Le livre, les marchés et l’éducation

   
par Derguini Arezki

Un événement au Salon récent du livre international m’a incité à adresser la question. Pourquoi un marché du livre ? Sans un marché du livre, une société ne peut se penser et éprouver sa pensée d’elle-même et du monde. Ce marché émerge de celui de l’éducation et se développe jusqu’à l’envelopper. Comme les autres marchés, il se construit dans une différenciation de l’offre et de la demande[1]. Or, nous allons voir que le colonialisme a rompu leur processus de différenciation et l’étatisme a embrayé sur une telle rupture de l’offre et de la demande. Le marché de l’éducation est d’abord un marché social, l’affaire de tout un village dans le passé, d’un village de spécialistes aujourd’hui, qui résulte d’une différenciation avec des institutions spécialisées, des professionnels et une production. Ce marché tourne mal lorsque la société s’en dégage. Car la société est dans ce marché, plus ou moins active. Ensuite, ce marché du livre qui germe dans le marché de l’éducation avant de pouvoir l’envelopper, est lui-même enveloppé par un marché mondial dans lequel il sera plus ou moins actif, dans lequel il assumera des échanges.

Le marché et le producteur collectif

L’offre et la demande sont l’une dans l’autre ; le marché, la société et la nature sont l’un dans l’autre. Il n’y a pas de marché décontextualisé, une formule du marché qui serait applicable partout et tout le temps. Il y a des marchés. Une demande n’est jamais indépendante d’une offre (symétrique ou asymétrique). La pensée économique mainstream les pense distinctes au départ pour les symétriser ensuite, les équilibrer selon la logique de la mécanique classique ensuite. Elle oppose statique et dynamique. La courbe de l’offre et celle de la demande de la science économique standard supposent un marché déjà constitué, alors qu’il est question de le constituer dans les formations postcoloniales. Leur différenciation ne sera pas prise en compte dans la dynamique du marché. La demande n’est plus dans l’offre, l’offre n’est plus dans la demande. Mais dans une économie émergente où on ne peut compter que sur des offres et des demandes en formation, les penser séparément, c’est rater les bases non marchandes de la dynamique du marché et les conditions de son essor. S’efforcer de les penser séparément au départ, c’est rater le marché, ne pas accompagner son essor et la dynamique sociale nécessaire à sa mise en place. Car le marché a une dimension non marchande : l’économie est dans la société et la société est dans l’économie, la nature est dans l’économie et l’économie est dans la nature. Société et économie, nature et économie, offre et demande s’engendrent mutuellement et se dépassent continuellement dans les processus du vivant et de l’accumulation. Elles ne gagnent en autonomie qu’une fois stabilisées.

La production et l’échange s’interpénètrent. Il y a une identité de l’offre et de la demande, de la production et de la consommation, elles se différencient avec la division du travail. Elle est patente dans l’économie domestique, les producteurs consomment ce qu’ils produisent, elle est latente dans l’économie de marché. Dans l’économie domestique, la division du travail et le collectif des travailleurs sont familiaux, domestiques. La production commence à se disjoindre de la consommation avec les échanges extérieurs (les marchés tribaux). Elle se dissociera progressivement de la consommation domestique au fur à mesure que le producteur spécialisera sa production, choisira de produire pour le marché plutôt que pour sa consommation, le marché lui permettant de mieux servir sa consommation (biens de consommation) et sa production (biens de production). L’échange est désormais dans la production et la consommation est dans l’échange.

Le producteur direct et le producteur collectif. Dans l’échange, le producteur préfèrera partager sa production avec d’autres producteurs pour partager avec eux une production et une consommation plus importante. Chacun prêtera plus d’attention et de soin à une production et l’ensemble des producteurs à un ensemble de productions. S’installe ainsi une division du travail entre régions et professions. Producteur extérieur au marché au départ, il se retrouvera complètement compris dans le marché lorsqu’il aura complètement renoncé à produire sa consommation. Il consommera et produira des marchandises produites par d’autres marchandises, la part de la production d’autrui dans sa production, du travail indirect dans son travail direct, ne cessant de s’accroitre. Le producteur ne consomme plus seul, ne produit plus seul, un collectif de producteurs entoure sa production et sa consommation, il fait partie d’une puissance de consommation et de production. En tant que producteur marchand, il n’est qu’un producteur direct qui fait partie d’un producteur collectif duquel il dépend, en dehors duquel il n’existerait pas ; il n’est qu’un consommateur qui fait partie d’un consommateur collectif sans lequel il n’existerait pas. Derrière le marché, il y a une division du travail, il y a un producteur collectif. Mais séparer la production de l’échange, faire de l’échange le simple moyen de la division du travail dans la production des richesses, et ensuite considérer ce moyen comme anarchique, c’est vider l’économie de la société et de la vie. C’est étatiser, c’est croire que le plan étatique peut se substituer à l’échange des agents[2]. Dans la dynamique de différenciation de la production et de la consommation, c’est l’interpénétration de la production, de la consommation et de l’échange qui est décisive. Les séparer donc c’est rester en statique et ne pas entrer en dynamique.

Préférence pour l’échange, préférence pour la coopération. C’est la préférence pour l’échange qui conduit le producteur à se transformer de producteur de sa consommation en membre d’un collectif producteur de sa consommation. Adam Smith ne dissocie pas la production de l’échange au contraire de K. Marx qui les dissocie pour ne prendre en compte que la production. On sait ce qu’il s’en est suivi de l’économie socialiste non marchande. C’est la préférence pour l’échange qui conduit le producteur indépendant à porter sa production au marché, qui anime la dynamique de différenciation et de séparation de l’offre et de la demande. Mais aller jusqu’à dire que cette préférence est individuelle, qu’elle n’a nul besoin de coopération et de concertation pour se former, c’est tordre la barre de l’autre côté. Cette préférence suppose une autre préférence, celle de la coopération. On n’abandonne pas sa production et sa consommation à un collectif dans lequel on n’a pas confiance[3]. C’est dans la coopération, la concertation, l’imitation que se forme cette préférence. Si l’on ajoute que cette préférence pour l’échange suppose la spécialisation (on produit ce que l’on produit mieux que les autres), il faut ajouter la confiance dans la compétition. La préférence pour l’échange suppose donc une confiance dans la coopétition, ou si l’on préfère, une coopétition qui conforte par ses résultats. Nous sommes donc loin du marché de l’économie mainstream et des préférences des individus qui le structurent.

L’obligation de vendre sa force de travail. Avec l’accumulation primitive capitaliste (K. Marx) qui sépare le producteur de ses moyens de production, avec le colonialisme en Algérie qui exclut la société indigène de la propriété par la violence et en imposant l’institution coloniale de la propriété privée exclusive, la préférence pour l’échange ne joue plus. Le producteur prolétarisé n’échange plus son indépendance pour une certaine interdépendance avec d’autres producteurs. Il ne choisit pas les producteurs avec lesquels il va s’associer et compéter pour produire sa consommation. Le prolétaire est conduit de force au marché, il est obligé de vendre la seule marchandise dont il dispose : sa force de travail. Il n’a pas renoncé de lui-même à son indépendance vis-à-vis d’autres producteurs, il n’a pas choisi la position subalterne qui lui a été assignée dans le marché, dans le producteur collectif duquel dépend sa consommation. Enfin, le prolétaire qui n’a pas choisi son mode d’insertion dans le marché ne peut plus attacher sa consommation à sa production, mais à son salaire et développe une propension qui favorise la consommation immédiate.

Le travailleur et la préférence pour la consommation immédiate. Avec l’accumulation élargie du capital, la prolétarisation, la violence de l’expropriation est le fait du marché, des entreprises apparaissent et d’autres disparaissent, des propriétaires deviennent prolétaires et inversement. C’est alors la préférence pour la consommation immédiate qui plombe le « producteur marchand indépendant » dans sa position subalterne. Le travailleur n’épargne pas, n’améliore pas son « capital humain », il ne peut pas s’associer à d’autres capitaux et faire entreprise ; l’entreprise n’épargne pas, n’innove pas et disparait.

Le travailleur collectif partie-prenante de la production et de la consommation. Pour sortir de l’état de subordination complète dans la production, favoriser la consommation future sur la consommation présente, le « producteur marchand indépendant » devra épargner pour s’associer d’autres capitaux ou d’autres producteurs pour améliorer son pouvoir de production et de négociation. Le travailleur s’organisera en travailleur collectif pour être une partie prenante consistante de la production, une force de production, une intelligence collective, et une force de négociation. Sous l’influence marxiste et la bienveillance libérale, les travailleurs se sont constitués en force de négociation. Ils veulent décider de la part de la production qui leur revient, mais pas de quelle production il faudra produire et consommer. Ici, le nombre importe ainsi que l’étendue de la syndicalisation. Mais ils ne s’organiseront pas en tant que consommateurs. La lutte de classes dans la production, mais pas dans le marché. Cependant avec le nouveau régime climatique, le travailleur est dans un devant un dilemme : que faire quand il faut consommer moins ? Il faut décider de la production et de la consommation, mais plus seulement de la part de la production qui ira à la consommation, cela afin que la réduction de la production ne nuise pas à une partie d’une population pour en épargner une autre. On le voit bien aujourd’hui, ce sont les travailleurs et les catégories les plus démunies qui sont le plus menacées d’appauvrissement. Il faudra choisir entre choisir en pauvreté et sobriété et le combat contre la pauvreté ne peut être effectif sans l’implication des concernés. Les travailleurs pourront-ils faire faire société en devenant autrement partie prenante de la production et de la consommation ? Ce n’est pas ce qui se profile encore. La lutte de classes risque de l’emporter sur la coopération sociale et de dégénérer en guerres contre les pauvres.

La société allemande offre une certaine image de la coopétition sociale, le travailleur collectif prendra part à la définition des choix de l’entreprise : répartition entre salaires et profits, consommation des travailleurs et investissement de l’entreprise ; des choix macroéconomiques : entre exportations et consommation domestique ; des travailleurs : entre consommation présente et consommation future. Avec le nouveau régime climatique, la rivalité systémique de l’Occident et de la Chine, l’unité de la production et de la consommation va se resserrer, se simplifier. Le travailleur collectif, en tant que producteur et consommateur collectifs, devra être davantage partie prenante dans les réponses apportées aux questions que consommer et que produire. En tant que consommateur collectif, son centre de gravité n’est plus la production, mais la consommation qu’il partage avec les travailleurs indépendants.

Résumons donc. La production est dans l’échange, l’échange dans la production ; la production est dans la consommation, la consommation est dans la production. Leur association dissociation s’effectue dans une division sociale du travail et résulte ainsi de l’étendue du producteur et du consommateur collectifs dont dépendent le producteur direct et le consommateur final. Avec la séparation de la consommation et de la production dans l’échange, leur unité nécessaire se retrouve d’autant plus aisément que derrière le marché, les producteurs directs appartiennent et travaillent avec des producteurs et des consommateurs collectifs dans lesquels ils se reconnaissent les contributions. Ils sont entrés dans le marché, un pied devant l’autre et non pas les pieds joints ; ils font volontairement partie du collectif des producteurs/travailleurs dont ils dépendent, sont des parties prenantes de la production et non des subordonnés. Ils sont partie prenante de collectifs de producteurs et de consommateurs qui construisent leurs marchés. Livrer la production et la consommation aux préférences individuelles du marché, faire abstraction des producteurs et des consommateurs collectifs qui se forment et ordonnent les échanges marchands, c’est renoncer à une unité explicitée de la production et de la consommation. Car l’unité existe toujours, mais comme dit Keynes, pas au goût de tous.

Producteurs directs et indirects, collectifs nationaux et mondiaux. C’est à une échelle mondiale que se réalise désormais cette identité de la production et de la consommation, cette construction des producteurs et consommateurs collectifs[4]. Une société ne peut plus produire sa consommation. Elle ne peut que partager sa production et sa consommation avec le monde. Derrière chaque producteur direct se cache un producteur collectif mondial, derrière chaque consommateur final un consommateur collectif mondial dont ils dépendent. Producteur collectif mondial qui a conscience de lui-même ou pas, dont la coopétition est explicite ou pas. Le problème est donc que la dissociation de la production et de la consommation dans l’échange ne formera pas une identité dans chaque société ; que chaque société ne réussira pas naturellement à se constituer en producteur et consommateur collectifs. Production et consommation sont diversement dissociées et associées d’un pays à un autre. Dans les sociétés postcoloniales, le producteur direct appartient à un producteur collectif mondial qui lui échappe, qui le tient dans une position subalterne, de même pour le consommateur. Le producteur direct ne décide pas de la production collective dans laquelle il prend part et de la part qui lui revient. Il est assigné à une production subalterne et à un revenu subsidiaire. Seules les sociétés qui réussissent à se constituer en producteur collectif et choisissent d’entrer dans la compétition mondiale peuvent parvenir à accroitre leur part de la production mondiale et à remonter les filières industrielles. Le Japon a ouvert la voie, la Corée, la Chine et les autres dragons ont suivi. Certains pays du Moyen-Orient semblent l’avoir compris, peut-être trop tard. Qui sait. Pour les économies émergentes, le sujet d’actualité est donc le suivant : à quel collectif mondial de producteurs appartenir et comment progresser avec lui. L’avenir semblant en disruption d’avec le passé, le problème n’est ni simple ni évident.

Le marché postcolonial de l’éducation

Ressources mondiales et locales. Le monde se divise sous le principe de la division de l’Europe, celui de l’État-nation. La place de l’État-nation dans le monde dépend de sa capacité à disposer des ressources du monde et à mettre les siennes à la disposition du monde. Les ressources se différencient en ressources mondiales et en ressources locales, comment une telle différenciation évolue-t-elle ? Dans des directions opposées ou parallèles, dans un jeu à somme nulle, négative ou positive ? Certains pays exportent et importent des ressources qu’ils ne produisent pas. À quoi tiendra leur consommation future ?

Prendre pour rendre mieux. Les ressources de l’éducation sont mondiales, la qualité du système national d’éducation dépend de ses capacités à valoriser de telles ressources. Il ne peut pas être juge de la valeur ajoutée. Il doit rendre au monde plus qu’il n’en a reçu. La place d’une nation dépend donc de sa puissance productive, de sa capacité à rendre plus qu’elle ne reçoit. Les nations qui rendent plus qu’elles n’ont reçu, et s’appauvrissent, sont celles qui n’ont pas pu rendre ce qu’elles ont reçu. Elles ont reçu plus qu’elles ne pouvaient rendre, elles doivent rendre plus qu’elles n’ont reçu. Dès le départ, le système d’éducation doit emprunter des ressources mondiales et doit pouvoir rendre au monde de ce qu’il a reçu plus qu’il n’a reçu. S’il pense pouvoir faire corps dans le cours du monde en dehors d’une telle valorisation des ressources mondiales, il s’expose à une marginalisation. Il faut donc prendre au monde ce qui nous permet de mieux lui rendre et donner.

Des ressources mondiales médiocres. Nous avons importé dans le marché de l’éducation des ressources de faible potentiel pour mieux les partager. La question du partage immédiat a pris le pas sur celle du rendement. Comment partager le meilleur rendement n’a pas été la question retenue.

L’exogénéité de l’offre coloniale et de la demande indigène d’éducation. Lors de la période coloniale, l’offre d’éducation ne visait pas à améliorer les ressources de la société indigène ni celles du monde, mais seulement celles de la métropole, de la société coloniale et de la minorité indigène qui la servait. Cette offre était exogène à la société indigène, elle ne s’adressait ni à sa demande, ni avait besoin d’elle. Bref, l’offre d’éducation n’était pas dans la demande indigène. La demande coloniale s’adressait à l’offre métropolitaine et celle-ci ne répondait qu’à une certaine demande de la colonie. L’offre d’éducation était interne à la demande coloniale, sous-produit de la demande métropolitaine. L’offre métropolitaine visait à fournir à la colonie les ressources qui permettaient à celle-ci d’offrir en retour à la métropole les ressources dont elle avait besoin : matières premières et agricoles. L’offre coloniale était interne à la demande métropolitaine.

Rapport des sociétés, rapport des marchés. L’une sans l’autre. La colonie utilisait une faible part des ressources de la métropole, sa demande n’avait pas la propension d’utiliser davantage de ressources et de lui en rendre davantage, d’augmenter et de différencier son offre. Son offre était « mal logée » dans la demande métropolitaine. La colonie n’était pas dans la France, la France était dans la colonie. Il n’était pas question pour des départements musulmans de se hisser à la hauteur des départements français non-musulmans. L’élite coloniale n’en avait pas l’ambition, elle ne disputa pas l’industrie aux puissances industrielles, elle n’entrainera pas la société indigène dans la société française comme le souhaitait l’élite indigène. Elle souhaitera continuer de vivre dans la dépendance extérieure de la France métropolitaine, dans les marchés quasi publics que celle-ci lui concèdera, elle ne souhaitera pas faire nation avec l’élite indigène. L’élite coloniale souhaitera maintenir la société indigène hors de la société française tout en lui refusant l’indépendance. On connait le résultat, la société et l’élite indigènes feront nation sans elle.

La séparation de l’offre d’éducation de la demande se perpétue dans le marché postconial de l’éducation. C’est de cette offre exogène à la demande de la société indigène que va hériter la postcolonie. Notons ici que le marché de l’éducation n’est pas indépendant des autres marchés, l’usage de ses ressources ne se fait pas indépendamment d’autres ressources. Rappelons que l’éducation est une épargne du travail présent et un investissement pour le travail futur. Rétablir l’unité de l’offre et de la demande sociale et une dynamique de différenciation positive des ressources locales dans les ressources mondiales, tels auraient pu être les objectifs théoriques du système éducatif de la construction nationale indépendante. L’étatisme supprimera le premier problème en confondant offre et demande hors de l’échange, il ratera le deuxième objectif en aplatissant offre et demande et en empruntant au marché mondial des ressources au rendement médiocre.

L’offre postcoloniale d’éducation extérieure à la demande sociale. L’État postcolonial ne s’est pas construit au ras de la société, il a été tout de suite surplombant. Il se voulait à hauteur du monde, mais en se dissociant de la société. Redoutant d’être pris dans la compétition sociale, il n’instruira pas sa compétitivité. La demande sociale, trop longtemps comprimée, avait été maintenue dans une grande indifférenciation, l’offre sociale était négligeable. La transformation du système d’éducation colonial en système d’éducation postcolonial a mis en présence une offre institutionnelle d’éducation qui visait moins à remettre l’offre dans la demande sociale et la demande dans l’offre, qu’à embarquer les individus dans une idéologie commune et des institutions publiques considérées comme des formes supérieures de production. L’offre postcoloniale restait extérieure à la demande. L’offre ne répondait pas à une demande d’accroissement du revenu des producteurs et la demande ne dessinait pas un horizon d’attente à leur investissement. La distribution coloniale des ressources, que l’Etat postcolonial ne remit pas en cause, fit de l’Etat le producteur par excellence et la société ses employés. L’État définissait à la fois l’offre et la demande, l’offre définissant la demande, s’opposant à la formation d’un marché de producteurs et de consommateurs individuels et collectifs d’éducation, il dissolvait ainsi le problème de l’identité des contraires que sont l’offre et la demande. Conséquence : la demande n’entrainant pas l’offre et l’offre n’entrainant pas la demande, des producteurs collectifs ne répondaient pas à des consommateurs collectifs, des producteurs et des consommateurs individuels ne pourront pas former des producteurs et des consommateurs collectifs. Il ne s’établira pas une « dialectique » de l’offre et de la demande, s’inscrivant dans une dynamique d’accumulation, du fait d’une indifférenciation de l’offre et de la demande. Une telle perspective étant inscrite au départ dans la césure entre l’État et la société. Bref, une société comprise dans l’État, mais un État non compris dans la société. Peine perdue : qui accumule quoi restera une question abstraite sans réponse.

Déconnexion des offres et des demandes locales et mondiales. Nous sommes dans la situation d’une société qui veut s’approprier le monde, mais qui ne développe pas encore une demande claire d’éducation, qui ne sait pas comment déployer son sentier d’apprentissage pour s’incorporer les progrès du monde. Il s’agit de « se développer », d’un développement dont on n’a pas vraiment les clés. Dès le départ, ni l’offre ni la demande ne s’inscrivent l’une dans l’autre de sorte qu’elles puissent s’enchainer, s’entrainer, s’incorporer les progrès du monde, de sorte à former un cercle vertueux et donner lieu à un processus d’accumulation. L’offre de savoir ne correspondait pas à la demande de savoir, la production de savoir restait séparée de la consommation de savoir (chômage des diplômés).

L’éducation n’a pas procédé d’une épargne sociale et d’un investissement social, mais d’un investissement public et d’une demande indifférenciée de promotion sociale. Elle s’est socialement désencastrée. Et le problème semble encore insoluble, les élites et la société ayant du mal à se débarrasser de l’étatisme de l’État. Au départ la demande a été scindée en une demande publique et une demande privée. Une demande publique dégagée par les besoins de la construction étatique qui s’est accaparé l’ensemble des ressources. Une demande privée indistincte, écrasée par la demande publique et une offre privée inexistante. Pour l’heure et comme conséquence, on assiste à une dégradation du marché public de l’éducation caractérisé par une demande sociale indistincte de promotion sociale et une offre publique qui ne rencontre plus de demande publique. L’institution scolaire se vide de sa finalité. L’investissement dans une éducation de qualité croissante n’est pas dans la dynamique du marché de l’éducation, offre et demande ont été déconnectées. Il ne concerne et ne rapporte de plus en plus que pour une minorité qui réussit à investir au-delà de l’investissement public et projette de s’expatrier. Pour autant, il faut voir que la reconnexion la moins douloureuse qui consisterait dans une bifurcation dans le cours des choses ne va pas de soi. Le plus vraisemblable est qu’il faudra pouvoir reconstruire dans des ruines, car il y a de fortes chances que le cours des choses ne s’effondre de lui-même. Sur quelles ruines donc plutôt que quelle bifurcation.

Effondrement provoqué ou subi ?

Un marché de l’éducation sans épargne sociale et investissement. Nous allons vers un effondrement du marché de l’éducation, plus exactement des institutions qui ont prétendu faire son marché. Pour retrouver une dynamique du marché de l’éducation (une crédibilisation de ses institutions) caractérisée par une éducation de qualité croissante, il faut redéfinir l’offre et la demande dans leur dynamique de différenciation. Il faut remettre la société dans le marché de l’éducation, la société dans l’économie et inversement[5]. On peut considérer que le marché de l’éducation met en présence trois types d’acteurs : l’État/la collectivité, les enseignants et les parents d’élèves. L’offre est déterminée par les enseignants et la collectivité. La demande est indirectement déterminée par les parents d’élèves. Tous les trois pensent réduction des coûts et non accroissement de la qualité.

Les parents d’élèves ne sont pas partie prenante du marché de l’éducation, l’élévation des coûts ne signifie pas pour eux amélioration des revenus. La demande et l’offre ne sont pas l’une dans l’autre, l’offre flotte et la demande est plate. Des enseignants de qualité ne font pas face à une demande de qualité. Dans l’éducation, comme ailleurs, les collectivités refusent d’assumer un certain ordre. Le marché de l’éducation est boiteux, il marche sur deux jambes au lieu de trois. L’éducation de qualité a besoin d’une épargne croissante que la société ne peut lui fournir. L’éducation est une épargne sur le travail, son temps et son produit, un investissement dans le travail. La valeur qu’attache la société à l’éducation est à la hauteur de son engagement productif, il est faible. L’État finance l’éducation, la société ne finance pas l’État. Les ressources de l’éducation ne suivent pas les besoins sociaux de promotion sociale qui s’accroissent plus vite qu’elles, la qualité de l’éducation baisse, l’inflation des diplômes augmente.

Offre et demande hors sol. La société doit savoir ce qu’il faut savoir et ce qu’elle peut en faire, le savoir qu’elle doit partager avec le monde pour être en mesure d’échanger avec lui. Mais aussi comment elle peut et doit habiter sa terre. Il faudra choisir entre un effondrement provoqué qui tendra à restaurer l’unité de son offre et de sa demande d’éducation et un effondrement subi dont il faudra gérer les externalités négatives. Effondrement parce qu’offre et demande ont évolué hors sol. La société a été expropriée de sa terre, subjuguée par les lumières de la modernité, elle a consacré sa séparation de la terre nourricière et le rapport d’extériorité de l’État. Avec une urbanisation sans industrialisation qui soumet sa demande à l’offre extérieure (dépendance extérieure), comme beaucoup de sociétés postcoloniales, elle s’expose à décoller davantage pour exploser en vol (désordres sociaux et guerres civiles) ou rejoindre d’autres terres (migration).

Milieux sociaux artificiels, milieux naturels détruits. Se réinscrire dans un écosystème social et naturel, se réapproprier la nature, réapprendre à faire avec elle corps social, ne consistera pas à rebrousser un chemin que l’on a pris soin de marquer, cela consistera à retomber sur ses deux pieds sur un sol sans cartes ni boussole. Il s’agira d’un atterrissage forcé et risqué. On a décollé du milieu social et naturel sans esprit de retour, sans penser le préserver. Il n’y a pas d’écosystème social et naturel qui attend notre atterrissage. Comment atterrir sans nous écraser au sol, sans être pulvérisés ? Comment éviter l’anéantissement, retomber sur nos pieds et réaménager les rapports entre humains et non-humains ? Nous avons créé des milieux sociaux artificiels qui ne pourront plus être entretenus, nous avons détruit les milieux naturels qui ne peuvent plus nous entretenir. Il nous faut améliorer nos milieux naturels dégradés, réaménager nos rapports sociaux. Quelles demandes pourra-t-on satisfaire, quelles offres pourrons-nous produire qui puissent entretenir une vie commune ?

Endogénéiser l’offre mondiale dans la demande indigène et la demande mondiale dans l’offre indigène. Constituer un marché du livre, c’est confronter une demande et une offre qui se comprennent, s’entrainent, s’approfondissent l’une et l’autre, font corps dans le cours mondial des offres et des demandes et d’un écosystème social et naturel. C’est se « comprendre »[6] dans un monde qui vous « comprend ». Une société existe dans le monde quand elle réussit à en constituer un centre de gravité, quand sa demande et son offre font corps dans le cours de l’offre et de la demande mondiale. La société coloniale algérienne n’a pas pu se constituer en centre de gravité du monde et de la société indigène, la société coloniale américaine y est parvenue en éradiquant la société indigène, le projet de la société israélienne est de se constituer en centre de gravité au Moyen-Orient dans le champ occidental. Il vise à comprendre le Moyen-Orient et être compris dans le monde occidental.

Constituer un marché du livre, c’est constituer un marché qui tourne sur lui-même, c’est être en mesure de s’adresser à soi-même en connaissance du monde et non en s’isolant de lui, c’est constituer un savoir sur soi et sur le monde. C’est s’efforcer de se comprendre dans le monde, se penser en pensant le monde. C’est définir des offres et des demandes compatibles, complémentaires et concurrentes, avec les offres et les demandes du monde.

Rapports de compréhension mutuelle et autoritarisme

Une structure sociale introuvable. Se comprendre dans le monde, c’est se prendre dans une structure sociale d’un système mondial. Une structure qui puisse stabiliser un centre de gravité de l’économie mondiale. L’universalisation de l’État-nation n’a pas produit le résultat attendu dans les sociétés postcoloniales. Il a déstructuré les sociétés africaines sans leur donner les moyens d’avoir la prise attendue sur le monde. Ces sociétés n’arrivent pas à se structurer et à se constituer en partie prenante effective du système interétatique mondial. Le processus de différenciation social n’a pas conduit à la substitution d’une ancienne cohérence sociale par une nouvelle. Il a produit trop d’États faillis et de désordres sociaux.

Être « compris » sans se « comprendre ». On ne peut « comprendre » sans être « compris », on est toujours partie prenante et partie prise dans un ensemble plus large que soi, on ne peut jamais tout embrasser. On peut bien « comprendre » et être bien « compris », être bien dans le monde et le monde être bien en nous. C’est l’harmonie. Toujours « compris », on peut «comprendre» plus ou moins de ce qui nous « comprend ». Plus et mieux nous comprenons de ce qui nous comprend, meilleure est notre position dans ce qui nous comprend et inversement. Mais ce rapport de compréhension mutuelle est loin de constituer la règle. La guerre est là pour l’attester. Le vaincu ne peut plus « se comprendre » dans le monde, il est compris plus qu’il ne comprend du monde. À vouloir trop prendre de ce qui nous comprend, à « avoir les yeux plus gros que le ventre », on rate sa prise ou perd la guerre et on décroit au lieu de croitre. D’avoir une mauvaise prise sur le monde, on est alors « compris » (par ce qui nous entoure) sans se «comprendre» dans le monde (former un tout dans un tout plus grand).

Autorités et autoritarisme. Être compris sans se comprendre, c’est être incapable de faire corps. Pour faire tenir ensemble des éléments épars parce que sans autorités pour leur faire faire ensemble, sans centre pour les faire graviter autour, l’autorité de la force s’impose alors. La colonisation défait les autorités indigènes et soumet la société à une administration militaire. De manière générale, l’autoritarisme s’élève sur le corps défunt de l’autorité, il pallie l’absence d’autorité. L’autorité étant définie comme le pouvoir sans la contrainte, l’autorité de la persuasion et non de la force, une autorité comme un centre de gravité social naturel. La force pallie alors l’absence d’autorité sociale ou naturelle (charisme). L’autorité politique ne se différencie pas de l’autorité militaire.

Le pouvoir de l’Argent instrumentalise les autorités civiles et les décrédibilise… Le colonialisme a triomphé des autorités indigènes, le néolibéralisme de toutes les formes d’autorités qui peuvent résister à l’autorité de l’Argent et de la Science, sa servante. En capitalisme, lorsque l’autorité de l’Argent et de la Science, lorsque leur champ de gravité décline, l’autoritarisme, le pouvoir de la force brute, pallie leur déficience. C’est que le capitalisme occidental basé sur la division de classes antagoniques a une conception esclavagiste du pouvoir. Avec l’extension de l’autorité de l’Argent et de la Science, les différentes autorités sont soumises à l’autorité de la divine Raison qui ne les préserve pas, mais les corrodent. Les autorités ne renvoient plus à leurs conditions de production, à l’expérience sociale et sa transmission. L’Argent commande à toutes choses par la Raison, il n’y a plus que des experts et des commanditaires. Les individus et les groupes sociaux sont dépossédés de l’expérience par la Science et l’Argent. Dépossession qui dispose d’un côté avantageux quand tout va bien, mais qui révèle son côté désavantageux dès que ça tourne mal. Elle a été avantageuse pour l’Occident qui a pu avec l’alliance de l’Argent et de la Science conquérir le monde, elle cesse de l’être pour le monde avec le nouveau régime climatique. Rendements décroissants et externalités négatives se multiplient. Les individus redécouvrent ainsi l’expérience de la pauvreté, des catastrophes naturelles, de la guerre civile, du brutal inconfort de naviguer entre vie et mort, qu’ils avaient voulu réserver à des professionnels. Le Blanc redécouvre l’existence de la Nature, à qui il a comme retourné l’ingratitude, en s’attribuant le mérite de la nature qui lui a prêté la force (l’énergie fossile) pour transformer le monde. Ingrat, il se prit pour l’élu de la providence et trôna au centre de l’humanité.

… Il dégrade l’interpénétration de la société et de la nature. La machine est supérieure à l’homme, mais pas à la nature. Supérieure à l’homme par sa capacité de calcul, elle ne pourra jamais tout calculer. Cela tient de ce qu’elle se branche à une énergie supérieure à l’énergie humaine. Il faut autrement regarder la machine et la nature. Nous ne sommes supérieurs ni à l’une ni à l’autre. Ce n’est pas parce que nous avons fabriqué une machine qu’elle nous est toute entière donnée, elle et son activité. Nous ne sommes pas son dieu. Les machines utilisent des ressources que nous ne pouvons pas utiliser. Nous sommes arrivés au point où nous fabriquons des choses dont nous ne comprenons pas comment elles font ce qu’elles font (intelligence artificielle générative). Il fut un temps où nous utilisions des choses où importait plus ce qu’elles font, que comment elles le faisaient. Aujourd’hui aussi, dans la course à l’innovation, importe plus ce qu’elles peuvent faire que comment elles le font. On croyait en avoir fini avec les « boites noires », les voilà de retour. L’interpénétration de la machine et de l’homme (le cyborg) ne soumettra pas la machine à l’homme, mais des humains et des non-humains à des humains augmentés ; l’interpénétration de la machine et de la nature ne soumettra pas la nature à la machine, mais des non-humains à la machine et conduira à une plus grande destruction de la nature (non-humains inutiles). Il faudra se résoudre à une interpénétration tolérable de la société et de la nature, à une association raisonnable des humains et des non-humains. La qualité d’une telle interpénétration se dégrade de plus en plus.

Le veau d’or est intronisé par l’anthropocentrisme. Mais pourquoi donc en économie politique est-on passé des physiocrates aux classiques, de la nature comme source de la richesse au travail humain comme source de la richesse ? Le travail humain n’a jamais été la source de la richesse, ni hier ni aujourd’hui. Aujourd’hui comme hier, c’est le travail des machines humaines (esclaves, salariés) et non humaines (esclaves mécaniques, animaux, plantes et minéraux), de matières (énergie, minéraux), qui est source de la richesse et de la puissance. Ce sont les énergies fossiles qui ont rendu possible l’usage des machines, l’accroissement de la population, la différenciation du travail et l’intensification du travail de la nature (agriculture). L’apport du travail humain a toujours été mince rapporté au travail de la nature (la terre, les minéraux et l’énergie). Les riches sont les maîtres des machines humaines et non humaines, de mauvais maîtres malheureusement.

Qu’est-ce qui produit les esclaves ? Depuis toujours c’est la guerre, la captivité, et au travers d’elle la volonté de puissance, le désir de transformer les êtres en outils. La volonté de puissance est une combinaison de désir et de croyance. « Je suis l’Élu ». Le tournant classique de l’économie politique ne peut expliquer le passage de la centralité de la nature à la centralité de l’homme sans faire appel à l’émergence de certaines croyances et de certains désirs. La centralité du monarque de droit divin a été renversée par la centralité du Blanc dans les croyances occidentales, et, à la générosité de la nature s’est substituée la Production. Le travail humain abstrait, abstrait parce séparé de ses conditions de production, donc travail de l’esclave, de l’individu séparé de son milieu, du travail humain séparé du travail de la nature, figuré dans un équivalent général, l’argent, le capital argent, est devenu la mesure de toutes choses. L’anthropocentrisme et la Production intronisent le veau d’or. La Production et son indice fétiche le PIB.

Une propension oligarchique de la démocratie polyarchique. Il faut redéfinir la démocratie, l’extirper de la société guerrière de classes et de son anthropocentrisme. La démocratie c’est d’abord une société qui dispose d’elle-même et qui développerait ensuite une disposition à conjurer la formation d’une oligarchie et que finalement on résume dans un mode d’organisation politique polyarchique. Le second aspect est explicite dans le régime de démocratie directe et dans nombre de sociétés sans classes (village berbère). Le droit des peuples à l’autodétermination consacre quant à lui le premier aspect : sans autodétermination pas de démocratie. Se pose alors la question de savoir comment une société peut disposer d’elle-même. Le peut-elle indépendamment de ce qui l’entoure ? C’est du monde qui la comprend qu’elle se déprend et s’autonomise.

Elle peut disposer d’elle-même de manière oligarchique et préférer une oligarchie à une autre parce que cette forme de gouvernement lui paraît supérieure aux autres. Les États-Unis et la Grande-Bretagne peuvent préférer le gouvernement d’une oligarchie financière qui leur permet de dominer le monde. La Chine et l’Iran, des oligarchies qui leur permettent de faire face aux États-Unis. États-Unis, Chine, Inde et Iran par exemple, ne se rangent pas pour ainsi dire sous le même Dieu (Max Weber). La société ne combat pas toujours la formation d’une oligarchie, elle sera démocratique parce qu’elle aura choisi une oligarchie qui ne lui a pas été imposée et qui ne remet pas en cause sa nature polyarchique. La démocratie ne se résume pas à une polyarchie, elle est souvent ou presque toujours une polyarchie qui privilégie une hiérarchie sur les autres, étant donné la performance de la polyarchie sous la conduite de cette hiérarchie. Une hiérarchie peut avoir la préférence d’une société et ne pas être au premier plan.

La disposition d’une société ne peut pas être abstraite du contexte de sa formation. Une société dans un monde hostile peut être empêchée de développer sa disposition spontanée à disposer d’elle-même. Elle choisira un ordre social qui lui permettra de faire face à l’ambition d’une oligarchie mondiale qui veut commander par la force militaire là où elle ne peut commander par la puissance financière. Et cet ordre social visera à préserver sa capacité à s’autodéterminer. Une armée n’est pas démocratique, une société en guerre ne peut pas être démocratique, elle est sous régime d’état d’urgence. Une société peut être en guerre déclarée ou non déclarée. En état de guerre non déclarée, sa disposition à disposer d’elle-même de manière pacifique sera empêchée. De ce point de vue, la colonisation a introduit la dictature dans des sociétés démocratiques, autrement dit, l’État colonial pour empêcher la manifestation de la disposition démocratique des sociétés « primitives » les a militarisé en prétendant les « civiliser ». L’État colonial a détruit les conditions de manifestation de la disposition démocratique de la société indigène pour soumettre les individus à sa volonté. L’État postcolonial a hérité de cette disposition empêchée et n’a pas voulu lui restituer les conditions de sa pleine expression. Il considérait que de telles conditions ne pouvaient pas être réunies étant donné la persistance de l’hostilité de l’environnement international. Nous étions toujours comme en état de guerre, en état de guerre non déclarée. Chaque société contient en germe les conditions de sa reproduction pacifique, son régime démocratique. C’est la guerre qui inhibe et contrarie le développement de la disposition démocratique des sociétés. Mais à la différence de l’état de guerre déclarée, l’état de guerre non déclarée mobilise deux sociétés, l’une pour la guerre et l’autre pour les interactions pacifiques, sans toujours pouvoir faire la part de chacune d’elle.

L’état de guerre et les zones libérées. Face à un environnement hostile, un état de guerre non déclarée, comment une société peut-elle développer sa propension à la démocratie ? En organisant des zones libérées où pourront se développer des autorités civiles. Rappelons qu’il ne s’agit pas d’opposer autorités civiles contre les autorités militaires, mais de faire tenir la société ensemble non par la contrainte, mais par le consentement. Le concept de zones libérées est le vis-à-vis social du concept économique de zones franches. Elles protègeront le développement naturel des sociétés vers le modèle de la société contemporaine : démocratique et polyarchique.

Le cours des choses et l’inversion des rapports de compréhension.

Le cours des choses, la fluidité des centres de gravité …. Le cours des choses peut être décrit comme un cours dans lequel s’ordonnent et évoluent des centres de gravité, charriant des éléments épars, des centres de gravité mineurs et majeurs, se transformant l’un dans l’autre dans un flux continu. Un centre de gravité se fait «comprendre» par un autre, la coopétition met en jeu les rapports de compréhension des centres de gravité, les rapports de leur différenciation et de leur inversion.

Les États-Unis ont constitué le centre de gravité de l’économie mondiale autour duquel tournaient d’autres centres de gravité qui ont réussi à se différencier et à se stabiliser. Ils ont donc constitué un centre de gravité comprenant sans être compris par d’autres centres. Le Japon, la Corée du Sud ont réussi à se différencier et à se stabiliser comme centres de gravité dans le champ de gravitation de l’économie américaine. La Chine s’est stabilisée dans le champ du centre de gravité américain comme atelier du monde. Mais à la différence du Japon, vu son poids démographique, son centre de gravité n’arrête pas de se différencier et de se stabiliser au point de se constituer en centre de gravité indépendant. L’étendue de son marché intérieur, sa capacité d’exportation dans laquelle se mêle une capacité d’innovation croissante, tout cela menace le centre de gravité américain comme centre unique. Pour éviter une inversion du rapport de compréhension de l’économie chinoise et de l’économie américaine qui pourrait succéder à son indépendance, une compréhension du centre américain par le centre chinois (« rivalité systémique »), les États-Unis limitent le champ des interactions des deux économies, bloquent les interactions favorables à une telle inversion. L’Inde doit naviguer entre les trois mondes occidental, chinois et musulman et stabiliser ses rapports pour fixer son centre de gravité. Pour l’heure, une telle stabilisation en dépit du poids démographique est problématique. Il ne « comprend » pas les mondes musulman et chinois, il est mal compris dans le monde occidental. Il ne peut compter sur une franche insertion dans le monde occidental qui le craint, ni compter sur un franc appui du monde musulman dont il se détache, dans sa compétition avec le centre chinois. Il cherche les appuis circonstanciels que libère le cours du monde et espère constituer un troisième centre de gravité mondial à la limite indépendant, que son poids démographique rend possible.

… et l’inversion du rapport des humains et des non humains. Le cours des choses actuel présente une autre inversion des rapports de compréhension. Une inversion plus radicale. Il s’agit du rapport entre les humains et les non humains. L’Occident comprenant le monde moins qu’il n’est compris, devient plus compris que comprenant ; les Blancs redeviennent des humains de couleur et non plus les détenteurs de la couleur qui définit les autres couleurs. La nature « comprenant » plus l’Occident qu’il ne la comprend, les humains se retrouvent sur le même plan que les non humains. Nous allons passer d’une nature soumise à la société, à une société soumise à la nature. Un cycle recommence. En fait c’est une croyance, l’anthropocentrisme, qui s’effondre : l’humain se croyait être au centre de l’univers, comme il avait cru que le soleil tournait autour de la terre. Confortée en cela par une nature d’apparence compréhensive. Fausse croyance, car l’humain n’a jamais été au centre de l’univers, comme la terre n’a jamais été au centre de l’univers, il se croyait le producteur par excellence, alors qu’il ne l’était pas. Il s’en rend compte aujourd’hui : c’est aux énergies fossiles et aux esclaves mécaniques qu’il doit sa production matérielle. C’est leur anthropocentrisme qui fera croire aux Blancs, qui ne sont pas de couleur, qu’ils sont le centre autour duquel tournent non seulement les non-humains, mais aussi les autres humains, humains de couleur.

La compréhension asymétrique de la nature par la société conduit à un renversement des rapports de compréhension : d’une nature qui semblait comprise dans et par la société, bien qu’excédant celle-ci, on se retrouve dans une société comprise dans la nature. De l’humain se croyant dominant, il se voit dominé ; en fait de tolérante, la nature a cessé de laisser faire. On a poussé l’exploitation de la nature (humaine et non humaine) jusqu’à ce qu’elle nous rappelle à l’ordre des choses. C’est désormais à la société de s’adapter à une nature qui est sortie comme des gonds de la Science, de son sommeil, qui de prévisible est devenue imprévisible. Fin de cycle : fin du cycle occidental et de l’anthropocentrisme. La pensée du monde commence à accueillir les pensées du monde non occidental.

Se penser dans un nouveau cours des choses.

Le nouveau cours du monde et le piège de Thucydide[7]. Il va falloir désormais se penser dans ce cours des choses affecté par deux nouveaux cycles. Un cycle naturel où va s’inverser le rapport des humains aux non humains caractérisé par une instabilité climatique, et un cycle international qui va enclencher la sortie du monde non occidental du monde occidental et menacer d’inverser le rapport de « compréhension » des humains occidentaux au reste des humains. Le monde occidental a déjà peur d’être submergé. La décadence est un mouvement aussi naturel que celui de l’essor. Ces deux mouvements se succèdent. La décadence mal vécue par l’Occident ne fera qu’aggraver le sort de l’humanité. De même, l’inversion mal vécue du rapport des humains et des non humains. On peut supputer que l’avenir de l’humanité dépend largement du comportement des Blancs et des États-Unis quant à ces deux inversions. De leur déni ou de leur adaptation. Tomberont-ils dans le piège de Thucydide ? Choisiront-ils la sobriété ou la pauvreté ? Le mouvement de différenciation des centres de gravité mondiaux n’ira pas nécessairement jusqu’à une inversion complète des rapports de compréhension des différents mondes au contraire du rapport entre les humains et les non humains. Ils peuvent stabiliser leurs rapports à mi-chemin, dans un certain état de compréhension mutuelle. Les Blancs se retrouvant blancs parmi les gens de couleur et les Occidentaux parmi les êtres humains et non humains en compétition coopérative. Il reste que l’imaginaire humain, et occidental en particulier, désormais plus attaché au passé qu’à l’avenir, semble exclure une telle possibilité de déclassement et n’entrevoir que la guerre pour préserver une position indéfendable.

Pensée du monde et centres de pensée. Le monde se pense par ses centres de pensée[8]. Des centres qui se disputent et se partagent la pensée du monde. Ces parties se pensent donc inégalement. En postcolonie, nous nous pensons moins que nous sommes pensés par ces centres. Les États autoritaires ne se pensent pas dans le monde, ils imposent une pensée du monde, la pensée d’un centre du monde dans laquelle ils chercheront plus ou moins à se penser. Le monde ne se pense jamais complètement, il échappe en partie à sa pensée. L’Occident a cru le monde à portée de sa pensée, voilà qu’il lui échappe. Avec la Révolution scientifique la pensée croyait pouvoir se rendre maitresse du monde, croyait que le monde allait se résorber dans la pensée, le réel se confondre avec le rationnel (Hegel). Avec la crise climatique, la pénétration de la pensée dans le monde se fait plus profonde, mais plus fragile. La pensée dans le monde se fait moins assurée, le monde dans la pensée se fait plus rebelle.

Pour notre société, la pensée a connu trois moments. Après le choc colonial et la domination coloniale, subjuguée, elle cherche à se définir en faisant sienne la pensée du vainqueur, la pensée qu’il se fait de l’humain et du non-humain, de lui-même et du colonisé. Le colonisé refuse d’être rejeté hors de l’humanité, pour ce faire, la pensée indigène veut pénétrer la pensée du conquérant, l’élite adopte la politique de l’assimilation : « je suis humain comme vous ». Être dedans (l’humanité) et différent (musulman).

Les moments de l’assimilation et de la séparation. Puis avec l’émigration et le refus de la société coloniale de s’assimiler la société indigène, la pensée indigène cherche à se définir dans la pensée mondiale, elle creuse la différence dans la pensée métropolitaine entre l’humain et le colonisé, elle commence à se penser dans l’écart entre l’universalisme de la pensée et la particularité des pratiques coloniales, elle mobilise des ressources mondiales, en opposant l’humain au colonisé. Ce n’est pas la société indigène qui a refusé d’être assimilée par la colonisation, c’est la société coloniale qui a refusé d’assimiler la société indigène. Ce n’est pas le faible qui refuse d’être assimilé par le fort, c’est le fort qui contient le faible dans la subordination de peur que ne lui échappe le rapport de domination et ne s’inverse le rapport de compréhension. Ce n’est donc pas la société indigène qui a refusé d’être dans la France, c’est la société de classes colonialiste qui a refusé d’accueillir en son sein la société indigène, qui a voulu l’intégrer comme la classe des sous-prolétaires. C’est la République française colonialiste qui a voulu construire une société à trois étages (les Français, les colons et les indigènes), dans un monde à trois étages et deux collèges (les citoyens colonisateurs de première et seconde classe et les non-citoyens colonisés). La pensée indigène entame ainsi son processus de décentrement vis-à-vis de la pensée métropolitaine, elle veut rendre son humanité au colonisé, elle cherche son centre de gravité dans la pensée occidentale entre pensée coloniale et décoloniale en progressant dans la voie anticolonialiste.

Faire sa place dans le monde ne s’identifie pas nécessairement à faire sa place dans la société. Cela est net dans le cas extrême où la société n’est plus dans le monde où l’individu quitte sa société pour ne pas quitter le monde. Mais cela était aussi le cas de l’élite indigène après qu’elle fut défaite par la colonisation. Faire sa place dans le monde signifiait quitter sa place dans la société pour faire sa place dans le système colonial. Être compris dans le système colonial, y faire sa place, mais ne plus être « compris » par la société colonisée, voilà la perspective dans laquelle pourront s’inscrire les élites subjuguées. Pour conserver leur place dans la société colonisée, elles inverseront leur rapport de compréhension avec la société, elles comprendront la société non plus de l’intérieur, mais de manière extérieure, à la manière du système colonial, sans la «comprendre» de l’intérieur, sans être comprises par elle. Voilà la première étape que la société indigène traverse pour entrer dans la société coloniale, son élite doit abandonner son rapport de compréhension mutuelle avec la société pour celui de compréhension mutuelle avec la société coloniale étant donné la division de castes coloniale.

J’aime voir dans l’exemple du père de Ferhat Abbas, le Caïd, le faible qui se rend au fort, pour s’approprier du fort ce qu’il pourra laisser au fils. Un peu comme le caïd vaincu et contraint, mais non moins désireux de servir la France, pour mieux servir la société indigène. Ceux qui ont combattu à visage découvert ne sont pas toujours les plus méritants. Il a été dit précédemment que ce n’était pas la société indigène qui avait refusé l’assimilation, trop de monde voulait entrer dans la société moderne des colons, beaucoup voulait être « converti », mais le système de castes colonial, pour se préserver, ne pouvait pas les accueillir. Il craignait leur « retournement ». Il ne pouvait s’ouvrir à la société indigène, il craignait d’être submergé par la meute, d’être islamisé ou démocratisé. Il n’accueillera parmi l’élite de la société moderne que des éléments épars de l’élite subjuguée de la société indigène pour mieux les domestiquer.

Comprises par le système colonial, sans être en mesure de le comprendre, car toujours comprises et se comprenant comme vaincues et subalternes, tel fut le sort des élites indigènes au premier temps de la colonisation. Au second temps, les élites indigènes comprises dans le système colonial, se croyant en mesure de comprendre la France, crurent à un sort dans la France, elles opposèrent libéralisme et colonialisme. Ce n’est qu’avec les guerres de libération nationale et l’industrialisation occidentale qu’arrivera le troisième temps de l’expérience indigène. La société indigène pénètrera plus avant dans le monde, contrairement aux élites cantonnées. Ce fut alors le tour des indigènes, qui n’avaient pas de place dans le marché colonial, d’être jetés dans le monde pour devenir les travailleurs émigrés et les soldats des guerres mondiales et de l’industrie métropolitaines. Ils découvrirent d’autres offres mondiales : le combat des peuples pour le droit à l’autodétermination, les luttes de libération nationale. Devenir une nation, disposer de son État comme les nations exemplaires. Vient le temps de la postcolonie : «comprendre» le monde, pour être compris dans le monde, mais comme se comprenaient les nations dominantes.

Les moments postcolonial et décolonial, de la pensée occidentale du monde à la pensée non occidentale du monde. Pendant toute la période postcoloniale, la pensée de la société algérienne, sera ballotée entre les pôles de la pensée occidentale sans pouvoir établir de centre de gravité, autrement dit, sans pouvoir se penser par elle-même autrement que par un centre occidental de pensée. Puis avec l’émergence du monde de l’Asie de l’Est, la pensée de cette région s’autonomise dans le cadre occidental, se substitue à celle occidentale et va jusqu’à « comprendre» la pensée occidentale : on assiste à l’amorce d’une inversion du rapport de compréhension entre la pensée du monde et la pensée occidentale. Après s’être logée dans la pensée occidentale, la pensée chinoise se met à « comprendre » la pensée occidentale. La pensée du monde par lui-même ne loge plus dans la pensée occidentale, elle la déborde, puis la renverse et la comprend comme une pensée du monde. La pensée non occidentale a trouvé des centres de gravité dans les sociétés non occidentales. La société extrême-orientale se pense dans le monde, le monde est pensé dans celle-ci. Sa pensée dispute désormais le monde à la pensée occidentale. Les États-Unis persistent à demeurer le centre de gravité de la pensée du monde, elles freinent l’effort de la pensée du monde à se donner d’autres centres de gravité. L’Inde cherche son centre de gravité entre la Chine, le monde musulman (que représente le Pakistan) et l’Occident, en s’efforçant de tenir ces trois mondes à distance. Un signe manifeste : une élite mondiale dispersée dans le monde. Les Émirats arabes unis s’efforcent d’accueillir le savoir-faire du monde, à l’image de Singapour, pour s’inscrire dans l’inversion du rapport de compréhension et se constituer en centre de gravité régional.

Il faut «comprendre» le monde pour pouvoir y faire sa place. Mais non pas comprendre le monde intellectuellement, assimiler la pensée qu’il a de lui-même, mais comprendre pratiquement, une pratique assimilant une autre pratique. De vouloir comprendre intellectuellement, mais pas pratiquement, à prendre une théorie qui circule et omettre une pratique qui ne circule pas, on échoue, on se perd dans l’intelligence que le monde donne de lui-même, on rate sa pratique : on imite et échoue, ou on finit par associer une théorie et SA pratique : on migre. C’est là le destin de beaucoup d’intellectuels au cours de la période postcoloniale. Le but de la pensée est de «comprendre» la pratique, de faire passer une pratique dans une autre pratique. Elle est un « pont » entre deux pratiques et apporte d’une pratique à une autre les moyens de se transformer. La théorie et la pratique se distinguent, se séparent, mais pour revenir l’une dans l’autre. Il n’y a pas de théorie décontextualisée, les pratiques circulent entre des contextes apparentés.

«Comprendre» le monde pour se «comprendre» autrement que l’on est compris, c’est s’autodéterminer, établir un rapport de réciprocité entre le compris et le comprenant. C’est le temps décolonial qui pointe. Car dans le monde comme dans la pensée, la place qui nous fut faite ne nous tenait plus, ne nous contentait plus. Nous «comprendre» dans le monde comme se comprenaient les nations dominantes fut décevant, n’alignait pas la théorie et la pratique. On se donnait les usines, mais pas les laboratoires. La place que nous désirions dans le monde comme tout autre, eut besoin alors d’un autre monde plus porté par nous-mêmes que par les autres. Penser un autre monde dans lequel on pourrait tenir, comme tout autre, avait besoin de la pensée d’un autre monde qui commençait à naître en nous et que l’on commençait à voir poindre hors du monde occidental. Car le monde que l’on comprend n’est jamais que notre monde qui va plus ou moins bien avec le monde comme il va. Tout se passe comme si chacun contenait sa société et son monde, « comprenait » plus ou moins bien la société et le monde réels et serait plus ou moins bien « compris » par eux.

La pensée chinoise. Penser autrement aujourd’hui, le monde nous propose principalement de penser à la manière chinoise, qui à notre différence, de par sa réussite, aligne théorie et pratique. Le Japon et la Corée du Sud comprennent le monde comme à la manière chinoise, mais toujours dans la compréhension occidentale du monde pour rester dans son orbite. Une pensée peut en habiter une autre, comme un parasite, s’y loger confortablement. En fait, elle a compris ce qu’elle habite, mais ne se risque pas à en sortir, de crainte de manquer de ressources.

Pourquoi le développement de l’économie de marché en Chine n’a pas conduit à la démocratie ? On oublie qu’en Chine le développement du marché n’a pas attendu le capitalisme (F. Braudel), qu’il n’est donc pas associé comme il l’est en Occident au libéralisme. Ensuite que sa réussite ne doit rien au modèle libéral. La pensée occidentale a habité la pensée chinoise et continue de le faire, celle-ci s’en est trouvée transformée, renouvelée jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de penser la pensée occidentale autrement que celle-ci ne se pense. Exemples manifestes, les concepts d’économie socialiste de marché, puis de socialisme aux caractéristiques chinoises. Revoilà le socialisme dans l’air du temps.

Se penser autrement que nous avons été pensés. Cela signifie aujourd’hui se repenser en passant par le détour d’une autre pensée que celle occidentale, par celui de la pensée chinoise, chausser les lunettes chinoises et chercher si l’on peut se reconnaitre, se différencier dans l’une et dans l’autre. C’est de la pensée occidentale épuisée et de la pensée chinoise ascendante, la pensée ascendante héritant de la pensée décadente, dans l’écart entre les deux lectures de nous-mêmes par les autres, dans l’écart de nos deux lectures des autres par nous-mêmes, que nous pourrions construire la pensée de nous-mêmes par nous-mêmes. Car il nous faudra vivre dans le monde en séparant la pensée de nous-mêmes par nous-mêmes de celle par autrui. Mais séparer n’est pas couper, la pensée de nous-mêmes par nous-mêmes restant intérieure à la pensée de nous-mêmes par autrui et la pensée de nous-mêmes par autrui restant intérieure à la pensée de nous-mêmes par nous-mêmes. La pensée est une, elle est seulement différenciée, c’est la condition de la communication et la réalité de celle d’aujourd’hui. Une certaine compréhension est nécessaire. Plus elle sera réciproque, plus l’harmonie sera grande. Une intersection, ce que nous comprenons de l’autre recoupant dans une certaine mesure ce qu’il comprend de nous, doit bien exister entre les différentes manières mondiales de penser qui puissent rendre possible leur coexistence.

Marché, volonté collective et stratégie publique.

Dissociation du commerce intérieur et du commerce extérieur. Dans les sociétés postcoloniales qui ont hérité de marchés extravertis, construire des marchés ayant leur propre dynamique – construction vitale pour toute société qui veut se penser comme telle, n’est pas une chose aisée. Que des producteurs et des consommateurs locaux, se fassent face, se répondent et soumettent leurs échanges avec le monde à leurs échanges n’est pas une donnée immédiate, une volonté commune qui va de soi. La colonisation ne les a pas prédisposées à cela, bien au contraire. Nous (individus) avons été prédisposés à commercer avec autrui, avant de commercer entre nous. C’est dans notre « commerce » que le commerce avec autrui fait notre cohésion lorsque notre commerce « comprend » le commerce d’autrui, ou notre désunion, lorsque le commerce d’autrui « comprend » notre commerce et que notre commerce ne « comprend » pas le commerce avec autrui.

La colonisation a détruit le commerce entre nous, nos marchés. Mais c’est bien de là qu’il faudra partir : d’une production domestique séparée, produire pour le monde avant de pouvoir décider que produire pour soi, puis séparer la production pour le monde et la production pour soi afin d’introduire progressivement le commerce avec le monde dans notre commerce de sorte qu’il améliore notre commerce, pour qu’en point de mire notre commerce devienne un commerce interne au monde développé, la production pour nous-mêmes une production pour le monde. Notre commerce dans le commerce du monde et le commerce du monde dans notre commerce, en fait, se complétant et se disputant le commerce mondial.

Dissociation de la société et de l’État. Qu’un tel marché national se constitue et « tourne » sur lui-même au sein du marché mondial, stabilise son centre de gravité, cela ne peut être le fait que d’une volonté stratégique délibérée. Une volonté se formulant dans une stratégie publique dans la continuité d’une volonté collective. Nous ne répèterons jamais assez que la séparation de l’État et de la société n’est ni universelle ni réelle, qu’elle ne caractérise ni les sociétés de classes ni les sociétés sans classes ou non capitalistes. L’État est toujours dans la société et la société dans l’État. Le fait qu’ils se confondent (la société c’est l’État) ou qu’ils se disjoignent (la société c’est le marché pas l’État) ne sont que des cas particuliers. Le rapport de l’État à la société, le rapport de l’intérêt général aux intérêts particuliers, est un rapport de composition, dans un cas particulier de transcendance. Il est de la composition de la classe dominante dans les sociétés de classes, de la composition d’autres collectifs dans les sociétés sans classes. Dans les dictatures, une définition indépendante de l’intérêt général par rapport aux intérêts particuliers condamnerait l’intérêt général à la dégénérescence. Car à vouloir dissocier ceux qui ne sont que deux aspects complémentaires de l’intérêt, on échoue à construire des marchés dynamiques.

Dissociation de la volonté collective et de la stratégie publique. Pour ce qui nous concerne, la dissociation de l’État et de la société prive la stratégie publique de la volonté collective. Pour le libéralisme, il n’y a que des individus séparés et un État, le marché devant seul faire figure de transformateur des volontés individuelles en volontés collectives, l’État ne fournissant que les services permettant une telle transformation. Avec la société de classes et le républicanisme, l’État est le représentant de la volonté générale, la société celui des intérêts privés. La volonté générale qui formule la politique publique, n’étant elle-même que la volonté collective produite par le marché politique des individus séparés sous idéologie libérale ou républicaine. L’individualisme du libéralisme et du républicanisme est donc, dans une société qui n’est pas celle des individus séparés, l’ennemi de la construction d’une volonté collective et d’une stratégie publique.

Dissociation de la production et de la consommation coloniale et postcoloniale. Des producteurs et des consommateurs qui restent l’un dans l’autre, continuent à se définir mutuellement après s’être différenciés, se complètent, se disputent le revenu, mais ne se laissent donc pas dissocier, se comprennent au deux sens du terme pour améliorer leur production et leur consommation, s’associent en vue de faire de leur production une production universelle, n’est pas une réalité postcoloniale. La réalité est que producteurs et consommateurs locaux ne sont plus l’un dans l’autre, ne se codéfinissent pas, ne se complètent pas, ne se développent pas afin que la production et la consommation locales disjointes reforment leur unité et trouve une place dans la production mondiale. Dans leur dispute autour du revenu, les consommateurs l’ont emporté sur les producteurs. L’intervention coloniale a rompu l’économie domestique, elle y a introduit le marché mondial de manière brutale et intempestive, elle a dispersé les producteurs locaux. Ils ne pouvaient plus produire leur consommation, les marchés cessaient d’être leur marché, s’y déversaient des marchandises qui n’étaient pas leurs marchandises alors que leurs marchandises n’y trouvaient pas place. Et cela jusqu’à stabiliser des préférences en faveur des marchandises étrangères. Nous avons désappris à aimer ce que nous faisons, nous avons appris à consommer étranger, nous nous sommes laissé prendre au jeu de la consommation ostentatoire. Jusqu’à quand préfèrerons-nous la production étrangère à notre propre production ? Jusqu’à ce que la chute de notre pouvoir d’achat nous fasse sentir qu’il dépend de notre production, de notre puissance productive ? Mais de quelle production pourrons-nous alors tenir pour construire notre économie ?

Les deux circuits de l’économie

L’unité des producteurs et des consommateurs. Le raisonnement effectué pour la production matérielle est valable pour celle immatérielle. Un marché du livre ouvert à tout vent en économie postcoloniale n’est pas un marché. Il n’a pas ses mécanismes indépendants, c’est un marché de producteurs et de consommateurs incohérent. Un marché qui ne distingue pas au départ production et consommation domestiques de la production et de la consommation mondiales ne peut pas se structurer et avoir une dynamique propre. Un marché domestique où production et consommation domestiques ont été désarticulées par une intervention extérieure brutale et intempestive est « ouvert à tout vent », est le marché des autres. Production et consommation domestiques ayant été disjointes, la consommation ne peut pas être une consommation productive, mais une consommation destructrice de production domestique. La première tâche stratégique d’une société postcoloniale est donc de redonner à son économie l’unité de ses producteurs et de ses consommateurs. Autrement dit, la société doit d’abord se fixer comme objectif stratégique la consommation de sa production, en usant et valorisant les ressources dont elle dispose, celles mondiales valorisant celles domestiques.

Le marché domestique et le secteur d’exportation. Le marché domestique ne peut pas être mis en rapport direct avec le marché mondial, mais en rapport stratégique. Il ne sera pas soumis à des importateurs qui ne soucient que de ce que la différence entre les systèmes de prix domestiques et mondiaux rend profitable. Le marché domestique doit être protégé des importations intempestives qui empêchent ses productions d’émerger, de se renouveler et de se développer dans la production mondiale. Il va importer ce qui profite à la progression de sa production de sorte à faire de sa production une production mondiale. C’est la seule façon de stabiliser sa consommation. Il ne pourra donc pas avoir comme objectif d’équilibrer lui-même ses rapports avec le marché mondial à qui il ne s’agirait pas de répondre. Il n’est pas à la hauteur de la compétition mondiale pour que sa production trouve sa place dans la production mondiale. Le marché domestique aura besoin d’un secteur d’exportation.

Le secteur d’exportation n’est pas le secteur de financement …. Le secteur des hydrocarbures comme comme secteur d’exportation est un mauvais secteur d’exportation de ce point de vue. Un secteur d’exportation vise d’abord à étendre ses exportations. Ce sera un bon secteur d’exportation si l’accroissement de sa production est aussi l’accroissement de la production domestique. Le pétrole qui financera les importations n’est pas la solution, parce qu’il offrira les ressources financières, mais n’offrira ni le savoir-faire à l’économie domestique, ni ne répondra à sa demande de savoir-faire. Le capital financier ne se convertit pas dans les autres formes de capitaux, ne les produit pas, il se les approprie et les convertit dans sa propre forme.

… mais des zones franches qui séparent l’économie domestique de l’économie mondiale et aident la première à comprendre la seconde. Le secteur des hydrocarbures doit financer des zones franches. La zone franche peut offrir les commodités et le capital financier à un propriétaire de savoir-faire afin qu’une demande de savoir-faire domestique puisse accéder à une offre mondiale de savoir-faire qu’elle s’incorporera. Car il s’agit d’un savoir-faire qu’il faut importer, d’une demande de savoir-faire domestique et d’une offre mondiale qu’il s’agit de mettre en rapport. Il faudra donc au départ deux secteurs, un secteur domestique et un secteur d’exportation, dans notre cas, un secteur de financement, des zones franches, un secteur domestique, mais un secteur domestique qui vise à s’incorporer les progrès et les normes des zones franches, à réduire la distance qui le sépare en matière de savoir-faire et à accroitre la part de sa production dans la production mondiale sans se déstructurer. Partant d’une production domestique incohérente et disjointe de la production mondiale il faut parvenir à une production domestique cohérente et efficiente au sein de la production mondiale par le biais d’un secteur d’exportation dont l’un de financement et l’autre de zones franches. En juxtaposant une économie domestique et une zone franche tel un « marché mondial domestiqué », on visera à élever la productivité de l’économie domestique et à mettre la production de celle-ci dans la production mondiale. Le secteur d’exportation offre au secteur domestique plus que des ressources financières. Il est un pont entre le marché domestique et le marché mondial, il sépare les deux marchés afin d’assurer au marché domestique une insertion efficiente dans le marché mondial. Un secteur de financement qui n’apporterait que les ressources financières, comme celui des hydrocarbures, à défaut de ne pouvoir séparer les deux marchés domestique et mondial, et d’assurer une insertion contrôlée du premier dans le second, soumettra le premier au second. Il n’y a pas de choix, une stratégie vise ou bien à établir une production domestique cohérente et régulée dans la production mondiale, autrement dit une production domestique centripète dans la production mondiale, ou bien la production mondiale dans une production domestique éclatée et dérégulée, autrement dit, une production domestique centrifuge. Dans un cas, on produit pour la société en produisant pour le monde, dans l’autre, pour le monde en produisant par, mais non pour la société.

L’étatisme dans tout ça. Le problème pour les sociétés postcoloniales c’est que l’étatisme qu’elles ont adopté, avec le modèle soviétique souvent, pour se soustraire de l’emprise d’un environnement international hostile et qui leur a donné l’occasion de se déconnecter du marché mondial, n’avait pas pour point de départ une séparation interne du marché domestique et du marché mondial dans l’objectif de réinsérer le premier dans le second à l’avantage du premier, mais une séparation externe qui devait permettre le développement indépendant du premier par rapport au second. Autrement dit, l’étatisme en isolant son marché domestique du marché mondial et donc en séparant les compétitions sociale et mondiale, avec une confusion de la production et de la consommation domestiques et donc un étouffement de la compétition sociale, empêchera ainsi une différenciation vertueuse de la production et de la consommation et la formation de collectifs compétitifs. La défaite de l’Union soviétique renvoie à son écrasement de la compétition des opposés complémentaires que sont les valeurs de liberté et d’autorité.

L’impossible dissociation des compétitions locale et mondiale. Marché mondial, compétition mondiale et marché domestique, compétition sociale ne peuvent pas être durablement séparés, ils finissent par s’interpénétrer, former une bonne ou une mauvaise coopétition. L’un finira toujours par aller dans l’autre, avec pour enjeu la capacité de l’élite à conduire la société dans la compétition mondiale. L’étatisme doit donc être associé à l’incapacité de l’élite à conduire une telle compétition. La séparation des deux marchés pose donc le problème suivant : de quelle manière retrouveront-ils leur unité ? La séparation et la non-insertion, ou l’insertion non pertinente, de la compétition sociale dans la compétition mondiale ne peut qu’affaiblir la compétitivité sociale. La séparation qui règle l’ouverture et la fermeture du marché domestique doit être motivée par la disposition et la capacité de la compétition domestique à prendre part à la compétition mondiale. Une société souveraine choisit ses compétitions, certaines sont bonnes à prendre, améliorent sa compétitivité, d’autres épuisent ses ressources.

Marché mondial domestiqué ou secteur domestique extraverti. La société ne peut pas vivre sans consommer, mais elle peut consommer ce qu’elle ne produit pas, ce qu’elle ne renouvèle pas. Les richesses naturelles permettront à la société postcoloniale de faire certains choix de consommation sans produire elle-même sa consommation. Elle ne sera pas contrainte d’attacher sa consommation à sa production renouvelable. Dans les sociétés postcoloniales, production et consommation domestiques seront disjointes et asservies au marché mondial. Le secteur d’exportation, ne sera pas le marché mondial dans le marché domestique importateur de savoir-faire et le marché domestique exportateur de valeur ajoutée dans le marché mondial, les échanges deux marchés ne permettront pas une bonne insertion du marché domestique dans le marché mondial, celui-ci ne constituera pas un « marché mondial domestiqué », il sera un secteur indépendant de l’économie domestique, asservi par le marché mondial, un « secteur domestique extraverti». Le financement qu’il apportera servira la consommation de la production étrangère. Le marché domestique sera un marché déterminé par le marché mondial, accordant la demande des classes moyennes et supérieures à une offre mondiale. Quand je parle de marché, je n’oublie donc pas le marché des invisibles, du savoir-faire. Car c’est cela qu’accumule vraiment une société et qui justifie l’existence des deux circuits interne et externe de l’économie.

Livre cherche client. Il en est de même pour le marché du livre. Les producteurs seront d’abord des producteurs séparés, les uns subissant l’épreuve du marché extérieur, les autres celui marché intérieur. Mais il n’y aura de véritable marché du livre que quand ils pourront être l’un dans l’autre, que quand les apports des uns contribueront aux apports des autres, que quand les producteurs pourront défendre leur production domestique dans le marché mondial et qu’ils pourront affronter la compétition mondiale. Car il s’agit d’être en mesure de s’approprier ce qu’il convient du monde. En attendant, ils s’attacheront à des publics, des consommateurs distincts, desquels ils pourraient anticiper les demandes. Ils produiront des offres et des demandes. Une offre qui ne contient pas une demande n’a pas d’avenir, une demande en germe que l’offre pousse à se développer. Le constat que nous pouvons dresser est le suivant : les producteurs n’identifient pas clairement leur public. Leur offre ne vise pas une demande. Ils cherchent leur public les yeux fermés ou sont leur propre public. Offre et demande ont du mal à se différencier. Le deuxième temps est comme celui de la fécondation d’un marché par un autre. Un marché qui ne s’élargit pas, stagne puis se dégrade. De deux consommateurs, de deux lecteurs distincts, il faut aller vers un lecteur universel qui s’entretient des deux lecteurs. Une offre domestique pour une offre mondiale, sans que les deux marchés ne disparaissent complètement, sans que le lecteur singulier ne disparaisse derrière le lecteur universel.

Production culturelle et appareils idéologiques d’État

Apprendre de soi et apprendre des autres ne peut aller l’un sans l’autre pour le développement de soi et des marchés. Ce que nous apprenons des autres augmentant ce que nous apprenons de nous-mêmes. Ainsi va l’accumulation.

Nous pensons avec nos maîtres donc nous sommes. Savoir se conduire passe par penser par soi-même, savoir revenir sur sa conduite. C’est la seule manière de mettre en cohérence nos pratiques et nos intentions, mais savoir se conduire sans suivre un maître, égare. Nous avons refusé de nous donner des maîtres à penser, nous nous sommes ainsi refusé d’expérimenter et d’enfanter ceux qui nous permettront de penser le monde. Se penser passe donc par disposer de maîtres à penser (on dit à l’université des maîtres habilités à diriger des recherches). Une conduite pensée par des maîtres qui ne pensent pas avec nous garantit peu de choses de nos pratiques. Nos pensées doivent être dans nos pratiques et inversement. Un maître ne se conçoit que pour conduire au-delà de son enseignement. Les circonstances ne nous permettant pas de rester dans son ombre. Lorsque l’imitation nous dispense de penser par nous-mêmes, nous ne disposons que d’une existence empruntée qui aura pour vocation de chasser une existence propre en mesure d’assimiler une telle existence empruntée. L’enseignement d’un maître que nous n’aurions pas assimilé nous laisserait désemparés. Nous aurions emprunté pour nous « endetter », emprunter toujours davantage, et non innover. Nous existons pour et par les autres de manière dépendante. Le « je pense donc je suis » de Descartes a ici une pertinence particulière. Encore faudrait-il plutôt dire, « nous pensons donc nous sommes ». Sans consommateurs et producteurs qui se « comprennent » et différencient leurs offres et demandes, pensent la manière qui leur permettrait d’améliorer leur condition globale et particulière en déterminant leur marché mondial dans le marché mondial, il ne se formera pas de marché.

Un marché mondial préfiguré dans le marché domestique. Configurer le marché mondial dans lequel on évoluera, voilà ce que signifie exister pour le marché domestique dans le marché mondial. Un marché mondial que nous ne sommes pas prédisposés à accueillir ne formera pas un marché domestique. Savoir se conduire dans le marché mondial signifie connaitre sa destination, le marché que l’on veut y former, et faire sien les moyens d’y parvenir, c’est savoir ce que l’on va et veut y devenir. Le marché mondial dans lequel nous voulons évoluer doit déjà être préfiguré dans le marché domestique.

Le quatrième pouvoir, la guerre et les appareils idéologiques d’État. La guerre en Palestine et en Ukraine, a révélé à ceux qui l’avaient oublié, que les médias sont des appareils idéologiques d’État qui visent à diffuser une idéologie commune au centre de laquelle la distinction de l’ami et de l’ennemi est centrale, ils visent donc à mobiliser pour engager une guerre ou s’en protéger. La guerre tend les rapports entre les différents pouvoirs, pouvoir exécutif, législatif, judiciaire et médiatique. Elle tend à resserrer ou à rompre leur complémentarité. Le pouvoir politique et militaire ayant alors tendance à commander aux autres pouvoirs, les autres pouvoirs à s’aligner ou se disjoindre. On a renoncé à cette appellation marxiste pour celui de « quatrième pouvoir ». Quatrième pouvoir que l’on dit indépendant, en oubliant d’ajouter dans la dépendance aux autres pouvoirs. Les temps de paix révèlent le libre jeu des pouvoirs, leur compétition, les temps de guerre, leur coopération. En vérité, les interactions de ce pouvoir avec les autres doivent toujours être complémentaires, même quand elles sont discordantes. Quand elles ne sont plus complémentaires, la guerre civile menace.

Le marché mondial des idées et la liberté de penser. Quand ce quatrième pouvoir échappe dans une société aux autres pouvoirs, parce que soumis à un marché des idées mondial, parce que travaillé par des appareils idéologiques étrangers plus puissants, la demande culturelle domestique s’adressant plus à l’offre de ces appareils qu’à celle des appareils de la société, la complémentarité des pouvoirs est menacée. La guerre a aussi montré que les appareils scientifiques sont de pointus appareils idéologiques, ils servent aussi, comme la géographie[9], à faire la guerre, ils servent à recruter des alliés, à combattre des ennemis. L’autonomie scientifique n’existe pas en dehors de la dépendance aux autres pouvoirs. Lorsque la complémentarité et la compétition des pouvoirs ne vont plus ensemble, que le pouvoir médiatique s’inscrit en rupture des autres pouvoirs, la liberté de penser devient liberté de penser contre les autres pouvoirs, la liberté de penser ne peut plus être la règle, mais l’exception. Sauf tentation totalitaire, à vouloir soumettre les autres pouvoirs au pouvoir idéologique. Le revers de la médaille c’est qu’alors la société privée de la liberté de penser ne peut se penser et penser le monde par elle-même. La liberté négative de penser en rupture des autres pouvoirs prive alors la société du pouvoir de se penser par elle-même. La liberté positive de penser se réalisera donc comme compétition dans la complémentarité des pouvoirs. Cette compétition complémentaire est lisible dans le rapport des élites entre elles. On peut même dire que l’élite qui conduit ou est en mesure de conduire une telle compétition complémentaire est celle qui passe le mieux d’un pouvoir à un autre. De ce point de vue, il faut être prévenu contre les propensions de l’élite financière à s’émanciper des autres pouvoirs et à leur commander.

Pas de valeur ajoutée domestique, pas de production culturelle spécifique. La production culturelle domestique est dans le même rapport que la production matérielle domestique vis-à-vis de la production mondiale. Seulement, elle n’est pas entièrement visible. Si c’est la production mondiale qui nourrit la consommation domestique, la consommation productive domestique est un sous-produit de la production mondiale. Si la consommation domestique qui se nourrit de la production mondiale est une consommation productrice de valeur ajoutée mondiale, la production est une production domestique parce qu’elle est une production mondiale. Parce qu’une production domestique n’existe vraiment que si elle prend part à une production mondiale. Cela est particulièrement vrai pour la production idéologique qui passe les frontières. En termes de valeur ajoutée, on se demandera : dans quelle direction va la valeur ajoutée mondiale dans laquelle inscrire la valeur ajoutée domestique, étant donné la double inversion qui caractérise le cours mondial des choses.

La production culturelle domestique doit elle aussi obéir à la séparation du marché domestique et du marché mondial, à la politique des deux circuits. Le marché mondial étant mis à contribution pour une meilleure insertion, équilibrée ou favorable, de la production domestique dans la production mondiale. La séparation doit être pensée dans l’intégration. Un marché culturel fiable se distinguant, mais s’inscrivant et se réalisant dans le marché mondial.

Le livre, son circuit économique et l’autodétermination

La société dans le livre. Le marché de l’écrit est au cœur de la production culturelle. Dans notre pays, il peut se résumer à une politique du livre scolaire. Qu’il s’agisse du livre en général ou du livre scolaire, nous sommes en présence d’une offre qui n’arrive pas à créer une demande en mesure de la relancer. Offre et demande ne sont pas l’une dans l’autre, elles ne peuvent pas se relancer. Elles sont pensées de manière distincte, avec une offre se voulant déterminante. L’offre finit par se dévitaliser et la demande se disperser. Pour le livre scolaire, ce n’est pas une simple équipe d’inspecteurs qu’il faut mettre autour de sa confection, mais tout un monde de producteurs amateurs et professionnels qui pense à ce qu’il faudrait transmettre aux élèves, comme si toute la société s’appliquait dans la production d’un tel livre, se projetait dans l’avenir de ces apprentis. Il faut se représenter la situation comme celle de sociétés se projetant dans l’avenir du monde : quel avenir pour cette région dans ce pays et dans le monde.

Des parents et des enseignants dans le livre… Le marché domestique du livre encadré par le haut, tel le livre scolaire, doit démarrer du bas. C’est à la demande des plus modestes qu’il faut s’intéresser pour établir un marché domestique, c’est à ce que les parents et les enseignants peuvent offrir aux enfants qu’il faut d’abord s’intéresser. À des enfants, et non des pâtes à modeler, que l’on prend au monde et que l’on rendra au monde. Les parents d’abord, car la lecture doit démarrer avec la lecture des parents, lisant des histoires aux enfants préscolaires. Première inscription dans le monde. Des parents qui lisent pour eux-mêmes, mais pas pour leurs enfants, auront des enfants qui ne liront pas. Que faire lire par les parents aux enfants qui entrent dans la vie, qui leur donneront envie de s’approprier le monde, de l’apprivoiser, lire quand ils auront appris à lire ? Il faut reprendre et travailler les histoires du monde et de nos grands-mères. Des histoires pour partager des inquiétudes, des ambitions. Il faudrait pour cela des parents qui pensent ensemble et qui ont des choses à partager avec ceux qui leur succèderont. Viendra ensuite le tour des maîtres d’école, quels livres liront et feront lire les maîtres d’école aux enfants à l’école ? Des enseignants qui ne lisent pas et ne font pas lire, ce sont des élèves qui ne liront pas. Des enseignants qui pensent ensemble eux aussi, qui ont à l’esprit ce qui attend leurs élèves. Les sciences ne sont que des outils. Le marché du livre commence avec ce que lisent et font lire les parents et les enseignants. Cela ne se fera pas seul, il faut avoir les intentions et les volontés collectives et publiques de construire un marché du livre. Car un marché du livre suppose une société.

Que faire lire donc par les parents et les enseignants, cela ne peut être laissé au hasard d’un marché des productions individuelles. C’est de productions collectives qu’il s’agit, il faut mettre en face de chaque public comme une multitude de producteurs. Une telle production ne peut être l’affaire de producteurs individuels comme si le marché, leur production et leur public, existait déjà. C’est donc d’assemblées de producteurs qui se dédient à un programme qu’il faut penser. L’État qui ne peut favoriser l’éclosion et l’institution de telles assemblées n’est pas à la hauteur de sa mission. Il en aura la compétence s’il fait partager à chacun le principe selon lequel la plus grande compétition est recherchée si elle s’envisage toujours dans la complémentarité, dans la réalisation d’un objectif commun.

… qui racontent des enfants dans le monde. Mais quels livres produire ? En entrant dans la vie, les enfants sont jetés dans le monde. Il faut leur donner le monde, le bon rapport au monde, comment nous pouvons, nous voulons y être, en observant comment les autres y sont. On peut parler de soi à travers les autres, on peut se chercher à travers les autres. Quand nous partons à l’étranger, nous arrivons en terre inconnue, nous ne savons pas qu’y chercher et qu’y trouver. Cela est-il normal ? Nous laissons chacun faire ses recherches, qu’il abandonne par impuissance pour imiter ou rejeter ce qu’il peut. Que pourra-t-il proposer au monde, ne comprenant pas et n’étant pas compris ?

Une culture s’hérite et se fabrique tout à la fois. Il faut emmener nos enfants se promener dans le monde, il faut le leur rendre familier. Mais ils doivent pouvoir rentrer chez eux. Il faut se répéter que c’est au travers d’autrui que l’on se reconnait, que l’on reconnait sa différence. Une culture ne s’hérite pas essentiellement, elle se fabrique. Elle s’hérite et se fabrique tout à la fois. Elle ne peut s’hériter que dans ce qu’elle fabrique. Nous sommes dans ce que nous faisons. Il faut leur apprendre à faire ensemble, à s’approprier le monde ensemble. Notre « background culturel » ne saurait se comparer à celui européen ou chinois, mais ce n’est pas pour autant que nous sommes sans fond et sans jugement quant à ce qui nous est avantageux. Notre passé nous fabrique depuis des siècles, nous ne tombons pas du ciel, il nous tient. Même absent de notre conscience, il est profondément inscrit dans notre être qui n’a pas traversé les siècles impunément. Il est ainsi inscrit dans nos langues, dans notre proximité à la nature, il est comme dans nos instincts. Il est un chemin que nous pouvons prendre et qui ne nous égarera pas, au contraire des chemins qui ne sont pas les nôtres. Il est dans ce que nous partageons, avec qui nous pouvons partager. C’est de la comparaison immédiate aux autres que nous nous croyons sans fond, sans capacité. Nous sommes dans ce que nous faisons avant d’être dans ce que nous avons été. Ce qui a été en nous et dure est toujours en nous. Ce qui doit mourir pour que nous continuions à vivre mourra. Nous sommes ce qui dure en nous et nous raffermit. Il faut se faire confiance, ce que nous sommes se révèlera dans nos meilleures fabrications. Il faut pour cela, être en mesure de faire son chemin parmi autrui, de reconnaitre au sein de notre commune humanité nos différentes destinées en dépit ou compte tenu de nos différentes oppositions et trajectoires. Force est de constater que nous n’armons pas nos enfants et leur société pour se frayer un chemin dans le monde, y faire leur place. On ne peut se penser sans se penser dans autrui. Autrui est et sera en nous, nous sommes et nous serons en lui. Comment, dans quel rapport ? Voilà la question qui compte. Comment puis-je exister (ex-ister) ici et là, est une question qui se pose à tout vivant, à tout humain. Je viens au monde parmi d’autres, je dois vivre, produire et consommer, parmi d’autres. Ceux qui veulent se penser indépendamment des autres, se définir à priori, prétendent se connaitre sans connaitre autrui, finissent par se mettre hors du monde et se scléroser.

La vie dans l’école. La vie est en train de quitter l’école, les institutions. L’éducation a été abandonnée à l’école, l’école a été vendue à l’emploi. Les cours particuliers, qui semblent être la panacée pour beaucoup, ne changeront pas grand-chose à l’affaire. C’est d’un plus grand engagement de la société, des parents et des maîtres d’école, dans l’éducation des enfants qu’est la solution. Confier l’éducation à des travailleurs de la Science est une mauvaise affaire, ils la vident de la responsabilité, de la vie. Cette éducation disjoint les générations, fabrique l’inflation des diplômes.

Pour leur apprendre à lire, les parents doivent raconter des histoires à leurs enfants. Ils doivent les fabriquer, comme les fabriquaient nos grand-mères. Nous avons refusé d’être à l’école de nos grands-mères. Elles sont les ancêtres de nos producteurs culturels. La vie a un rapport avec l’imagination, les mythes, l’enfant doit apprendre à se situer dans le monde, à avoir peur, à désirer, à imaginer, à penser. Les mythes servent à penser, ceux qui servent à réciter se dessèchent. Les sciences sont des outils. Les histoires de nos grands-mères avaient leurs effets, elles ne se préoccupaient pas de la vérité, mais de la bonne conduite de la nouvelle génération. La Vérité avec un grand V ne peut pas être objectivée, elle n’est pas quelque part que l’on pourrait dévoiler, les vérités qui nous permettent de bien faire par contre sont à notre portée, l’expérience peut en juger. À combien de « mensonges », enfants, les aînés avaient dû croire pendant leur éducation, pour qu’ils adoptent une conduite convenable, pour leur éviter des disputes familiales et fratricides. On se mentait à bon escient, pour bien faire. Ce qui comptait dans une vérité c’est ce qu’elle faisait faire. Avec les légendes, on leur donnait une matière à ruminer, une nourriture pour leur imagination. Les légendes ne décervèlent pas quand on les dispense pour apprendre à imaginer, à penser. Quand ce n’est pas le cas, la vie les abandonne. Les enfants ont besoin d’avoir prise sur le monde, ils ont besoin d’histoires pour enfants pour leur première prise sur le monde. Un monde merveilleux et dangereux.

L’école et l’imagination. Les maîtres d’école doivent fabriquer d’autres histoires, ils doivent susciter de l’imagination. À chacune de ses étapes, l’éducation se fixera comme objectif de donner à l’individu le sentiment qu’il est en bonne prise avec le monde. La rationalisation ne suffit pas pour assurer une bonne prise. Les objectifs de l’éducation ne sont pas de faire de l’individu un individu rationnel sans en faire un individu collectif. L’éducation doit faire partager des sentiments collectifs, un imaginaire collectif, sur lesquels se dégagera une pensée collective en prise sur le monde. Comment autrement la société pourrait-elle entrer en résonance ? Pour l’heure, seuls des évènements majeurs lui permettent d’entrer en résonance. Pour le reste, chacun pour soi. Il faut remettre l’Histoire au centre de l’éducation, penser notre histoire et celle du monde. Comment pourrions-nous sans cela raconter de bonnes histoires à nos enfants ? Comment lire des textes, si nous ne pouvons pas les recontextualiser ?

On a séparé l’école de la vie, la théorie de la pratique, en croyant qu’on pourrait les réunir en fin de parcours. Pourquoi a-t-on échoué à les réunir à nouveau, pourquoi a-t-on distribué des diplômes, mais pas des qualifications ? Pourquoi ne veut-on pas répondre à la question ? Les intérêts de la société ne sont pas dans ceux de l’élite et les intérêts de l’élite ne sont pas dans ceux de la société, les diplômes sans les qualifications ne sont pas pour tous.

Le texte et sa lecture. Nous nous sommes empressés d’ouvrir des universités pour ne pas autoriser de liberté académique, pourquoi ? Nous nous sommes empressés de former des étudiants par des étudiants, pourquoi ? Quand j’ai commencé à enseigner au centre universitaire de Sétif, j’ai été confronté comme francisant à une arabisation de l’enseignement. J’ai donc enseigné le module de terminologie économique. Dans cet enseignement, j’ai été confronté à la question pourquoi la lecture d’un texte donne-t-elle lieu à plusieurs lectures ? J’en suis vite arrivé à deux conclusions. La première et la plus tardive, c’est que du côté de l’enseignant, l’on ne savait pas recontextualiser des textes décontextualisés. Entre l’étudiant et un texte d’Adam Smith, il y a toute une histoire. La seconde, que je retiendrai ici, c’est qu’entre un étudiant en langue arabe et un texte en langue française, il y a la langue française que l’on ne savait pas lire. Passer d’une langue à une autre, c’est passer d’un mode de penser à un autre. Je me rappelais alors la devise de mon enseignant de collège qui marqua ma formation : la grammaire est la science des ânes. Je ne m’intéressais qu’aux idées, je n’avais pas appris que la langue structurait la pensée. J’aurai davantage aimé les langues pour passer d’un mode de penser à un autre. Bref, j’abrège pour en venir à ma conclusion finale d’alors, que si à la sortie de l’université, je m’en étais retourné au collège au lieu d’enseigner à l’université, pour réfléchir sur la base de ma formation et celle de mes élèves, je leur aurai transmis moins de défauts et nous n’en serions pas arrivés au point où nous sommes : des cadres qui n’encadrent pas de travailleurs qualifiés d’un côté, des Algériens contraints de penser dans une langue étrangère d’un autre côté.

Penser dans nos langues parlées. J’ai appris à penser dans la langue française, je me suis efforcé de penser dans celle arabe, mais je n’ai pas appris à penser dans ma langue maternelle. Beaucoup souffre de ne pas apprendre dans leur langue maternelle, ils en sont handicapés. Mais plus important, travailler les langues parlées, les enrichir des outils des langues écrites, c’est se travailler soi-même, ne pas s’ignorer, c’est apprendre à se penser dans l’Histoire. Penser dans des langues étrangères, c’est faire penser quelqu’un d’autre à travers nous qui pensera toujours mieux que nous puisqu’en meilleure possession des ressources de la langue. Penser dans nos langues parlées, c’est remettre les pieds sur terre, c’est disposer de ressources propres et les développer, c’est partager des ressources et développer un sens commun. C’est cela aussi l’indépendance. Penser par soi-même, cela nous augmente, c’est remettre de la joie dans l’école. Ceux qui doutent de l’intérêt du travail de la langue comme travail sur soi peuvent aller voir comment la langue chinoise fait autrement penser que celles qu’ils pratiquent. On n’accumule pas pour soi dans une langue étrangère, on se sépare de sa société, de sa langue parlée, de son sens commun.

En guise de Conclusion. Sur le marché les producteurs et les consommateurs se présentent séparés. Ils sont en fait compris dans producteurs et des consommateurs collectifs desquels ils dépendent. Les marchés postcoloniaux dépendent de producteurs et de consommateurs collectifs étrangers. Les économies postcoloniales ne disposent pas de producteurs et de consommateurs collectifs. Les économies émergentes ont des producteurs collectifs qui ont choisi leur insertion dans des collectifs mondiaux. Au centre du marché de l’éducation se trouve celui du livre. Dans le marché mondial des idées, le marché postcolonial de l’éducation ne fait pas sa place. Il n’a pas constitué un marché du livre qui en serait comme le centre de gravité. Un marché du livre qui exprimerait la pensée de la société d’elle-même sur elle-même dans le monde. La société dans sa pensée postcoloniale aurait comme cassé son miroir, elle se regarde encore dans la production et la langue des autres. La pensée décoloniale, qui se comprendrait dans la pensée du monde, comprendrait la pensée occidentale et la pensée chinoise, est en cours de gestation.


Notes

[1] La définition de l’offre et de la demande suppose toujours l’existence du marché dans la définition de la science économique standard. Ce qui fait prendre le contexte capitaliste comme le contexte en général. L’offre et la demande ne sont pas séparables de la formation du marché, ils se forment en même temps. Et c’est la différenciation de l’offre et de la demande qui constitue la dynamique du marché. Une fois supposée l’existence du marché, on parle de différenciation du produit offert, même si n’est pas retenue celle de la demande, elle est implicite.

[2] Là aussi, la dichotomie plan et marché est toxique. Le plan et le marché s’excluent, se substituent l’un à l’autre ou se complètent selon les circonstances. Ils sont l’un dans l’autre. L’exclusion est un cas particulier. Comme dans le cas de la monopolisation et de la compétition.

[3] L’actualité mondiale vient nous le rappeler. L’Occident peut reprocher à l’Allemagne d’avoir trop fait confiance à la Russie. La rivalité Chine-Occident pousse au découplage de leurs économies.

[4] C’est un peu l’objectif des politiques de découplage des économies chinoise et occidentales ou des stratégies de « de-risking », de sécurisation des chaines de production, de relocalisation en faveur des pays amis (« friendshoring »).

[5] On aura remarqué que ma définition du marché est large, elle est celle du sens commun ici et celle des économistes là. Il est marchand et non marchand. Un « marché » entre deux ou plusieurs personnes, entre les membres d’un collectif de producteurs et de travailleurs peut être « passé » sans transaction monétaire.

[6] Comprendre sera utilisé dans sa polysémie, à comprendre selon le contexte, la phrase. Il est utilisé ici d’abord au sens mathématique et physique de préhension, de prendre avec.

[7] Douze fois, le piège a débouché sur la guerre. Quatre fois seulement, celle-ci a été évitée selon Graham Allison, in Vers la guerre • L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide? ; Éditeur, ‎Odile Jacob 2019.

[8] L’on peut ainsi définir le maître à penser, notion que l’on a utilisé précédemment, comme centre à penser.

[9] Yves Lacoste. La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. La Découverte. 1976, 2014.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *