SOCIOLOGIE POLITIQUE… A L’AMÉRICAINE

        par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                           Livres

GOUVERNEMENT BERBÈRE. LA CITÉ KABYLE DANS L’ALGÉRIE PRÉCOLONIALE. Essai de Hugh Roberts. Barzakh Editions, Alger 2023 (Édition en anglais en 2014, à Londres). Edition en langue française «revue et augmentée», 500 pages, 1.500 dinars

L’auteur qui avait, alors, tout son temps et certainement bien des facilités s’est penché sur l’étude des systèmes politiques berbères et de la «cité kabyle» (de la Grande Kabylie) entre 1509 et 1765.

Bien sûr, bien avant lui, bien des auteurs français du XIXème siècle tout particulièrement ont décrit les «institutions politiques» kabyles, chacun y allant de sa théorie, la plupart pour les minimiser voire nier leur importance. Ce qui allait, assurément, dans le sens de l’idée coloniale, seule capable, pour eux, d’installer une gouvernance sinon «démocratique» du moins participative.

Notre Américain, faisant preuve de bien plus d’empathie… et de curiosité intellectuelle et scientifique, s’est donc inscrit dans une autre logique, mettant en lumière, au sein de la Kabylie précoloniale, les réalités d’une organisation politique au degré élevé d’autonomie.

Pour cela, il s’est, tout particulièrement, intéressé à la société des Igawawen du Djurdjura qui a offert, selon lui, l’exemple le plus développé de la tradition d’organisation politique centrée sur la thajma’th, l’assemblée du village ou de la tribu et les partis, les ºfûf qui en structuraient les délibérations. Une organisation qui permettait de faire face aux crises et de trouver des solutions qui sauvegardaient l’intérêt général, tenant en échec les facteurs de division.

Bien sûr, il ne s’est pas limité à ce seul cas. Ainsi, il présente la relation de la région avec la Régence ottomane, l’avènement du maraboutisme, une analyse du royaume de Koukou, son ascension et la chute de ses seigneurs… l’exhérédation de la femme kabyle… et pour ne pas faillir à la tradition, il termine son œuvre de «recherche» sur… la «revendication identitaire». Bref un peu de tout et de tout un peu… une macédoine d’informations… très enrichissante. Nourrissante ?

L’Auteur : Professeur honoraire de l’Histoire en Afrique du Nord et du Moyen-Orient (Boston, Usa). A enseigné l’anglais en Algérie durant les années 1970 et a effectué de nombreux séjours en Algérie durant les années 1990. Auteur de plusieurs ouvrages… sur l’Algérie.

Sommaire : Avant-propos/ Note sur la translittération/Liste des illustrations/ Liste des cartes/Liste des tableaux/ Chapitre 1 : Considération sur la Kabylie/ Chapitre 2 : Economie et formes de peuplement/ Chapitre 3 : Le droit kabyle/ Chapitre 4 : La cité kabyle/ Chapitre 5 : La Kabylie précoloniale et la Régence. Religion et développement politique (1509-1639)/ Chapitre 6 : L‘ascension et la chute des seigneurs de Koukou/ Chapitre 7 : La reconstitution de la Grande Kabylie après 1640/ Chapitre 8 : Transcender la Kabylie : la tradition constitutionnelle et la tradition exceptionnelle/ Appendice (Déclaration abolissant le droit d’héritage des femmes)/ Glossaire/ Bibliographie/ Index

Extraits : «Ce sont les Français qui ont réservé le mot «kabyle» pour faire référence principalement, voire exclusivement, aux habitants de ce qui est maintenant connu comme la Kabylie» (p 35), «C’est une erreur de parler d’une communauté berbère en tant que telle en Afrique du Nord, ou même en Algérie» (p38), «S’il est vrai que les villages du Jurjura n’auraient pas pu faire vivre leurs populations sans recourir au commerce extérieur et à l’émigration à grande échelle, il est tout aussi vrai qu’ils n’auraient pas pu poursuivre ces activités sans les qualités premières de leur organisation sociopolitique» (p 93), «La tradition «démocratique» en Kabylie est une tradition de gouvernement constitutionnel parce que régie par un code de droit. Le fait que la constitution ne soit pas écrite n’est pas important (…).Mais quelque chose d’autre existait dans le cœur de tous ces hommes libres, le fait qu’ils étaient aussi membres d’une communauté bien plus grande, la communauté des croyants, la umma islamique. La Cité kabyle était une Cité musulmane. Seuls les musulmans pouvaient en faire partie» (p 445).

Avis : C’est une évidence. Les chercheurs, et tout particulièrement les anthropologues, sociologues et autres experts en sciences humaines et sociales -tout particulièrement les étrangers à la recherche du détail historique… dans des passés lointains, ce qui n’est pas un défaut – ont cette qualité (ou manie ?) de «couper les cheveux en quatre», d’où le risque de voir leurs textes très spécialisés, soit d’être mal interprétés, soit d’être incompréhensibles lorsqu’ils sont diffusés auprès du grand public. Tout particulièrement les chercheurs américains et anglo-saxons qui démarrent des détails de l’Histoire pour conclure sur la situation générale… L’inverse de l’école française qui part du général pour se perdre dans le détail.

Citations : «En Kabylie -en tout cas, dans le centre de la Kabylie et dans le Jurjura en particulier- la vérité est à l‘exact opposé» (p 115), «Le fait est qu’en Kabylie, l’idée même de ce qui fait un homme est liée à celle de ce qui fait un citoyen c’est-à-dire un membre d’une communauté politique» (p171), «Un homme doit se montrer, jouer son rôle dans la vie publique, tenir compagnie à ses pairs, prendre le risque de se confronter à eux et s’exposer aux affirmations et défis des autres hommes» (Mouloud Feraoun cité, p 171), «Lieu où l’opinion publique se forme, où l’homme agit en citoyen, la jema’a est aussi, et par conséquent, l’arène dans laquelle les garçons et jeunes hommes se socialisent en se familiarisent avec la vie publique du village, et où se passe la majeure partie de leur apprentissage de la vie d’homme adulte» (p 171), «Dans la Kabylie postcoloniale (…) d’un point de vue idéologique, les Kabyles étaient tous du même parti, c’est-à-dire conservateurs» (p233), «La fanatisme n’est pas une croyance.

C’est la forme particulière -véhémente et intolérante- que l’assertion ou la défense d’une croyance revêt dans certains contextes, en particulier quand cette croyance ou la communauté qui s‘identifie à celle-ci est attaquée» (p 235), «Un jihad est la mobilisation de l’enthousiasme religieux pour une action militaire en faveur de la communauté des croyants» (p 287).

Algérie-Kabylie. Etudes et interventions. Essai de Hugh Roberts. Editions Barzakh, Alger 2014, 335 pages, 900 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel, extraits. Fiche complète in www.almanach-dz.com/vie politique/bibliothèque d’almanach)

Des études et des interventions qui s’étalent sur le sujet de 1994 à 2007. L’ouvrage réunit des articles et des entretiens sur le champ politique algérien et surtout sur la Kabylie que l’auteur connaît plus particulièrement pour y avoir vécu, enseigné et mené des enquêtes sur le terrain.

Départ en trombe avec une introduction (simple, claire et directe) sur les «prémisses historiques d’une libération inachevée». Un titre qui veut tout dire !

La première partie de l’ouvrage, sous forme d’études, est consacrée à une approche historique, sociologique et anthropologique de l’Algérie (…)

La deuxième partie concerne des interventions axées toutes sur la Kabylie qu’il a examinée sous toutes ses coutures (…)

Deux autres textes intéressants : un portrait émouvant (décidément, c’est une malédiction. Nos «vrais» grands hommes – ceux qui apportent ou ont apporté une «plus-value» intellectuelle et culturelle – d’aujourd’hui sont beaucoup plus encensés par les étrangers que par nous-mêmes) de Mahfoud Bennoune («un homme bon. Et ce qui est peut-être encore mieux, un homme «dur»), le grand sociologue algérien décédé (et inhumé) aux Etats-Unis… et l’officialisation de Thamazight avec la question de la graphie (…)

La conclusion (comme d’ailleurs l’introduction) est une partie encore plus intéressante. Pour le chercheur, il faudra qu’un personnel politique nouveau se manifeste et prenne en charge le grand problème du rapport Etat-société en Algérie, problème qui se manifeste surtout dans la crise des institutions. Bref, l’émergence de nouvelles élites nationales guidées par et porteuses d’une nouvelle vision politique bien ancrée dans les meilleures traditions du pays, informée par les expériences d’autres peuples, et réaliste et audacieuse à la fois.

Vaste programme ! (…)

L’Auteur : Voir plus haut

Extraits : «Avec le Fln, le nationalisme algérien recule pour mieux sauter. La nouvelle stratégie reste axée sur l’objectif moderne de l’édification d’un Etat-nation, mais sa mise en œuvre commence par la mobilisation du traditionnel, ce qui ne manque pas de faire naître de nouvelles contradictions au sein du mouvement, tout en tendant à exclure la perspective d’un Etat algérien calqué sur le modèle de la République française» (p 19), «Les puissances occidentales d’aujourd’hui n’ont que faire de l’intérêt national et de la cohésion sociale des autres, cela ne reste plus à démontrer» (p 299).

Avis : Un ouvrage qui date, mais qui fournit un point de vue original… d’autant qu’il a des propositions bien concrètes… tirées d’une connaissance détaillée, méticuleuse, du terrain. Ah ! le pragmatisme américain.

Citations : (…) «La France en 1954 a affaire à un adversaire algérien beaucoup plus redoutable que jamais auparavant, mais elle l’ignore» (p.33), «Le 1er Novembre 1954 est un produit, sur le plan extérieur, de l’ordre mondial nouveau né de la guerre de 1939-1945» (p 34), (…), «L’idée que l’objectif de tout regroupement d’hommes (de nos jours les femmes évidemment en font partie aussi) digne du nom de «parti politique» est de promouvoir l’intérêt national, est fondamentale et indispensable» (p 318).


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