Juan Bautista Arias Palacio, ambassadeur du Venezuela : « L’Algérie est aux premières lignes dans la lutte contre l’offensive impérialiste mondiale »

     Entretien 

Le Venezuela est un pays aux traditions révolutionnaires solidement ancrées. Ami et partisan de tous les combats des peuples en faveur de leur dignité et de  leur indépendance, son ambassadeur à Alger, Juan Bautista Arias Palacio, revient dans cet entretien accordé à La Patrie News que les actions concrètes et multiples de Caracas en faveur des peuples sahraoui et palestinien. Dans une interview exclusive, il nous a fait part de son intention de faire venir l’équipe nationale de football sahraouie dans son pays pour disputer une série de matchs amicaux avec des équipes locales vénézuéliennes. Cet homme qui croit aux vertus de la diplomatie sportive et culturelle, revient également sur l’imminente  entrée en fonction du vol direct Alger-Caracas. Cela réduirait de moitié le coût et la durée du voyage. Avec, en prime, la prochaine venue de nombreux orchestres philarmoniques vénézuéliens. Ce sportif, qui a pratiqué le judo et la lutte gréco-romaine, compte sur l’apport de l’Algérie, dans de nombreux échanges gagnants-gagnants, et pas seulement dans le domaine bien entendu des hydrocarbures. En matière de géostratégie, Alger et Caracas sont favorables aux BRICS, luttent de concert pour un nouvel ordre mondial, plus juste et plus démocratique, ainsi que pour une profonde réforme de l’ONU, à commencer par l’élargissement de son conseil de sécurité, dedans lequel le continent africain est anormalement absent, s’agissant de ses membres permanents.

 

Entretien réalisé par Mohamed Abdoun

La Patrie News : L’excellence des relations entre Alger et Caracas est séculaire. Elle n’en demeure pas moins perfectible. A l’entame de cet entretien pouvez-vous nous dire où en sont ces relations dans les domaines économique et politique, d’autant que la courbe ascendante de la nouvelle Algérie lui dicte de nouer tous azimuts de nouveaux partenariats, et que les idées et combats défendus par l’Algérie et le Venezuela sont relativement très proches, notamment dans le cadre de la coopération sud-sud et de la nécessaire réforme de l’ONU ?

Juan Bautista Arias Palacio : Nous sommes d’anciens amis de l’Algérie. Cela remonte aux toutes premières années de l’indépendance algérienne. D’ailleurs, le gouvernement vénézuélien a toujours soutenu les combats des peuples opprimés pour leur dignité et leur indépendance. Les actions de solidarité sont traditionnelles et séculaire chez les dirigeants de notre pays. Ce disant, j’avoue que nous avons parfois été confrontés à des situations déplorables, en soutenant des causes qui ne sont franchement pas conformes à nos convictions et à nos principes. Heureusement, il s’agit de cas isolés. Historiquement, nous avons soutenu la lutte des peuples, ainsi que le mouvement de non-alignement. Avec notre révolution avec notre leader éternel, le président et commandant Hugo Chavez, le Venezuela a totalement mué. J’entends par là, que grâce à ce leader historique et charismatique, nous avons actualisé et remis au goût du jour toutes les idées révolutionnaires et universelles, valables partout et en tous temps sur la surface de la terre. L’empire que nous combattons sans relâche est partout. Notre lutte est aussi celle de l’Algérie. Avec nos amis algériens, nous sommes pleinement solidaires du combat libérateur des peuples palestinien et sahraoui. Cette solidarité est plus forte et plus présente que jamais grâce à notre leader historique Hugo Chavez.

 

Peut-on en déduire qu’il ya plus grand rapprochement entre Alger et Caracas depuis l’élection du président Tebboune à la tête de l’Etat algérien ?

Absolument, oui. Nous avons constaté que le monde entier connait présentement de profondes mutations. Celles-ci sont heureusement inévitables. Nous disons « ça suffit ! ». Il est temps que les choses changent pour le bien des peuples et des communautés de la planète. Beaucoup de choses horribles se sont produites, comme la guerre, notamment dans le monde arabe. De grands massacres se sont produits sous l’impulsion des Occidentaux, et plus précisément les dirigeants américains. Nous avons vécu une longue période de recolonisation déguisée, visant à permettre de voler les ressources énergétiques et naturelles des pays de l’hémisphère sud de la planète, notamment l’Afrique et l’Amérique Latine. Dans ce cadre précis, l’Algérie est aux premières lignes dans la lutte contre l’offensive impérialiste mondiale. La résistance algérienne est franchement remarquable !

 

Les pressions américaines sur les pays latino-américains sont connus de tous. Hugo Chavez a même fait l’objet d’un coup d’Etat orchestré par la bourgeoisie compradore avant d’être ramené au pouvoir sur les épaules de millions d’ouvriers et de paysans vénézuéliens. Comment est-ce que votre pays arrive à s’en sortir face à ces constantes pressions, et avec la ligne révolutionnaire qu’il défend vertement ?

(Moment de silence). Le chemin ver la liberté est long, ardu et semé d’embûches. Le grand leader et combattant de la liberté Madiba, Nelson Mandela, en sait quelque chose. Cette phrase est d’ailleurs de lui. Le choix du chemin de la liberté et de la lutte contre l’impérialisme implique beaucoup de sacrifices et de patience. L’impérialisme ne s’arrêtera jamais. Nous devons donc rester vigilants, et ne jamais cesser de résister. Les États-Unis usent de tous les moyens pour tenter de contrer ou de contrôler la révolution bolivarienne. On résiste. On ne cessera jamais de le faire. N’en déplaise à la situation de blocages politiques, économiques et financiers que nous impose Washington. On y crée des brèches pour nous en sortir, et contourner ces blocages. Nous arrivons à vendre et à acheter certains produits auprès de quelques pays qui revendiquent eux aussi leur indépendance et leur autonomie de décision. L’Algérie en fait partie. Et on travaille et coopère beaucoup avec ce pays. Certains autres pays sont contraints de se faire très discrets pour continuer à travailler avec nous. Il est dans l’intérêt national et vital de tous les pays d’éviter toute confrontation directe avec les Etats-Unis. Cela se comprend. En tous cas, on ne peut pas commercer librement. Beaucoup de pays sont victime de la pression politique et psychologique des Etats-Unis. « Si vous travaillez ou coopérez avec le Venezuela, vous pouvez être sanctionnés » : tel est le message de l’empire état-union.

 

Y a-t-il quand même des projets pour que les relations entre Alger et Caracas soient densifiés et élargis à d’autres domaines hormis celui bien connu des hydrocarbures ?

Absolument. On travaille intensément pour développer et densifier nos relations avec l’Algérie. Pour moi, ce n’est pas suffisant. On peut faire beaucoup mieux et plus au regard des énormes potentialités de nos deux pays. Par exemple, on explore des domaines prometteurs, comme l’agriculture, l’aéronautique, les nouvelles technologies… cela, sans parler de l’éducation et de la culture. Inchallah (en arabe dans l’entretien NDLR), il faudra s’attendre à bon nombre d’annonces importantes d’ici à la fin de cette année dans les secteurs culturel et sportif. Cela se fera grâce, notamment, au projet de lancement d’un vol direct entre Alger et Caracas. Ce vol direct peut fortement dynamiser les relations touristiques et commerciales entre nos deux pays d’Etat à Etat, et même de citoyens à citoyens.

 

Le vol direct entre Alger et Caracas est donc concret. Mais, est-ce qu’il y a une date retenue pour son lancement officiel ?

Il y a eu signature d’un accord pour le lancement de ce vol direct. Mais, entre la signature et le lancement concret de ce vol, il faut travailler. Rien ne se construit sur la base d’une simple signature. Il faut travailler et encore travailler, pour vaincre les pesanteurs et la bureaucratie qui empêchent encore ce projet de voir concrètement le jour. Il faut y mettre beaucoup d’efforts, d’énergie et de sueur. C’est pour cela qu’on est là.

 

S’agissant de votre soutien actif à la cause sahraouie, je crois savoir que vous avancez à pas de géants en matière de diplomatie sportive. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’adore le sport et la culture. Je pratique moi-même le sport, comme le judo. J’ai même été vice-champion universitaire dans mon pays. J’ai failli arriver à la sélection nationale en matière de lutte gréco-romaine. Il s’en est fallu de peu pour moi. Le sport est vraiment utile pour construire une bonne discipline, et pour renforcer les liens entre peuples, Etats et individus. Il en, va de même pour la culture. Plus d’un million d’élèves vénézuéliens ont suivi des cours de solfège et de musique classique. Nous avons des orchestres symphoniques dans chaque localité, équivalent de wilaya pour vous. C’est un motif de prestige et de fierté pour nous. J’espère, et je travaille pour, que l’orchestre de la jeunesse vénézuélienne viendra bientôt se produire en Algérie. Je travaille pour. L’invitation est envoyée. On verra.

 

Pour le sport encore, je crois savoir que vous essayez d’organiser un match de foot avec une équipe sahraouie…

C’est un peu pareil à ce que je disais tout à l’heure. Des informations ont été envoyées à Caracas pour étudier la possibilité d’inviter l’équipe nationale de la RASD à venir au Venezuela pour participer à des matchs amicaux avec plusieurs équipes de nos propres localités.. Si tous se passe comme prévu, des rencontres similaires seront organisées dans plusieurs autres pays d’Amérique Latine. On verra bien. La priorité pour nous est de faire venir au Venezuela l’EN de la RASD. Cela reste au stade de projet, qui attend concrétisation et approbation. Dans le même temps, on cherche à faire venir en Algérie plusieurs équipes nationales des localités vénézuéliennes. Pas seulement pour le foot. Il s’agit d’autres disciplines sportives comme le judo, la lutte ou le karaté-do. En Algérie, les sports de combat sont vraiment de très haut niveau. Le vol direct Caracas-Alger devrait aider à mûrir et à concrétiser ces projets. Beaucoup de choses supplémentaires en deviendront possibles. Actuellement, un déplacement entre ces deux capitales nécessite au minimum 21 heures de voyage.  C’est inacceptable. J’en sais quelque chose, et m’épuise dans ces allées et venus entre ces deux pays. En revanche, un vol direct ramènerait cette durée à seulement huit heures. La différence est énorme. D’autant que le coût du vol sera quant à lui divisé par deux pour passer de 2000 à environ 1000 dollars. Cette liaison directe ne sera pas seulement utile et bénéfique pour l’Algérie et le Venezuela, mais aussi pour nos deux régions respectives, Amérique Latine et Caraïbes d’un côté, et Afrique du nord de l’autre.

 

Et qu’en est-il de la défense de la cause palestinienne, sur laquelle le leader charismatique Chavez était particulièrement intraitable…

Les Palestiniens sont nos frères et nos sœurs. Nous-nous solidarisons totalement avec leur juste et noble combat. Depuis toujours nous avons fait cela, et reconnu la légitimité du combat de l’OLP. Cette solidarité et cette fraternité, qui remontent à loin dans le temps, seront préservées et renforcées jusqu’à la victoire finale.

 

S’agissant de la coopération sud-sud et de la construction d’un nouvel ordre mondial plus juste et plus équitable, il y a un groupe qui fait beaucoup parler de lui ces derniers temps. Il s’agit des BRICS. Quelle est la vision du Venezuela concernant ce group, et est-ce que vous comptez postuler pour l’intégrer un jour ?

Tout d’abord, le commandant Chavez avait été un des premiers grands leaders mondiaux à plaider pour un nouvel ordre mondial, et à contredire la doctrine occidentale selon laquelle le communisme était définitivement mort et enterré. Il avait en son temps tenu tête bravement au G8 et au G20. Il a appelé depuis 1999 à la construction d’un nouvel ordre mondial, qui soit plus juste et plus équitable. Si pour lui, le chemin suivi conduisait la planète vers sa destruction, il a aussi appelé à l’impérative union entre tous les pays qui rejettent cette voie suicidaire. Le leader Fidel Castro a aussi milité toute sa vie durant pour cette alternative plus viable et plus humaine. Le commandant Chavez a aussi consacré tout sa vie à unifier l’ensemble des Etat latino-américains. Pour lui, il fallait et il faut unir toute l’Amérique, mais sans les Etats-Unis et le Canada. Grâce à ces incessants efforts, nous avons réussi à construire la CELAC. Communauté d’États latino-américains et caraïbes. NDLR). Au sein de cette organisation, on respecte les identités et les nationalités de chacun. On s’émancipe aussi du diktat de Washington. Votre défunt président Abdelaziz Bouteflika a aussi longtemps et intensément travaillé en faveur de cette alternative, salvatrice pour tous. Le renfort apporté par le Brésil et son président Lula s’avère être non-négligeable. Tous ces efforts et ces sacrifices ont abouti entre autres aux BRICS. Si je ne peux pas aller jusqu’à dire que c’est grâce à Chavez, il y est quand même pour quelque chose. Le monde était déséquilibré. La Russie et la Chine seules ne peuvent rétablir cet équilibre. Mais, les BRICS, avec leur projet d’élargissement réfléchi, si. Les BRICS représentent un pan incontournable et très puissant de l’économie mondiale. On est là ! Le commerce doit être libre, certes, mais aussi et surtout équitable. Si les BRICS décident d’ouvrir leurs portes à des pays qui pèsent et comptent comme l’Algérie, le Venezuela et l’Argentine, ce sera très positif pour ce nouvel ordre mondial auquel nous aspirons. Nous voulons que les ressources naturelles, dont les hydrocarbures, puissent servir équitablement à toute l’humanité avant leur épuisement.

 

A côté des BRICS, il ya cette impérieuse nécessité de réformer l’ONU, dont le fonctionnement anachronique et antidémocratique empêche tout règlement pratique et rapide des nombreux conflits qui minent la planète. Quel est votre avis sur la question, sachant que l’Afrique est le seul continent à ne pas être représenté au niveau du conseil de sécurité ?

J’en conviens avec vous. L’Algérie est certes devenue membre de ce conseil. Mais de façon temporaire, et en tant que membre non-permanent. Globalement parlant, c’est l’Europe et les USA qui dominent et contrôle ce conseil. Une révolution statutaire est nécessaire au sein du conseil de sécurité. Il faut forcer l’Occident à se plier à la loi démocratique du plus grand nombre. Je garde espoir d’arriver un jour à construire cette alternative qui nous pousse à agir tous de concert. Il n’est pas seulement question de mauvaise représentativité. Le veto dont jouissent seulement cinq pays pour d’obscures raisons est tout simplement inacceptable. Cela reste quand même très difficile. Les Etats-Unis tiennent l’ONU par les finances. Washington contribue à plus de 20 % au financement de l’ONU. Cette sorte de chantage financier doit cesser afin que l’ONU puisse entreprendre des réformes saines, et souhaitées par l’écrasante majorité de la communauté mondiale.


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