Décès du professeur Abdou Elimam

       
Le linguiste Abdou Elimam est décédé à l’âge de 73 ans jeudi en Espagne où il s’était établi depuis quelques années. Chercheur et enseignant, passionné par les sciences linguistiques, Elimam est une figure connue dans les milieux culturels et enseignants, passionné par la daridja et la langue parlée populaire pour laquelle il s’était voué avec une énergie sans faille. Auteur de plusieurs livres sur le sujet, il s’était engagé pendant plus de quarante ans à tenter d’introduire les langues populaires dans le registre des langues officielles. Ne manquant pas de solides arguments, il a régulièrement été au centre de multiples débats sur le sujet. Avec son départ, Oran et l’Algérie perdent un important trait de lumière et un homme de grande valeur d’une humilité sans faille armé d’un savoir rare remarquable.
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Abdou (Abdel Jlil) Elimam (عبده الإمام), né le  (73 ans) à Oran, et décédé le 31 août 2023 a Alicante (Espagne) est un linguiste algérien parmi ceux du courant énonciatif français, qui assument l’héritage de Gustave Guillaume et d’Émile Benveniste. Sur les traces de Antoine CulioliHenri Adamczewski et de Robert Lafont, il soutient une thèse de doctorat de 3e cycle à l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (en linguistique anglaise) et une thèse de doctorat d’État à Rouen (linguistique générale). Trois phases ont ponctué ses centres d’intérêt : la sociolinguistique du Maghreb et la défense du maghribi ; la didactique des langues secondes (dont le FLE) ; les retombées des sciences cognitives sur la théorie du langage. Actuellement il travaille sur les bases méthodologiques et théoriques d’un rapprochement entre Ray Jackendoff et Noam Chomsky, d’un côté et Antoine Culioli, de l’autre.

Carrière professionnelle

Abdou Elimam est depuis 2002 maître de conférences à l’École nationale polytechnique d’Oran, naguère École normale supérieure d’enseignement technique (ENSET) d’Oran. Il a exercé également les fonctions de directeur du Centre culturel français de Naplouse de 1997 à 20011 et a travaillé à l’Institut de culture populaire de Tlemcen. Il a été professeur invité ou chargé de cours à l’Université de Rouen, à l’INALCO et consultant en ingénierie linguistique pour diverses entreprises.

Centres d’intérêt

C’est sa quête du statut de la langue maternelle qui motive Abdou Elimam à s’engager en linguistique. La théorie de l’énonciation initiée par Émile Benveniste et formalisée par Antoine Culioli va le séduire en cela qu’elle prend ancrage dans une théorie de l’acquisition qui permet l’émergence d’un sujet de l’énonciation et conçoit le langage produit comme un événement énonciatif (1981). La sociolinguistique, en tentant de répondre aux questions Qui parle à Qui, de Quoi, Comment, Quand Où et Pourquoi fera intervenir les questions de la norme linguistique, de la diglossie, du bilinguisme et du multilinguisme. Dans une mise en relation dialectique entre Corpus et Statut social (2004), Son engagement en didactique des langues lui permet de formaliser la question du rapport entre langue maternelle et langue autre. C’est dans les thèses de Stephen Pit Corder, Larry Selinker et Stephen Krashen qu’il trouvera des réponses claires sur le rapport entre acquisition et apprentissage (2006(a), 2012). Enfin, les sciences cognitives contemporaines, qui commencent à dévoiler partie des mécanismes de l’activité cérébrale en œuvre dans l’émergence de la langue native. Cependant les retombées des neurosciences invitent à revisiter la théorie linguistique telle qu’elle a prévalu jusqu’ici et Abdou Elimam (2006, 2011, 2012), en posant le primat de la question du sens, opère une distinction entre faculté du langage et formes linguistiques d’extériorisation. Se sentant très proches des préoccupations contemporaines de Ray Jackendoff, il envisage de revisiter les thèses de la Grammaire universelle, de la théorie de l’énonciation et de la question du sens à partir d’une vision rafraîchie.

Par ailleurs, au début des années 90, il a activement participé à la conception et au lancement du projet d’économie Alternative et durable « La Caisse de Transactions » en France en collaboration très étroite avec son fondateur Franck Fouqueray. Ses connaissances de linguiste furent déterminantes dans l’application d’un modèle économique équitable et durable.

La question du maghribi

En tentant de jeter la lumière sur la vie langagière du Maghreb pré-islamique, Abdou Elimam découvre que la langue introduite par les Phéniciens en Afrique du Nord, le punique, s’avère langue substrat (à hauteur de 50 % en moyenne) dans les parlers contemporains du Maghreb et de Malte (1997). Ce qui conduit Abdou Elimam à oser un regard renouvelé et critique sur la nature supposée « arabe » des parlers du Maghreb. Son étude assoit la conviction que loin d’être une arabisation (spontanée) de toutes ces contrées, les parlers de Malte et du Maghreb sont des évolutions du punique au contact de l’arabe et du berbère. Rejoignant Charles A. Ferguson et bien des linguistes orientaux, Abdou Elimam nomme maghribi cette identité linguistique polynomique et au substrat punique (1997, 2003).

La didactique des langues secondes

C’est avec Henri Adamczewski que Abdou Elimam apprend à distinguer entre langue acquise par la naissance et langue apprise au terme d’efforts. Cette distinction constituera un repère essentiel dans ses travaux de didactique des langues. En effet la langue maternelle s’acquiert ; elle ne s’apprend pas comme on apprend à coudre ou à fabriquer un objet. Les moyens cognitifs mobilisés dans un cas et dans l’autre ne sont donc pas les mêmes (2006(a)). Tout cela conduit Abdou Elimam à reconsidérer les apprentissages linguistiques – en les distinguant des apprentissages langagiers – et à concevoir la didactique des langues comme une démarche reposant sur trois piliers : la connaissance du fonctionnement des langues humaines ; les mécanismes cognitifs mis en jeu ; les besoins effectifs en langue seconde (2012).

Sciences cognitives et linguistique

Les travaux de Jean-Pierre Changeux, de Antonio DamasioMichael Tomasello – mais également ceux du linguiste Ray Jackendoff – ont été un facteur d’émulation dans la réflexion contemporaine de Abdou Elimam quant à la théorie du langage. Comment le dispositif natif intervient -il pour mettre en route la mécanique du langage et comment cette dernière s’articule, devraient répondre clairement à la question : qu’est-ce qu’un système linguistique ? Sur la base d’observations irréfutables et méthodologiquement validées, les neurosciences apportent des éclairages qui devraient permettre de mieux (re)définir l’activité langagière et de déterminer le rapport entre sémantique, d’un côté, et morphosyntaxe et phonétique, de l’autre. Abdou Elimam pense pouvoir rapprocher, dans un tel programme, les thèses de Noam Chomsky et Ray Jackendoff de celles de Antoine Culioli.


Bibliographie sélective

1981 Le statut du sujet en linguistique, thèse de doctorat de 3e cycle, Sorbonne Nouvelle

1990 « Algérianité linguistique et démocratie », in Peuples méditerranéensno 52-53, pp. 103–120.

1997 Le maghribi, langue trois fois millénaire. (ANEP)

2003 Le maghribi, alias “ed-darija”- La langue consensuelle du Maghreb (Dar El-Gharb)

2004 Langues maternelles et citoyenneté. (Dar El-Gharb)

2006(a) L’exception linguistique en didactique. (Dar El-Gharb)

2006(b) « Entre prototypisation et mise en discours : les enjeux du sens », in Mots, Termes et Contextes, dir. D. Blampain, Ph. Thoiron, M. Van Campenhoudt Éditions des archives contemporaines (Paris) / AUF. pp. 109–119.

2009 « Du punique au maghribi : Trajectoires d’une langue sémito-méditerranéenne », In Synergies Tunisieno 1, pp. 25–38

2011 « Le français médium d’enseignement (FME) pour non natifs : entre apports de la recherche linguistique et besoins », in ELA (Études de linguistique appliquée), no 161 (janvier-), pp. 79–98

2012 Le français langue seconde d’enseignement – (I.L.V.)

Références

  • Analyse [archive] de Le maghribi, langue trois fois millénaire dans la Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales.
  • Présentation [archive] de Le français langue seconde d’enseignement sur le site du journal El Watan.
  • [1] [archive]

  • Conférence d’Abdou Elimam – Regards sur 3000 ans de « Darija », dialecte maghrébin


               Lire notamment son dernier article :  Échos diachroniques du maghribi : le substrat punique  (article en ligne)

Résumé

L’Afrique du nord asserte l’hégémonie de la langue punique, dès le VIII e siècle avant notre ère. La civilisation carthaginoise avait réussi à faire rayonner son idiome sur l’actuel Maghreb – et même au-delà, dans cette Ibérie qui allait accueillir Al-Andalus – près de10 siècles avant l’émergence de la norme linguistique arabe. L’histoire témoigne de la présence de la langue punique jusqu’à l’ère byzantine. Ensuite c’est le trou noir. Les témoignages de l’activité linguistique dans ce nord de l’Afrique ne réapparaissent qu’à partir de l’implantation de l’Islam. C’est alors qu’est identifiée une langue «populaire», dite 3amiya qui prend en charge toutes les fonctions de communication sociale que l’arabe ne peut assumer. Ce bilinguisme spontané (3amiya/arabe) structure la société maghrébine pendant près d’un millénaire; quasiment jusqu’à la colonisation française (XIX e). C’est alors que ce bilinguisme historique éclate au profit du français. Dépréciée et refoulée de l’espace institutionnel, la 3amiya maghrébine (ou maghribi) est peu étudiée dans sa dimension diachronique et son substrat punique est quasiment occulté par les quelques études dite de «dialectologie», notamment. En nous révélant bien des traces linguistiques du substrat punique, le passé historique de la langue maghribie nous invite à en réévaluer le statut ainsi que l’individuation socio-culturelle.

Diachronic echoes of the Maghribi: the Punic substrate North Africa asserts the hegemony of the Punic language, from the 8th century BC onwards. The Carthaginian civilization had succeeded in spreading its idiom over the current Maghreb – and even beyond, in this Iberia which was to welcome Al-Andalus – nearly 10 centuries before the emergence of the Arabic linguistic norm. History testifies to the presence of the Punic language until the Byzantine era. Then came a historical black hole. It is only until the establishment of Islam that testimonies of linguistic activity in North Africa began to reappear. This is when a “popular” language, called 3amiya, began to be identified because it did take on all the functions of social communication that Arabic could not assume. This spontaneous bilingualism (3amiya/Arabic) has contributed to the structuring of Maghreb society for almost a millennium; almost until French colonization (19th century). This historic bilingualism broke up in favor of the French. Underestimated and kept out of the institutional framework, the Maghrebian (or Maghribi) 3amiya is little studied in its diachronic dimension and its Punic substrate is almost obscured by the so-called “dialectology” studies, in particular. By revealing to us many linguistic traces of the Punic substrate, the historical past of the Maghribi language invites us to reassess its status and socio-cultural individuation.

أصداء دياكرونييا للمغاربي: الركيزة البونيقية ملخص شهدت شمال افريقيا هيمنة اللغة البونيقية منذ القرن الثامن قبل الميلاد. و نجحت الحضارة القرطاجية في نشر لغتها عبر المنطقة المغاربية الحالية – وحتى أبعد من ذلك في المنطقة الإيبيرية التي رحبت فيما بعد بالأندلسيين، ما يقارب العشرة قرون قبل ظهور النموذج اللغوي العربي. كما يشهد التاريخ على تواجد اللغة البونيقية بهده المنطقةحتى العصر البيزنطي الذي تبعته فترة تاريخية غامضة. وبدأت آثار النشاط اللغوي تظهر من جديد في شمال افريقيا منذ استقرار الاسلام بها. منذ هذا الوقت بدأ الناس يتعرفون على لغة شعبية; سميت العامية. تقمصت هذه اللغة جميع وظائف التواصل الاجتماعي التي لم تستطع اللغة العربية الفصيحة توليها. وساهمت هذه الثنائية اللغة العفوية (العامية-العربية) في هيكلة المجتمع المغاربي منذ الف عام تقريبا حتى مجيء الاستعمار الفرنسي في القرن التاسع عشر، وهنا حصل انقسام في هذه الثنائية اللغوية التاريخية لصالح الفرنسية. لم نولي لللغة العامية المغاربية أية أهمية ولم يتم الاعتراف بها في الفضاء المؤسساتي، حيث لم تدرس إلا قليلا في بعدها التاريخي. كما أن ركائزها البونيقية بقيت محجوبة بشكل شبه تام من قبل ما يسمى بالدراسات «الديالكتولوجيا»; على وجه الخصوص. يدعونا الماضي التاريخي للغة المغاربية إلى إعادة تقييم وضعها وكذلك تفردها الاجتماعي والثقافي من خلال الكشف عن العديد من الآثار اللغوية للركيزة البونيقية.


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