Depuis les années 2000, une dette hors de contrôle
En raison de son niveau particulièrement élevé, la dette publique et son évolution sont désormais scrutés de très près. Pourtant, quand on parle de la dette publique des États-Unis, on ne parle généralement que de la dette de l’État fédéral américain. Il convient pourtant, comme on le fait en Europe, d’y ajouter la dette des structures territoriales américaines (États, communes…) et des entreprises publiques et parapubliques. Cette addition dresse un tableau particulièrement sombre de l’endettement public américain.
Durant les « Trente glorieuses », l’endettement public des États-Unis a massivement diminué : la forte croissance l’a fait passer de 120 % du PIB au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à 50 % du PIB en 1974.
Cette situation très favorable n’a pas duré, et depuis lors, la dette a triplé au cours de 4 phases bien distinctes, séparées par une stabilisation de la dette. La première phase de remontée de la dette correspond aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, suivi des politiques néolibérales de baisses massives d’impôts des plus riches décidées par Ronald Reagan. La dette publique a alors plus que doublé, et a atteint près de 120 % du PIB au milieu des années 1990.
Après une brève stabilisation, la dette publique américaine est repartie à la hausse suite à la crise de l’éclatement de la bulle Internet en 2000, qui a engendré une récession. L’endettement public a augmenté de 20 points de pourcentage en seulement quatre ans. La dette a alors frôlé les 140 % du PIB.
La crise des subprimes a rajouté 30 points de plus, faisant passer à la dette le cap des 170 % du PIB en 2010. Entre 2000 et 2010, la dette publique américaine a ainsi augmenté de 55 points, soit autant qu’au cours de la période 1975-2000, ce qui montre bien l’accélération de l’endettement public depuis le début du XXIe siècle.
La crise sanitaire de 2020 a rajouté 20 points de plus à la dette en deux ans, pour l’amener à près de 200 % du PIB. C’est un niveau très supérieur à la dette publique des pays européens. Il est ainsi très étonnant de constater qu’on parle tant de la situation de la dette de ces derniers, et si peu de celle des États-Unis, qui est pourtant au niveau… de la dette grecque.
Gabegies immobilières, militaires et financières
Si on regarde dans le détail les administrations qui ont porté cette hausse continue depuis un demi-siècle, on constate qu’elle a essentiellement concerné l’État fédéral et les structures de garanties immobilières. Ces dernières, qui sont des entreprises financières semi-publiques (GSE) détenaient ou garantissaient 45 % de l’encours des prêts immobiliers en 2008, et les pertes ont fini par intégrer leurs bilans, où elles sont toujours. La crise des subprimes est donc bien loin d’avoir été digérée.
Depuis 2001, l’explosion des dépenses militaires américaines a généré l’une des plus importantes hausses de l’endettement, notamment avec la multiplication des guerres déclenchées par les États-Unis. Une autre hausse a été provoquée les politiques néolibérales qui ont diminué toujours plus les recettes sans baisser les dépenses.
Les crises majeures ont également entrainé de forts soutiens financiers publics, avec des plans de relances qui ont généralement largement bénéficié aux grandes entreprises. En 2020, Donald Trump a ainsi adopté deux plans en mars et en avril, d’un montant total de 2 700 milliards de dollars, puis un nouveau plan de 900 milliards de dollars en décembre. Joe Biden a ensuite décidé d’un nouveau plan de relance de 1 900 milliards en avril 2021.
Une baisse en trompe-l’œil
La baisse du ratio de dette publique en 2022 (que l’on peut constater que les graphes précédents) est certes réelle, mais en trompe-l’œil. C’est une conséquence de la très forte inflation, qui a fait augmenter le PIB plus vite que n’a augmenté la dette publique, ce qui fait baisser le ratio dette/PIB. Mais la dette, elle, exprimée en dollars, n’a nullement baissé :
La dette publique a même quintuplé en l’espace de 25 ans, passant de 9 500 à près de 50 000 milliards de dollars entre 1995 et 2022. On n’observe jamais de baisse de la dette, cette dernière semblant être devenue une véritable drogue pour le gouvernement américain.
Une dette difficilement soutenable
Afin de disposer d’une vision non faussée par l’inflation, on peut mesurer la dette publique simplement en années de recettes : au niveau fédéral, elle atteint 7 ans de recettes, montant qui a quasiment doublé en 20 ans et quadruplé depuis 1970.
Finalement, alors que le chiffre de 100 % du PIB est souvent présenté lorsque l’on évoque l’endettement public américain, on constate qu’en regroupant l’intégralité des composantes de la dette publique totale des États-Unis, la première économie mondiale est en réalité endettée à hauteur de près de 200 % de son PIB.
Ce niveau pose question quant à la soutenabilité de cette dette. Si, pour le moment, l’inflation a quelque peu fait reculer le ratio dette/PIB, cela signifie qu’elle a amputé le pouvoir d’achat de l’épargne des préteurs. Ceux-ci risquent donc d’exiger rapidement des taux d’intérêt bien plus élevés, ce qui pourrait fortement renchérir la charge de la dette, et déséquilibrer encore plus le budget. Là encore, les futurs niveaux des taux d’intérêt vont s’avérer un énorme enjeu financier dans les années à venir.