Dilem. Ouvrage paru chez Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2018.

Extraits : «Majesté, n’abusez pas trop de bouzalouf, la cervelle vous monte à la tête, le tabac vous rend irascible» (p 45), «Les principes de la révolution avaient été tracés une fois pour toutes. On ne revenait plus là-dessus, même s’il arrivait à cette révolution de donner parfois de la croupe à ses propres options fondamentales» (p 105).

Avis: Aucun ? Si! Un conte… décousu… mais semé de quelques réalités (pour ceux qui ont vécu l’époque) et de pages assez scabreuses. «Un roman mystère sorti de l’imaginaire sordide de la police politique et censé décrire les mœurs du régime Boumediène», selon feu le brillant politologue Fawzi Rouzeik (décédé le 11 février 2016), auteur d’un ouvrage (édité en France en 2015 chez L’Harmattan et jamais diffusé ou édité en Algérie) sur et avec Chérif Belkacem (Si Djamel), décédé en 2009).

Citations : «Le Grand Eunuque avait dit un jour à Chehrazade : Si on m’assassine dans mon sommeil, ils trouveront tes empreintes digitales dans mon rêve» (p 129), «On était fier pour cela d’avoir les usines les plus belles et les plus grandes du monde (…). Et bien d’autres encore, avec leurs hauts fourneaux qui fabriquaient cette belle fumée bleutée, qui là où elle cognait le ciel, il ne poussait plus jamais de nuages» (p 133), «Quand on est petit, on voudrait tout de suite sauter l’enfance et devenir homme, mais quand, hélas, on l’est devenu, on regrette que l’enfance soit passée si vite. Bien que dans les contrées arides (….) les hommes viennent au monde sans enfance. Ils sont adultes avant l’âge légal» (p 161).


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