Piraterie en mer Rouge : nouveau modus operandi

    Dimanche 19 novembre 2023 au large de la Mer Rouge, un hélicoptère Mi-17 aux couleurs du Yémen et de la Palestine se pose sur le pont du Galaxy Leader. Une dizaine d’hommes armés de fusils d’assaut en jaillissent et s’emparent du navire sous l’objectif d’une caméra embarquée ! Le Galaxy Leader qui naviguait, son AIS éteint, a croisé la route du Behsad, un navire iranien, quelques heures plus tôt..« Toutes les communications ont ensuite été perdues avec le navire ». Les rebelles yéménites rejoints par six petites embarcations ont convoyé le navire vers le port d’Al-Salif, à Al-Hodeïda (Yémen).

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Le porte-parole militaire des Houthis (branche chïte de l’Islam qui représente près 40 % de la population yéménite), Yahya Saree, a revendiqué l’action sur X : «  Avec l’aide de Dieu tout puissant, les forces navales de l’armée ont mené une opération militaire en mer Rouge, dont le résultat est la saisie d’un navire israélien et son transfert vers un port yéménite  ». Le Galaxy Leader exploité par une société japonaise ferait partie de la flotte de la société Galaxy Maritime Ltd enregistrée sur l’île de Man propriété de l’homme d’affaires israélien Abraham Rami Ungar. Aucun des 25 membres de l’équipage porté sur le rôle des équipages n’a la nationalité Israélienne.

Le Galaxy Leader avait quitté Korfez (Turquie) et franchi le canal de Suez à destination de Pipava (Indes). Le Canal de Suez long de 190 km emprunté par plus de 20 000 navires chaque année assure le transit de 100.000 millions de tonnes de fret (8 % du commerce mondial) et est source de revenus pour l’Égypte (7 millions USD par jour). Selon Ahmed Mosibly, les Houthis qui affrontent les anciens loyalistes soutenus par l’Arabie saoudite cherchent à : « se rendre maîtres d’une des voies commerciales internationales pour asphyxier les pays arabes afin de renforcer leurs positions lors des négociations avec l’Arabie saoudite. (…) Depuis septembre dernier, c’est-à-dire avant l’attaque surprise du Hamas contre Israël, les deux parties semblaient proches d’un accord pour mettre fin aux hostilités et consolider leur présence internationale ». Les Houthis soutenus par l’Iran, le Hamas et le Hezbollah libanais se sont emparés de la capitale Sanaa en 2014 et du port d’Al-Hodeïda situé dans le détroit de Bab El Mandeb.

La piraterie maritime mauresque, proche de la razzia, revêt un caractère culturel. Au XV° siècle la piraterie en mer Méditerranée est endémique au large de Tripoli, Sidi-Bou-Saïd (Tunis) et Alger avec la bienveillance du pacha ottoman. Le navire qui refuse de s’acquitter d’une somme élevée est dépossédé de sa cargaison et les personnes sont vendues comme esclaves. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, les Anglais qui disposent d’une marine de guerre importante vont accepter de payer une rente au dey d’Alger ! Le trafic maritime entre la France et le Maghreb se tarie et les beys ne perçoivent plus les taxes.

A la fin du XVIII° siècle les États-Unis n’acceptent plus la mise à mal du commerce maritime en Méditerranée. Le président Thomas Jefferson, après avoir écouté l’envoyé du pacha de Tripoli venu en mission à Londres en 1785 dire : « que ceux qui refusaient de payer tribut pour transiter en Méditerranée faisaient offense aux pachas riverains, et que le djihad maritime était dans ce cas prescrit par le Coran ». Six ans plus tard le pacha de Tripoli déclarait la « guerre pirate » et les attaques barbaresques allaient se multiplier en Méditerranée. Après la capture de la frégate Philadelphia dans les eaux tripoliennes, Thomas Jefferson organise une première expédition contre les pirates. L’escadre bombarde Alger et Tripoli, reprend sa frégate et libère tous les otages. L’activité des pirates barbaresques en Méditerranée prendra fin avec la colonisation française en 1830.

La piraterie dans le golfe arabo-persique dirigée contre les navires de la Compagnie des Indes orientales resta longtemps une activité localisée entre le Qatar et Oman dans une zone appelée « Côte des pirates » (Pirate vient du grec Pirata « qui recherche la fortune »). Ce trait côtier devint « Côte de la trêve  » en 1853 après la signature du traité de « Paix perpétuelle » entre l’Angleterre et les petits États arabes.

Le modus operandi par hélicoptère est une première (le Mi-17 est l’appareil le plus vendu dans le monde). Le Galaxy Leader mesure 189 m de long, 32 mètres de large et présente une muraille de 20 mètres de haut difficile à escalader avec une échelle à crochets. Jusqu’alors les pirates utilisaient des skiffs (petites embarcations traditionnelles sur-motorisées) à partir d’un navire-mère leur permettant de lancer l’attaque à plusieurs centaines de milles au large afin de prendre le contrôle d’un navire dans une zone éloignée. Le phénomène a commencé à prendre de l’ampleur dans cette région au cours du nouveau millénaire ; une quarantaine de cas et 240 membres d’équipage capturés pour 111 attaques recensées par le Centre anti-piraterie du Bureau Maritime International (2008).

Dimanche 26 novembre 2023, deux embarcations avec à leur bord huit individus en uniforme s’emparaient du Central Park, un cargo britannique battant le pavillon du Liberia, propriété de la famille israélienne Ofer. Après avoir lancé une alerte, l’équipage s’était réfugié dans une pièce (safe room) dont les pirates ont tenté d’en forcer la porte, en vain. L’USS Mason arrivé sur zone a tiré plusieurs tirs de semonce avant de capturer les pirates. Aucun des navires chinois présents n’a réagi à l’attaque…

Le droit de la mer définit les eaux territoriales qui s’étendent jusqu’à 12 milles marins à partir d’une ligne de base longeant les côtes, la zone économique jusqu’à 200 milles, et au-delà les eaux internationales. La Convention de 1958 prévoit l’observation de droits fondamentaux pour tous les États du globe en haute mer :«  1. La liberté de la navigation 2. La liberté de la pêche 3. La liberté d’y poser des câbles et des pipe-lines sous-marins 4. La liberté de la survoler  ». Tout navire immatriculé reste soumis à la souveraineté de son État d’immatriculation et peut librement naviguer en haute-mer.

Le fait qu’un navire pirate soit dans les eaux internationales, celui-ci ne devrait être soumis qu’aux autorités de l’État dont il bat le pavillon et s’oppose à l’autorité autre que celle du pavillon sur le navire croisant en haute-mer. Les navires pirates n’ont pas toujours de pavillon. Lorsque c’est le cas, le pavillon est un pavillon de complaisance (flag of convenience) ou un pavillon en libre immatriculation (flag of open registry). Cela laisse à penser que l’État dont le navire pirate bat pavillon s’abstiendra d’intervenir en cas d’acte malveillant. Les navires de guerre de tous les États ont compétence pour réprimer tout acte de nature criminelle : piraterie – trafic d’armes – terrorisme – pollution volontaire – immersion non autorisée en haute-mer. Les petits États peuvent demander à pouvoir bénéficier le droit d’arborer le pavillon d’une grande puissance maritime à titre temporaire. La France qui fut à l’initiative du protocole de contrôle naval volontaire (2001) avec l’échange d’informations entre les gouvernements et les armateurs couvrant une zone s’étendant de la mer Rouge à la mer de Chine offre cette possibilité. Quelques heures suffisent à effectuer, temporairement, ce changement de pavillon.

Au mois de novembre 2007 le Congrès américain a autorisé le State departement à délivrer des « lettres de marque » à des sociétés militaires privées spécialisées dans les opérations maritimes. Pistris Incorporeted, principal bénéficiaire, a armé deux navires, reliés aux satellites d’observation avec un équipage d’une cinquantaine d’hommes, et chacun doté d’un hélicoptère. The envoy Expeditionnary Service a publié des appels à candidatures à destination des anciens des forces spéciales des pays membres de l’OTAN. Le référentiel stipulait : « L’objectif sera d’identifier, repousser et d’attaquer les navires présentant une menace et les criminels à leur bord. (…) Les candidats pourront être amenés à utiliser M 249, carabine M 4, Glock 9 mm, calibre 40, AK 47 et Remington 870 Shotgun ».

La piraterie ne se déroule pas uniquement en haute-mer. Lorsque des vedettes tentent d’attaquer un navire croisant dans des eaux territoriales, le navire attaqué ne pourra être secouru que par un navire de l’État côtier. Malheureusement, certains États côtiers ont démontré leur limite en matière de contre-piraterie maritime. Certains ne peuvent tout simplement pas intervenir dans leurs propres eaux faute de moyens financiers ou militaires (fail States). L’opération Atalante (lancée en 2008) mobilise une vingatine de bâtiments de guerre et des patrouilles maritimes couvrant une zone de 2 millions de km 2 s’étendant du littoral somalien jusqu’à 500 milles nautiques ; la base française de Djibouti, en accord avec la république de Djibouti lui servant de centre opérationnel.

Le 4 avril 2008, le Ponant, un voilier de croisière français appartenant à une filiale de CMA-CGM est abordé à 11 h 15 dans le golfe d’Aden. Le commandant du Ponant qui transporte une trentaine de croisiéristes et membres d’équipage lance immédiatement l’alerte par le système automatique. A 13 h 30 le plan « Pirate-mer » est déclenché. Le président Nicolas Sarkozy exige que les otages soient ramenés sains et saufs et que l’acte de piraterie ne reste pas impuni.

Samedi 5, des négociateurs du GIGN et des traducteurs de la DGSE arrivent à Marseille pour assister l’équipe de la CMA-CGM en liaison Inmarsat avec les pirates restés à bord du Ponant. Une opération Tarpon (largage en mer) est cours de préparation. Les commandos marines à l’entraînement à Djibouti sont rejoints par cinq gendarmes du GIGN (ces unités sont habituées a s’entraîner ensemble depuis la création des Groupes de Combat en milieu clos (1992) devenus escouades (2002) et spécialisés en contre-terrorisme maritime). La Jeanne-d’Arc qui dispose d’un hôpital embarqué quitte Madagascar pour rallier l’aviso Commandant-Bouan, navire «  piquet » matérialisant la zone de largage prévue, tandis que le Jean-Bart accueille l’état-major et le contre-amiral Gillier.

Le 16 avril une escouade de commandos embarque à bord d’un Transall, sur le tarmac, un appareil du GAM-56 et un de la DGSE. L’alizé (bâtiment de renseignement relevant de la DGSE) lui fait des ronds dans l’eau dans les parages du Ponant aux mains des pirates. La rançon fixée à 2 150 000 dollars est réunie par l’assurance de l’armateur. La remise des trois sacs de 21 500 billets de 100 dollars en échange des otages a été prévue en mer à bord d’une petite embarcation. Après vérification de la rançon remise par trois militaires français, les trois pirates somaliens regagnent la côte à bord de leur embarcation tandis que ceux restés à bord du Ponant entassent les otages dans les annexes avant de « décrocher ».

Les Somaliens ayant rejoint la côte embarquent avec la rançon à bord d’un 4×4. Dix minutes se sont écoulées quand un hélicoptère Gazelle guidé par un Bréguet-Atlantique s’abat sur le véhicule. Un commando tireur d’élite ne délivre qu’un seul tir, la balle de calibre 12,7 mm explose le moteur ! Les Somaliens se ruent à l’extérieur les armes à la main. L’un d’eux est abattu, les six autres sont capturés, embarqués dans l’hélicoptère et transférés à Paris en attente de leur jugement. Si le parquet a réclamé dans cette affaire des peines de réclusion de 10 à 15 ans, le tribunal a prononcé quatre peines allant de 4 à 10 ans d’emprisonnement (un seul Somalien a reconnu son implication dans les faits), et deux acquittements : «  les deux pirates ont expliqué qu’ils se contentaient d’apporter des vivres aux ravisseurs »…

Un jugement de la Cour européenne des Droits de l’homme (2014) a condamné la France pour les conditions d’interpellations des pirates… La France a été également condamnée pour ses actions dans les affaires du Carré d’As (septembre 2008) et du Tanit (avril 2009) victimes de prises d’otages. Ce sont ces mêmes États européens qui demandent à la France de rapatrier leurs ressortissants quand ça « barde » et la République, bonne fille, de s’exécuter… Une correction, une précision, une information ?


 

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