Algérie / Loi organique sur l’Information : une valeur ajoutée pour la politique nationale de communication

 

 

 La loi organique sur l’information, fixant les principes et règles régissant l’activité de l’information et son libre exercice, a été publiée dans le dernier numéro du Journal officiel (JO).

La création d’un cadre professionnel encourageant aux employés du secteur et d’un environnement favorisant la libre circulation de l’information, de l’échange, et l’engagement en faveur du droit du citoyen à l’information est un des objectifs de cette loi. C’est la somme des observations des spécialistes et chercheurs en sociologie de journalisme et des médias, quant à l’avenir de la presse et des médias en Algérie, à l’heure de l’élargissement des usages des nouvelles technologies.
L’utilisation de l’Internet se démocratise et se popularise rapidement, surtout avec l’arrivée du Web 0.2 et l’émergence des plateformes de partage social, souligne le Dr Mebarka Rahmani, enseignante à l’université de Souk-Ahras pour évoquer «une nouveauté qui permet aux utilisateurs de modifier les contenus et d’avoir plus d’interactivité». Cette nouveauté «est une forme de convergence qui place les médias sociaux au carrefour de plusieurs données et arrache aux médias traditionnels (presse écrite, radio et télévision) une large frange de leur public, notamment parmi les plus jeunes», précise le Dr Rahmani, pour qui, «les médias sociaux en sont de bons témoins. Etant axés autour de la communication, la collaboration, les réseaux sociaux ont engendré des réactions et des influences réciproques entre des individus ou des groupes d’individus». Ainsi, «les médias traditionnels, qui voient leur audience s’éroder lentement, en particulier la presse écrite, sont amenés à s’adapter à cette nouvelle donne» poursuit-elle. Car, outre ses avantages propres, Internet regroupe à lui seul les contenus des médias traditionnels écrits, radio et télévision», a-t-elle ajouté.
Le Dr Rahmani fait le constat d’un «horizon économique qui s’assombrit pour les médias dits classiques, à l’image de la presse écrite», où «le taux de lectorat est en déclin, et une diffusion qui se rétrécit pour ne concerner que les grandes villes». Elle revient sur «les caractéristiques des plateformes numériques», notamment, la rapidité de la diffusion et l’accessibilité», pour noter ce qu’elle estime être «l’effondrement des mécanismes de filtrage et de vérification, comme conditions de l’existence du journalisme professionnel».

Suivre les mutations effrénées

Pour l’enseignante, sur le web, «les internautes croulent sous l’avalanche d’informations de tous types, et principalement durant les périodes de crise». Elle cite à ce propos, «toutes ces théories de conspiration et de complot lors de la crise sanitaire».
Une telle situation «pourrait être caractéristique d’une profonde crise de légitimité du journalisme et ainsi de l’affaiblissement d’un quatrième pouvoir nécessaire à l’exercice démocratique».
L’universitaire fait savoir qu’il est «extrêmement difficile de contrôler des milliards de messages par jour lorsqu’ils sont confrontés à de mauvais acteurs devenus experts dans toutes sortes de falsifications high-tech, de manipulation de l’information et de Fakenews». Avec les développements technologiques, «la boîte à outils des désinformateurs va des «robots» logiciels capables de générer des millions de faux profils d’utilisateurs et de fausses publications d’actualités aux derniers «chatbots» basés sur l’Intelligence artificielle (IA)» qui peuvent «tromper les gens en leur faisant croire qu’ils parlent à un autre humain». Il s’agit, pour l’universitaire, d’un «combat» que mènent les médias algériens, qu’ils soient traditionnels ou nouveaux. En d’autres termes, «les cadres juridiques et la loi de l’information, ou les codes de la presse, doivent impérativement suivre ces mutations effrénées».
La chercheure parle de l’émergence du «journaliste-développeur» qui est, désormais, appelé à assurer plusieurs tâches, comme la rédaction de contenus, la production multimédia et l’utilisation voire la manipulation d’outils techniques et surtout le «fact-checking». Le principal défi des médias traditionnels est d’en générer, d’en produire, d’en partager et de se hisser en vrais apôtres du quatrième pouvoir «les journalistes doivent intervenir, pour briser la chaîne de transmission des fake news, des contenus propagandistes et de manipulation», dit-elle.
Pour l’universitaire, «les citoyens ont, légitimement, le droit d’être informés. Or, sur les réseaux sociaux, il y a toute une panoplie d’acteurs, qui n’ont pas nécessairement un devoir de respect des règles d’éthique ou qui servent des intérêts de parties tierces».

Plaidoyer pour une législation solide

Effectivement, c’est là qu’interviennent les autorités publiques, souligne le Dr Menaceur Nacereddine de l’université Larbi-Tebessi de Tébessa, qui cite également la loi n° 20-06 du 28 avril 2020 modifiant et complétant l’ordonnance n°66-156 du 8 juin 1966 portant Code pénal. Il précise que les pouvoirs publics ont inclus au chapitre 6 bis sur la diffusion et propagation des informations ou nouvelles portant atteinte à l’ordre et à la sécurité publique un nouvel article. Il s’agit de l’article 196 bis stipulant : «Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une amende de 100.000 DA à 300.000 DA, quiconque volontairement diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public, des informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics. En cas de récidive, la peine est portée au double».
En effet, les enjeux juridiques liés à la communication et l’information en Algérie ne se limitent pas à ce stade. Les spécialistes appellent à instaurer une législation solide capable de suivre l’évolution des TIC et anticiper ses conséquences, en faisant de la communication un besoin social fondamental et des médias les éléments nécessaires pour une construction démocratique. S’il faut reconnaître l’existence du journaliste citoyen, il serait également nécessaire d’encadrer son activité juridiquement, mais aussi de moderniser et actualiser les codes de déontologie et d’éthique régissant l’activité journalistique professionnelle.


Tahar Kaidi


    Professeur Mohamed Hedir, enseignant à la faculté de journalisme d’Alger : «La nouvelle loi sur l’information instaure un professionnalisme de haut niveau»

La nouvelle loi 23-14 du 27 août 2023 relative à l’information «se définit d’entrée comme le référent juridique le plus à même de remédier à un constat anarchique où se débat depuis des années déjà la profession, envahie par une armada d’intrus», estime le professeur Mohamed Hedir, enseignant à la Faculté de journalisme d’ Alger. «Eu égard à plusieurs de ses articles, l’espoir est permis de voir le champ médiatique algérien définitivement assaini des préjudices et dérives plus ou moins graves causés par des extra-professionnels qui, pendant longtemps et à des fins mercantiles, l’ont dévié des principes régissant la noble mission d’informer», a-t-il argué.

«En ce sens, la nouvelle loi se décline comme étant le précurseur par lequel sera promu un professionnalisme de haut niveau dans l’exercice du métier d’informer suivant une vision qui garantit l’équilibre entre la liberté et la responsabilité», a-t-il soutenu.
Mettant en exergue l’importance des dispositions définissant le profil et les conditions requises pour avoir la qualité de journaliste professionnel, notre interlocuteur a également souligné l’intérêt de voir la nouvelle loi bannir à tout jamais la pratique de prête-nom et interdire formellement, sous peine de sanctions pénales, tout financement ou aide matérielle directe ou indirecte au bénéfice des médias nationaux.

Vers une réduction du champ des fakenews et de la manipulation

Valorisant les articles afférents à la consolidation de la liberté d’expression, entre autres, la simplification dans la création d’entreprises de presse écrite et électronique, de même que le caractère pluraliste des pensées et courants de l’opinion, le Pr Hedir qui salue le renforcement, en vertu de la nouvelle loi, des organismes de régulation et notamment la création d’un conseil d’éthique et de déontologie, s’attend, par ailleurs, à un meilleur impact en terme de lutte contre les fakenews ou autre manipulation médiatique qui détournent le citoyen de la réalité des faits.
Il considère néanmoins nécessaire qu’il y ait «une symbiose agissante entre les professionnels des médias et les chargés de la communication institutionnelle pour réduire autant que faire se peut le champ de diffusion des fakenews dans un esprit de préservation de nos constantes, notre identité nationale, nos valeurs culturelles et cultuelles, des exigences de l’ordre public, de la sécurité nationale et la défense des intérêts de la République».
Mieux, selon notre interlocuteur, les organismes de régulation, d’éthique et de déontologie prévus dans la nouvelle loi peuvent même «contribuer de manière efficiente à mettre un terme aux attaques médiatiques ciblant l’Algérie à partir de l’étranger.
Ceci par le biais, dit-il, «d’une coopération dynamique avec leurs homologues parmi les institutions de régulation et de déontologie existant dans différents pays où au sein des organisations régionales et internationales.
«Une coopération interdisant toute diffusion de fausses informations sous peine de forte amende ou même de décision de fermeture du média qui en est l’auteur, quoi qu’il en soit, de son pays d’origine» a-t-il ajouté.
Karim Aoudia


   Belkacem Ahcene Djaballah, ancien professeur associé en journalisme et communication, journaliste indépendant : «L’Algérie se blinde contre les Fake news et la désinformation»

Propos recueillis par Karim Aoudia

El Moudjahid : A travers une série de dispositions innovantes, la nouvelle loi organique relative à l’information, désormais en vigueur, a inscrit, entre autres, comme objectif, une meilleure résilience de l’Algérie face au phénomène des fake news. Quel sera son impact ?
Belkacem Ahcene Djaballah : Bien sûr, à travers la présente loi et ce qui existe déjà en termes de réglementation, ou ce qui va certainement advenir, l’Algérie aura tout fait pour se blinder contre la désinformation et les fake news, ce nouveau virus de la communication. Malheureusement, à mon avis, cela, bien que nécessaire, ne va pas suffire à endiguer les dérives informationnelles. Car, hélas, ledit virus ne touche pas seulement la presse traditionnelle et les sites électroniques pour la plupart identifiés et identifiables et, donc, pouvant être combattus (par de la contre-information ou des procès en justice) ou dénoncés. Le drame c’est que le phénomène a envahi les réseaux dits sociaux, contaminant même les citoyens lambda. C’est pour cela que sans toucher à la liberté d’expression des citoyens (qui se veulent tous ou presque «journalistes», informateurs et «redresseurs de torts», il est nécessaire de remédier à ce constat déplorable en mettant en œuvre rapidement les outils et les mécanismes d’action et de protection lorsqu’ils n’existent pas encore, et/ou d’améliorer leur application lorsqu’ils existent en se mettant au même rythme international. Et prendre les devants et ne pas attendre trop longtemps. Il faut aussi sensibiliser les citoyens afin qu’ils prennent conscience des dangers et leur faciliter l’accession rapide et non onéreuse à la défense de leurs intérêts.

Quels sont, selon vous, les éléments fondamentaux de la stratégie à faire valoir pour anticiper, d’une part, les manipulations médiatiques qui ciblent l’Algérie à partir de l’étranger et permettre, d’autre part, aux médias nationaux d’émerger en tant que bloc progressivement influent dans leurs espaces régionaux et à l’international?
Je pense qu’il y a deux axes stratégiques principaux -en dehors des textes réglementaires, lesquels se ressemblent ou vont se ressembler partout à travers le monde. Le premier axe est celui de sensibiliser, avec l’aide de spécialistes (enseignants et journalistes anciens et confirmés) et non par des généralistes ou des politiques, les citoyens, tout particulièrement les jeunes et les enfants, au niveau des écoles et des lieux de formation et d’animation (écoles, lycées, universités, centres de jeunesse, clubs sportifs, scouts, associations de jeunes et de moins jeunes,…) à la chose informative, que cette info vienne du journaliste ou du citoyen, en mettant en exergue l’importance d’une information exacte et respectueuse des droits des personnes et des textes réglementaires. Le second axe souligne l’importance d’ouvrir les pôles informatifs (médias publics et privés, tous supports) au public afin qu’il se rende compte de la complexité et de l’organisation spécifique des moyens et du rôle joué par les journalistes en particulier et de la presse en général. Cela va de paire avec une ouverture au public (portes ouvertes, visites guidées…) des institutions (dont les entreprises publiques et privées, ministères et hautes institutions de l’État) vu que pour mieux combattre toute fake news, il n’y a pas mieux que la transparence.

Liberté et responsabilité semblent constituer les maîtres-mots des réformes initiées par le président de la République dans le domaine des médias. Quel est votre avis sur la mise en œuvre de ce processus ?
Liberté et responsabilité. Entièrement d’accord à condition que le terme liberté soit toujours placé en premier, le journaliste étant par essence toujours responsable (ici se pose le problème de la formation universitaire et du contrôle de qualité préalable avant tout recrutement ou pérennisation. Pour éviter tous les dérapages, il faut mettre en place très rapidement les instruments de surveillance et de suivi édictés (ou à venir) par les lois et liés à l’éthique et à la déontologie, à la carte nationale de journaliste professionnel, à la régulation de l’audiovisuel, et de la presse écrite et électronique, à la publicité, sondage, etc. Il faudrait surtout éviter de mettre beaucoup de temps dans la mise en place de tous ces organismes car cela ne fera que l’affaire des fake news d’ici et d’ailleurs, des manipulateurs et autres affairistes (pour ne pas dire exploiteurs du secteur) et causera encore plus de mal aux vrais professionnels des médias.
K. A.


 

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