Avenir de la langue française en Algérie : Dette culturelle et réparation pérenne

 

par Chems Eddine Chitour *

« Mon français s’est ainsi illuminé depuis vingt ans déjà, de la nuit des femmes du Mont Chenoua. (…) J’emporte outre- Atlantique leurs sourires, images de « shefa’ », c’est-à-dire de guérison. Car mon français, doublé par le velours, mais aussi les épines des langues autrefois occultées, cicatrisera peut-être mes blessures mémorielles (…) c’est mon vœu final de « shefa’ » pour nous tous, ouvrons grand ce « Kitab el Shefa’ » ou Livre de la guérison (de l’âme) d’Avicenne/Ibn Sina, dont la précocité et la variété prodigieuse du savoir, quatre siècles avant Pic de la Mirandole, étonna lettrés et savants qui suivirent »…

Assia Djebbar

Discours de réception à l’Académie française

Une disposition technique concernant la langue française est vue en France comme un crime de lèse-langue de Voltaire ! En fait cette enième kabbale outre-Méditerranée est un coup d’épée dans l’eau. Le ministère de l’Education nationale met en œuvre un texte ancien. Le but étant de rectifier le droit permis aux établissements privés d’enseigner en plus la langue français conformément aux critères de l’éducation en France et ceci avec les services culturels qui permettent des passerelles aux candidats bacheliers du bac français passé en Algérie de pouvoir s’inscrire dans Parcours Sup et rejoignant ainsi les universités françaises C’est de fait un quasi-visa pour les candidats. De fait, les candidats au bac français ne peuvent le passer dans le pays.

Par ailleurs, d’une façon souveraine l’Algérie envisage à terme de substituer le français par l’anglais comme deuxième langue sans pour autant se dispenser du butin de guerre qui à des degrés divers peut avoir sa place si des fondamentaux sont respectés. Pour rappel, l’Algérie étant le 3e locuteur de langue française fait beaucoup pour la langue française sans être dans la francophonie et ceci sans aucune compétition d’aucune sorte si ce n’est de bricoler en attisant les différences entre les élus inscrits dans le lycée français sans vision globale de l’apport de l’Algérie pour cette langue. Il ne tient d’après nous que cette langue puisse perdurer si d’abord dans un esprit de reconnaissance, la France, comme elle l’a fait avec l’Egypte en 1990 a construit et équipé la bibliothèque d’Alexandrie puisse contribuer par la culture et la science à l’apaisement des mémoires.

La langue de Molière, un butin de guerre en perdition

Le Figaro, dans sa livraison de mardi 26 septembre, avait titré « Alger ordonne la chasse au français dans les écoles » pour évoquer une note du ministère algérien de l’Education nationale interdisant l’enseignement des programmes scolaires français dans les écoles privées. Cette stratégie des autorités algérienne a été sujette aux attaques systématiques de la part des médias et personnalités françaises nostalgiques du Paradis Perdu. Pourtant ce n’est pas l’usage de la langue française qui a été interdit puisqu’on continuera à enseigner en français mais la dispense des programmes d’enseignement scolaires français, notamment en vue de l’obtention du baccalauréat français. On sait que des écoles privées proposent le programme d’enseignement scolaire français sésame qui permet de s’inscrire dans les universités françaises.

De plus, comme l’écrit Lamia F. d’Algérie 360 : « La décision de mettre fin à l’enseignement du programme français dans les écoles algériennes a été évoqué il y a des années de cela. Une note ministérielle était même venue interdire aux établissements privés d’enseigner le programme de l’Hexagone à leurs élèves en 2021. Jusqu’à présent, les quelque 580 écoles privées algériennes étaient autorisées à enseigner le programme français, à condition que le programme algérien soit également dispensé aux élèves. Cette mesure visait à garantir une éducation équilibrée, mêlant les aspects de l’enseignement français et algérien. (…) Cette interdiction n’a toutefois été que partiellement appliquée jusqu’à cette rentrée. La décision de supprimer le programme français a été motivée en grande partie par les abus observés au sein de certaines écoles privées. Une autre conséquence majeure de cette décision est l’impact sur les élèves souhaitant passer le baccalauréat français. Désormais, ils ne sont plus autorisés à le faire en Algérie et sont contraints de se rendre à l’étranger. Les écoles privées titulaires d’un label délivré par l’ambassade de France en Algérie ont également été contraintes de renoncer à ce statut sous peine de sanctions ». (1)

Dans le même ordre, les journalistes Kessous et Ténéré Majhoul qui ont enquêté alternent fausse information comme la soudaineté de la note ministérielle et dans le même temps, ils nous informent des quasi privilèges des élus élèves qui suivent l’enseignement privé. Nous lisons : « qui parle de soudaineté de la décision en donnant la parole à des personnes bien engagées dans le débat : « un établissement privé algérien a été sommé par les autorités algériennes de ne plus enseigner le programme français aux élèves sous peine de sanctions. Un double programme jamais autorisé par la loi, mais toléré au grand jour (…) Les vingt-deux écoles qui échangeaient avec l’ambassade de France à travers un label délivré par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) début août, ont reçu un premier courrier, les « sommant de se retirer de ce label » sous peine de fermeture ou de poursuites pénales. Certains établissements avaient choisi d’obtempérer, d’autres s’étaient résolus à fermer ou à changer de statut ». (2)

Les auteurs nous informent que la langue française continue à être enseignée. Ils nous informent par là même des combines pour tromper l’administration du ministère : « Au même moment, l’anglais commence à être imposé au sein d’institutions publiques dans le but de remplacer le français. La langue n’a, toutefois, pas été bannie : dans les écoles publiques et privées, elle continue d’être enseignée à raison de cinq heures par semaine. L’interdiction du programme français dans les établissements privés répond aussi à la volonté de mettre fin aux abus commis par certaines écoles, qui ont privilégié les matières françaises au détriment du programme algérien. Un enseignement parfois dispensé « de manière exclusive », reconnaît un professeur qui travaille dans le public et le privé. « Dans ces écoles, lors des inspections, il fallait cacher les manuels en français, ne pas les mettre dans les cartables des enfants car on pouvait les fouiller ». « Des élèves ne se présentaient pas au brevet ou au bac algérien, uniquement aux examens français, ça n’a pas plu aux autorités. » (2)

Enfin les journalistes nous informent d’un problème franco-français : « La décision des autorités algériennes est d’autant plus mal ressentie qu’elle coïncide avec une autre réforme, française cette fois, concernant le Centre national d’enseignement à distance (CNED). Quelque 3 000 élèves en Algérie étaient concernés, le plus important contingent au monde. « Le CNED, c’était un visa pour eux… » (2)

Les langues les plus parlées dans le monde

Pour savoir quelle est la place des langues principales, on évalue le nombre de langues dans le monde qui s’élève aux alentours de 7.000. L’anglais est parlé par près d’un milliard 452 millions personnes à travers le globe. Ainsi, on compte environ 372,9 millions de personnes dont la langue maternelle est l’anglais. C’est aussi la langue officielle de 67 pays à travers le monde. Le chinois est parlé par 929 millions de personnes. L’hindi est parlé comme langue maternelle par environ 343,9 millions. Vient ensuite L’espagnol avec 548,3 millions de locuteurs. Et l’arabe avec un nombre de locuteurs d’environ 250 millions. Le français avec moins de 79 millions comme langue maternelle.

La situation du français dans le monde

Sous la plume de Nicolas Poincaré, cette contribution le constat du déclin de l’enseignement du français en Algérie mais pas dans le monde !… : « Il n’y a qu’un lycée français, alors qu’il y en a par exemple 37 au Maroc. C’est le lycée Alexandre Dumas, qui accueille environ 2.000 élèves avec deux annexes en province. Il y a, tous les ans, environ 60 demandes pour une place. Les ministres, les hauts fonctionnaires, les apparatchiks du régime, se battent pour y inscrire leurs enfants, (…) Aujourd’hui, 15 millions d’Algériens parlent français, soit un tiers de la population. Cela en fait le troisième pays francophone du monde derrière la France et la République démocratique du Congo. (…) Et lorsque le français n’est plus enseigné, il peut très vite disparaître. Cela s’est passé au Rwanda, qui en moins de 30 ans est devenu un pays anglophone alors que c’était une ancienne colonie belge où presque tout le monde parlait français. C’est fini. Même chose au Liban, qui reste officiellement un pays francophone, mais sur Facebook, on trouve huit publications en anglais pour une en français… La pratique du français a également presque disparu dans des pays comme le Vietnam ou le Cambodge. Pourtant, au niveau mondial » (3)

L’Algérie développe l’apprentissage de l’anglais

D’une façon tout à fait imprévue en première impression, le grand journal Le Washington Post prend à son compte les dispositions prises par l’Algérie concernant l’anglais aux dépens du français. Sans être naïf c’est un combat culturel entre les pays développés pourtant du même bord ! Ainsi dans son édition du vendredi 29 septembre, The Washington Post a consacré un article au choix stratégique de l’Algérie d’opter pour l’enseignement de l’anglais : « Plus d’un an après le lancement par l’Algérie d’un programme pilote d’enseignement de l’anglais dans les écoles primaires, le pays le salue comme un succès et l’élargit dans un mouvement qui reflète un changement linguistique croissant en cours dans les anciennes colonies françaises à travers l’Afrique. Les élèves qui retourneront dans les classes de troisième et de quatrième année cet automne participeront à deux cours d’anglais de 45 minutes chaque semaine alors que le pays crée de nouveaux programmes de formation des enseignants dans les universités et envisage des changements plus transformateurs dans les années à venir. De plus, le pays renforce l’application d’une loi préexistante contre les écoles privées qui fonctionnent principalement en français » (4).

L’article fait dire que l’Algérie a perdu beaucoup de temps du fait d’une sorte de lobby, l’inoxydable Hazb França : « Nous avons perdu beaucoup de temps. Nous aurions dû introduire l’anglais dans les écoles primaires lorsque le président Abdelaziz Bouteflika a présenté sa réforme après son arrivée au pouvoir en 1999. Mais à cette époque, les factions francophones en Algérie avaient beaucoup de pouvoir de décision dans les institutions. » Cependant, ces dernières années, ils se sont affrontés à plusieurs reprises sur l’immigration, l’extradition et la façon dont chaque pays commémore le colonialisme et la guerre brutale qui a abouti à l’indépendance de l’Algérie en 1962. L’Algérie prévoit d’étendre son programme actuel à la cinquième année l’année prochaine. Bien que peu de gens contestent l’importance de l’anglais, certains s’inquiètent de la façon dont l’Algérie met en œuvre un tel changement et mettent en garde contre la déclaration de victoire trop tôt ». (4)

La France propose le français aux pays anglophones

La France développe cependant des relations avec des pays anglophones en y mettant les moyens Ainsi, on se souvient de l’acculturation qui a permit de décentraliser la « Sorbonne » University à Abu Dahbi avec une scolarité à 50.000 euros pour une licence de 3 ans. Plus récent c’est un autre pays qui est choisi. Ainsi la participation à la Foire internationale du 28 septembre au 7 octobre à l’université du roi Saoud à Riyad sous le thème «Une destination inspirante». Samia Hanafi écrit : « Cette manifestation culturelle et éducative vise à promouvoir le dialogue et à rapprocher les communautés francophones, ainsi que tous ceux désireux d’apprendre le français, de découvrir la culture française et de l’apprécier. Un pavillon francophone de plus de 500 m2 sera au rendez-vous. Cette édition s’annonce mettant en avant plus de vingt mille titres, dont dix mille dédiés à la jeunesse. L’association d’amitié franco-saoudienne Génération 2030 participera. Sa mission consiste à réunir les jeunes talents français et saoudiens pour mettre en œuvre des actions conjointes afin de construire des passerelles culturelles entre la France et le royaume d’Arabie saoudite. L’ambassadeur de France en Arabie saoudite, Ludovic Pouille, visitera le pavillon francophone » (5)

Un combat d’arrière-garde pour le futur : contenant et contenu

La mondialisation a fait que le monde est un grand village où 7.000 langues se parlent. Cependant il faut expliquer que ce qui compte par-dessus tout, ce n’est pas le véhicule de l’information (le contenant) que constitue la langue, mais l’information transmise (le contenu). Ainsi l’intelligence artificielle brise les barrières linguistiques. « L’intelligence artificielle, lit on sur cette publication, permet désormais de doubler des vidéos dans n’importe quelle langue avec une synchronisation labiale quasi parfaite. Cette innovation, qui a déjà séduit de nombreux utilisateurs, pourrait cependant créer des illusions en matière de communication » (6).

« (…) un individu parle anglais et, en un instant, s’exprime parfaitement en français, puis en allemand (…) Réaliser une vidéo en français pour toucher une audience internationale ? Autrefois, cela nécessitait une traduction minutieuse et un sous-titrage. Il ne s’agit pas seulement de traduction. Des programmes peuvent désormais faire chanter dans une autre langue. En Suisse, la start-up zurichoise Interprefy offre déjà une solution de traduction pour les conférences dans le monde réel. À l’aide d’une oreillette, les participants entendent non pas une voix humaine, mais une voix de synthèse autonome qui traduit les propos à la volée » (6)

En fait une langue n’est qu’un véhicule de l’information au sens du savoir, il faut se garder d’être naïf, ce qui compte c’est le contenu du message et non pas le contenant. C’est à cela que nos enseignants devraient joindre tous leurs efforts. De plus, que vous enseignez en anglais ou en français, dans le domaine des sciences et de la technologie le vocabulaire technique est le même. Vous pouvez faire un cours en alignant des équations mathématiques, physiques ou chimiques A titre d’exemple, le manuscrit de Gregori Perelman qui a démontré la conjecture de Poincaré qui a résisté un siècle, faisait 30 pages d’équations les unes à la suite des autres sans texte. Les mathématiciens chargés d’évaluer le manuscrit ont mis plusieurs mois pour le comprendre pour finalement déclarer que le chercheur a résolu la conjecture. Pour cet exploit, 1 million de dollars lui ont été proposés. Gregori Perelman qui habite dans un HLM avec sa maman, refusa le prix et eut cette phrase grandiose : « Que vais-je faire avec cet argent ? Je sais comment fonctionne l’univers »

On le voit, il nous faut relativiser car même dans la culture, un débat sur la création littéraire à Alger fait appel à l’intelligence artificielle qui a, semble-t-il, des répercussions sur le monde littéraire ! Devons-nous être inquiets si le dernier bastion de la beauté culturelle tombe ? Comme l’écrit Sarra Chaoui : « Quand la fiction devient réalité » a permis aux auteurs Hamza Koudri et à Magdalena Platzova de donner leur point de vue sur l’utilisation de l’intelligence artificielle et d’imaginer un monde où la machine prendrait le pas sur l’homme. Ils partagent la même vision, celle de l’impossibilité de la machine à ressentir les émotions humaines et à les transmettre. Il est impossible pour l’IA de saisir les subtilités d’une langue et de les traduire correctement. Pour eux, les textes générés automatiquement, aussi complexes soient-ils, ne pourront jamais égaler l’intelligence émotionnelle de l’humain. (10)» Nous sommes sauvés… provisoirement

Que fait la France officielle vis-à-vis de l’Algérie ?

Elle donne l’impression que le français en Algérie est là pour mille ans ! Grosse erreur ! Une langue peut disparaitre en quelques décennies si elle n’est pas entretenue d’une façon imaginative par l’adaptation constante à des situations nouvelles. Il n’y a pas de signe avant-coureur d’une politique apaisée généreuse car la visite en Algérie du député français Frédéric Petit a été contreproductive. Venu comme un censeur dictant la norme ! et annonçant des vœux pieux assortis de paternalisme du colon vis-à-vis de l’indigène Nous lisons : « explorer l’apprentissage du français. L’objectif principal de ce déplacement était de vérifier les répercussions de la réforme adoptée par l’Algérie en 2022, qui introduit l’apprentissage de l’anglais dès la 3ème année du cycle primaire. Le député cherchait à comprendre si cette réforme menace l’apprentissage de la langue française. (…) Enfin, il insiste sur le fait que privilégier l’anglais pourrait entraîner une perte d’influence regrettable, soulignant la longue histoire commune qui unit la France et l’Algérie ainsi que leurs peuples respectifs. » (7)

La dette culturelle consubstantielle de l’histoire commune

Comme on le sait, l’Algérie revient de loin. Comme on le sait, l’invasion coloniale avait pour but de remplacer l’arabe par le français. Le premier arrêté que prit le général Berthezène de rattacher le fonctionnement des zaouïas à l’administration du même coup cet arrêté a tari le financement des zaouïas et donc plus de possibilités de développement de l’éducation.

132 ans plus tard, c’est un pays exsangue qui démarre sans encadrement dans l’éducation pour les quelques milliers d’élèves en âge d’être scolarisés moins de 10%.

La langue française a servi à ratisser des individus en les privilégiant par rapport à l’immense masse des Algériens. Rien n’a été fait, au contraire on dresse des Algériens contre d’autres Algériens avec la possibilité d’ouvrir les portes à des cadres potentiels qui viendraient enrichir le vivier des compétences en France.

Ainsi, le manque de visibilité de la langue française en Algérie et le lourd fardeau de la francophonie vue comme une Françafrique ou la langue française continuait à dicter la norme est de plus en plus abandonnée. La langue française n’épouse plus son temps. De plus il semble que la France veut investir d’autres pays pensant que l’installation de la langue française est irréversible, les anciennes colonies n’oseront pas se passer du français. C’est une erreur ! beaucoup de pays africains commencent à questionner l’apport culturel et scientifique du fiançais.

La France est elle prête à aller en Algérie sur le chemin de la réconciliation par la culture ? A titre d’exemple, c’est à Doha qu’il y a la Sorbonne. C’est à Doha qu’il existe un musée du Louvres bis. Un pays qui n’a aucun passé commun avec la France, si ce n’est le carnet de chèques. En se souvenant que les soudards de l’armée de l’Afrique ont brûlé les bibliothèques algériennes avec comme point d’orgue l’incendie criminelle par l’OAS début juin 1962 de la Bibliothèque universitaire qui a vu 300.000 volumes partir en fumée.

On se souvient du discours de François Mitterrand allant inaugurer la bibliothèque d’Alexandrie construite et dotée par la France qui n’a pas d’histoire commune avec l’Egypte. Nous lisons « (…) Quelle part y eurent l’incendie allumé à Alexandrie [ndR] par Jules César en 48 avant J.C., celui des chrétiens en 390, l’occupant arabe de 641 ? (…) Mais il est sûr que les ravages de la guerre, l’indifférence, le poids des dogmes, bref les destructions et l’abandon finirent par avoir raison d’une expérience qui compte parmi les plus grandes aventures intellectuelles de l’humanité(…). Voisine de la future université francophone, flanquée d’une école internationale en sciences de l’information formant des spécialistes qualifiés, la bibliothèque d’Alexandrie sera dotée de tous les moyens modernes de conservation des collections, de stockage et de transmission des données, de restauration des documents et de communication au public » (8)

Le discours de Mitterrand en Egypte par des députés qui ne connaissaient pas la langue française est à méditer. Mutadis mutandis la France a une dette culturelle. Peu ou prou l’Algérie à son corps défendant a bonifié la langue française en l’enrichissant des mots du terroir profond. Elle a fait plus que son devoir vis-à-vis de cette langue qui appartient au patrimoine de l’humanité. Comment réparer 132 ans de déni de personnalité de la langue maternelle interdite ? C’est un miracle qu’il y eut des Algériens qui maitrisaient la langue de Voltaire ! Ils furent le petit nombre et des voleurs de feu pour reprendre la belle expression d’El Mouhoub Jean Amrouche.

Le chemin de la réconciliation entre les deux peuples qui gardent par-devers eux leurs mémoires est possible si des gestes signifiants étaient mis en œuvre. Ainsi la culture, le respect mutuel des cultures sont assurément un chemin vers une démarche apaisée. En s’inspirant de la démarche de la France en Egypte, la mise en place d’une façon résolue de la construction et la dotation d’une Grande Bibliothèque avec toutes les commodités pour accueillir l’universel mais aussi les ouvrages encore retenues dans les bibliothèques de France et de Navarre.

Conclusion

Les vrais combats sont donc ceux du contenu du savoir. Nous devons y aller résolument en évaluant les étapes. La démarche actuelle devrait être consolidée Cependant il ne faut pas espérer d’un coup de baguette magique se réveiller un beau matin maitrisant la langue de Shakespeare. Il nous faut y aller d’une façon déterminée mais à pas mesurés.

Sans se faire d’illusion sur les offres « gratuites » des pays anglophones, nous ne devons pas abandonner la proie ou le butin pour l’ombre. Ce serait une erreur d’abdiquer une langue même issue d’un compagnonnage douloureux, pour aller pointer en dernière position d’une métropole moyen-orientale avec laquelle nous n’avons pas d’atomes crochus pour apprendre l’anglais, et non la culture. Souvenons-nous, 90% du corps de documentation est en français, ce sont des millions d’ouvrages importants dans toutes les disciplines. La citation de Mandela : « Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur » nous offre de parler au cœur si chacun fait l’effort de parler la langue de l’Autre. Le jour ou nous verrons des lycées en langue arabe en France, ce jour-là on comprendra que la France veut tracer un chemin vers le futur dans l’égale dignité des deux peuples. Amen.

*Professeur émérite Ecole Polytechnique Alger

1 Lamia F https://www.algerie360.com/le-programme-francais-desormais-interdit-dans-les-ecoles-privees-algeriennes/?  28 septembre 2023

2. Mustapha Kessous et Ténéré Majhoul https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/28/l-algerie-met-fin-brusquement-a-l-enseignement-des-programmes-scolaires-francais-dans-les-ecoles-privees_6191342_3212.html

3.Nicolas Poincaré https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/pourquoi-l-algerie-fait-la-chasse-a-la-langue-francaise-dans-les-ecoles_AV-202309280611.html

4.https://www.washingtonpost.com/world/2023/09/29/algeria-education-english-french/86e34eda-5e7d-11ee-b961-94e18b27be28_story.html

5.Samia Hanifi https://www.arabnews.fr/node/429081/culture 28 septembre 2023

6.https://www.rts.ch/info/sciences-tech/14315989-lintelligence-artificielle-brise-les-barrieres-linguistiques.html

7.https://www.operanewsapp.com/dz/fr/main/%C2%AB-les-alg%C3%A9riens-veulent-le-fran%C3%A7ais-%C2%BB-estime-un-d%C3%A9put%C3%A9-fran%C3%A7ais-apr%C3%A8s-sa-visite-en-alg%C3%A9rie ?

8. https://www.vie-publique.fr/discours/139925-discours-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-sur-lhi


        Quel avenir pour la langue française en Algérie ?

Qualifiée de brutale par certains, la décision de l’Algérie d’interdire l’enseignement du programme français dans les écoles privées ne finit pas de faire jaser et de susciter des interrogations et de la controverse.

Signe de l’intérêt à la question : la cascade de commentaires sur les réseaux sociaux et le large écho médiatique, y compris dans l’Hexagone, accordés à la décision du département de Abdelhakim Belabed d’interdire l’enseignement du programme français dans les écoles privées.

Qu’elle soit motivée par des considérations politico-idéologiques, dans un contexte de tensions entre l’Algérie et la France pour certains, ou dissimulant des enjeux de pouvoir, dans le prolongement de la guerre menée contre l’élite francophone depuis le début de l’arabisation dans les années 1980, pour d’autres, cette décision est justifiée par le souci d’uniformisation de l’enseignement dans le pays par les autorités.

Alors qu’il leur est fait obligation de dispenser le programme national en arabe en vertu d’une instruction datant de 1991, certaines écoles privées ont profité des « heures optionnelles » qui leur sont accordées pour enseigner le double programme (national et français) ou carrément le programme français.

Une option qui, outre son caractère lucratif, permet à certains élèves algériens de passer le bac français, clé pour la poursuite des études à l’étranger.

Mais le rappel à l’ordre du gouvernement, accusé de laxiste jusque-là, n’a pas manqué de provoquer le désarroi chez certains parents d’élèves et certains responsables d’écoles, désormais sommés de ne plus enseigner le programme français, sous peine de poursuites judiciaires.

« Cette décision est tombée consécutivement à plusieurs avertissements et suite à nombre de mises en garde. Car comme pour les fameux cours de soutien controversés, qui viennent également d’être interdits en dehors des établissements scolaires officiels, certaines écoles privées qui dispensaient le programme scolaire français l’ont institué en fonds de commerce. Un fonds de commerce n’ayant aucun rapport avec un programme éducatif ou pédagogique », observe Rabeh Sebaa, anthropologue des langues et écrivain.

Et contrairement à certaines grilles de lecture, elle ne vise pas, selon lui, l’interdiction de la langue française en Algérie. « L’obtention du baccalauréat français étant considérée comme un visa pour l’inscription dans les universités françaises, la demande avait explosé ces dernières années au détriment du programme de l’éducation nationale. Cette décision qui n’est pas une interdiction de l’usage de la langue française, comme le prétendent certains ayant pour dessein manifeste d’entretenir cette confusion, est venue mettre de l’ordre dans les programmes d’enseignement en vue de leur uniformisation », développe-t-il.

Alors que certains nourrissent des appréhensions concernant le devenir de la langue française en Algérie, « butin de guerre », pour reprendre une formule de Kateb Yacine, notamment à la lumière de l’anglicisation à pas forcés décidée par le gouvernement, Rabeh Sebaa estime plutôt que le français occupe en Algérie une situation unique dans le monde.

Le français en Algérie : « Une situation unique dans le monde »

« L’évolution de la langue française connaît les développements soumis aux exigences contradictoires du processus de maturation du tissu plurilinguistique encore en cours dans la société algérienne. À côté de l’algérien et de la langue amazighe, dans toutes ses variantes, la langue française s’est développée de façon conjointe à la langue arabe du formel, puisque les deux avaient et ont toujours droit de cité dans les institutions scolaires et administratives (le journal officiel, à titre d’exemple, paraît en arabe et en français). Avec cependant un avantage certain pour la langue française puisque toutes les disciplines scientifiques ou expérimentales ont été et sont toujours enseignées en français à l’université. Cela fait soixante ans que toutes les disciplines scientifiques et expérimentales sont enseignées dans cette langue », rappelle-t-il.

Et au-delà de cet aspect, la nouvelle politique linguistique du gouvernement risque de se heurter à la disponibilité de la ressource humaine pour assurer un enseignement de qualité dans la langue de Shakespeare dans les écoles algériennes.

« Où va-t-on trouver le personnel de remplacement pour les enseigner en anglais ?  Les enseignants qui ont été recrutés par l’éducation nationale comme par l’université sont de simples enseignants de terminologie anglaise, incapables de dispenser des enseignements, et donc transmettre des contenus de savoir, en médecine, en pharmacie, en architecture ou en biologie. Sans compter, par ailleurs, le nombre luxuriant de journaux franco graphes ou d’expression française qui sont plus nombreux que la presse d’expression arabe. Enseigner l’anglais et/ou en anglais ne doit pas se concevoir comme un objectif de « contre langue » pour contrecarrer le français », ajoute-t-il encore.

Alors qu’elle ne jouit pas d’un statut officiel en Algérie, la langue française, pour d’évidentes raisons historiques, continue cependant d’être largement utilisée et façonne l’imaginaire des Algériens.

«(…) La réalité indique que la langue française occupe en Algérie une situation sans conteste, unique au monde. Sans être la langue officielle, elle véhicule l’officialité. Sans être la langue d’enseignement, elle reste une langue privilégiée de transmission du savoir. Sans être la langue d’identité, elle continue à façonner, de différentes manières et par plusieurs canaux, l’imaginaire collectif. (Rabeh Sebaa, l’Algérie et la langue française ou l’altérité en partage, Éditions Frantz Fanon, 2017).

Et dans ces conditions spécifiques, même l’introduction ou le recours à la langue anglaise ne peut se concevoir sans la langue française », estime-t-il.

« Ni une arabisation aventureuse, ni une anglicisation hasardeuse ne peuvent se faire sans ou contre la langue française, mais nécessairement avec elle. Avec la langue française, mais également avec les langues de souche amazighe et, bien évidemment, en étroite collaboration avec l’algérien qui attend son officialisation et sa promotion », assure encore l’enseignant-chercheur et auteur de « Fahla », premier roman en langue dialectale.

Dans cet ordre d’idées et compte tenu de l’évolution de la société, mais également de la nature des rapports que le pays aura à entretenir avec d’autres pays, Rabeh Sebaa estime que les Algériens sont appelés à l’avenir à apprendre d’autres langues et reconsidérer leurs langues natives, c’est-à-dire l’arabe algérien et le tamazight.

En d’autres termes, adopter une politique linguistique qui doit accorder de la place aux langues nationales et qui ne réduit pas l’enseignement des langues étrangères.

« Il ne s’agit pas de réduire ou de limiter l’enseignement des langues en Algérie aux seules langues étrangères, mais également aux langues natives et maternelles. Additivement au français et à l’anglais, l’école algérienne et l’université seront appelées à intégrer et à enseigner d’autres langues comme le chinois, l’italien, le turc, le russe, entre autres, en fonction des rapports économiques et culturels de l’Algérie avec d’autres pays. Cela fait partie d’une évolution naturelle d’une société. Sans éluder la question de la place et de l’importance des langues natives », soutient-il.

Des langues natives dont l’importance est capitale et qu’il convient de promouvoir. « La question de la normativisation ou de la standardisation, comme le choix de la graphie et de l’enseignement en Tamazight, pourtant langue officielle, n’est toujours pas réglée. Une question primordiale en comparaison de l’option, et surtout de la bruyante agitation autour de la langue anglaise. Dans ce champ historico-culturel occulté, l’enseignement et la promotion des langues natives algériennes n’est toujours pas à l’ordre du jour alors qu’il est d’une importance capitale », explique-t-il.

Et pour lui, « il est impératif de reconsidérer le traitement qui a été réservé à la place et à l’importance des langues natives algériennes, à côté de l’enseignement et de l’apprentissage des langues étrangères ».

« Reconsidérer ce projet de refondation linguistique dominé, pour ne pas dire perverti, par ce couple malheureux français-anglais adjoint à la langue arabe conventionnelle, alors que la société algérienne n’arrête pas de cultiver sa diversité et sa pluralité linguistique. D’exalter et de magnifier la densité et la profondeur de son être linguistique coloré », conclut-il.


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