par Cherif Ali
Et aux citoyens de se poser cette question à propos de tel ou tel responsable : a-t-il profité de ses fonctions pour s’enrichir ? Quid de sa déclaration de patrimoine ?
C’est une obligation à laquelle sont soumis les hauts fonctionnaires et les élus nationaux et locaux !
Elle permet de faire la comparaison entre le montant de la fortune d’un responsable public au moment où il entre en charge, et le moment où il en sort.
Est-ce à dire que, par le passé, la loi n’obligeait aucun responsable à faire état de ses biens avant sa prise de fonctions ou de son mandat, s’il s’agissait d’un élu ?
Non, bien sûr, dès lors qu’il y avait tout un corpus de prévu, avec notamment :
1. l’article 4 de l’ordonnance 97,04 de janvier 1997 relative à la déclaration de patrimoine qui stipule : « les personnes exerçant un mandat électoral national ou local sont tenues de souscrire une déclaration de patrimoine dans le mois qui suit leur investiture » ;
2. et l’article 4 de la loi 06,01 de février 2006, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption : « il est fait obligation de déclaration de patrimoine aux agents publics en vue de garantir la transparence de la vie politique et administrative ainsi que la protection du patrimoine public et la préservation de la dignité des personnes chargées d’une mission d’intérêt public ».
La Constitution de 2016 avait prévu l’obligation de déclaration de patrimoine, avec toutefois cette nuance :
Il est stipulé que le haut fonctionnaire « doit faire » sa déclaration de patrimoine ce qui pour lui, « relève du devoir ».
Par contre, la nouvelle Constitution stipule que ce haut fonctionnaire « est tenu de faire » sa déclaration de patrimoine (article 24 de la Constitution).
Dans le même ordre d’idées, un nouvel alinéa (du même article 24) renforcerait davantage la moralisation de la vie publique et politique telle que souhaitée par le président Tebboune et dont la rédaction ne laisse place à aucune équivoque : «Dans l’exercice de ses fonctions, tout agent public doit éviter toute situation de conflit d’intérêts».
Notons qu’ici il s’agit d’agent public et non plus seulement de haut fonctionnaire, pour dire que tous ceux qui seraient en responsabilité sont concernés !
Mais sinon, quelle était la situation avant l’avènement du Président Tebboune ?
On a avancé un chiffre, pour dire que 80% des responsables qui se sont succédé toutes ces dernières années ne déclarent pas leur patrimoine et, conséquemment, celui-ci n’a pas fait l’objet d’une publication.
C’est ce qui a fait dire à un ancien ministre qu’ «aucun des responsables en Algérie n’a de fortune en son nom; tous leurs biens sont enregistrés sous des noms d’emprunt» !
Il avait même ajouté à propos de certaines déclarations de patrimoine « sous-évaluées » des ministres d’alors : «Le peuple algérien se réjouit de savoir que ses ministres sont pauvres» !
Les faits ne lui ont-ils pas donné raison avec les interpellations-auditions-incarcérations en cascade, de ministres, Premiers ministres, walis ainsi que de personnalités du monde de la politique et des affaires ?
Il est intéressant de noter que dans ces cas-là, dans certains pays, européens notamment, c’est la Cour des comptes qui prend sur elle de publier, sur son site internet, la liste des personnes n’ayant pas remis de déclaration de patrimoine initiale, après leur entrée en service, ainsi qu’une liste des personnes n’ayant pas remis de déclaration de patrimoine lors de leur cessation de fonction.
A ce propos, ouvrons une parenthèse pour préciser que le formulaire est composé de sept pages à renseigner en arabe et en français; la publication de toutes les déclarations de patrimoine, de l’ensemble des responsables en poste, aurait nécessité une ou plusieurs éditions de Journaux officiels.
Faudrait-il, dans ces cas précis, recourir à des résumés, au risque d’amputer ces déclarations de leur contenu ? Ces derniers temps, ce sont près de 4 milliards d’euros de biens appartenant à d’ex-responsables qui ont été saisis !
Parmi les biens à récupérer sur le territoire national figurent des usines, des villas, des bateaux de plaisance, des appartements, des lots de terrain, des immeubles, des voitures, des bijoux et des avoirs bancaires.
La valeur des propriétés confisquées s’élève à 600 milliards de dinars (3,8 milliards d’euros), qui seront versés dans «un fonds spécial créé en vertu de l’article 43 de la loi de finances complémentaire 2021».
Ce fonds réunit les sommes récupérées à l’étranger, ainsi que le produit de la vente des biens saisis après décision judiciaire définitive.
Ce compte sera également affecté au règlement des frais liés à l’exécution des procédures de confiscation, de récupération et de vente, ainsi qu’à l’apurement des dettes grevant les biens saisis.
L’exécution des perquisitions, mises sous scellés et saisies ordonnées par la justice ont déjà concerné quinze personnalités, ces trois dernières semaines, «qui, sans doute, avaient omis de les déclarer lorsqu’elles étaient aux affaires» !
Mais attention tout de même à ne pas tomber dans le déballage qui ne serait pas sain pour la démocratie et qui, surtout, donnerait le sentiment qu’il y a des choses à régler !
En effet, la publication au Journal officiel peut déclencher des réactions en chaîne :
1. les déclarants peuvent être amenés à faire des démentis ou d’apporter des éclaircissements, suite à des dénonciations par des tiers ;
2. les banques, les notaires, les services des domaines auront ainsi leur mot à dire, grâce à leurs fichiers ;
3. il en est de même des services de sécurité qui peuvent déclencher des enquêtes sur des richesses ou des biens non déclarés.
La focalisation sur la transparence du patrimoine peut être, aussi, assimilée à une gesticulation qui risque de produire des effets inverses de ceux escomptés.
Il ne faudrait pas confondre publication du patrimoine, ce qui est obligatoire, et publicité autour du patrimoine, ce qui au regard des concernés est considéré comme une atteinte à leur vie privée : déclarer, contrôler, sanctionner, c’est de la transparence, alors que rendre public, participerait du «voyeurisme», selon certains.
L’opinion publique, quant à elle, est favorable à la déclaration de patrimoine, même si celle-ci risque de gêner ceux qui craignent ce grand déballage et qui permettrait, à une certaine presse, d’établir, par exemple, les palmarès des ministres ou des walis les plus fortunés.
Sinon, beaucoup pensent également que cette obligation est inefficace, dans l’absolu:
1. elle n’empêchera pas de soustraire des biens, voire des fonds douteux aux déclarations officielles,
2. les responsables issus du secteur privé ou de la société civile, seront, encore un peu plus, dissuadés d’entrer dans un champ politique qui leur promettra, ainsi, la suspicion, en plus de la précarité financière, s’ils ne devaient se contenter que de leur salaire officiel,
3. cette mesure lance une course à la transparence, dont il est difficile d’imaginer les limites.
Ceci étant dit, tous ceux qui viendraient à critiquer le procédé réglementaire en vigueur, celui qui oblige les responsables à déclarer leur patrimoine, auraient été les premiers à s’émouvoir, voire même à s’indigner, s’il n’y avait pas de mesures réglementaires à même de cadrer cela.
Quant à la perpétuation du refus de déclaration de patrimoine, elle ne peut être assimilée qu’à un mépris de la loi et une volonté de maintenir, coûte que coûte, l’opacité par tous ceux qui continuent à s’enrichir de façon illicite et scandaleuse au détriment de la population.
Ailleurs, dans le monde, on réfléchit à la mise en place d’une « Haute autorité chargée de contrôler le patrimoine des ministres et d’un parquet financier ».
Toutefois, l’ « omission » de déclaration du patrimoine serait d’une gravité qui interpellerait les consciences des serviteurs et commis de l’Etat, quels qu’en soient leur responsabilité ou leur grade; elle présenterait la corruption comme une fatalité et sa généralisation à ceux qui ont exercé ou exercent, encore, une responsabilité, comme une évidente réalité.
La moralisation de la vie politique et publique et le renforcement de la bonne gouvernance sont inscrits dans les 54 engagements du Président Abdelmadjid Tebboune.
Il en a fait son credo et elles figurent en bonne place dans la nouvelle Constitution !
Le Président Tebboune a affirmé dès son installation à El Mouradia, « la nécessité de moraliser la vie publique, consacrer l’indépendance de la justice et renforcer la reddition de comptes, en veillant à mettre la gestion des affaires publiques à l’abri du pouvoir de l’argent ».
Engagement tenu à travers des amendements substantiels de la Constitution en 2020 qui ont été mis en œuvre pour parachever l’édifice institutionnel avec l’installation de « la Haute autorité de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption » !
Pour conclure, si personne ne conteste qu’un ministre, élu ou autre wali, doive être totalement transparent, c’est d’abord dans son action et dans l’exercice de son mandat ou de sa fonction que cette transparence doit être radicale !