Depuis l’Antiquité, la Méditerranée est un espace stratégique, carrefour d’échanges et de civilisations, dont l’histoire a été rythmée par la domination de plusieurs puissances ainsi que de nombreuses confrontations. En quoi la Méditerranée a-t-elle encore aujourd’hui une importance stratégique ?
J.-M. Martinet : La Méditerranée mérite d’être considérée sous plusieurs perspectives pour en comprendre l’importance stratégique. Au plan géographique, la Méditerranée offre la route la plus rapide pour relier l’Europe occidentale au pétrole du Moyen-Orient et l’Atlantique à l’océan Indien en empruntant le canal de Suez. Elle est le seul lien entre les ports de la mer Noire et les océans Indien et Atlantique. Son principal atout lui a été conféré par le percement du canal de Suez, qui permet des transits rapides entre l’est et l’ouest du Globe. Suez permet ainsi par exemple de réduire la distance de 6000 km entre Singapour et Rotterdam.
Au plan économique, son importance est souvent évaluée à l’aune du trafic maritime qui y circule : 25 % du commerce maritime mondial, 30 % du transport pétrolier et 65 % des flux énergétiques vers l’Union européenne. Je pense cependant que ces chiffres donnent une vision conduisant à surévaluer l’importance de la Méditerranée pour l’économie mondiale. La majeure partie du fret circulant en Méditerranée ne fait que transiter sur l’axe Suez-Gibraltar : en cas de blocage de Suez, une solution de contournement par le cap de Bonne-Espérance existe. Les conséquences seraient importantes pour les économies des pays riverains de la Méditerranée orientale et de la mer Noire, pour qui le détour serait important, mais l’impact resterait limité au niveau macroéconomique sur l’économie mondiale.
Au plan militaire, le facteur rapidité étant crucial, l’importance de la Méditerranée est majeure pour permettre la projection rapide, vers l’océan Indien et l’Asie, des navires de guerre en réaction à la survenue d’une crise. En outre, un blocage de Suez contraindrait la marine russe à emprunter le détroit de Gibraltar, tenu par les marines de l’OTAN, pour sortir de Méditerranée.
Au plan géopolitique enfin, la Méditerranée est le flanc sud de l’Union européenne et de l’OTAN. Elle constitue à la fois un pont et un tampon entre deux mondes : les pays de la rive nord — riches, postmodernes, à la population vieillissante — et les pays de la rive sud — confrontés à des difficultés économiques, démographiques, sociales et politiques.
Pourquoi est-il si difficile de mettre en place une architecture de sécurité maritime en Méditerranée ?
La Méditerranée est le témoin d’une multipolarité chaotique sans précédent. D’interface rapprochant les pays des deux rives, la Méditerranée est devenue le foyer de crises multiples qui séparent les pays des rives nord et sud, et provoquent des tensions au Maghreb entre voisins d’est en ouest. Elle est également le théâtre de jeux de puissance des acteurs mondiaux ou régionaux, comme la Turquie qui tente de s’émanciper et de renforcer sa posture au risque de frictions.
Malgré les tentatives de développement d’une architecture de sécurité maritime basée sur des cadres de coopération qui adoptent une approche globale embrassant les domaines militaire, économique, environnemental, énergétique, sociétal et politique, la Méditerranée reste soumise à des défis multiples. La déclaration de Barcelone de 1995 et le partenariat euro-méditerranéen, ou la politique européenne de voisinage, n’y ont pas apporté de solution durables.
Une partie des facteurs expliquant cette difficulté réside dans l’hétérogénéité des sociétés des pays de la Méditerranée et de la mer Noire. La proximité culturelle est un facteur important de compréhension mutuelle, en particulier dans le domaine de la sécurité. Or, ces régions se distinguent par une diversité culturelle qui rend difficile le développement d’institutions communes pour la gestion de problèmes de sécurité partagés et favorise indirectement l’émergence de stratégies bilatérales exclusives, qui sont souvent conflictuelles.
Les questions de sécurité maritime recouvrent des domaines pour lesquels l’interdépendance des pays riverains est forte et devrait donc conduire à une approche coordonnée. Citons l’environnement, la migration, la délimitation des frontières maritimes et le partage des ressources énergétiques. En Méditerranée et en mer Noire, les intérêts des voisins sont souvent perçus comme une menace, et des logiques individuelles de sécurisation se sont mises en place. Le dialogue a été progressivement remplacé par un effort de militarisation accrue pour sécuriser ses propres intérêts, en ayant pour conséquence d’élargir la carte des conflits.
Vous parlez d’une militarisation accrue accompagnant les problématiques de sécurité maritime, quelles en sont les proportions ?
Il s’agit en fait d’une véritable course aux armements. À l’échéance de 2030, si l’on compare le tonnage des marines de guerre des pays riverains de la Méditerranée avec les chiffres de 2010, on constate une augmentation de 170 % pour l’Égypte, 160 % pour Israël, 120 % pour l’Algérie, 50 % pour le Maroc, 30 % pour la Turquie, la Grèce et l’Italie et 20 % pour l’Espagne. Ces augmentations s’accompagnent d’un net bond technologique en matière de capacités militaires de ces navires, avec un effort particulier pour le développement de capacité de déni d’accès et d’action de la mer vers la terre.
Cette militarisation se déroule dans un contexte de remise en cause des frontières maritimes, de souverainetés contestées, de prédation pour l’exploitation de ressources énergétiques, et d’une remise en cause de l’ordre mondial provoquée par l’invasion de l’Ukraine dont il est difficile de prévoir l’issue. Tous les ingrédients sont aujourd’hui en place pour la survenue d’incidents et de conflits en mer.
À l’été 2020, la situation était particulièrement tendue au sein même de l’Alliance atlantique, entre la Grèce, la France et Chypre d’un côté, et la Turquie de l’autre. Quels sont concrètement les scénarios de confrontation envisageables dans le bassin méditerranéen ?
La conjugaison de défis sécuritaires et l’exacerbation des tensions entre États riverains peuvent provoquer des conflits qui sont d’autant plus envisageables que l’espace est congestionné et que les rapports de force sont désinhibés.
Bien qu’en forte infériorité face à l’OTAN, la marine russe pourrait conduire une attaque directe ou indirecte contre les marines des pays fournissant des armes à l’Ukraine.
Temporairement mise en sommeil en raison de la guerre en Ukraine, l’hypothèse d’une confrontation armée entre la Turquie et la Grèce est une hypothèse de conflit crédible au regard de leur rivalité ancestrale, de leur compétition pour le contrôle des espaces maritimes et aériens en mer Égée et des rivalités liées aux prospections gazières en Méditerranée orientale. Une fuite en avant du président Erdogan face à la dégradation de sa popularité en raison de la détérioration de l’économie turque est également possible. Les hostilités auraient alors une dimension maritime marquée : prise d’îlots en mer Égée, action de vive force à l’encontre de navires de prospection gazière.
À l’autre extrémité de la Méditerranée, plusieurs raisons pourraient provoquer un affrontement armé entre l’Algérie et le Maroc : la rivalité historique entre les deux pays qui se cristallise autour de la question du Sahara occidental ; une possible fuite en avant des généraux algériens en cas d’effondrement du régime provoqué par une profonde crise économique et sociale que la hausse actuelle du prix du pétrole ne fait que retarder.
La déstabilisation interne de l’Égypte, de la Tunisie ou de l’Algérie ne peut être écartée. À proximité immédiate des portes d’entrée de la Méditerranée, une telle situation aurait des conséquences immédiates sur la sécurité maritime.
Citons enfin la possibilité d’hostilités entre Israël et l’Iran à travers le Hezbollah libanais, son bras armé régional, sous la forme d’escarmouches, y compris en mer.
En plus des potentiels affrontements entre États, vous avez mentionné des enjeux énergétiques impactant directement la sécurité maritime en Méditerranée, pouvez-vous les développer ?
La découverte de gisements gaziers offshore au large de Chypre, de l’Égypte et d’Israël a été accueillie par ces pays comme une nouvelle opportunité, mais leur a également fait prendre conscience de leurs besoins en matière de sécurité maritime. Le rendement prometteur de ces gisements — peut-être surestimé — offre l’opportunité aux États riverains, producteurs ou futurs producteurs, d’accéder à l’indépendance énergétique et de renflouer leur économie par le biais d’exportations potentielles.
La prise de conscience provoquée par la guerre en Ukraine sur le besoin de sécurisation des approvisionnements énergétiques et la hausse structurelle des prix du gaz renforcent l’intérêt stratégique de ces gisements dont l’exploitation est disputée, rendant possible une escalade qui constitue une menace majeure pour la sécurité maritime en Méditerranée.
Car les caractéristiques géographiques de la Méditerranée orientale ne permettent pas l’application des délimitations de zones économiques exclusives (ZEE) prévues par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer — également connue sous le nom de Convention de Montego Bay —, qui créerait des zones de chevauchement entre deux États. Dès lors, l’usage est que les États procèdent à cette délimitation dans le cadre d’accords bilatéraux sur le principe de ZEE à équidistance des deux côtes. Or, les négociations entre la Turquie et la Grèce n’ont jamais abouti et la délimitation de leurs frontières maritimes constitue une source de tensions. La Turquie est également en conflit avec Chypre, puisqu’elle revendique le droit à une ZEE pour la République turque de Chypre du Nord (RTCN), bien que celle-ci ne soit pas reconnue par la communauté internationale, et nie le droit de la République de Chypre à posséder une ZEE.
Pour lutter contre ce qu’elle perçoit comme un risque d’encerclement, la Turquie revendique quant à elle le prolongement de son plateau continental dans des zones incluant des îles grecques, conformément à sa doctrine de la « Patrie bleue » édictée en 2016, qui promeut l’extension de ses frontières maritimes au service d’une ambition de puissance régionale. Cette ambition de puissance maritime s’est superposée à l’appétit suscité par la découverte de gisements dans les zones qu’elle dispute à ses voisins, et a mené la Turquie à des activités d’exploration et de prospection illicites dans la ZEE chypriote internationalement reconnue.
Ce différend a pris une dimension internationale lorsque la Turquie a signé avec la Libye en novembre 2019 un accord bilatéral délimitant leur ZEE respective en ignorant l’existence des droits de la Grèce et de Chypre, en échange d’une intervention militaire turque dans la guerre en Libye. Si ce protocole d’accord sur les frontières maritimes était appliqué, l’Égypte, Chypre et l’Italie pourraient se voir refuser l’accès par câble ou par gazoduc à la Grèce et aux marchés énergétiques européens. Il s’agit donc d’une menace majeure pour la sécurité maritime en Méditerranée.
Vous avez également mentionné les problématiques migratoires. En quoi constituent-elles un enjeu de sécurité maritime ?
Les déséquilibres démographiques et de développement créent un potentiel migratoire très important. Pour la deuxième année consécutive, 2021 a été marquée par une forte recrudescence des migrations irrégulières : selon les données de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), plus de 200 000 personnes ont migré par voie maritime vers l’Europe de façon irrégulière, soit une augmentation de 57 % par rapport à 2020 et de 36 % comparé à 2019. Les migrations illicites ont ainsi atteint leur plus haut niveau depuis 2017.
La Méditerranée constitue la principale voie d’accès vers l’Europe, notamment à travers la Méditerranée centrale, qui compte à elle seule pour près du tiers de l’ensemble des migrations illicites à destination de l’Europe, avec plus de 65 000 migrations illicites, en hausse de 83 % par rapport à 2020. L’effondrement des structures étatiques et l’incapacité systémique à fournir aux citoyens leurs besoins fondamentaux ont augmenté l’attrait de la longue frontière européenne de la mer Méditerranée. Les réseaux criminels profitent de cette situation et exploitent le manque d’unité de but entre les intérêts et la politique du pays d’origine et ceux des pays de destination. De même, en encourageant des malheureux à risquer leur vie en mer sur des embarcations de fortune pour tenter de gagner l’Europe, les trafiquants sont directement à l’origine de drames en mer.
C’est en cela que la lutte contre ce qui doit être qualifié de traite des êtres humains en mer est devenue une priorité de sécurité maritime en Méditerranée.
Il est une autre situation où l’immigration clandestine est utilisée comme véritable arme à des fins politiques : la stratégie asymétrique du président turc Erdogan, visant à utiliser les déplacements de population comme une menace directe depuis la Turquie en Méditerranée orientale, ou indirectement en Méditerranée centrale grâce à son influence en Libye. En menaçant d’autoriser un flux massif de réfugiés vers l’Europe, le président Erdogan cherche à renforcer sa position de négociation et de marchandage avec l’Union européenne.
Il n’est pas le seul acteur en Méditerranée à utiliser l’arme des migrants pour des considérations politiques. Le 21 mai 2021, 6000 migrants ont traversé la frontière du Maroc vers Ceuta, une enclave frontalière espagnole qui est habituellement strictement contrôlée par le Maroc, en représailles à l’accueil du chef du Front Polisario en Espagne pour un traitement médical.
Lorsque les réfugiés deviennent une carte exploitée par les politiciens, la migration illégale et les pertes de vies humaines en mer qui en découlent passent d’un problème humanitaire à un problème de sécurité maritime ayant une dimension militaire.
Comment l’UE et l’OTAN se positionnent-elles dans ce contexte ?
Dès 1995, l’Union européenne (UE) a développé un partenariat euro-méditerranéen, dit processus de Barcelone, dans les domaines politique, économique, culturel et de la sécurité. En mars 2008, le Conseil européen a approuvé l’initiative franco-allemande d’une Union pour la Méditerranée (UpM) englobant les États membres de l’UE et les pays riverains de la Méditerranée non-membres de l’UE, dans le but de resserrer les liens entre les deux rives de la Méditerranée. Le bilan de l’UpM est cependant très mitigé, en raison notamment de l’absence d’une véritable vision commune au sein de l’UE.
Pour tenter de donner un nouvel élan à ce partenariat, la Commission européenne et le Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Sécurité ont adopté en février 2021 un nouvel agenda pour la Méditerranée mettant l’accent sur cinq domaines d’action, dont la mise en œuvre de stratégies pour relever les défis en matière de sécurité et aider à la résolution des conflits, ainsi que la lutte contre les déplacements forcés et la migration irrégulière.
Justement en matière de sécurité maritime, l’action de l’UE en Méditerranée est portée par l’opération « EUNAVFORMED IRINI » et par l’agence FRONTEX. Le cœur de mission de « IRINI », lancée le 31 mars 2020, est la mise en œuvre de l’embargo des Nations Unies sur les armes en Libye. Après un peu plus de deux ans d’existence, le bilan d’« IRINI » s’établit à 22 inspections sur des navires suspects. Dans un cas, les soupçons se sont confirmés et le navire a été dérouté pour une saisie de sa cargaison. Enfin « IRINI » a adressé, au groupe d’experts pour la Libye du comité des sanctions des Nations Unies, 36 rapports sur des violations ou possibles violations de l’embargo qui ont permis l’adoption par l’UE et les Nations Unies de sanctions contre les entités impliquées.
Côté OTAN, la principale opération en Méditerranée est la mission « Sea Guardian », qui a pour objectifs de renforcer les capacités des partenaires en matière de sûreté maritime, de contribuer au recueil de renseignements maritimes et de soutenir la lutte contre le terrorisme. Au-delà de cette mission, l’OTAN peut compter en Méditerranée sur un réseau d’infrastructures militaires très dense grâce à ses membres méditerranéens, mais également aux États-Unis, avec la VIe Flotte et ses bases en Italie et en Espagne, et au Royaume-Uni qui entretient des bases à Gibraltar et à Chypre.
L’accès à la mer Noire est en revanche beaucoup plus problématique pour les marines de l’OTAN, compte tenu des moyens russes en Crimée et des restrictions de la convention de Montreux. De même, la présence permanente russe en Méditerranée orientale fait peser une menace qui, si elle ne permettrait pas à la Russie de contrôler la Méditerranée, lui donne une capacité de nuisance, voire d’agression.
Alors que la Russie continue de déployer un volume inégalé de forces navales et aériennes en Méditerranée, la Chine est de plus en plus présente dans le paysage stratégique méditerranéen, notamment dans le cadre de son projet des routes maritimes de la soie. Comment se traduit la présence de ces deux puissances en Méditerranée et quelles conséquences a-t-elle sur la stratégie des puissances traditionnelles en Méditerranée ?
La Russie attache une importance stratégique à la Méditerranée, qui lui permet un accès permanent aux mers chaudes. Elle entend donc prévenir un contrôle de la zone par ses compétiteurs, au premier rang desquels l’OTAN. Marine non riveraine de la Méditerranée orientale, la marine russe est devenue une marine permanente du bassin. Bénéficiant de la profondeur logistique offerte par son bastion naval en mer Noire et bénéficiant d’un point d’appui à Tartous en Syrie, elle n’a cessé de renforcer son dispositif depuis les travaux de modernisation de cette base navale historique lancés en 2016. Elle déploie aujourd’hui en Méditerranée orientale un task group d’une douzaine d’unités de surface et sous-marines capable à tout moment de durcir la posture.
L’activisme de la Chine devra effectivement également être suivi avec attention. Elle est encore très peu présente militairement en Méditerranée et ces différentes prises de positions sont pour l’heure exclusivement économiques dans le cadre des nouvelles routes de la soie dans les ports de Suez, du Pirée et en Italie. Il est cependant clair, à l’instar de ce qui a été observé dans l’océan Indien, que sa présence navale dans la prochaine décennie va croître afin d’appuyer sa politique d’expansion.
Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, le contexte était plutôt au désengagement américain de Méditerranée et à une faible présence des marines occidentales. Cette affirmation désinhibée de logique de puissance a sans doute fait prendre conscience aux puissances traditionnelles de l’espace méditerranéen de la nécessité de renforcer leurs capacités navales et d’assurer une présence permanente renforcée dans le bassin oriental de la Méditerranée, et une présence beaucoup plus régulière en mer Noire afin de préserver l’équilibre des rapports de force entre grandes puissances régionales et mondiales.
Justement, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en particulier, la mer Noire est de nouveau au cœur de l’actualité. Pouvez-vous nous préciser les enjeux spécifiques de cette mer adjacente à la Méditerranée ?
La mer Noire représente une priorité stratégique pour la Russie. Elle est vitale pour les économies russe et ukrainienne. Son importance est majeure pour les économies qui dépendent du gaz russe et des exportations de céréales qui y transitent.
La marine russe règne en maître dans cette mer. Depuis l’invasion de la Crimée et la prise du port de Sébastopol en 2014, Vladimir Poutine n’a cessé d’y renforcer sa présence navale. Les petites marines bulgare et roumaine ne présentent pas de réelle menace pour la Russie, même si le naufrage du Moskva nous a montré que la marine russe pouvait être surprise. L’attitude de la Turquie est ambivalente.
Après Marioupol, il est à craindre que la prochaine cible de Vladimir Poutine soit Odessa, afin de contrôler toute la côte nord de la mer Noire. L’objectif poursuivi est stratégique, il est aussi économique. En contrôlant toutes les eaux ukrainiennes, c’est le contrôle du trafic maritime en mer Noire qui est recherché, pour obtenir un levier de chantage politique supplémentaire. L’Ukraine et la Russie alimentent en blé de nombreux pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, avec des taux de dépendance très élevés. C’est le cas du Liban, qui dépend à plus de 60 % du blé ukrainien ou de l’Égypte, dont 25 % des approvisionnements proviennent d’Ukraine et 45 % de Russie. L’emprise de la Russie sur la mer Noire et la paralysie actuelle du trafic maritime pourraient donc provoquer une crise alimentaire mondiale et entraîner des mouvements de révolte dans les pays arabes, aux équilibres sociaux toujours fragiles depuis les printemps arabes.
Propos recueillis par Thomas Delage le 25 mai 2022.
Auteur : Jean-Michel Martinet
Chercheur associé à la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES)
Pour aller plus loin…
Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°68, « Géopolitique des mers & des océans : tensions sur les mers du globe », Août-Septembre 2022.Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, FMES, 2022 (https://bit.ly/3sUPNt7).
Diplomatie no 105 « Grèce-Turquie-Libye : tensions autour des ressources énergétiques en Méditerranée orientale », septembre 2020 (https://bit.ly/34doNsd)
LIRE AUSSI :
Méditerranée : des tensions croissantes