Encore et toujours plus d’armes nucléaires : la nouvelle posture stratégique des États-Unis

     La Commission estime que les États-Unis devraient envisager de construire et de déployer davantage d’armes nucléaires.

Protestors can be seen demonstrating against nuclear weapons politics in front of the embassy of the USA, walking towards the embassy of North Korea, in Berlin, Germany, 18 November 2017. Several different organisations have called for the protest under the slogan « Stop the escalation – prohibit nuclear weapons! ». Photo: Paul Zinken/dpa

Le monde est en guerre, avec des conflits actifs ou larvés en Ukraine, en Israël-Palestine, en Somalie, en Éthiopie, au Soudan, en Libye, en Syrie, au Yémen et au Nagorno-Karabakh ; des coups d’État déstabilisateurs au Niger, au Burkina Faso, en Guinée, au Tchad et au Mali, et d’autres nations au bord de conflits civils ou interétatiques. La dernière chose dont nous ayons besoin dans cet environnement sécuritaire instable est une accélération de la course aux armements nucléaires des superpuissances.

Mais ne dites pas cela aux membres de la commission du Congrès sur la posture stratégique des États-Unis, qui a passé l’année dernière à examiner les défis actuels auxquels sont confrontés les États-Unis et à proposer une solution qui ferait paraître désuète la compétition militarisée de l’époque de la Guerre froide.

Le rapport de la commission rappelle le fameux film de Stanley Kubrick datant de 1964, « Dr Folamour : Comment j’ai cessé de m’inquiéter et appris à aimer la bombe ». Le film soulignait l’absurdité des doctrines nucléaires de l’époque et la folie de l’état d’esprit qui avait saisi les dirigeants politiques et militaires de l’époque, dans une approche parfois humoristique d’un sujet dont l’impact potentiel est mortellement grave. Le nouveau rapport de la commission du Congrès laisse entendre que l’environnement stratégique actuel est plus dangereux qu’à l’apogée de la Guerre froide, et il adopte un état d’esprit tout aussi dangereux en abordant cette prétendue situation. Quoi que l’on pense de l’évaluation de la commission, ses recommandations augmenteraient les risques de guerre entre les superpuissances, au lieu de les réduire.

L’analyse et les recommandations de la commission reposent sur une vision alarmiste du paysage géopolitique actuel qui s’écarte considérablement de la réalité. Au début du rapport, la commission évalue comme suit les défis auxquels sont confrontés les États-Unis :

« Le nouvel environnement mondial est fondamentalement différent de tout ce que nous avons connu par le passé, même pendant les jours les plus sombres de la Guerre froide. Aujourd’hui, les États-Unis sont sur le point d’avoir non pas un, mais deux adversaires nucléaires, chacun ayant l’ambition de modifier le statu quo international, par la force, si nécessaire : une situation que les États-Unis n’ont pas anticipée et à laquelle ils ne sont pas préparés. »

Tout d’abord, il n’est pas évident que la Russie ou la Chine cherche ou puisse parvenir à une domination mondiale basée sur l’utilisation de la force. Quelles que soient les aspirations de Vladimir Poutine, la guerre en Ukraine a révélé de profondes failles dans les capacités militaires de la Russie qui montrent clairement qu’elle n’est pas en mesure de menacer l’un des 31 membres de l’alliance de l’OTAN, et encore moins d’opérer à l’échelle mondiale. Il est essentiel de continuer à fournir à l’Ukraine l’assistance dont elle a besoin pour se défendre, mais les affirmations selon lesquelles la Russie est prête à remodeler l’ensemble du système international « par la force » à la lumière de ce conflit sont exagérées.

Quant à la Chine, les principaux défis qu’elle lance aux États-Unis sont d’ordre politique et économique, et non militaire. Sa puissance militaire croissante est principalement axée sur sa propre région, y compris sur la possibilité de prendre Taïwan par la force à une date future non précisée. Mais le meilleur moyen d’éviter un conflit entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan est de rétablir une compréhension commune de son statut, selon les principes de la politique de la « Chine unique » qui a maintenu la paix dans le détroit de Taïwan pendant cinq décennies. Cela signifierait que les États-Unis ne soutiendraient pas l’indépendance politique de Taïwan et que la Chine renoncerait à chercher à s’unir à l’île par la force. Une meilleure communication en cas de crise et une approche du « bien commun » pour résoudre les différends – comme le propose mon collègue de l’institut Quincy, Jake Werner, dans une récente note d’information – devraient compléter le retour à une vision commune sur Taïwan. La coopération dans la lutte contre les menaces existentielles potentielles, telles que le changement climatique et la prévention des pandémies, devrait prendre le pas sur l’agressivité et la rhétorique belliqueuse. Les coups de sabre et les renforcements militaires rendront plus probable une guerre à propos de Taïwan, avec des conséquences désastreuses pour toutes les parties concernées.

Enfin, le stock nucléaire actif des États-Unis, qui compte 4 500 armes nucléaires à longue portée, dont plus de 1 600 déployées, est plus que suffisant pour dissuader la Russie ou la Chine d’attaquer les États-Unis, de peur de voir leurs sociétés dévastées en retour. Mais un arsenal déployé en grand nombre pose le risque d’une confrontation nucléaire par accident ou par erreur de calcul, et un environnement de course aux armements du type de celui recommandé par la commission du Congrès ne ferait qu’aggraver les choses.

Malheureusement, une fois que la commission a adopté sa vision excessivement pessimiste des capacités et des intentions de la Russie et de la Chine, ses recommandations en faveur d’une attitude plus combative des États-Unis ont suivi de près. Le Pentagone est déjà engagé dans une initiative de 2 000 milliards de dollars, étalée sur trois décennies, visant à construire de nouveaux missiles, bombardiers et sous-marins dotés d’armes nucléaires, ainsi que de nouvelles ogives pour les accompagner. Fait étonnant, la commission affirme que ces investissements ne sont pas suffisants et que les États-Unis devraient envisager de construire et de déployer davantage d’armes nucléaires, tout en approuvant des mesures dangereuses et déstabilisantes telles que le retour à l’époque des missiles terrestres à ogives multiples et le placement de missiles à tête nucléaire en Asie de l’Est. Ces mesures ne feraient qu’introduire plus d’incertitude dans les calculs de la Chine et de la Russie, rendant une confrontation nucléaire plus probable.

Outre l’augmentation des risques nucléaires à un prix certainement exorbitant – une question que le rapport mentionne mais refuse d’aborder en détail –, le document plaide pour que les États-Unis développent d’abord leur arsenal nucléaire et se préoccupent ensuite de conclure des accords significatifs de contrôle des armements. Cette approche est précisément rétrograde et pourrait déclencher une course aux armements à trois qui ferait disparaître le contrôle des armements de l’ordre du jour pour les années à venir.

Parfois, les commissions du Congrès vont et viennent sans laisser d’empreinte substantielle sur la politique gouvernementale. Espérons que les recommandations de la commission sur la posture stratégique entrent dans cette catégorie. Mais le résultat le plus probable sera que les faucons nucléaires – et même les modérés qui devraient être mieux informés – brandiront le rapport dans leurs efforts pour promouvoir un renforcement nucléaire qui est à la fois extrêmement risqué et immensément coûteux. Les membres du Congrès, l’administration et le grand public doivent entendre haut et fort les réactions des partisans de la réduction des armements nucléaires. Nous avons survécu à la course aux armements nucléaires de la Guerre froide en partie par pure chance – nous ne devrions pas prendre ce risque à nouveau.


William D. Hartung est chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Ses travaux portent sur l’industrie de l’armement et le budget militaire américain.


Source : Responsible Statecraft, William Hartung, 16-10-2023 Traduit par les lecteurs du site Les-Crises


 

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