Les peuples du Maroc et de la Libye meurtris : la famille maghrébine en deuil

 

 

Par le Professeur Chems Eddine Chitour – Ecole polytechnique, Alger

«Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !
Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée ;
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli. »
(Victor Hugo
Oceano Nox)

Résumé
La Libye est confrontée à la pire catastrophe de son histoire pourtant riche d’un passé d’art et d’histoire. Dans les inondations dues à l’ouragan Daniel, on parle de 10 000 morts, autant de disparus et plus de 40 000 déplacés. Le peuple libyen souffre et attend qu’on vienne à son secours. La situation de non-droit avec deux gouvernements qui se disputent les puits de pétrole n’a pas donné l’importance nécessaire à la prévision de cette catastrophe. L’élan sincère de l’Algérie, dès les premières heures, avec celui de l’Italie seront suivis par d’autres dont l’Égypte.
Deux jours auparavant, un séisme a ravagé le Maroc provoquant là aussi la désolation avec plus de 2900 morts et 5 000 blessés. Là encore, ce sont les faibles qui ont été impactés. C’est le cas du Rif considéré comme le Maroc inutile dans la terminologie coloniale et qui s’est perpétuée à l’indépendance. Là, par contre, les Marocains off shore et les courtisans du Maroc utile des riads martèlent que le Maroc est souverain et qu’il n’a besoin de personne ; jusqu’à ce jour où il sollicite l’aide de l’ONU, méprisant la main tendue et rapidement opérationnelle.
Du fait qu’un pays ne peut pas faire face à une catastrophe impossible à gérer rapidement avec des moyens importants et disponibles, il ne serait peut-être pas inutile de penser au-delà des pays à une institution maghrébine qui sera, en cas de calamités, rapidement opérationnelle avec les moyens appropriés. Cette institution serait une première pierre dans l’édifice tant fantasmé d’un Maghreb des peuples qui a tout pour être uni, l’histoire, les langues, la culture.

L’apocalypse de Derna
Le 10 septembre, l’ouragan Daniel a vu une quantité d’eau équivalente à celle d’une année et demie, ce qui a amené la rupture de deux barrages mal entretenus. Un tsunami avec un mur d’eau de 7 mètres a dévasté Derna. L’ouragan a balayé des quartiers entiers vers la mer en provoquant la mort de milliers de Libyens et autant de disparus. Le drame de la Libye est qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion. Livré à des luttes incessantes, le pays est aujourd’hui partagé entre deux gouvernements ennemis. Et ceci suite à l’assassinat de Mouammar Kadhafi en 2011.
«Le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, écrit Luc Mathieu, qui siège à Tripoli et dont l’autorité n’est pas reconnue en Cyrénaïque, où règne le maréchal Khalifa Haftar, n’a pas attendu qu’un bilan fiable soit déterminé pour décréter trois jours de deuil et dépêcher une première aide d’urgence : deux avions, un hélicoptère, 87 médecins, il a également souligné ‘’l’unité de tous les Libyens’’. La Libye reste pourtant un pays disloqué. Depuis la révolution de 2011 et la mort du dictateur Muammar al-Kadhafi, il n’a pas réussi à s’unifier, restant soumis à des luttes incessantes entre groupes armés et hommes politiques qui tentent avant tout de rester au pouvoir, sans considération pour une population usée.»(1)

Les causes du déluge dans un pays disloqué après l’assassinat de Kadhafi
Les scientifiques expliquent la survenue des inondations en Libye comme provenant d’une conjonction de divers facteurs, comme le réchauffement climatique et la désorganisation du pays. Des mers plus chaudes, un chaos politique et des infrastructures défaillantes sont à l’origine des effets dévastateurs On sait que les pluies incessantes ont fragilisé les deux barrages en amont de Derna. Le climatologue Davide Faranda explique ce qui s’est passé : «La puissance du cyclone Daniel vient de la température très élevée de la Méditerranée.» Il analyse le «medicane» – contraction de «mediterranean» («méditerranéen») et de «hurricane» («ouragan»), un cyclone subtropical méditerranéen très violent qui a traversé l’est de la Libye, provoquant des milliers de morts.
La Libye a subi de plein fouet les impacts d’un Tropical Like Cyclone (TLC), une structure dépressionnaire verticale alimentée par l’énergie d’une mer très chaude. Il s’agit de la continuité du cyclone Daniel qu’ont connu la Grèce, la Turquie et la Bulgarie début septembre. Il ne s’était pas épuisé. D’habitude, ce genre de phénomènes est évacué vers l’est. Là, à cause du blocage en oméga qui a provoqué les fortes chaleurs en France il y a plusieurs jours, il est d’abord resté longtemps sur la Grèce, ce qui explique le niveau des précipitations pendant de longues heures. Les pluies y ont été très violentes. Les courants atmosphériques l’ont ensuite entraîné vers les côtes libyennes, où il a aussi été attiré par les températures très élevées de la mer. Les deux principaux barrages sur la petite rivière de Wadi Derna ont lâché dans la nuit de dimanche à lundi 11 septembre, provoquant d’énormes coulées de boue, détruisant les ponts et emportant de nombreux immeubles avec leurs habitants de chaque côté de l’oued, avant de se déverser dans la Méditerranée.(2)

Les aides humanitaires vers la Libye affluent
Plus de 10 000 personnes auraient péri, ainsi que 7 000 blessées, 5000 portées disparus, 50 000 déplacées. De ce fait, un vaste élan de solidarité a été déclenché avec l’envoi d’aides internationales. Le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Yunus Al-Menfi, a lancé quelques heures après la catastrophe un appel à l’aide internationale. L’Algérie a mis en place un pont aérien avec huit avions pour l’envoi en urgence d’importantes aides humanitaires, constituées de produits alimentaires, de matériel médical, de vêtements et de tentes inondations, séismes, incendies, guerre… Depuis l’invasion et la destruction de la Libye par l’OTAN, cette région du monde connaît calamité sur calamité. Le Président égyptien a également ordonné à l’armée d’apporter toutes les aides humanitaires possibles. Le Qatar et les émirats arabes unis annoncent l’envoi d’une aide d’urgence. La Turquie a annoncé le déploiement d’équipes de recherche et de sauvetage ainsi que du matériel comprenant des tentes, deux véhicules de sauvetage, quatre bateaux et des générateurs. L’Italie a annoncé avoir offert immédiatement l’aide de la Défense pour les zones inondées.

Vulnérabilité des infrastructures par manque d’entretien
Le climat n’explique pas tout. Certains analystes estiment que la scène politique fragmentée en Libye – déchirée par plus d’une décennie de guerre civile à la suite de la chute du dictateur Mouammar Kadhafi — a également contribué à cette catastrophe. Les pertes en vies humaines sont aussi une conséquence de la nature limitée des capacités de prévision, des systèmes d’alerte et d’évacuation de la Libye, observe pour sa part Kevin Collins, maître de conférences à l’Open University. Des faiblesses dans les normes de planification et de conception des infrastructures et des villes ont également été mises en lumière. Pour la chercheuse libyenne Malak Altaeb, les lourdes pertes humaines et les dégâts considérables causés par des inondations peuvent être imputés aux dirigeants, qui ont complètement délaissé l’entretien des infrastructures et la prévention des catastrophes naturelles.
Ce lourd bilan humain s’explique par la violence de la tempête Daniel, mais témoigne aussi du manque de ressources allouées à l’entretien des infrastructures libyennes et la prévention des catastrophes naturelles, la Libye n’est pas du tout prête à résister aux phénomènes météo extrêmes et aux catastrophes naturelles. Elle n’a ni infrastructures ni protocoles pour réduire les risques liés aux catastrophes climatiques.(3)

La «plupart» des morts auraient pu être évitées, selon l’ONU
Petteri Taalas, patron de l’Organisation météorologique mondiale qui dépend de l’ONU, pointe du doigt la désorganisation liée à l’instabilité politique dont souffre la Libye depuis des années : «La plupart des victimes auraient pu être évitées.» Avec une meilleure coordination dans ce pays ravagé par une grave crise politique, «ils auraient pu émettre des avertissements et les services de gestion des urgences auraient pu procéder à l’évacuation des personnes, et nous aurions pu éviter la plupart des pertes humaines», «la désorganisation qui frappe la Libye — y compris ses services météorologiques — a largement contribué à l’ampleur de la catastrophe».(4)
«Les systèmes d’alerte précoce appropriés n’étaient pas en place.» Les années de conflit interne qui ravagent le pays ont «en grande partie détruit le réseau d’observation météorologique», tout comme les systèmes informatiques. Si des évacuations avaient eu lieu, le bilan humain aurait été bien moindre, de fait, un couvre-feu avait été décrété dans plusieurs villes de l’est du pays, dont Derna, forçant les habitants à rester chez eux. En 2022, un rapport avait pourtant alerté sur leur état de vétusté.(4)

Pourquoi le chaos en Libye et le désastre ?
Il serait immoral de passer sous silence les fondements du chaos libyen et désigner nommément les architectes du chaos. Il faut revenir à la destruction opérée par la France et le Royaume-Uni, aidés par l’OTAN avec une résolution de l’ONU controversée. Un rapport britannique publié en 2016 éclaire sur les conditions de cette hécatombe. Le journaliste Paul Aveline écrit : «Quelles étaient les motivations de la France et du Royaume-Uni pour intervenir militairement en Libye ? En 2011, il s’agit officiellement d’éviter que Benghazi, ville rebelle du nord du pays, ne subisse le martyre que lui réserve Mouammar Kadhafi. Pour les parlementaires britanniques, ni David Cameron ni Nicolas Sarkozy n’ont agi par souci humanitaire. Les membres de la commission d’enquête accusent Cameron d’avoir agi en amateur en Libye. Le rapport dénonce ainsi «une compréhension très limitée des événements». Ils doutent de la raison même pour laquelle la France et le Royaume-Uni sont intervenus en Libye : «Plusieurs exemples dans le passé auraient pu indiquer la manière dont Kadhafi allait se comporter. (…) En 1980, Kadhafi a passé six mois à pacifier les rapports entre les tribus de la Cyrénaïque. Il y a fort à parier que sa réponse (au soulèvement de Benghazi, ndlr) aurait été très prudente.» Les motivations françaises en question sont autres. Pour les Britanniques, la France n’est pas intervenue pour sauver Benghazi, mais pour d’autres raisons, bien différentes : *S’emparer d’une partie de la production de pétrole libyenne. *Augmenter l’influence française en Afrique du Nord. * Répliquer à la volonté de Kadhafi de remplacer la France comme puissance dominante en Afrique francophone. Cinq ans plus tard, note le rapport, la Libye est au bord du gouffre. (5)
La coalition francoanglaise rappelle le pillage du palais d’été en Chine en 1860. Le poème de Victor Hugo n’a pas pris une ride : «Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. […] L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits. (…) Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés. Les gouvernements sont quelquefois des bandits ; les peuples, jamais.»

Le tremblement de terre au Maroc : les oubliés
Le tremblement de terre au Maroc rappelle celui du 29 février 1960, qui a ravagé la ville d’Agadir, au sud du Maroc. On dénombrera entre 12 000 et 15 000 morts auxquels s’ajoutent 25 000 blessés. Toute la ville est détruite, à l’exception du vieux ksar. En 2004, un autre tremblement de terre qui aurait fait plus de 600 morts. Le tremblement du 8 septembre 2023 a fait plus de 2900 morts et 5000 blessés. En l’espace éphémère de vingt précieuses secondes, le Maroc a été secoué jusqu’aux tréfonds de ses racines par un terrible séisme, révélant sa vulnérabilité. Les cris de douleur et la panique s’installent. «Nous n’avons pas d’électricité, l’eau et la nourriture commencent à manquer.» La population craint la pluie annoncée. Selon la présidente de l’Unicef France, au micro de France Info, «environ 300 000 personnes sont sans maison et dorment dans la rue, sous des couvertures, dont 100 000 enfants».

Non-assistance aux zones sinistrées de Marrakech
Devant le silence du pouvoir, des voix se font entendre pour demander l’aide international. Le narratif : «Le pays est capable de gérer une crise sanitaire d’ampleur sur son territoire sans que l’Occident ait son mot à dire». De tous ceux qui, à des degrés divers, ont un riad à Marrakech, cela n’a pas de sens. Ce qui est incompréhensible, c’est que les autorités marocaines jouent la montre avec la vie de celles et ceux qui appellent à l’aide. «La journaliste marocaine Dounia Filali a ouvertement accusé le roi du Maroc Mohammed VI de crimes contre l’humanité en s’obstinant à refuser les aides humanitaires proposées par de nombreux pays, pour sauver des milliers de vies de Marocains dont un nombre important demeure sous les décombres, faute de moyens appropriés.
Par ailleurs, il faut noter que de nombreuses ONG avaient critiqué l’absence de prise en charge des familles sinistrées, livrées à elles-mêmes, et la lenteur en matière de secours, minimisant les chances de trouver des survivants sous les décombres.»(7)

Le cri de colère devant la comédie humaine des courtisans
Dans le même sens, une contribution de Alia Mostefaoui résume en quelques phrases la comédie humaine de quelques courtisans bien en cours et qui font dans la diversion. Elle déclare : «Je viens dire ici mon immense colère, contre tous ces bourgeois marocains qui défilent en ce moment sur BFM/CNEWS, pour dire que le Maroc n’a pas besoin d’aide internationale et qu’il gère très bien la situation. Depuis leur duplex de Rabat ou Casablanca, avec climatisation et personnel de maison, ils pérorent dans les médias français, dans une langue de valet parfaitement indigne. Aucun d’entre eux n’a jamais mis les pieds dans un village reculé sans eau courante, ni électricité. Aucun d’entre eux ne se soigne dans les hôpitaux publics et aucun d’entre eux n’envoie ses enfants étudier dans le système scolaire marocain.»(8)
«Comme par hasard, le seul pays au monde qui n’a besoin d’aucune aide suite à une catastrophe naturelle, c’est le Maroc ! Ben voyons ! Nous sommes donc plus forts et mieux organisés que le Japon, la France ou le Royaume-Uni ? Je vous passe les couplets sur les capacités de ’’résilience, solidarité et générosité du peuple marocain’’. Quelle honte ! Quel déshonneur ! Des victimes sont enterrées dans des fosses communes, et sachez bien que le nombre de morts est infiniment plus important que les fameux ‘‘2000 morts’’. Le Maroc a besoin d’aide plus que jamais. Si vous pouvez donner de l’argent, faites-le (…)»

«Le petit peuple va, encore une fois, payer le prix fort»
La gestion de l’après-tremblement de terre a choqué les Marocains. C’est le cas du romancier Abdellah Taïa. Pour lui, c’est une impression de déjà vu : «Un mouvement de contestation contre les injustices et la précarité était né après le séisme de 2004 dans les régions très pauvres du nord du pays. Le tremblement de terre a mis tout le pays face à cette vérité qu’on ne peut plus se permettre de cacher, de maquiller : ce sont les plus pauvres qui vont principalement souffrir des conséquences de cette tragédie. Les Marocains des villages de l’Atlas. Les bourgs. Les douars. Les souks. Ils ne sont pas si loin que ça de Marrakech, de ses riads luxueux et de sa jet-set internationale. Les villageois qu’on voit sans réellement les voir. On passe constamment à côté d’eux. Les touristes adorent les prendre en photo. Ils sont si beaux, si simples, si généreux, si merveilleux, si authentiques, il ne faut surtout pas qu’ils changent. Des gens sans cesse transformés en objets exotiques. (…) Dans les très nombreuses vidéos qui circulent partout, on voit depuis dimanche de plus en plus de survivants qui crient leur désarroi, qui disent sans peur l’abandon, qui interpellent directement l’État. On a soif, on a faim, on a chaud et on a froid. Nous avons tout perdu. Et personne ne vient nous aider. Pourquoi ?»(9)

Une nouvelle fois, un séisme a frappé le «Maroc inutile»
La réponse nous la trouvons dans la contribution suivante sous la plume de Rachida El Azzouzi : «(…) Les montagnes ont dansé, selon une expression amazighe, cette fois dans le Haut-Atlas, au sud-ouest du pays, provoquant la mort d’au moins 2 680 personnes et plus de 2 476 blessés. Les zones sinistrées par le tremblement de terre dans la province d’Al-Haouz, dans la région de Marrakech-Safi et dans celle de Taroudant (plus dans la région d’Agadir), sont parmi les plus marginalisées, les plus sous-équipées, les plus pauvres du pays. Ce sont des régions qui ont été délibérément tenues à l’écart de la modernisation. Et elles sont perchées sur les montagnes, en terre rurale et amazighophone, là aussi, comme vingt ans plus tôt, au nord du pays.»(10)
Elle rappelle une triste analogie avec la colonisation du Maroc et le rôle de Lyautey : «Il y a un calquage du tremblement de terre sur des zones pauvres, marginalisées, enclavées. C’est la carte de ce qui a été appelé le “Maroc inutile”, là où l’indice de pauvreté est le plus fort», écrit Chadia Arab en invoquant une politique théorisée par le grand artisan de la colonisation française au Maroc, le maréchal Hubert Lyautey, une politique qui, au lendemain de l’indépendance, a été renforcée par la monarchie marocaine au lieu d’être combattue. «C’est Lyautey qui évoque le Maroc “utile”, celui de la côte et des plaines, et “l’inutile”, celui de la montagne et des tribus berbères du Maroc (Rif, Moyen, Haut et Anti-Atlas marocains), explique la chercheuse du CNRS, spécialiste des migrations internationales. La colonisation française avait su nommer ces montagnes qui, faute de production de richesses, ont été considérées comme inutiles. Aujourd’hui, on a préféré aménager et mettre le paquet dans les centres urbains, côtiers et touristiques.»(10)
Une analyse partagée par la géographe marocaine Fatima : «La montagne a été trop longtemps marginalisée en matière d’aménagement du territoire. Les raisons sont multiples et la première a à voir avec la colonisation du Maroc par la France. […] Seul le “Maroc utile” et non “l’inutile” comptait pour la France.» «C’est dans les montagnes que la lutte contre la colonisation a été la plus farouche» (…) Pour les chercheurs Tarik Harroud et Max Rousseau : le Rif, réputé frondeur, maté dans le sang dès les lendemains de l’indépendance, ignoré pendant tout le règne de Hassan II, livré à la misère, à l’économie informelle, à la culture et au trafic du cannabis, ou encore le Haut-Atlas, la population du Rif dépend aujourd’hui majoritairement de l’économie résidentielle, avec les transferts monétaires issus de l’importante émigration européenne. (…) les émigré·es marocain·es vont jusqu’à financer l’électrification de leurs douars (villages) relégués, l’aménagement des routes, la construction d’une école, d’une bibliothèque, ou d’un dispensaire.»(10)
Justement, pendant la colonisation, la main-d’œuvre à bas prix a permis de faire tourner les usines et les mines françaises : «A partir des années 50, le patronat français a eu recours à l’importation massive d’ouvriers maghrébins. Ce fut une période de ‘’prolétarisation’’ de toute une population. L’anthropologue Marie Cegarra s’attache aux pas des 78 000 Marocains recrutés pour les Houillères du Nord par un ancien militaire, Félix Mora : «Tous passent devant moi, se souvient ce dernier. Depuis 1956, je parcours la vallée du Souss et j’ai dépassé les 66 000 embauchés.» Les candidats passent devant lui, le torse nu, pour un premier tri. Destinés à effectuer un travail de force, ils sont sélectionnés à partir de leur apparence physique. Ceux qui sont déclarés aptes transiteront à la mission de l’Office national d’immigration (ONI) à Casablanca. Quelques décennies plus tard, ce poème berbère chante la désillusion : «Il fut un temps où les hommes furent vendus à d’autres / O Mora le négrier, tu les as emmenés au fond de la terre / Mora est venu à l’étable O filles ! Mettons le voile du deuil / Mora nous a humiliés et est parti / Ceux de l’étranger que Dieu redouble vos peines / Celui qui est en France est un mort / il part et abandonne ses enfants / La France est de la magie / celui qui arrive appelle les autres.»(11)

Gestion des catastrophes naturelles :
Le rapport de la Banque mondiale analyse les risques qui pèsent sur la région avec les dispositifs et les instruments adoptés par les pays afin d’optimiser leur prévention. Il analyse les causes de vulnérabilité aux risques naturels dans la région, comme la raréfaction de l’eau, la variabilité accrue du climat et une augmentation rapide de la population, à cela, il faut ajouter que 3 % de la surface totale de la région abrite 92 % du total de la population. Les citoyens des zones urbaines affrontent régulièrement des inondations, alors que les installations de protection sont insuffisantes, tout comme les systèmes d’égouts en ville et les mesures non structurelles d’atténuation des inondations. Aucune approche intégrée n’a été mise en place à ce jour pour gérer efficacement les risques naturels.(12)

Pour une mutualisation des moyens du Maghreb
Justement, la Charte internationale Espace et catastrophes majeures utilise les satellites pour cartographier au plus vite la zone touchée. Elle permet d’établir avec précision l’envergure des dégâts, localiser les zones sinistrées, enregistrer la progression des secouristes. (13)
Il faut aller plus loin : Les Nations unies devraient être capables d’anticiper grâce à un système d’alerte dynamique et grâce à une mutualisation des moyens globaux de la planète pour éviter les ouragans catastrophiques que la Terre a connus (Haiti, Katarina, Derna…), la mise en place d’un organisme de prévention au niveau des Nations unies qui est à la fois une référence dans la géophysique de la Terre mais aussi dans le climat.
Plus localement, au-delà des pays au Maghreb, il y a des peuples qui souffrent et qui veulent vivre. La force des catastrophes et changements climatiques dépasse les potentialités de chaque pays. De ce fait, la réactivité et la mobilisation des moyens en quantité ajoutées à une stratégie d’opérationnalité en situation de catastrophe nous imposent de penser une structure indépendante des États pour l’organisation des secours. Peut-on penser à une organisation maghrébine qui mutualise les moyens et qui serait non seulement à faire dans la prévention en coordination avec une organisation onusienne dédiée à cela mais aussi à constamment être prêts à mobiliser des moyens d’intervention rapides sans frontière. C’est peut-être le premier maillon de cette union maghrébine tant fantasmée.

Conclusion
L’Algérie a montré sa disponibilité à porter secours aux peuples marocain et libyen.
Les «amis du Maroc, du Maroc utile» des riads, et autres jet-set se contentent d’écumer les plateaux de BFM en zoomant d’une façon incompréhensible en déversant leur haine incompréhensible sur l’Algérie. Ces Marocains off shore et ses retraités, qui, en vivant au Maroc, perpétuent le bon temps des colonies avec personnel de maison, avec un smic chez eux. Je suis de tout cœur avec les besogneux de l’Atlas. Je propose aux lectrices et lecteurs cette contribution du philosophe marocain Ali Benmakhlouf qui fait une fine analyse et décrit l’état d’esprit des Marocains du Maroc profond, ô combien respectable et digne devant la tragédie.
Il écrit : «La piété fait dire : ‘’C’est ainsi.’’ Elle fait dire : ‘’C’est le décret de Dieu.’’ J’ai souvent entendu des proches prier pour que les décrets de Dieu leur soient doux. Ils acceptent. (…) Une femme du peuple, n’ayant pas grand-chose, avait été questionnée : si vous aviez à choisir votre prénom, vous choisiriez quoi : ‘’Radia’’ (contente). (…) ‘’La nature nous dorlote’’, m’avait dit un ami japonais à la suite de la catastrophe de Fukushima.»
«Avec une retenue poignante, poursuit le philosophe, les gens expriment leur douleur d’avoir perdu des êtres chers. Les gens, dans leur majorité, n’expriment pas ‘’leur’’ colère. Si colère il y a, elle est le plus souvent celle de Dieu. (…) Dieu ne peut pas accepter tant de corruption, tant de choses qui vont mal. Il avertit et punit : avant-goût des tourments éternels. Mais, en parlant de colère divine, les gens expriment les pathologies sociales en langage sacré, une façon de montrer leur gravité et non une façon de les projeter sur Dieu simplement. (…)» «A-t-on fait tout le nécessaire pour rejoindre les villages les plus reculés ?» La piété ne s’arrange pas de possibles négligences. Elle ne vient pas combler les défaillances humaines. (…) Tous ces morts, ce furent des vies, des noms propres, ils avaient des projets, ils étaient mères, pères, enfants. Il est à faire mémoire de chacune des vies perdues».(14)
Rahma pour les morts. Sérénité et patience pour les vivants.
C. E. C. 

1.Luc Mathieu https:// www.l iberation. fr/international /inondations-en-libye-depuis-la-mort-de-kadhafi-un-pays-disloque-20230912_GBW6ITBSINCQ3EXLXT65SJBIIM/
2..https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/09/12/inondations-en-libye-la-puissance-du-clone-daniel-vient-de-la-temperature-tres-elevee-de-la-mediterranee_6189057_3244.html
3.Sarah Laurent https ://www. liberation. fr/international /afrique/libye-les-experts-alertent-de-longue-date-sur-la-vulnerabilite-des-infrastructures-mais-rien-na-ete-fait-20230912_BC3LN7D2RZHVJI5FO32JDPBV3Q/
4.https://www.lefigaro.fr/international/inondations-en-libye-la-plupart-des-morts-auraient-pu-etre-evitees-selon-l-onu-20230914
5.PaulAveline https ://www. bfmtv.com /international /guerre-en-libye-un-rapport-parlementaire-britannique-accable-sarkozy-et-cameron_AN-201609140072.html
6.Victor Hugo http :// expositions. bnf.fr/chine /arret/yuanming2/antho5.htm
7.https://www.operanewsapp.com/dz/fr/main/non-assistance-aux-zones-sinistr%C3%A9es-de-marrakech-dounia-filali-accuse-mohamed-vi-de-crimes-contre l%E2%80%99humanit%C3%A9? Vo
8.AliaMostefaoui https://m.facebook.com/story. php ? story_fbid=pfbid0FUVzvgwE9fy9CAPhBKBkBe7CV91UFSgsYVv7KzHHMphy3pDUKBZtApotgPZD3SSvl&id=1194322803&eav=AfaLNHuSP26xHakVM96xICwh1CPcFYS7sCIdRe7Ecwv8PavEaKHJqIGaXsBXyEAe9gY&m_entstream_source=timeline&paipv=011 09 2023
9.AbdellahTaïa https://www. lemonde.fr/idees/article /2023/09/11/seisme-au-maroc-le-petit-peuple-va-encore-une-fois-payer-le-prix-fort_6188921_3232.html?
10.Rachida El Azzouzi https://www.mediapart.fr/journal/international/110923/une-nouvelle-fois-un-seisme-frappe-le-maroc-inutile
12.https://www.banquemondiale.org/fr/region/mena/publication/natural-disasters-in-the-middle-east-and-north-africa
13.https://www.huffingtonpost.fr/international/video/seisme-au-maroc-comment-les-satellites-sont-mobilises-pour-cartographier-la-catastrophe_222918.html?
14. Ali Benmakhlouf https ://www. philomag. com/articles/ali-benmakhlouf-le-peuple-marocain-exprime-la-gravite-du-drame-en-invoquant-la-colere-de 13 septembre 2023


 

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