Émergence d’un pôle stratégique Alger-Pékin-Moscou : Quelles retombées au Sahel et en Méditerranée?

    Les relations internationales, aujourd’hui,sont marquées par les effets de l’intégration géoéconomique et géopolitique globale et les remaniements de puissance conséquents.

Par Mohamed Saïd Mekki*

Si le multipolarisme n’est pas encore une réalité stratégique installée et admise comme la norme qui pourrait conduire à des relations interrégionales, voire interétatiques, équilibrées et pacifiques, la montée et/ou le retour des puissances en Asie et en Eurasie détermine les rééquilibrages géostratégiques dans l’ensemble de la région Mena.
Les États de la région qui cherchent à s’intégrer à l’économie globale aux meilleures conditions, et qui poursuivent ainsi une transition économique et sociale adaptée, sont en quête de partenaires garantissant un flux d’investissements de long terme, et jouant un rôle actif dans le maintien d’un ordre pacifié et équilibré. Cette vision privilégie le codéveloppement, bilatéral et régional, et pourrait à terme déterminer les voies de la coopération transrégionale élargie Méditerranée/ Golfe, Maghreb-Sahel/Mashrek/Golfe, ou encore Méditerranée/Afrique/Golfe, avec dans tous les cas des connexions avec l’Asie et l’Eurasie.
Depuis quelques années, le diagnostic stratégique indique que la Pathologie de l’Afrique est effectivement malade des interventions et opérations militaires extérieurs et le lien de cause à effet n’est pas a démontrer. La socio-stratégie des questions de sécurité, notamment dans les pays du Sahel, a fait l’objet d’analyse et de commentaire par des observateurs impartiaux et des experts des différents centre de recherches; Mais ses analyses provenant de l’extérieur du continent ne s’attaquent pas au fond du problème qui est lié aux stratégies des puissances extérieures et à la nouvelle géopolitique d’hégémonie et de connivence de l’empire global (Etats-Unis) et certains acteurs extérieurs (G-B,France et les monarchies du Golfe). Ils soulignent principalement les dimensions ethniques et surtout l’approche anthropologique de «l’école coloniale qui n’a pas encore fermé ses portes», en mettant en avant des concepts rétrogrades et qui ont un lien avec la religiosité sous le vocable djihad, terroriste ou fanatique,,autrement dit le champ lexical de la rhétorique de la droite occidentale en général, et la logique rhétorique des néoconservateurs américains et français(leurs adaptes Sarkozy et F. Hollande).
La nouvelle pensée stratégique de la doctrine interventionniste appliquée à la scène internationale, a vu des puissances extérieures à l’Afrique intervenir avec l’aval ou non des Nations unies.
D’emblée la France en est à sa 55 éme intervention militaire depuis l’ère des indépendances; parfois seule ou en coalition avec d’autres pays, l’Otan et les USA (Libye et le Nord Mali),dans une logique qui devait aboutir au processus Post-Serval mis en oeuvre et accompagné par un nouveau projet géopolitique de domination néocoloniale. Ce projet calqué sur le projet 5+5 en Méditerranée occidentale mais élargi à un 5+5+5, cette fois- ci le G5 du Sahel et les pays du Maghreb(5),les soeurs latines (5) dont le nouveau dispositif militaire Barkhane est d’emblée son centre de gravité stratégique.
La perception de l’Algérie, qui est jalonnée par son indépendance jalousement acquise, sa diplomatie de bon office ainsi que sa médiation, a fait d’elle un acteur diplomatique incontournable dans la gestion des crises et la résolution des conflits en Afrique et en particulier dans la zone sahélo-saharienne, l’expérience de lutte antiterroriste de l’Algérie a démontré que El Qaïeda est la matrice de l’Aqmi au Maghreb et au Sahel et de Boko Harem au Nigeria et de Daech E.I (État islamique) en Syrie, sont les nébuleuses de l’état de la barbarie et du terrorisme.

L’Algérie comme pivot régional
Dans un tel contexte l’Algérie joue un rôle de pivot stratégique régional. Sa puissance militaire, ses ressources économiques sont de toute évidence des atouts, mais ce sont également son rôle de leader dans la lutte contre le terrorisme et celui de médiateur dans les conflits régionaux, en particulier dans le Sahel et en Libye, ainsi que sa position privilégiée dans le processus d’intégration de l’Afrique, qui la qualifient pour être le partenaire incontournable des projets de développement des sous-régions et de leurs interconnexions.
Elle a établi une solide relation avec l’Union européenne, des relations équilibrées avec les États-Unis et la Chine, et elle a une relation historique privilégiée avec la Russie.
De par son passé d’acteur clé du mouvement des non-alignés, et son rôle majeur dans les initiatives et les structures de maintien de la paix et de désarmement internationales – elle préside depuis 2016 le Premier comité sur le désarmement et la sécurité internationale de l’ONU – l’Algérie est particulièrement impliquée dans les partenariats au sein du Sud global. En conséquence Alger est souvent sollicitée pour prendre une part active dans la résolution des crises et conflits de la région Mena.
C’est à la lumière de ce contexte stratégique qu’il faut poser la question de l’extension des partenariats transrégionaux, en particulier les nouvelles technologies de transformations de l’acier et des énergies renouvelables, qui est un acteur central dans le secteur gazier, les industries lourdes et qui tend à développer des relations d’équilibre (non-ingérence dans les affaires intérieures, investissement dans les infrastructures et les compétences locales, transfert de technologie), à savoir la Russie.

Le retour triomphal de la Russie en Afrique
Le retour de la Russie n’est pas sans conséquences pour l’Afrique,il est bien réfléchi par Moscou,ce retour est très commenté par les think tanks occidentaux, mais il utilise l’héritage positif de l’ex-Urss. Cependant l’approche de Moscou se fonde moins sur une stratégie hégémonique d’application d’un grand dessein de domination,mais sur une nouvelle vision «gagnant -gagnant «dictée par les lois du marché et des impératifs géoéconomiques.
Depuis l’aplanissement des différends issus de la période soviétique, de la conclusion du partenariat stratégique (1996) et la création de l’Organisation de coopération de Shanghai (2001),la Russie et la Chine ont mis sur pied une série de forums, d’organisations multilatérales et de mécanismes pour sceller leur» lune de miel» stratégique.
Surtout,depuis que la Russie,en butte aux sanctions de l’Union européenne et des États-Unis d’Amérique (2014),favorise les investissements chinois,en particulier dans les projets énergétiques comme le site de Yamal et le gazoduc Force de Sibérie, et somme toute le projet russe appelé communément «Meridian highway» où la version de la route de la soie russe euro-asiatique,longue de 2000Km qui va des frontières russe-kazakhes,en se croisant avec l’autoroute express entre Minsk et la Russie Blanche vers Moscou.
Ce «pivot vers l’Asie» mis en évidence constamment par le président Poutine dans ses discours officiels,des fondements solides,susceptibles de structurer le XXIe siècle russe;
Avec le lancement de l’initiative des routes de la soie «Belt and Road»,et l’intérêt grandissant de Moscou vis-à-vis des projets chinois, la réticence de certains pays africains peut être dépassée avec l’accompagnement de la diplomatie russe,parce que la Russie comprend mieux la Chine. La Chine promet d’investir plus de 1000 milliards de dollars dans la construction de chemins de fer,autoroutes,oléoducs, et câbles de fibre optique, reliant l’Asie à l’Europe et son extension vers l’Afrique.. C’est à la lumière de ce contexte stratégique qu’il faut poser la question de l’extension des partenariats transrégionaux, en particulier l’axe Alger-Moscou-Pékin.
Mais au-delà des opportunités d’investissements et des projets de co-développement binationaux, et à terme transrégionaux, ce que la Russie met souvent en avant c’est le rôle décisif que l’Algérie joue au sein du monde arabe, ainsi que les capacités de partenariats transafricains que l’Algérie pourrait porter – on évoque souvent l’Algérie comme étant la «porte de l’Afrique», par sa situation géostratégique et surtout ses ressources humaines, financières et énergétiques qu’elle pourrait mettre au service de tels partenariats.
La relation entre Alger et Moscou a des origines bien ancrées dans l’histoire des deux pays. Moscou a soutenu le combat révolutionnaire pour l’indépendance de l’Algérie et a contribué à ses efforts de construction et développement dès les années 1960, et a en particulier permis la montée en puissance militaire de la jeune République par la coopération (fourniture d’un équipement sophistiqué, entraînement, aide au financement, soit près de 11 milliards entre 1962 et 1989). Après la guerre froide la relation a connu un regain de coopération dans les années 2000 avec la signature d’un partenariat stratégique et la visite historique du président Poutine en 2006 (première visite d’un chef d’État russe depuis 1969). Les partenariats entre les deux pays concernent la défense (l’Algérie est le 3ème client mondial de la Russie)et le secteur gazier (exploration, production, modernisation des infrastructures nationales, gazoducs). Mais la relation est également basée sur des positions politiques communes: respect du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures; maintien de l’unité et des frontières historiques des États de la région (en particulier Libye, Syrie, Yémen); règlement des conflits coloniaux (Sahara occidental, Palestine); lutte contre le terrorisme.

L’insertion stratégique de la Chine en Afrique
Dans un monde en bouleversement rapide et complexe le champ du mondial devient décisif posant en des termes renouvelés la logique de l’articulation du national à l’international. Dans le cas du projet global chinois:la sinisation de la globalisation,le mondial loin d’être un facteur extérieur secondaire ne faisant qu’apporter des corrections négligeables aux problèmes locaux, apparait comme une réalité intérieure omniprésente façonnant la vie des états, des sociétés et des individus.
Au coté de la diplomatie des grands États (Daguo Wujioo) chinoise,destinée au grandes nations, la diplomatie du pourtour «est le précurseur des grandes représentations stratégiques chinoises depuis la Genèse des routes de la soie.
L’intérêt particulier à Alger est-t-il conçu dans les rapports économiques où la Chine s’intéresse à l’Afrique du Nord,et en particulier l’Algérie, par le biais de l’expansion géopolitique et géostratégique de la politique chinoise des routes de la soie?
D’emblée,l’expansion chinoise maritime et commerciale le long du collier des perles, est en fait une préfiguration de la volonté chinoise de devenir une puissance maritime globale,capable de se déployer et d’opérer partout dans le monde. Les liens de cause à effets entre la Chine et l’Algérie ne sont pas à déterminer,les relations bilatérales entre les deux remonte a plus de soixante ans,exactement après l’indépendance de l’Algérie, mais c’est avec la Chine que les relations ont explosé,pour la première fois, Paris perd sa place de premier fournisseur au profit de la Chine.

L’Empire du Milieu représente pour Alger,le partenaire rêvé, il est devenu le premier partenaire économique d’Alger.
Certains analystes restent perplexes devant les projets grandioses chinois de la route et la ceinture, avec qui la Chine entame la sinisation du nouveau monde globalisé, alors que d’autres les voient certainement dans une logique globale pour la concrétisation d’un nouveau projet,où la Chine sous-traite au nom des États-Unis, il s’agit des USA et leurs alliés, d’éviter la Russie et ses trois accès à l’Asie de l’Est; Voie du Nord,BAM et Transsibérien. Pour cela il constitue un nouvel axe,grâce à la majorité des États libérés de l’ex-Urss. Mais les deux puissances euro-asiatiques, leur complémentarité stratégique reste inéluctable: la Russie et la Chine partagent une vision commune des relations internationales.
Cette solidarité géopolitique s’exprime dans le fait que les deux se soutiennent mutuellement dans la plupart des enceintes internationales,au Conseil de sécurité, où elles observent une certaine discipline de vote pour éviter les sanctions internationales,et pour cela on comprend leur intérêt à s’ouvrir a l’Afrique et la présence chinoise est maintenant militaire à Djibouti.
Sur la scène internationale, ce destin asiatique serait favorisé par le maintien de tensions avec l’U.E, avec l’Otan et avec les États-Unis, et le respect scrupuleux des principes de souveraineté nationale et de non-ingérence dans les conflits qui font corps avec une négation de l’hégémonie du nouvel empire global américain.

En guise de conclusion
Le rapprochement possible entre Alger et Moscou dans le contexte actuel de tensions dans la zone Mena dues aux conflits persistants en Libye, au Sahel, au Yémen et en Syrie, ainsi que dans l’espace de la Méditerranée élargie(Chypre, Sahara occidental) et au durcissement des sanctions américaines, de facto internationalisées, contre l’Iran, ne pourrait que profiter non seulement aux parties concernées, mais également à l’ensemble de la région. Si La Russie,et l’Algérie sont impliquées comme facilitateurs, médiateurs ou acteurs directs dans la résolution des conflits et pourraient, avec d’autres pays de la région jouer un rôle majeur dans l’établissement d’un ordre apaisé et tourné vers la reconstruction et le développement. Il s’agit également de deux acteurs clés de la production mondiale de gaz naturel liquéfié, qui devient le combustible le plus demandé sur le marché, notamment asiatique. Loin de la logique des «cartels», les deux producteurs, avec l’ensemble des membres du Gas Exporting Countries Forum (GECF) peuvent contribuer à faire émerger des nouvelles configurations et normes dans la régulation du marché international. Dans le même esprit, le rapprochement des positions de ces deux États concernant le maintien des normes internationales jusqu’à récemment respectées par l’ensemble de la communauté internationale (la Libye étant un moment de rupture), à savoir le principe du bonafide dans les négociations bi- et multilatérales, le principe de la non-ingérence, avec, notamment le contrôle des nouveaux moyens de déstabilisation (cyberinfluence/guerre, soft power) et des pratiques de sanctions et blocus.

* Juriste et consultant stratégique, Maître de conférences à l’EnsspNSSP/Alger


 

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