Algérie / ÉCOLE : Éducation ou enseignement islamique ? L’énigme

   

 

Par Ahmed Tessa, pédagogue-auteur
«Il faut éloigner notre école de l’idéologie.»
(Le président Abdelmadjid Tebboune)

«Confondre éducation et enseignement entraîne des dysfonctionnements/dérives dans l’ensemble du dispositif pédagogique (apprentissages).»

Des enseignants d’éducation islamique à la retraite sont restés pantois et… «scandalisés» (c’est leur mot) par ce genre de pratique. Un imam a eu ces mots : «Lors de ma formation à l’Institut islamique de Teleghma, je n’ai pas eu droit à une telle évaluation. C’est du n’importe quoi. À moins que l’on veuille faire détester cette matière aux enfants.» De quoi s’agit-il ? L’objet de leur courroux n’est autre que la grille d’évaluation des acquis des élèves de 5e AP dans la matière éducation islamique (ettarbiya islamiya). On y trouve l’évaluation de 5 compétences réparties en 20 sous-compétences et que doit posséder un enfant de 9 ou 10 ans, tels que : – Tessmiyet essourate (nommer la sourate) – iltizem bi éddébiyet ettilawet (respecter la bonne diction) – elhafdh eldjeyid lissourate (la bonne mémorisation de la sourate) – ettilawet essalima (la saine diction) – djamaliyet ettilawet (la beauté de la diction). (la bonne et fluide lecture du Coran) – elkhouchou3’ – la bismallah est-elle de La Mecque ou de Médine ? – donnez sa signification, etc.
Ce sont, là, non pas des valeurs à enraciner dans le cœur et l’esprit des élèves, mais des connaissances factuelles à mémoriser pour avoir de bonnes notes… Le temps d’une année scolaire. C’est, en quelque sorte un cahier des charges pédagogique exigeant que l’enfant/candidat doit respecter pour mériter la bonne note. En réalité, de tels acquis s’adressent à des adultes, pratiquants assidus, voire à des universitaires en chariâa islamique et non à des enfants. Cette grille d’évaluation pensée par le MEN est tout à fait appropriée dans une école religieuse, une zaouia ou un institut religieux.
À moins de considérer l’école de la République algérienne comme une annexe de ces institutions – au demeurant respectables. À qui profite ce genre «d’évaluation pédagogique (sic !!) ? Si c’est pour enraciner dans l’esprit des enfants un comportement axé uniquement sur le rituel, proche du pavlovisme d’endoctrinement et non sur des valeurs à traduire en actes, alors, là, c’est réussi. Pourtant, le Saint Coran s’adresse à toute l’humanité. Et en cela, il véhicule des valeurs universelles qui fondent la paix et le respect entre les humains, toutes confessions confondues : l’empathie, le respect de l’autre, la probité, la solidarité, etc.
À la lecture de cette grille d’évaluation, on serait tenté de croire que ces valeurs universelles ne figurent pas dans l’enseignement de cette matière (l’EI). Serait-ce un tabou que de les transmettre (ces valeurs universelles) ? Le mot qui fâche : le/les tabou(s). C’est là que réside le nœud de l’épineuse problématique qui se pose à l’école algérienne depuis des lustres. Nous en citerons trois (tabous) nichés dans des disciplines scolaires structurantes de l’identité algérienne : la langue d’enseignement (l’arabe), l’histoire et l’éducation islamique. Leur prise en charge pédagogique est en complète contradiction avec la noble vocation/mission éducative que ces trois disciplines scolaires doivent accomplir.
Malheureusement, quiconque ose avancer une critique objective et constructive de l’enseignement de ces trois disciplines reçoit une levée de boucliers et d’anathèmes. Sacrilège que d’évoquer ces tabous que sont leur programme, leur méthode et les contenus de leurs manuels ! Pour comprendre cette confusion entre éducation islamique et enseignement religieux, un rappel historique s’impose.

Historique
Deux ans avant de décéder, feu Houari Boumediène avait choisi un homme éclairé, excellent bilingue (arabe/français) pour sauver l’école algérienne des mains de gens obnubilés par une idéologie revancharde. Mostefa Lacheraf n’a pas survécu au décès du Président. Et en 2023, il n’est point permis de douter que la démission de Mostefa Lacheraf était l’œuvre des gardiens du temple de l’idéologie rétrograde qu’est le wahabbo-baâthisme (sur ce sujet, lire une chronique d’Arezki Metref dans Le Soir d’Algérie). La boîte de Pandore venait de s’ouvrir, laissant libre cours à la mise en place de tabous qui vont étouffer l’école algérienne.
Lacheraf n’a-t-il pas tancé ses adversaires en écrivant «ils aiment tellement la langue arabe qu’ils l’embrassent jusqu’à l’étouffer»? Les adversaires de Mostefa Lacheraf ne faisaient que défendre leur fonds de commerce. Ils étaient fortement attachés au concept discriminant et clivant des «constantes nationales» en lieu et place des valeurs d’authenticité et d’universalité que véhicule notre algérianité. Et pour disqualifier l’éminent sociologue, ce patriote aguerri et militant de la première heure dans le Mouvement national, ses adversaires décrétèrent son projet pédagogique «d’occidentalisation rampante» de la société algérienne. Pas moins ! À son départ, ils mirent en place une école, non pas sur des bases scientifiques et pédagogiques, mais en réaction à ce danger fantasmé… que représente pour eux le projet de Lacheraf. Un mot d’ordre jaillissait de leurs méninges : former le futur Algérien dans le moule de leurs idées rétrogrades. La langue arabe, l’éducation islamique et l’histoire seront utilisées comme vecteurs privilégiés de cette stratégie de déculturation et de remplacement… identitaire. Et vogue la galère d’une école ligotée par le couple instrumentalisation/manipulation de ces trois disciplines. Les contredire vous vaut l’accusation de contre-révolutionnaire, de réactionnaire. Et ça dure depuis des décennies avec une brève éclaircie qui se proposait de réhabiliter ces trois disciplines sur des bases scientifiques et purement pédagogiques : cette parenthèse sera vite fermée.
L’orientation idéologique se lit clairement dans cette grille d’évaluation des acquis en éducation islamique. Osez la critiquer de façon constructive et objective et vous verrez s’enflammer les plateaux de certains médias (TV et journaux), sans parler des réseaux sociaux télécommandés. À titre d’information, la dénomination éducation islamique n’a vu le jour qu’au début des années 1990 dans un contexte d’expansion des idées wahhabites. De 1962 jusqu’à la fin des années 1980, c’était l’ECMR (Éducation civique, morale et religieuse) qui figurait dans les emplois du temps de nos élèves. Le remplacement de l’ECMR par l’EI (Éducation islamique) n’a été possible que par le fait que les idées wahhabites avaient envahi la hiérarchie scolaire. Si pendant trois décennies (de 1962 à fin 1980) le programme de l’ECMR visait à enraciner les valeurs identitaires du peuple algérien, celui de l’éducation islamique privilégiera le rituel religieux wahhabite («comment laver un mort», «les supplices de la tombe»…) avant que quelques-unes de ces inepties ne soient éliminées des manuels au lancement de la réforme de 2002. Tout comme la «bismallah» : elle n’a jamais figuré dans les manuels scolaires de 1962 à… 2022. La voilà, maintenant, trônant dans les pages de garde de tous les manuels scolaires… profanes. Les années 1990 resteront un des marqueurs négatifs dans l’histoire de l’école algérienne. À côté de la disparition de l’Education civique, morale et religieuse (ECMR) – remplacée par l’Éducation islamique (EI) – au début des années 1990, le MEN avait introduit une nouvelle filière dans les lycées : la filière «chari3a islamique». C’est dire que le ver de l’idéologie était dans le fruit. Là aussi, cette filière sera supprimée dans le sillage de la réforme de 2002. Comment passer sous silence la cabale médiatique menée par certains médias contre celles et ceux qui s’opposent à la prière des élèves dans l’enceinte scolaire? Une opposition qui s’appuie sur le bon sens : l’infrastructure scolaire et l’emploi du temps des élèves ont été conçus pour étudier et non pour prier.
En 2016/17, une association nationale dite caritative a organisé une immense campagne de hidjabisation en direction des établissements scolaires : spots publicitaires dans certaines TV, placards de propagande dans les journaux, les murs des établissements scolaires… C’est à partir de cette campagne que l’on voit maintenant des fillettes de 6 ans porter le hidjab. Toutefois, si des inepties qui avaient vu le jour pendant la décennie 1990 ont été supprimées, il reste que demeure l’esprit dans lequel elles ont baigné. Est-il surprenant de constater que le tiers des bacheliers de la session 2016 avait postulé à la filière «chari3a islamique» comme 1er choix à l’orientation universitaire ? Cette tendance reste d’actualité pour des raisons simples : en sollicitant uniquement la mémorisation des cours dispensés magistralement, ces études facilitent l’obtention des diplômes – y compris le doctorat en chariâa. D’où l’inflation de leurs nombres. Comment ne pas parler du programme et de la méthode d’enseignement de l’éducation islamique ? Outre les thèmes des leçons – majoritairement axés sur le rituel –, il y a la méthode d’enseignement. Celle-ci installe le parcœurisme comme moteur des apprentissages scolaires. En effet, à l’instar des autres disciplines enseignées, notre enseignement de l’éducation islamique ne sollicite point (ne développe pas) les fonctions intellectuelles supérieures de l’élève, à savoir la compréhension, l’analyse, la synthèse, l’esprit critique et la créativité. Il n’y qu’à regarder de près cette fameuse grille d’évaluation des élèves de 5e AP pour s’en convaincre : tout est dans le parcœurisme/psittacisme. Au vu de la persistance du parcœurisme par l’élève et du bachotage par l’enseignant, l’approche par les compétences tant vantées depuis la réforme n’aura été qu’un leurre. Et la contradiction saute aux yeux à la lecture de cette fameuse grille d’évaluation. Habitués à transmettre et à évaluer/vérifier des leçons à mémoriser depuis la 1re AP, subitement, les enseignants sont invités à évaluer des… supposées compétences et sous-compétences. En développant la mémoire de nos élèves jusqu’à l’hypertrophier, notre pratique pédagogique les a contraints à utiliser la seule arme pour décrocher les bonnes notes : la triche et le copiage. La triche, sport scolaire N°1 : n’est-ce pas le comble dans un système qui enseigne l’éducation islamique durant les 13 années de la scolarité ? Au point de convoquer le plan Orsec pour organiser les examens nationaux. On est loin, très loin des valeurs cardinales véhiculées par le Saint Coran.

Le distinguo
En réalité, cette grille d’évaluation nous renseigne clairement sur le programme et le manuel d’éducation islamique. Ces deux outils pédagogiques relèvent non pas d’une éducation/valeurs à enraciner mais d’un enseignement de connaissances à dispenser et qui sont liées au seul rite religieux. Il y a eu confusion entre les deux concepts «éducation et enseignement». Même si des points communs peuvent être établis entre eux, il n’en demeure pas moins qu’ils présentent des caractéristiques propres. Ne parle-t-on pas, d’un côté, de l’enseignement de la grammaire, des mathématiques, des sciences, de l’histoire, et de l’autre, d’éducation islamique ou d’éducation morale ? C’est qu’il y a une différence. Les règles grammaticales, les théorèmes mathématiques, les formules chimiques, les lois de la physique ou les faits historiques appartiennent à l’enseignement de ces disciplines scolaires. Cet enseignement fait s’activer la sphère intellectuelle du cerveau. Il développe l’intelligence générale de l’élève (compréhension, analyse, synthèse, esprit critique et créativité).
A contrario, l’éducation islamique s’adresse en priorité à l’affect de la personnalité enfantine. Elle a pour but d’enraciner ces valeurs universelles véhiculées par le Saint Coran. Et en cela, tout comme l’éducation morale et civique, l’éducation islamique s’adresse au cœur, à l’intelligence émotionnelle de l’enfant. L’autre but de cette éducation est d’amener l’enfant à adhérer librement à ces valeurs, afin de les traduire dans ses attitudes et son comportement dans et en dehors de l’école.
L’éducation islamique, l’éducation morale, l’éducation civique ne s’enseignent pas comme on le ferait pour les autres disciplines scolaires. Elles se pratiquent, elles sont sujettes à débat, discussion, actions concrètes. La méthode à employer est celle dite active, par l’exemple et le contre-exemple : la vie des prophètes, le dévouement des personnels soignants dans les hôpitaux, les gestes de solidarité en période de catastrophe naturelle… Et pour mieux ancrer et faire aimer ces modèles de comportement, l’enseignant utilisera des contre-exemples pour les faire détester par les élèves. Aimer le bien et rejeter le mal. Une question majeure : peut-on et doit-on évaluer l’éducation islamique selon les mêmes modalités que l’enseignement des mathématiques, de la physique, des langues… ? Bien sûr que non ! Le mélange des genres est dangereux dans la mesure où ces valeurs universelles ne sont évaluables que dans un contexte particulier, celui de l’observation du comportement de l’enfant… dans et hors de l’école : éprouve-t-il de la compassion et de la solidarité envers une personne en difficulté ? Déploie-t-il de la probité et de l’honnêteté s’il trouve un portefeuille plein d’argent ? Se lève-t-il dans un bus pour laisser sa place à une vieille personne ? Refuse-t-il de tricher ou de copier en classe ? S’astreint-il à ne jamais jeter des papiers par terre, ne pas salir le mobilier de la classe ? etc. Pour lever toute équivoque, on dira que l’enseignement des disciplines scolaires profanes doit, lui aussi, véhiculer des valeurs universelles. Tout comme l’éducation islamique ne peut se passer d’enseigner des faits historiques dûment établis.
En conclusion, au-delà de la critique de cette grille d’évaluation des acquis des élèves de 5e AP dans la matière éducation islamique, c’est toute la stratégie pédagogique mise en place depuis le lancement de la réforme de 2002 que nous devons revoir de fond en comble. Et cette confusion criante entre éducation et enseignement est l’un des révélateurs de l’échec de cette réforme. Échec pédagogique s’entend. Et pour celles et ceux qui aiment lire, cet échec est analysé dans les actes des travaux de la première conférence nationale d’évaluation de cette réforme (juillet 2015)…
A. T.


       L’islamologue et chercheur Saïd Djabelkhir :

                               «L’islamisme politique est en régression»

   Le chercheur en islamologie, Saïd Djabelkhir, développe sa vision et sa démarche sur les questions liées à la modernité et à la déferlante obscurantiste et son discours extrémiste. Il rappelle le grand enjeu de la société algérienne: la rupture avec la pensée rétrograde de l’islamisme politique et le populisme religieux.

L’Expression: Peut-on dire que le discours de l’islamisme extrémiste est en train de gagner davantage la société profonde?

Saïd Djabelkhir: Je crois que la dynamique globale est en train d’évoluer vers une régression de l’islamisme ou l’islam politique (à ne pas confondre avec l’islam, religion spirituelle) et une prise de distance du culte par rapport à la chose publique. On assistera, dans les années à venir, à une rupture progressive avec le discours de l’islam politique, qui sera remplacé par des discours réformateurs tels que celui des coranistes (Ahmed Sobhi Mansour, Mohamed Shahrour, Ahmed Abdou Maher, etc.), ainsi que d’autres réformateurs que je qualifierai de superficiels et beaucoup moins radicaux (qui ne vont pas en profondeur et ne creusent pas trop dans l’historicité des textes fondateurs de l’islam, à savoir le Coran et les Hadiths) tels que Adnan Ibrahim, Islam Behiri et Saâd Eddine El Hilali, pour ne citer que ceux-là.
L’islam politique (les Frères musulmans et les salafistes, toutes tendances confondues, entre autres) a causé trop de dégâts dans les décennies durant lesquelles il a été instrumentalisé par l’Arabie saoudite, dans le cadre de la stratégie américaine antisoviétique. Ceci n’est plus un secret pour personnes, après les révélations détaillées du prince Mohammed ben Salmane dans la presse internationale. L’islam politique a entamé sa phase de retrait, mais évidemment il y aura encore des dommages avant la disparition totale de ce phénomène, à mon avis cela va prendre encore une à deux décennies, mais il ne faut pas trop rêver, car tant que les musulmans n’auront pas entrepris une réforme profonde de leur religion, sur la base de l’historicité de ses textes fondateurs, et ce afin d’abroger la valeur juridique de tous les textes qui sont, aujourd’hui, anachroniques et en totale contradiction non seulement avec la modernité mais aussi avec les valeurs humaines universelles, je dis bien tant que les musulmans n’auront pas procédé à une réforme sérieuse et profonde de leur religion, les lectures littéralistes et intégristes des textes continueront à produire l’extrémisme et le terrorisme, à travers le monde entier. Je note au passage que la réforme religieuse, en pratique, doit obligatoirement passer par l’école, c’est-à-dire par une réforme radicale du discours pédagogique et des programmes scolaires. Il va sans dire que cet espace ne permet pas de m’étaler sur les détails.
Pour le cas de l’Algérie, je constate que les discours religieux officiel et islamiste sont à court d’arguments, les chouyoukhs et les imams cathodiques ne sont plus convaincants, surtout avec les centaines de chaînes Youtube, qui diffusent, sur les réseaux sociaux, un discours très critique à l’égard des religions. Raison pour laquelle les nouvelles générations, qui sont très branchées sur les réseaux sociaux, sont devenues beaucoup moins réceptives aux discours de l’islamisme, toutes tendances confondues. Il est à noter que les chaînes Youtube, qui critiquent les religions, sont d’autant plus nombreuses que les médias lourds, c’est-à-dire les chaînes de télévision (publiques et privées) ne sont pas ouvertes à la critique et ne permettent pas la visibilité des voix anticonformistes.

Pensez-vous que le discours de la modernité et de la rationalité peine à trouver sa voie, d’une manière conséquente, au sein de la société?
Le discours de la modernité et de la rationalité ne peut pas trouver sa voie au sein de la société, tant que les médias lourds continuent d’instrumentaliser la religion et les sentiments religieux, qu’ils ne sont pas ouverts à la critique et aussi longtemps qu’ils continuent à faire dans le monologue, c’est-à-dire à diffuser un discours à sens unique, et là je parle surtout de ce qui touche à la religion. Les médias nous présentent à longueur de journée des imams populistes qui prononcent un discours confessant à sens unique, sans arguments, avec des informations biaisées, un discours qui n’a rien à voir ni avec l’Histoire, ni avec les données anthropologiques, ni avec les nouvelles découvertes telles que les manuscrits coraniques de Sanaâ (Yémen), ni encore avec l’islamologie telle qu’elle est enseignée, aujour-d’hui, à travers le monde. Les universités du monde avancent et produisent chaque jour de nouvelles théories sur l’islam, et nous, on continue à suivre la politique de l’autruche, en produisant des fetwas inutiles et des histoires à dormir debout. Le public n’est pas dupe, et il est grand temps pour nos imams et nos chouyoukhs de sortir de cette léthargie, d’arrêter de se voiler la face et de regarder ce qui se passe autour de nous, à travers l’univers.
Je l’ai dit et je le répète: les musulmans n’ont plus soif de fetwas. Ils n’ont plus besoin que leurs croyances, leurs idées et leurs comportements soient mis sous la tutelle des imams et des chouyoukhs. Les musulmans ont juste besoin qu’on leur donne l’information religieuse complète, analysée par des spécialistes, après, il revient à tout un chacun de se forger ses propres opinions et croyances, et de décider du comportement qu’il doit adopter, d’autant plus qu’il n’est plus possible, aujourd’hui de cacher l’information religieuse ou autre, car toutes les sources sont désormais sur internet.

Quelle est la part de responsabilité des élites dites modernes face à la montée et au retour du discours fondamentaliste?
Malheureusement, la majorité de nos élites est silencieuse quand il s’agit de critiquer l’islamisme et le populisme religieux. Certains se sont ralliés à l’islamo-gauchisme international et d’autres même au salafisme. Ceci dit, je ne fais que constater, je n’ai pas l’intention de juger qui que ce soit. Je constate également que les nouvelles élites sont plus engagées que les anciennes dans la critique de l’islamisme, ce qui est prometteur.

Êtes-vous d’avis que l’école est assiégée par le discours extrémiste qui se nourrit de ce qui est appelé, par les spécialistes de la théologie comparée, de «clôture dogmatique»?
En effet, je suis de cet avis. L’école algérienne a besoin, et de toute urgence, d’une réforme radicale du discours pédagogique et des programmes scolaires. C’est malheureux à dire, mais ce qui est enseigné aujourd’hui dans nos écoles relève du discours fanatique et n’a rien à voir avec les valeurs humaines universelles. Les qualités démocratiques, républicaines et les droits de l’homme ne sont pas enseignés. En revanche, l’on continue à faire lire à nos enfants des textes qui font la promotion de la haine de l’autre, de la mort et de la tristesse, au lieu de promouvoir le droit à la différence, le respect de l’autre, la vie, la joie et le vivre-ensemble en paix. Nos écoles inventent de faux croyants au lieu de produire de vrais citoyens.

Le recul de la lecture en général a favorisé la transmission via des structures et des moyens technologiques la pensée extrémiste où le «takfirisme» prend le dessus. Ne pensez-vous pas que l’État doit intervenir pour remettre les «pendules à l’heure»?
Selon les normes pédagogiques, la lecture doit commencer à la maison, au sein de la famille, et c’est l’école qui devrait prendre le relais pas la suite. Il est triste de constater que nos bacheliers n’ont jamais fait la lecture critique d’un classique durant leur scolarité. J’ai reçu un message Facebook de la part d’un jeune universitaire algérien, licencié en littérature. Il m’a posé des questions et en réponse, je l’ai orienté vers un livre pour complément d’information. Il m’a déclaré qu’il ne lit pas et qu’il voudrait que je lui transmette le résumé d’une page de ce livre. La famille n’habitue pas l’enfant à lire, l’école non plus, ce qui fait qu’on se retrouve aujourd’hui avec des docteurs qui enseignent à l’université et qui ne lisent pas. C’est triste, mais c’est la réalité. Je crois que la presse écrite, les sites Internet et les médias lourds pourraient jouer un rôle pour remédier à cette situation et ce en multipliant les articles, les dossiers et les émissions sur le monde des livres, et la lecture. Il est important, dans ce cadre, d’organiser des rencontres entre les écrivains, les éditeurs et les enfants, qui seront les lecteurs de demain. Il faut faire en sorte que les élèves acquièrent l’amour de la lecture et les encourager à écrire.

Les réseaux sociaux pullulent de discours de la haine, de l’intolérance et du rejet de l’Autre. N’est-il pas temps de contrer cette déferlante de la haine et de l’intolérance?
Il y a des pages, des groupes et des chaînes sur Internet qui font la promotion de la haine, de l’intolérance, du rejet de l’autre, du régionalisme, du racisme et même de la violence. L’État ne devrait pas fermer l’oeil sur ces gens-là, car les effets de ce phénomène risquent d’être catastrophiques à long terme. En revanche, on constate que la pensée critique est très vite épinglée et réprimée sur les réseaux, que ce soit par le signalement collectif ou par les plaintes déposées devant la justice, comme cela a été le cas pour moi.

Vous avez abordé dernièrement sous forme de recherche académique, la question de l’historicisme et son rapport avec les anciens textes. Pensez-vous que ce travail pourrait être l’ébauche d’une démarche qui vise à asseoir un discours moderne et rationnel?
J’ai produit plusieurs séries sur ma chaîne Youtube. J’ai commencé par une série sur l’historicité du texte coranique, en 22 épisodes, puis une autre série de 13 épisodes sur le coran et les anciennes Écritures, et là je suis sur une troisième série qui risque d’aller jusqu’à 250 épisodes, sur l’historicité du deuxième texte fondateur de l’islam, à savoir les Hadiths du prophète (Qsssl) selon une méthode historique, comparative, analytique et critique, qui vise à détruire les discours traditionnels, afin de montrer pourquoi et comment ce deuxième texte a été écrit et quels sont les facteurs idéologiques, politiques et socio-culturels qui ont influencé ce processus et abouti à l’officialisation et à la canonisation de ce texte. Cette nouvelle série vise également à la déconstruction de ce texte et à montrer comment il est devenu un texte central presque au même degré que le premier texte (le Coran), à tel point qu’il a été décrété «deuxième révélation» et comment il a été instrumentalisé par le califat, pour justifier ses politiques militaristes et hégémoniques, à travers l’histoire. Cette série sera suivie d’une autre avec la même méthode, sur le troisième texte à savoir les lectures, les interprétations et les «idjtihadates» des fouqahas (juristes) et autres commentateurs du Coran, dans laquelle je vais montrer comment et avec quels outils et quelles méthodes sont produites et fabriquées les interprétations des textes et les fetwas, en islam.
Ce travail vise effectivement à asseoir un discours critique, moderne et rationnel sur les textes fondateurs et le patrimoine religieux islamique de façon générale.
Il tend en définitive à relativiser les visions et les discours absolutistes adoptés par la majorité des musulmans, sur l’histoire et le contenu de leur religion.

Hocine NEFFAH


 

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