De la COP27 à la COP28 : les énergies fossiles enfin sur la sellette ?

   

 

Si la coopération continue d’être patiemment construite dans des enceintes multilatérales, malgré les contrecoups des tensions géopolitiques qui s’y font ressentir, ce n’est pas parce que ces questions sont moins tendues politiquement : la lutte contre le changement climatique est devenue un champ d’affrontement et de coopération géopolitique majeur, parce qu’elle bouleverse les perspectives économiques de tous les pays et préside à une potentielle redistribution des cartes en matière de ressources critiques, de puissance économique et de pouvoir.

Les négociations internationales pour protéger les biens communs environnementaux constituent, depuis leurs débuts lors de la guerre froide, un des forums où des puissances en conflit sur la plupart des autres sujets continuent de construire des formes de coopération. La Convention sur les pollutions atmosphériques transfrontalières, sur les pluies acides en Europe (1988), ou bien le protocole de Montréal pour protéger la couche d’ozone (1989) en sont des exemples clés. La conclusion positive d’un accord sur un nouveau cadre mondial pour protéger la biodiversité, en décembre 2022 sous présidence chinoise, en est un autre exemple.

Depuis 2019 et l’annonce du Pacte vert européen, se sont succédé les engagements de grands pays innovants en matière de décarbonation de l’économie (Japon, Corée du Sud, Chine, États-Unis…), donnant ainsi une crédibilité forte à une course à la transformation vers l’économie verte. La guerre menée par la Russie en Ukraine a encore renforcé les anticipations stratégiques de reconfiguration profonde à moyen terme des chaînes d’approvisionnement en énergie, touchant autant les producteurs que les secteurs d’usage (comme l’automobile ou l’industrie lourde), et visant conjointement des objectifs de sécurité d’approvisionnement, de décarbonation de la production, et de réduction de la demande.

Ces évolutions ont fini de faire des conférences des parties de la Convention cadre des Nations unies sur le Changement climatique (CCNUCC) l’un des moments politiques clés de la gouvernance mondiale, et non pas des rencontres sectorielles à caractère technique. Alors même que les effets catastrophiques du changement climatique déjà en cours sont toujours plus visibles partout, les conditions d’une action internationale coopérative, indispensable pour limiter ces catastrophes et réduire les impacts subis par les plus vulnérables, semblent pourtant de moins en moins réunies : au-delà des tensions entre Chine et États-Unis, l’acrimonie entre Sud et Nord autour des enjeux de financement du développement et du climat, semble créer de nombreux blocages. L’émergence de nouvelles voix et de nouvelles structurations au Sud, avec l’élargissement des BRICS, ou le leadership du président kényan pour le premier Sommet africain pour le climat (début septembre), montrent que ces lignes d’opposition entre Sud et Nord sont encore très complexes et offrent de multiples risques de tension. 

Dans un tel contexte, cet article s’efforce de donner à voir les principaux enjeux de la COP27 tenue en Égypte fin 2022, ses résultats, et les perspectives stratégiques clés pour la COP28 aux Émirats arabes unis qui se tiendra en décembre 2023.

Le financement des investissements pour le développement au cœur des négociations climatiques

La COP27 en 2022 était accueillie par un pays africain mais aussi un pays pétrolier. Elle a été dominée par la question du financement du climat dans les pays du Sud, et par la tentative d’introduire dans un texte officiel un objectif de sortie de toutes les énergies fossiles, conforme aux recommandations du GIEC. D’un point de vue formel, les pays du Sud attendaient depuis 3 ans que les pays du Nord tiennent leur promesse formulée en 2009 de mettre en place des transferts financiers (publics et privés) du Nord vers le Sud d’au moins 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Pour de nombreux pays les moins avancés, les plus vulnérables, et même des pays qui avaient connu une trajectoire d’émergence économique avant la pandémie de Covid-19, cette promesse non tenue est symbolique d’un manque de crédibilité des engagements du Nord, mais elle n’est rien à côté des montants nécessaires pour investir dans un développement décarboné et résilient, estimé plutôt entre deux et trois milliards de dollars par an, dont moins de la moitié seulement pourrait venir des ressources propres de ces pays. Subissant déjà les conséquences socio-économiques de la pandémie, de la guerre en Ukraine, auxquelles s’ajoutent des chocs climatiques de plus en plus graves et de plus en plus fréquents, ces pays font face à une spirale de crise de la dette et de taux d’intérêts prohibitifs lorsqu’ils veulent financer leurs investissements pour le développement à l’international. Sous l’égide de la Première ministre de la Barbade, qui a développé un Agenda de Bridgetown présentant un ensemble cohérent de propositions très concrètes, c’est en fait la réforme de l’ensemble du système financier multilatéral qui s’est invitée par nécessité dans les négociations climatiques. La main tendue par le président français, annonçant à la COP27 la tenue d’un sommet à Paris en juin 2023 pour un nouveau pacte financier international, a été un signe positif, mais cela indique aussi que ces enjeux sont d’une telle complexité macroéconomique, institutionnelle et politique, qu’ils vont être au cœur des négociations entre Nord et Sud, voire entre pays occidentaux, Chine et pays du Sud pour plusieurs années avant d’aboutir à un ensemble de solutions cohérentes. Comme le rapport pour le G20 indien sur ce sujet l’indique, il faut tout à la fois réformer ces institutions (banques multilatérales de développement et FMI) et augmenter massivement leur capacité d’intervention (la tripler selon ce rapport (1)). C’est dans ce contexte général que les pays vulnérables ont obtenu à la COP27 la création d’un fonds dédié sur les pertes et préjudices, pour qu’ils puissent faire face aux dommages catastrophiques créés par le changement climatique. Alors qu’ils cherchaient à éviter la prolifération de ces fonds dédiés, par souci de concentration et d’efficacité mais aussi pour éviter de devoir régulièrement mettre à nouveau la main à la poche, les pays européens ont accepté cette solution en cherchant à obtenir que les grandes puissances économiques émergentes comme la Chine, responsable désormais d’une partie très importante des émissions de gaz à effet de serre passées, soient aussi appelées formellement à y contribuer, ainsi que les pays pétroliers. Mais le G77 a fait bloc autour de la Chine, craignant probablement qu’un coin dans cette alliance G77+Chine ne les conduise à perdre trop de pouvoir face à des pays occidentaux toujours très puissants économiquement et politiquement. Mais ces questions clés (qui contribue ? qui bénéficie ? qui décide ?) reviennent de toutes façons à l’agenda plus général de la réforme de l’architecture financière internationale.

Peut-on s’engager à sortir de toutes les énergies fossiles ?

Les pays pétroliers, y compris les États-Unis, peu visibles officiellement dans ce marchandage tendu entre Sud et Union européenne, s’en sont bien sortis. Et ce d’autant plus qu’une autre alliance potentielle, entre l’Inde et l’Europe, n’a pas fonctionné pour inscrire la sortie de l’ensemble des énergies fossiles dans la déclaration finale de la COP27. L’Inde, mise au pilori à la COP26 pour avoir atténué le langage officiel sur la sortie du charbon (de « phase out » à « phase down ») argumentait à juste titre que le charbon, certes la source d’énergie la plus polluante d’après le GIEC, est l’énergie des pays en rattrapage économique, tandis que le gaz est celle des pays déjà industrialisés. Militant pour un engagement mondial de sortie de toutes les énergies fossiles, l’Inde et l’Union européenne auraient pu se retrouver alliées sur ce point, mais la position de l’Europe sur le gaz était trop ambiguë (ses bailleurs ne peuvent pas financer la mise en exploitation de ressources gazières au Sénégal, mais le chancelier allemand vient d’essayer de s’en assurer l’approvisionnement), et les pressions diplomatiques des pays pétroliers, y compris la présidence égyptienne, trop fortes.

La crédibilité de l’ensemble du dispositif des COP est donc en jeu. Un troisième sujet, plus technique mais déterminant pour la crédibilité des engagements annoncés l’année précédente à la COP26 de Glasgow par des initiatives multiacteurs (entreprises, gouvernements, société civile) a concerné la redevabilité et l’intégrité de ces engagements dits « net zero », c’est-à-dire visant à atteindre la neutralité carbone à long terme. Un rapport pour le Secrétaire général des Nations Unies a indiqué les conditions et exigences minimales pour que ces engagements soient crédibles, et c’est aussi à nouveau le cœur du Sommet pour le Climat à New York en septembre 2023. Les différents secteurs économiques se rendent compte de la difficulté d’une décarbonation profonde, pourtant indispensable. Il faut à la fois les empêcher de revenir à des améliorations seulement marginales de leur impact carbone, et préserver la dynamique collective de coopération et de course à l’innovation pour la décarbonation.

La COP28 et la responsabilité des pays pétroliers

La COP28, accueillie par un riche pays pétrolier du Golfe, sera nécessairement ambiguë concernant cette dynamique collective. En effet, les Émirats arabes unis sont également le pays disposant du fonds d’investissement pour les énergies renouvelables le plus massif du monde (le fonds Masdar), et probablement l’un des plus efficaces. C’est donc la COP d’un nouveau Sud, riche, émergent, misant sur la puissance de ses capacités financières et sur le déploiement des innovations technologiques, pour ne pas avoir à regarder en face les questions encore d’un autre degré de complexité que constituent les changements de modes de consommation vers la sobriété, et la fin de l’exploitation et de l’usage des énergies fossiles, toutes deux présentées comme indispensables par le GIEC. Vendre jusqu’à la dernière goutte d’un pétrole de très bonne qualité permet aussi d’accumuler des ressources financières clés pour financer, maintenant et demain, une position dominante dans le domaine des énergies renouvelables, et dans l’économie mondiale en général.

Un engagement mondial sur la sortie des fossiles sera donc à nouveau mis sur la table par les pays européens et la société civile. La France a elle-même annoncé une date de sortie des énergies fossiles. La pression est montée envers le président de la COP28, Sultan al Jaber, fondateur du fonds Masdar mais aussi président de la compagnie nationale du pétrole d’Abu Dhabi : sa lettre aux gouvernements préparatoire à la COP28 mentionne explicitement que la sortie des fossiles est inévitable. Ses interventions devant l’industrie du pétrole et du gaz ont par ailleurs consisté à lui recommander de mettre sur la table un véritable engagement de réduction de ses émissions. Certes, il pourrait surtout s’agir de réduire les émissions de méthane lors de l’extraction de pétrole, et pas de prévoir la fin de ces extractions ou l’arrêt de nouveaux forages. Ou bien de mettre en avant que les énergies fossiles faisant l’objet d’une capture et d’un stockage de émissions de CO2 pourraient être exclues des engagements de ce type. Contrairement à la COP27, les pays pétroliers sont clairement sur la sellette, et leur possible manque d’ambition concernant l’avenir du pétrole et du gaz sera très clairement exposé.

Crédibilité des engagements et réforme du financement international

Cette exposition sera renforcée par le fait que la COP28 est le moment du premier « bilan mondial » sur l’action climatique, qui indiquera que la planète n’est pas sur une trajectoire suffisante de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et que cela réclame un véritable changement de cap (« course correction », selon les mots de la présidence émiratie). Outre le questionnement sur la sortie des fossiles, l’accélération du déploiement des renouvelables, notamment dans les pays du Sud, sera à ce titre l’un des enjeux clés de cette COP, ainsi que, comme depuis plusieurs années, la crédibilité et la tenue des engagements des pays du Nord, tant en termes de réduction de leurs propres émissions, que de transferts financiers, notamment en matière d’adaptation. La mesure du niveau d’adaptation aux impacts du changement climatique, toujours plus difficile que celle du niveau d’atténuation, risque d’être trop peu l’objet de l’attention des pays du Nord, et est un sujet politiquement très inflammable, tout comme celui des pertes et préjudices, devenu un objet clé de la négociation.

Le Sommet africain sur le climat a montré un engagement clair pour que le développement s’appuie sur des énergies renouvelables, mais il a aussi mis sur la table les demandes claires des pays africains (montants d’aide plus élevés, accès facilité au financement, mise en place de nouvelles taxes, entre autres) auxquelles les réponses apportées lors des réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI en octobre risquent d’être encore insuffisantes ou trop partielles. S’il est essentiel que la COP28 avance formellement sur la constitution du fonds dédié sur les pertes et préjudices, c’est bien l’ensemble de ces questions d’injustice du système financier multilatéral, voire du système économique mondial, qui seront discutées à la COP28. Des réponses partielles apportées par les pays du G7 dans le cadre de partenariats spécifiques avec des pays clés pour appuyer la « transition juste » de leur système énergétique permettent de démontrer des mobilisations financières importantes et des changements de méthodes, saluées comme positives par les pays du Sud. Mais s’il n’est pas prévu de les répliquer pour tous les pays qui en ont besoin, d’où viendra alors la solution, notamment pour les pays les plus pauvres et les plus vulnérables ?

Re-répartir les pouvoirs et les responsabilités

Le président kenyan, William Ruto, l’a indiqué en juin au Sommet de Paris et l’a répété au Sommet de Nairobi début septembre : à ses yeux, le problème devra aussi être réglé en s’attaquant à un régime fiscal international injuste, ce qui signifie non seulement de créer de nouvelles taxes, par exemple sur les transactions financières, mais aussi de traiter le problème de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux. D’autres leaders africains ont souligné qu’au-delà des flux d’aide publique Nord-Sud, c’est la répartition de la valeur ajoutée, des emplois industriels, de la capacité d’innovation, et donc aussi du pouvoir de décision, dans les chaînes de valeur mondialisées du monde décarboné de demain qui permettra d’embarquer les pays les plus pauvres dans un décollage économique indispensable, ou bien à l’inverse les reléguera dans un rôle de simples fournisseurs de matière première, les cantonnant dans une économie extractive et coloniale. Un nouveau Sud se fait entendre, non seulement avec un argument moral, mais aussi parce qu’il compte par ses voix aux Nations Unies, comme marché émergent, et comme fournisseur de matières premières critiques. Il réclame un changement de règles internationales qu’il considère comme perpétuant une domination économique. Au moment où l’Europe acte progressivement son inéluctable perte d’importance démographique, économique et politique, la COP28, mais aussi la COP30 de 2025 qui sera présidée par le Brésil, seront traversées par ces questions critiques, et constituent aussi des opportunités de rouvrir les options pour la répartition des pouvoirs mais aussi des responsabilités. L’Europe en cours de provincialisation semble ouverte à partager davantage le pouvoir, mais devra tenir bon pour que la responsabilité des autres grandes puissances économiques soit aussi mieux reconnue. Un moment de bascule géopolitique critique, qui nécessite toute l’attention diplomatique possible pour ces discussions climatiques.


Auteur : Sébastien Treyer

Directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et président du comité scientifique et technique du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM).


 

Note

(1) L. Summers, et al.,« Strengthening multilateral development banks – The Triple Agenda, Report of the Independent Experts Group », 2023.


Légende de la photo en vedette : Alors que les COP réunissent un important cortège de participants internationaux aux intérêts stratégiques et économiques différents, l’ONG Global Witness a rapporté que tandis que la COP26 de Glasgow comptait 503 porte-parole des industries fossiles, la COP27 de Charm el-Cheikh enregistrait 636 représentants, soit davantage que l’ensemble des délégations des dix pays les plus affectés par le réchauffement climatique. (© Shutterstock)


 

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