“Ce sont les hommes qui font l’histoire et non l’histoire qui fait les hommes»
(Lyazid Benhami, op. cit.).
«Comment lui [Tintin], officier de la Seconde Guerre Mondiale, qui a quitté l’armée française à la suite des massacres du 8 mai 1945 en Algérie, pourrait-il rester spectateur des évènements sans prendre part à ce conflit ‘franco-algérien’ ? […] Un pays composé de deux catégories de citoyens»
(Lyazid Benhami, op. cit.).
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Par Arezki Ighemat*
«Ce sont les hommes qui font l’histoire et non l’histoire qui fait les hommes». Le livre de Lyazid Benhami, «Tahar Ibtatène : Héros de la Résistance (1940-1945) et de la Guerre d’Algérie (1954-1962)», publié aux éditions L’Harmattan en 2020, en est l’illustration. L’histoire, en effet, n’est pas que le fait des armes, mais le fait des hommes comme Tahar Ibtatène. Le livre de Lyazid Benhami est l’histoire d’un jeune Algérien qui a quitté son pays et sa Kabylie à l’âge de 15 ans et qui a participé à deux guerres les plus atroces de l’histoire : la Seconde Guerre Mondiale et la Guerre d’Algérie. Le livre montre que cet homme a réussi à établir un pont entre ces deux guerres et à y participer pour défendre son idéal de justice et d’humanité. Le livre est basé sur des documents personnels qui lui ont été légués par l’épouse de Tahar, les discussions que l’auteur a eues avec lui pendant ses années de vie, ainsi que sur les archives qu’il a pu consulter au ministère français de la défense. Ceci montre le souci de véracité, d’authenticité et de détail de l’auteur et celui de contribuer à la «fabrication» de l’histoire franco-algérienne. L’auteur fait une véritable biographie (cependant incomplète, dira-t-il) de Tahar. Il dira, dans l’introduction du livre : «Incorporé en 1930 dans l’armée française en tant qu’insoumis de la classe 1929, et après des années d’instruction, il fera un passage dans l’infanterie puis … se consacrera, dès le début de la Seconde Guerre Mondiale, au renseignement militaire». Il ajoutera : «Dans la Résistance, de 1940/1945, on le nomme Jean Tintorel, dit Tintin, tandis qu’à Londres, au sein des Services Secrets du Général de Gaulle, il était connu sous le pseudonyme d’André Michalon». Le livre est divisé en quatre parties : (1) Une destinée ; (2) La Seconde Guerre Mondiale ; (3) La Guerre d’Algérie ; et (4) Le retour aux sources. Dans ce qui suit, nous ne prétendons pas relater tous les faits et dits évoqués dans le livre, mais quelques-uns d’entre eux contenus dans chacune de ses quatre parties. Auparavant, nous dirons quelques mots de la Préface du livre signée par un homme qui connaît très bien l’histoire de l’Algérie : Nils Andersson.
Préface de Nils Andersson
Dans sa Préface, Nils Andersson fera une synthèse fidèle et l’éloge du livre de Lyazid Benhami. Il rappellera, entre autres, la question que posera l’auteur dans son livre : «Comme lors de l’occupation allemande, la lutte de libération nationale [algérienne] engagée, le choix de Tintin est clair : ‘Comment lui, le combattant volontaire pour la liberté et contre l’occupation allemande, pourrait-il, en 1954, rester insensible au désir d’émancipation et d’indépendance légitime de ses frères algériens’ ? (Préface, p. 10). Andersson ajoutera : «Beaucoup, dans l’immigration en France, faute d’informations, sont désorientés, pensent même que c’est le MNA [Mouvement National Algérien] qui conduit la lutte armée en Algérie. Tintin, lui, n’a pas d’hésitations […] Il rejoint ceux qui ont engagé la lutte de libération, le FLN, qui,
pendant huit ans, conduira la révolution sur le front militaire, mais aussi sur les fronts politique et diplomatique» (Préface, p. 10). Andersson dira aussi que Tintin fut une sorte de visionnaire : «Le ‘Je vous ai compris’, prononcé à Alger [par De Gaulle], ne signifiait pas pour lui [Tintin] le maintien de la colonisation en Algérie, mais la fin de la colonisation» (Préface, p. 10). Il ira même jusqu’à dire que : «Tintin était le seul homme politique français à pouvoir, contre le lobby colonial, les militaires factieux et l’OAS coalisés, imposer l’indépendance de l’Algérie» (Préface, pp. 10-11).
Partie 1 : Une destinée
Dans cette partie, l’auteur donne quelques éléments de la biographie de Tintin. «Né le 27 février 1909 dans le bourg d’Ait Menguelet, dans la commune de Michelet (aujourd’hui Ain El Hammam), il alla à l’école des Pères Blancs, ce qui lui permit de s’ouvrir sur le monde. Il arrive en France en 1924, il n’avait que 15 ans». L’auteur dira ensuite comment il a rencontré Tintin, qu’il appelle son oncle : cette rencontre s’était effectuée au «84», un des hôtels que son héros possédait dans le 18è arrondissement de Paris. Justifiant l’appellation de «Tintin» qui lui sera donnée et qu’il conservera même pendant la période de la Guerre d’Algérie, l’auteur dira : «Je comprends ainsi mieux ses supérieurs militaires qui le surnommèrent Tintin, en référence sans doute à l’habileté et aux ressemblances esthétiques du personnage romanesque de Hergé». L’auteur indiquera aussi que «Tintin était gaulliste, il le restera jusqu’à la fin de sa vie». L’auteur raconte ensuite comment il a obtenu les documents personnels qui lui permettront d’écrire et d’argumenter son livre. Il dira à ce propos : «En me léguant cette mémoire, elle [Jacqueline, la seconde épouse de Tintin] venait de séparer une deuxième fois de Jean (Tintin)». Concernant son objectif en écrivant ce livre, l’auteur dira : «Je ne suis pas historien et n’ai aucune prétention à le devenir… je souhaite par ce récit rendre un hommage plus que mérité à ce grand combattant de l’ombre qui n’avait cherché ni honneur, ni couronne».
Partie 2 : La Seconde Guerre Mondiale
L’auteur commence par un résumé succinct mais complet de la Seconde Guerre Mondiale. Il dira que Tintin rejoindra le «Réseau Marco Polo» de renseignements français en 1943 avec pour mission de «transmettre au Gouvernement Provisoire de De Gaulle des rapports sur les activités du Gouvernement de Vichy». L’auteur donne, dans cette partie, quelques-unes des actions accomplies par Tintin, dit André Michalon dans le Réseau. Il donne aussi quelques-unes des reconnaissances que Tintin recevra des autorités françaises pour ces actions et son courage (qu’il appuiera avec une série d’annexes qu’il donnera à la fin de son livre). Il indiquera aussi les déboires que Tintin aura dans sa tentative d’obtenir d’autres reconnaissances qui lui sont dues. Ce n’est qu’en 1983, dira l’auteur, qu’il finira par en obtenir quelques-unes, notamment ses cartes de combattant. L’auteur termine cette partie en disant que Tintin réintègrera la vie civile en 1954, se mariera et reprendra l’exploitation de son hôtel-restaurant dans le 18è arrondissement de Paris.
Partie 3 : La Guerre d’Algérie
Dans cette partie, l’auteur parle de l’engagement de Tintin dans la Guerre d’Algérie pour la libération de son pays natal. Il dira : «En 1954, au moment du déclenchement de la Guerre d’Algérie, Tintin avait 45 ans». L’auteur explique cet engagement en disant : «L’équation n’était plus du domaine de la morale comme lors de la Seconde Guerre Mondiale, à savoir combattre le nazisme, la Guerre d’Algérie relevait plus de l’ordre de la justice et de l’égalité, des droits des peuples». Il ajoute : «Il [Tintin] ne comprenait pas pourquoi les Français d’Algérie bénéficiaient de bien davantage de droits civiques que les ‘indigènes’ […] Un pays composé de deux catégories de citoyens». L’auteur dira que Tintin intègrera le Front de Libération Nationale, particulièrement la «Fédération de France» et l’OCFLN (Organisation Civile du FLN). Il indiquera aussi certaines actions que Tintin fera dans le cadre de ses activités au sein de la Fédération de France, comme la suivante : «Mon oncle [Tintin] est arrivé au QG du FLN, rue du Landy, en possession de quelques cartons de tracts pour les distribuer clandestinement et d’une ronéo pour en dupliquer d’autres».
Partie 4 : Le retour aux sources
Après quelque temps (bref) passé dans son pays natal, et quelques désagréments qu’il a eus avec certains membres du Pouvoir de l’époque, Tintin retournera en France. A la suite du décès de sa première épouse (Louise), Tintin créera une affaire auquel il donnera le nom de Louise. Cette affaire, selon l’auteur, «comprenait un hôtel, le «Paris-Liège», en face de la Gare du Nord, qu’il cèdera en 1983». Il possédait aussi une agence de voyages du nom de «Chapelle-Voyages» qui servait surtout les immigrants algériens. En 1990, il achètera, ajoutera l’auteur, un hôtel du nom de «Résidence de Bruxelles». L’auteur terminera cette partie en disant : «Tahar, qui n’avait pas vécu dans l’Algérie algérienne, a reconstitué son ‘bout d’Algérie’ avec le ‘84’ [son hôtel du 18è arrondissement de Paris] […] Il [Tintin], reste nostalgique de cette Algérie qu’il n’avait connue que pendant ses quinze premières années». L’auteur conclut son livre en disant que Tintin avait «un amour incandescent pour ses deux patries, l’Algérie et la France». Il ajoute : «L’homme libre qu’il était se souciait avant tout de justice, malgré la vie qui pourtant n’avait pas toujours été juste à son égard». Il termine en disant : «Une certitude, c’est que, il [Tintin], fut un héros de l’ombre de la Seconde Guerre Mondiale et un acteur lucide de la Guerre d’Algérie […] Ibtatène Tahar a assumé ses responsabilités et transcendé sa propre personne pour atteindre son idéal humanitaire».
- Ph.D in economics. Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)