LIVRES / LA LUTTE CONTINUE

        par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                                      Livres

Une saga algéroise. Tome II : Les ténèbres sanglantes. Roman de Mohamed Ifticène. Editions Frantz Fanon, Alger 2023, 299 pages, 1 300 dinars.

L’Algérie post-indépendance, milieu des années, années 70, années 80, années 90 et années 2000… plusieurs histoires dans une seule histoire. Celle de la «saga algéroise», celle de Lyès, le beau gosse, fils de chahid, toujours attaché à sa famille et à sa maman, une femme -courage, qui continue sa lutte pour une Algérie plus juste, plus démocratique… et ce, en exploitant toutes les failles du système en place. Il raconte – à travers ses aventures, dont celles amoureuses (en général des dames proches du système et influentes, des «cougars» à le recherche de sensations physiques très fortes ), sont très importantes, car, hélas ou heureusement, moyen rapide et jouissif d’arriver à ses fins – le passage d’un pays à la liberté de vie assez large malgré une direction politique autocratique, à celui d’un pays tombant, peu à peu, sous la coupe de prédateurs… où la corruption tient le haut du pavé. Tout particulièrement lors de la décennie rouge qui avait vu le laxisme politicien favoriser l’émergence de l’islamisme radical et meurtrier, puis les deux décennies d’une gouvernance autocratique institutionnalisant la corruption. Bien sûr, cela ne va pas empêcher notre héros, toujours d’attaque, de continuer à vivre… en Algérie en renforçant ses liens avec la région natale des parents, de tomber (enfin !) amoureux et de se marier, de continuer à chérir sa mère, de soutenir son frère et ses amis, de dénoncer et de lutter contre les magouilles de tous genres, de reprendre des études de Droit… et de participer à des opérations vengeant les meurtres de parents d’amis durant la guerre de Libération nationale. Un héros moderne comme on en rêverait d’avoir en quantité… qui , hélas, va prendre sa retraite (en vérité, on ne l’espère pas) !

L’Auteur : Né en 1943 à Bir-Djebah en Haute Casbah (Alger). Réalisateur et scénariste de cinéma… et enseignant en audiovisuel (en Algérie puis en Europe). Etudes à Alger (Institut national du cinéma) et en Pologne (Lodz). Une vingtaine de films (fiction) à son actif (dont Qorine, Jalti le gaucher, Les rameaux de feu, Le grain dans la meule, Le sang de l’exil, «Les enfants du soleil, Les marchands de rêves…), et autant de documentaires en Algérie et en Europe. C’est là son second roman.

Extraits : «Déposer plainte contre son père ? Qui m’aurait cru dans un pays où la parole des femmes ne compte pas. Vous ne connaissez pas les hommes, ils voient une femme en train de se faire battre ou violer, ils diront, elle l’a bien cherché» (p110), «Oui, les premiers intéressés par l’achat des biens des Pieds-noirs sont les gens qui nous gouvernent» (p147), «Les services montent des dossiers sur les personnalités pour les neutraliser. J’ai laissé l’Algérie corrompue au sommet, je reviens et je la trouve corrompue à tous les niveaux» (p162), «Ils ont ouvert la boîte de Pandore, l’islamisme armé est vaincu mais il a gangréné les esprits, à commencer par ceux qui nous gouvernent» (p244), «L’intronisation d’un égocentrique pathologique aux vélléités autocratiques ne présageaient rien de bon pour le pays (…).Dès sa prise de fonction, il réclama tous les pouvoirs à ses parrains et, ne les ayant pas obtenus, laissa le pays sans gouvernement pendant des mois et alla faire le tour du monde aux frais de la princesse Algérie» (p 255)

Avis – Chose promise (plutôt chose prévisible), chose réalisée. Ainsi, on se retrouve avec le tome II de la saga algéroise. Pour Lyès, le héros, la lutte continue. Un écriture qui va très,très vite. Le défaut (ou la grande qualité) du cinéaste qu’il est. Un roman, qui se lit… comme un film d’action. Comme beaucoup de romans d’auteurs contemporains, surtout les septuagénaires et plus qui ont vécu dans leur chair et dans leur vie, douloureusement, bien des événements liés au développement politique et culturel du pays, on a un gros lot d’informations et de commentaires sur les situations vécues. Par eux, par leurs proches ou par la société. On vide son sac d’un trop-plein longtemps contenu ! Un «défaut» (ou une richesse) qui apporte du bon «grain à moudre» à l’écriture future de l’histoire contemporaine du pays.

Citations : «La vitesse en amour, c’est comme piloter un bolide, plus on appuie sur le champignon, plus on a le vertige» (p 19), «Les magistrats sont des gens sages, ils pensent à leur carrière» (p 99), «Un pouvoir despotique, un gouvernement de loups et un peuple résigné ne sauront bâtir une nation moderne, libre et démocratique» (p 117), «Derrière le drame «une femme, il y a souvent un homme» (p 123), «Méfions-nous des moralisateurs, ils ne sont pas les plus vertueux» (p 127), «Les choses agréables de la vie sont éphémères alors que les mauvaises arrivent quand on ne s’y attend pas et perdurent dans le temps» (p 133), «Plus tu montes en grade dans ce pays, plus tu t’exposes. L’ennemi d’un Algérien est un autre Algérien» (p166), «L’Algérie du nabot était hideuse. Elle avait échappé à la théocratie pour tomber dans la cleptocratie» (p 270)

Une saga algéroise. Sur le fil du rasoir. Roman de Mohamed Ifticène. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 399 pages, 1.200 dinars (Extraits. Pour rappel. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/bibliotheque dalmanach/société.)

Voilà un hasard qui fait très bien les choses… littéraires. Au départ, confiait l’auteur à la presse, il y avait un scénario. Et, pour ne pas changer (dans notre champ audiovisuel… et tout particulièrement en ce qui concerne les réalisateurs peu ou prou iconoclastes et Ifticène en fait partie), rude est (fut et sera) l’accession en Ligue 1, c’est-à-dire ceux qui arrivent à avoir accès aux financements soit étatiques soit autres.

De plus, avec un marché national de la diffusion quasi-fermé et de la consommation contracté (peu de salles), il y a de quoi décourager les meilleures volontés du monde. Tout particulièrement chez les «anciens» qui vivent encore sur les réalisations des «glorieuses» années 60 et 70. A quelque chose malheur est bon. Le scénario est transformé en… livre… et un jour, peut-être, en film («peut-être avec l’étranger car il y a plus de moyens»). Le contenu ? Presque en souvenir d’un vécu à Alger, de la vie à Alger… à l’époque de la colonisation… et juste après (…)

Les premières années de l’indépendance apporteront certes un vent de liberté mais, aussi, hélas, pas mal de désillusions avec ses «marsiens», la lutte au sommet pour le pouvoir, les dérapages sécuritaires et sociétaux… et, à la base, avec la course aux avantages matériels immédiats. La «grande désillusion» et l’échec des utopies ! On ne pouvait moins attendre d’un jeune Algérien devenu adulte avant l’âge.

L’Auteur :Voir plus haut

Extraits : «Les musulmans ne savent pas aimer. Avant le mariage, ils courent les maisons closes, vite fait mal fait, ils en sortent soulagés, mais frustrés. Une fois mariés, ils saillent leurs épouses et exigent des garçons alors que c’est l’homme qui porte la semence» (p17)

Avis – Passionnant. Une fin d’ouvrage un peu trop «accélérée». Il est vrai que l’écriture cinématographique prend souvent le dessus chez l’auteur (…)

Citations : (…) «L’amour est la plus belle des libertés… mais il ne faut pas en faire une obsession» (p203), «Quand une seule personne souffre d’illusion, on dit qu’elle est folle mais quand c’est des millions qui en souffrent, on dit qu’elles sont croyantes. Les religions sont des fabriques de fous» (p205), (…)


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