«Bien informés, les Algériens sont des citoyens, mal informés, ils deviennent des sujets»

     61e anniversaire de l’indépendance : une lutte millénaire pour les libertés

                              Des occupations espagnoles et ottomanes à la colonisation française                                            et à larésistance du peuple algérien

L’Algérie fête, le 5 juillet 2023, 61 années d’indépendance politique. Cependant, ce serait une erreur de se limiter qu’à la période récente, car l’histoire d’une nation ne se découpe pas en morceaux.

Depuis de longs siècles, une conscience nationale algérienne s’est forgée, malgré bon nombre de péripéties tout au long de son histoire qui remonte à la période des Numides, à la période romaine et de la période du kharidjisme à la dynastie des Almohades sans oublier l’occupation espagnole et ottomane. Cette modeste contribution, certainement imparfaite comme toute recherche à approfondir, en espérant qu’elle suscitera un débat contradictoire au profit exclusif de l’Algérie sera scindée en quatre parties : l’occupation espagnole et ottomane, la colonisation française, le nationalisme algérien et la Révolution du 1er novembre 1954 qui conduit à l’indépendance politique du 5 juillet 1962

1- L’occupation espagnole et ottomane
Il faudra attendre le débarquement de Mers El Kebir en 1505 pour voir l’Espagne s’engager dans la première expédition organisée contre Oran. Après l’occupation du port de Mers El Khébir et celui de la ville d’Oran – 1509 – la ville fut désertée, puis totalement occupée par les troupes espagnoles Au XVIe siècle, les Espagnols font ainsi d’Oran une place forte et construisent une prison sur un éperon rocheux près de la rade de Mers El Kebir. Les Juifs d’Oran n’eurent pas la vie facile avec les Espagnols, considérés comme des ennemis de la religion. Les Juifs qui habitaient Ras El Aïn et le Ravin Blanc furent expulsés hors d’Oran à partir de1669 durent habiter la montagne de La Corniche Supérieure (Misserghin). En 1510 les Espagnols attaquent la ville d’Alger et bâtirent sur un îlot de la baie d’Alger une forteresse, le Peñón d’Alger, destinée à bombarder la ville et à empêcher son approvisionnement. Pedro prend Béjaïa en 1510/1555.

Cependant, en 1514, grâce à une attaque combinée des Kabyles menée par Sidi Ahmed Ould Kadi à la tête de 20.000 hommes et des Turcs par la mer, la ville de Béjaïa sera temporairement libérée de la présence espagnole. Les Espagnols en seront ensuite définitivement expulsés en 1555 par les Ottomans de 1515 à 1830 dirigés par Salah Rais Pacha. Là nous avons deux versions. Selon la première version, le territoire de l’actuelle Algérie était considérablement divisé.
Au sud, le sultanat de Touggourt était indépendant depuis 1414, tandis qu’au nord-ouest la région était gouvernée par les Zianides à l’exception de la ville d’Oran qui était gouvernée par les Espagnols depuis 1509.

La conquête ottomane de la région d’Alger commença en 1518, et fut successivement gouvernée, pour le compte de l’Empire ottoman, par des beylerbeys (gouverneurs généraux) de 1518 à 1587, des pachas de 1587 à 1659, des aghas de 1659 à 1671 et des deys de 1671 à 1830. La région de Constantine, conquise en 1525, prit une relative autonomie administrative par rapport à Alger en 1567 et fut administrée par des beys jusqu’à la conquête française le 13 octobre 1837. Du côté d’Oran, la province fut annexée à l’empire ottoman de 1708 à 1732, puis à partir de 1792. Selon la seconde version, la conquête ottomane de la région d’Alger commença en 1518, et fut successivement gouvernée, pour le compte de l’Empire ottoman, par des beylerbeys (gouverneurs généraux) de 1518 à 1587, des pachas de 1587 à 1659, des aghas de 1659 à 1671 et des deys de 1671 à 1830.

En principe, l’autorité des ottomans s’étendait sur l’ensemble de la Régence d’Alger, c’est-à-dire le nord de l’Algérie actuelle. Mais en réalité, celle-ci variait selon l’époque et les régions concernées. Ainsi des régions montagneuses comme la Kabylie et ou les Aurès entraient à nombreuses reprises en révolte contre l’Autorité ottomane. À l’est de l’Algérie dans les Aurès plusieurs tribus s’unissent et déclenchent des luttes contre les Ottomans.
Les Ouled Daoud ainsi que plusieurs tribus empêcheront les Ottomans de pénétrer dans leurs territoires. Pour la période ottomane nous avons, l’époque des Beylerbeys 1515 à 1587 et l’époque des Pachas 1587/1659. Cette période est surtout marquée par la lutte de Charles Quint et son vassal Barberousse. Pendant cette période, les trois règnes de Hassan Pacha ou Hassan Barberousse, fils du fondateur de la régence, furent marqués par des interventions armées au Maroc et des tentatives de reprises d’Oran. Le sultan ottoman a choisi la durée du règne d’un pacha de 3 ans. Le premier était Dali Ahmed Pacha 1589/1582, pendant ce règne, les relations entre la France et l’Algérie ont connu une détérioration suite à son soutien aux Espagnols contre l’Algérie. Ensuite l’époque des Aghas 1659/1671 et l’époque des Deys 1671/1830.

Les Aghas sont les officiers des forces terrestres ; l’agha est nommé par le conseil. Cette période a connu une grande attaque de la France sur El Kala en 1663 et une autre sur Jijel en 1664 mais toutes ont échoué. Vers 1600 se stabilisent définitivement les frontières orientales et occidentales de la Régence, à la suite des victoires sur le sultan marocain Moulay Ismaïl en 1694. Le pouvoir de ces chefs s’accrut rapidement. Baba Ali en 1710 obtient l’investiture de la Régence. Comme leur pouvoir était électif, les deys restèrent toujours à la merci des janissaires, qui les déposaient à leur gré. Le dernier dey d’Alger, Hussein régnait depuis 12 ans au moment de la conquête française en 1830. Cependant, des zones géographiques n’ont pas été dominées par les Ottomans de 1515 à 1830 ayant été incapables d’étendre leur autorité aux régions sahariennes. Le Sahara était l’axe principal des échanges commerciaux entre l’Afrique noire et le nord. A Ouargla, les habitants étaient gouvernés par l’autorité des zaouïas. Les mouvements des marabouts étaient fort implantés dans toutes les régions du Sud et dans une partie des Aurès. Dans l’extrême Sud, une confédération targuie, les Kel Ahaggar fut formée dans le Sahara algérien vers l’année 1750.

2 – La colonisation française
La conquête de l’Algérie de 1830 à 1871 par la France marque la fin de la domination ottomane et le début de la domination française. D’abord nommés possessions françaises dans le Nord de l’Afrique, ces territoires prendront officiellement le nom d’Algérie, le 14 octobre 1839. La population algérienne est estimée à 3 millions d’habitants avant la conquête française de 1830.

Selon l’ouvrage «Coloniser, exterminer» de l’historien Olivier Le Cour Grandmaison, je cite : «Le bilan de la guerre, presque ininterrompue entre 1830/1872 souligne son extrême violence; il permet de prendre la mesure des massacres et des ravages commis par l’armée d’Afrique. En l’espace de quarante-deux ans, la population globale de l’Algérie est en effet passée de 3 millions d’habitants environ à 2.125.000, selon certaines estimations, soit une perte de 875.000 personnes, civiles pour l’essentiel. Le déclin démographique de l’élément arabe était considéré comme bénéfique sur le plan social et politique, car il réduisait avantageusement le déséquilibre numérique entre les indigènes et les colons».

L’Algérie fête, le 5 juillet 2023, 61 années d’indépendance politique. Cependant, ce serait une erreur de se limiter qu’à la période récente car l’histoire d’une nation ne se découpe pas en morceaux.

Plusieurs observateurs s’accordent à dire que la conquête de l’Algérie a causé la disparition de presque un tiers de la population algérienne. Guy de Maupassant écrivait dans «Au Soleil en 1884», je le cite : «Il est certain aussi que la population primitive disparaîtra peu à peu; il est indubitable que cette disparition sera fort utile à l’Algérie, mais il est révoltant qu’elle ait lieu dans les conditions où elle s’accomplit». Nous pouvons scinder cette période historique en plusieurs phases. Sous Louis Philippe 1er de 1830 à 1848, l’Emir Abdelkader, figure charismatique, fondateur de l’Etat algérien résiste pendant de longues années à l’occupation coloniale. Il attaque des tribus alliées de la France et bat le général Trézel dans les marais de la Makta près de son fief de Mascara dans l’Ouest algérien. Il encercle la ville voisine d’Oran pendant 40 jours.

Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud inflige une défaite à Abdelkader. Le traité de Tafna est signé, le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l’Émir qui reconnaît la souveraineté de la France. En échange de pouvoirs étendus sur les provinces de Koléa, Médéa et Tlemcen, il peut conserver 59 000 hommes en armes.

L’armée française passe, en septembre 1839, les Portes de fer dans la chaîne des Bibans territoire que l’émir comptait annexer. Abdelkader, considérant qu’il s’agit d’une rupture du traité de Tafna, reprend la guerre contre la France le 16 mai 1843. Le 14 août 1844 le général Bugeaud écrase l’armée du sultan marocain à la bataille d’Isly.
L’armée marocaine se replie en direction de Taza. Le sultan s’engage alors à interdire son territoire à Abdelkader, en traitant avec la France. Le 23 septembre, les troupes d’Abdelkader sortent victorieuses lors de la bataille de Sidi Brahim, engagée par le colonel Montagnac. En décembre 1847, Abdelkader se rend aux spahis (nomades des régions steppiques de l’Algérie). Placé en résidence surveillée pendant quatre ans en France, l’émir fut libéré par Napoléon III, visita plusieurs villes de la métropole avant de rejoindre Damas et résida le restant de sa vie en Syrie. Le 11 décembre 1848, la Constitution de 1848 proclame l’Algérie partie intégrante du territoire français. Bône, (Annaba actuellement) Oran Alger deviennent les préfectures de trois départements français. Les musulmans et juifs d’Algérie deviennent «sujets français» sous le régime de l’indigénat. Le territoire de l’ex-Régence d’Alger est donc officiellement annexé par la France, mais la région de la Kabylie qui ne reconnaît pas l’autorité française résiste encore. L’armée française contrôle alors tout le nord-ouest de l’Algérie.

Les succès remportés par l’armée française sur la résistance d’Abdelkader, renforcent la confiance française, et permettent de décréter, après débats, la conquête de la Kabylie qui devait intervenir à l’issue de la guerre de Crimée (1853-1856) et qui a mobilisé une partie des troupes françaises.

C’est à cette époque que Fatma N’soumer la femme rebelle marqua une grande résistance. Née en 1830, l’année même de l’occupation française d’Algérie, en 1853, elle avait 23 ans dans son Djurjura natal. Elle est arrêtée le 27 juillet 1857 dans le village de Takhliit Ath Atsou près de Tirourda. Placée, ensuite, en résidence surveillée à Béni Slimane, elle y meurt en 1863, à l’âge de trente-trois ans, éprouvée par son incarcération. En mars 1871, profitant de l’affaiblissement du pouvoir colonial à la suite de la défaite française lors de la guerre franco-prussienne (1870-1871), une partie de la Kabylie se soulève, favorisée par plusieurs années de sécheresse et de fléaux. Elle débute au mois de janvier avec l’affaire des Spahis et en mars avec l’entrée en dissidence de Mohamed El Mokrani qui fait appel au Cheikh El Haddad, le grand maître de la confrérie des Rahmaniya. La révolte échoue et une répression est organisée par les Français pour «pacifier» la Kabylie, avec des déportations. À la suite d’un ordre qui a été donné par l’armée de les envoyer en France, les Spahis se soulèvent fin janvier 1871 à Moudjebeur et à Aïn Guettar, dans l’Est algérien à la frontière avec la Tunisie.

Le mouvement est rapidement réprimé. Dès lors, le seul moyen de prévenir les révoltes, c’est d’introduire une population européenne nombreuse, de la grouper sur les routes et les lignes stratégiques de façon à morceler le territoire en zones qui ne pourront pas, à un moment donné, se rejoindre. La loi du 21 juin 1871 (révisée par les décrets des 15 juillet 1874 et 30 septembre 1878) attribue 100 000 hectares de terres en Algérie aux immigrants d’Alsace-Lorraine. De 1871 à 1898, les colons acquièrent 1 000 000 d’hectares, alors que de 1830 à 1870, ils en avaient acquis 481 000.

Le 26 juillet 1873 est promulguée la loi Warnier, visant à franciser les terres algériennes et à délivrer aux indigènes des titres de propriété. Cette loi donne lieu à divers abus et une nouvelle loi la complétera en 1887. Son application sera suspendue en 1890. Le Code de l’Indigénat est adopté le 28 juin 1881 distinguant deux catégories de citoyens : les citoyens français (de souche métropolitaine) et les sujets français, c’est-à-dire les Africains noirs, les Malgaches, les Algériens, les Antillais, les Mélanésiens. Le Code était assorti de toutes sortes d’interdictions dont les délits étaient passibles d’emprisonnement ou de déportation. Après la loi du 7 mai 1946 abolissant le Code de l’indigénat, les autochtones sont autorisés à circuler librement, de jour comme de nuit, et récupérer le droit de résider où ils voulaient et de travailler librement. Cependant, les autorités françaises réussirent à faire perdurer le Code de l’indigénat en Algérie jusqu’à l’indépendance en maintenant le statut musulman et en appliquant par exemple le principe de responsabilité collective qui consistait à punir tout un village pour l’infraction d’un seul de ses membres. L’Algérie possède un nouveau statut en 1900 : elle bénéficie d’un budget spécial, d’un gouverneur général qui détient tous les pouvoirs civils et militaires.

3 – Le nationalisme algérien
Bien que la résistance ait toujours existé depuis toutes les invasions, ce sont les guerres mondiales qui permirent une prise de conscience plus forte de l’injustice qui frappait la majorité des Algériens, souvent analphabètes et travaillant à des salaires de misère. Pour faire face aux pertes humaines de la Grande Guerre, la France mobilisa les habitants des départements français d’Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. 249 000 Algériens furent mobilisés (73 000 mobilisés dans la population française, et 176 000 dans la population «indigène») avec 38 000 à 48 000 des leurs sur les champs de bataille d’Orient et d’Occident durant la Première Guerre mondiale. Durant la Seconde Guerre mondiale, en Algérie, la conscription engagea 123 000 musulmans algériens et 93 000 Européens d’Algérie (Pieds-Noirs) dans l’armée française ; 2600 des premiers, et 2700 des seconds furent tués dans les combats de 1940. En 1942, (Appel du général de Gaulle le 8 novembre 1942) et dans le cadre de l’opération Torch (débarquement des Anglo-Américains à Oran, Alger, Annaba) de nombreux Algériens furent engagés dans les forces alliées au sein de l’armée française de la Libération et engagés sur les fronts italiens et français.

Entre 1942 et 1943, les effectifs mobilisés en Algérie s’élèvent sur la période à 304 000 Algériens (dont 134 000 «musulmans», et 170 000 «Européens»). Ils sont engagés en Tunisie de novembre 1942 à mai 1943, en Italie de novembre 1943 à juillet 1944, et enfin en France et en Allemagne d’août 1944 à juin 1945. Nous trouvons Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Mostefa Ben Boulaïd, Krim Belkacem. La guerre d’Indochine (1946-1954) absorbe les cadres militaires et fait combattre les volontaires et soldats de métiers, légionnaires et les troupes coloniales dont 35 000 Maghrébins (Marocains et Algériens) qui comptent pour 1/4 de l’effectif du corps expéditionnaire. Le 8 mai 1945, alors que la Seconde Guerre mondiale prend fin en Europe, en Algérie, des manifestations nationalistes algériennes sont réprimées par l’armée française à Sétif et Guelma. On dénombre 103 Européens tués, selon la source officielle française. 1500 Algériens et selon la source algérienne 45 OOO. Suite au «Manifeste du peuple algérien» de Ferhat Abbas en 1943, les élections législatives de 1946 sont un succès pour l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA). Son parti remporte onze des treize sièges réservés à l’Algérie à l’Assemblée nationale.

La loi sur le statut de l’Algérie est promulguée en septembre 1947 : l’Algérie reste composée de trois départements et le pouvoir est représenté par un gouverneur général nommé par le gouvernement français. Une Assemblée algérienne est créée, composée de deux collèges de 60 représentants chacun. Le premier sera élu par les Européens et une élite algérienne (diplômés, fonctionnaires) et le second par le reste de la population algérienne. Enfin, l’article 2 précise : «L’égalité effective est proclamée entre tous les citoyens français». En octobre 1947, le MTLD de Messali Hadj obtient une large victoire lors des élections municipales entraînant la répression des autorités françaises. En 1948, trente-six des 59 candidats du MLTD sont arrêtés. Il est utile de préciser qu’au début du XXe siècle plusieurs leaders algériens revendiquent le droit à l’égalité ou à l’indépendance. Plusieurs partis vont être créés et plusieurs pamphlets seront écrits pour défendre les droits des Algériens. Plusieurs penseurs algériens vont vilipender les plus importantes personnalités du régime colonial français. La plupart des figures du mouvement algérien vont être surveillées de près par les services policiers français, d’autres seront exilées vers d’autres pays comme l’a été l’émir Khaled El Hassani Ben El Hachemi en Égypte puis en Syrie. Nous avons des figures, et sans être exhaustif, comme Messali Hadj, Malek Bennabi, Mohamed Hamouda Bensai, Ben Badis, Mohamed Bachir El Brahimi, Larbi Tebessi, Ferhat Abbas, Omar Ouezggane.
La question algérienne est posée, encore qu’existe des divergences d’approche, avec la création d’organisations comme le Parti de la réforme ou mouvement pour l’égalité, l’Association des oulémas musulmans algériens, association de l’Etoile nord-africaine, le Parti du peuple algérien, les amis du Manifeste des Libertés et le parti communiste algérien. À la suite de la mort d’Abdelhamid Ben Badis en 1940 et à l’emprisonnement de Messali Hadj, en 1948, le Mouvement pour le triomphe des libertés revendique le statut de l’égalité. Les arrestations et les interdictions se multiplient.


Abderrahmane Mebtoul, Pr. des Universités, Dr. d’Etat en sciences économiques


 

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