Solution génocidaire

Un projet génocidaire cible le peuple palestinien martyr. D. R.

Par Mourad Benachenhou – Les événements du 7 octobre en Palestine occupée ont provoqué un courant d’islamophobie hystérique tant parmi les dirigeants que dans les médias des «démocraties avancées». Une présentation mensongère des tenants et aboutissants de ces événements a essentiellement eu pour objectif, non seulement de criminaliser le droit du peuple palestinien de se défendre, mais également de prouver la relation fusionnelle entre islamophobie et sionisme, entre la haine de l’islam comme idéologie et comme programme politique, et le projet génocidaire qui cible le peuple palestinien.

La montée en puissance de l’islamophobie, exacerbée par la propagande sans nuance contre le peuple palestinien, a poussé vers le pouvoir le chef d’un parti d’extrême-droite hollandais, qui projette d’interdire l’islam et ne cache pas ses liens spirituels avec le sionisme.

Les événements du 7 octobre sont des opérations militaires concrétisant le droit du peuple palestinien de se défendre, soumis qu’il est à un enfer goulag depuis 1919, et justifié à utiliser tous les moyens pour assurer son existence contre un ennemi dont la férocité n’est plus à démontrer, et qui vient de le prouver face au monde entier, encore une fois, par la dévastation et la mort qu’il a semées dans une partie de la Palestine, déjà sous siège imperméable depuis 18 années.

Une question se pose, au vu de la planification exhaustive de cette vaste opération de commando, question soulevée par simple curiosité, car l’art militaire est compliqué, en particulier dans ce monde de high-tech et de sophistication dans l’armement comme dans son mode d’emploi : celui ou ceux qui a ou ont organisé ce magnifique fait militaire ont-ils agi sous l’inspiration de l’imagination et sous la pression de moyens limités dans une situation d’apparence désespérée ? Ou ont-ils reçu une formation militaire de haute volée où ils ont appris toutes les phases de la stratégie militaire et ont compris comment se combinent les hommes et les moyens en armement et autre matériel pour les rendre particulièrement efficaces, au vu des circonstances dans lesquelles on fait la guerre ?

Bref, a-t-on affaire à des génies de naissance ou à des hommes ayant beaucoup lu et beaucoup appris, et ayant finalement trouvé la bonne approche pour déstabiliser un ennemi sûr de lui, et professant un mépris sans limite pour le peuple colonisé ?

Peu importe la réponse à ces questions. Ce que l’on sait, c’est que ces hommes ne sauraient être qualifiés de terroristes. Leur objectif n’était pas d’infliger des pertes cruelles, immédiatement ressenties, et sans plus, à un ennemi particulièrement féroce, mais de changer le statu quo politique et militaire, qui avait pratiquement transformé la question palestinienne en un sujet purement académique, en occasion pour des hauts responsables politiques, en mal de thèmes, d’en discuter «entre la pomme et la poire», après un bon dîner, entre «hommes de bonne éducation». Ou en palabres d’experts, alourdis de diplômes de grandes universités, en séminaire sur invitation d’instituts prestigieux financés par des marchands d’armes, applaudissant encore une fois à la façon dont les sionistes «ont pu mater les terroristes palestiniens», par des méthodes, certes pas très orthodoxes et contraires aux lois humaines comme aux accords internationaux, mais «réellement efficaces», preuves à l’appui.

La tentative de criminaliser cette opération, qui découle simplement du droit sacré du peuple palestinien à se défendre contre le projet génocidaire sioniste annoncé, ne peut être que vaine. De même, on ne saurait également criminaliser le droit à l’existence de ce peuple, quel que soit par ailleurs le groupe qui a pris sur lui-même de personnifier ce droit et l’idéologie dont il se réclame.

Le sionisme est également une idéologie religieuse qui ne cache pas ses racines et dont le fanatisme extrémiste n’est plus à prouver.

Se couvrir du carton rouge de l’«antisémitisme» pour justifier ses crimes n’a plus de validité, de même que la référence à l’holocauste, dont la répétition se déroule actuellement sur tout le territoire palestinien, et de manière encore plus barbare, dans la bande de Gaza.

Le monde est pris à témoin : le peuple palestinien est encore vivant et est encore prêt à se battre contre un ennemi surarmé, cruel et fanatique, et à affronter la mort et les souffrances pour assurer son existence.

La barbarie sans limite manifestée par les dirigeants de la colonie de peuplement contre le peuple palestinien, tant à Gaza que dans les territoires occupés, prouvent non seulement l’illégitimité de cette entité, mais également le refus par elle de toute autre solution que l’extermination totale du peuple palestinien et sa disparition complète de la Palestine historique.

Arriveront-ils à imposer leur solution génocidaire ? L’histoire le dira. En tout cas, ils prouvent au monde qu’ils récusent toutes les «valeurs occidentales» qu’ils prétendent défendre, et c’est aux «démocraties avancées» à en tirer les conclusions qui s’imposent avant qu’il soit trop tard.

Tenter de faire la leçon à ceux des Etats qui observent et ont toutes les raisons d’imiter l’entité sioniste est un exercice de rhétorique vain, sans poids et sans valeur. Une nouvelle preuve de fourberie et de cynisme qui ne trompe plus personnes, y compris les opinions publiques «éclairées» de ces pays qui prétendent diriger «pour le mieux» ce monde.

Finalement, et il faut le répéter en toutes occasions, car les preuves s’étalent en direct et en continu, les accords d’Abraham sont loin d’avoir atténué la violence sioniste ou d’avoir ouvert la voie à une solution politique assurant au peuple palestinien son droit à l’existence. Au contraire, ces accords ont été interprétés par les sionistes comme un soutien à leur projet génocidaire et une autorisation de le finaliser au plus tôt.

M. B.


                     L’illusion d’une solution militaire à Gaza

Note de la FRS n°24/2023
Laure Foucher, 15 novembre 2023

En réponse aux attaques du 7 octobre menées par le Hamas au cours desquelles ont été tués plus de 1 200 Israéliens, en grande majorité des civils, blessés plus de 3 500 autres et capturés plus de 240 otages, les autorités israéliennes ont lancé des bombardements massifs et déclenché une opération terrestre dans la bande de Gaza. A ce stade, selon le ministère de la Santé à Gaza, plus de 11 200 personnes, essentiellement des civils, ont été tuées par les frappes israéliennes dans l’enclave palestinienne. Les objectifs de guerre affichés par le cabinet de guerre israélien – notamment la destruction des capacités gouvernementales et militaires du Hamas – manquent de réalisme, et se heurtent au coût humain exorbitant pour les habitants gazaouis. Aucune des options envisagées à ce stade pour une sortie de guerre ne parvient à démentir l’illusion d’une solution militaire à Gaza.

Des objectifs de guerre qui se heurtent à la réalité de terrain

L’opération du Hamas, en coordination avec d’autres groupes armés gazaouis, a traumatisé la population israélienne, d’abord par son ampleur et son niveau de violence sans précédent depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948, mais également parce qu’elle est venue briser une série de paradigmes sécuritaires, le premier étant la capacité de l’appareil sécuritaire israélien, fort de sa supériorité technologique et de ses services de renseignement puissants, à protéger ses citoyens. L’ordre hiérarchique des menaces à l’encontre de l’Etat d’Israël est également ébranlé : au lendemain du 7 octobre, Israël réalise que l’enjeu sécuritaire des Territoires palestiniens, qui avait été relégué à un rang secondaire face à la menace iranienne que le Premier ministre israélien B. Netanyahu n’a cessé de prioriser depuis plusieurs décennies, est fondamental. Plus largement, c’est le concept même de dissuasion, sur lequel repose une partie de la stratégie de défense israélienne sur son flanc sud, mais aussi sur son flanc nord, qui est mis à bas. Si la nature des calculs du Hezbollah pour une entrée en guerre contre l’Etat d’Israël diffère entièrement de ceux du Hamas, Israël se découvre également profondément vulnérable à ses frontières nord, dont le système de défense était approximativement similaire à celui disposé autour de la bande de Gaza. En outre, comme en témoigne l’engagement sans précédent des Etats-Unis auprès des autorités israéliennes dans cette guerre – déploiement de navires de guerre à des fins de dissuasion, conseil stratégique, approvisionnement en armement, soutien opérationnel et logistique –, Israël n’est pas en mesure d’assurer seul sa défense. Pour l’ensemble de ces raisons, la guerre menée actuellement dans la bande de Gaza est considérée et vécue comme « existentielle » par les autorités et la population israéliennes. Les objectifs de guerre déclarés par le cabinet israélien en réponse aux attaques du 7 octobre sont considérables : détruire les capacités militaires et gouvernementales du Hamas, assurer la sécurité aux frontières israéliennes et ramener les otages en Israël. A la différence des offensives menées dans la bande de Gaza depuis la prise de pouvoir par le Hamas en 2007 (2008, 2012, 2014 et 2021), les autorités israéliennes ne se contenteraient plus d’affaiblir régulièrement les capacités militaires du Hamas en « tondant la pelouse » selon la formule de ses dirigeants. Il s’agit cette fois-ci, selon un conseiller proche des cercles décisionnaires en Israël, d’éliminer entièrement son leadership militaire et politique – et non pas les fonctionnaires affiliés au Hamas – ainsi que de détruire son arsenal militaire et ses capacités de production d’armement, pour instaurer dans une ultime phase « un nouveau régime de sécurité » à Gaza. L’analyse faite par l’establishment israélien est que, suite à l’échec de la stratégie de dissuasion établie vis-à-vis du Hamas depuis 2007, seul l’établissement d’un nouveau système de gestion administrative et sécuritaire de Gaza pourra assurer la sécurité des Israéliens. Si ces objectifs de guerre peuvent être considérés comme légitimes du point de vue israélien, ils n’apparaissent pas pour autant réalistes. Au sein même du cercle décisionnaire israélien, l’opérationnalisation de ces objectifs est tout sauf claire. A ce stade, le Hamas, toutes branches confondues, est loin d’être démantelé. Selon les déclarations des forces armées israéliennes, quelques dizaines de responsables de la branche armée du groupe islamiste – les Brigades Izz al-Din al-Qassam –, dont notamment des commandants de bataillons, ainsi que plusieurs centaines de combattants, ont été tués. La plupart des hauts responsables militaires et politiques n’ont pas encore été touchés. En outre, le Hamas dispose sans aucun doute d’une chaîne de commandement préparée à prendre la relève. C’est la raison principale pour laquelle l’administration Biden se refuse pour le moment à exiger de son allié israélien un « cessez-le-feu », qui est envisagé comme « défavorable » à ce stade pour Israël, et limite ainsi ses demandes à des « pauses humanitaires ».

Le réalisme des objectifs militaires déclarés par le cabinet de guerre ne se heurte pas seulement à une analyse froide de leur faisabilité, mais également au coût humain qu’ils représentent dans un territoire qui fait partie des zones les plus densément peuplées au monde. Selon un conseiller proche des cercles décisionnaires israéliens, l’armée israélienne estime que plus la guerre sera longue, plus Tsahal aura de chances de porter un coup décisif au Hamas. Mais si Israël devait poursuivre ses opérations au rythme actuel, les conséquences pour la bande de Gaza et ses 2,2 millions d’habitants seraient encore plus dramatiques sans pour autant assurer que les objectifs de guerre puissent être véritablement atteints. Alors que les autorités israéliennes ne cessent de répéter que la guerre sera longue, le prix payé par les Palestiniens de Gaza des frappes israéliennes au trente-huitième jour de guerre (13 novembre) est déjà exorbitant : plus de 11 200 personnes tuées, en grande majorité des civils, dont plus de 4 500 enfants ; plus de 27 400 blessés ; plus de 700 000 déplacements forcés ; destruction massive des habitations et infrastructures civiles dans un territoire qui ne cesse de voir son développement reculer depuis 2008 ; crise humanitaire sans précédent. A ce stade, deux options sur l’évolution tactique des opérations militaires sont discutées au sein de l’establishment politique et militaire israélien. La première serait de poursuivre les opérations sur le mode actuel, à savoir une invasion terrestre appuyée par des bombardements intensifs, qui finirait par s’étendre jusqu’au sud de la bande de Gaza où se trouvent, selon les autorités israéliennes, des « infrastructures du Hamas qui doivent être détruites ». La deuxième serait le retrait de l’infanterie israélienne de la ville de Gaza et la mise en place d’incursions terrestres pour des opérations ciblées, avec un appui maritime et aérien. Plusieurs paramètres infléchiront la prise de décision sur l’évolution tactique des opérations : les avancées en termes de réalisation des objectifs purement militaires – la poursuite d’opérations jusqu’au sud sur le mode actuel est jugée plus « efficace »; la nécessité de limiter les risques d’embrasement régional avec l’ouverture a minima d’un nouveau front au nord, voire à Jérusalem-Est et en Cisjordanie ; enfin la question du maintien d’un soutien indéfectible des Etats-Unis – et, dans une autre mesure, de celui des Européens. A terme, les autorités israéliennes ne parviendront pas à concilier l’ensemble de ces paramètres et devront probablement choisir où placer le curseur. La situation sur le front nord comme dans le reste des Territoires palestiniens est extrêmement volatile. Les deux discours prononcés depuis le début du conflit par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ne sortent certes pas du cadre de la rhétorique habituelle. Ils semblent avoir surtout servi au chef du Hezbollah à justifier auprès de sa base le fait que le groupe armé ne soit pas entré, pour le moment, dans une confrontation totale avec Israël. Mais plus la survie du Hamas sera menacée, plus il semblera difficile pour le Hezbollah de ne pas intervenir, sous peine de perdre toute légitimité quant à sa posture de défenseur de « l’axe de la résistance ». En outre, l’accélération des échanges de tirs et les accrochages de part et d’autre de la frontière rendent les risques d’escalade déjà bien réels. La Cisjordanie se trouve également dans une situation particulièrement explosive. En proie à une flambée de violences depuis la guerre à Gaza dans plusieurs zones – dont les villes de Jénine, Hébron, Ramallah, Naplouse –, la Cisjordanie pourrait devenir le terrain de troubles généralisés et difficilement maîtrisables.

A ce stade, seuls les Etats-Unis, dont Israël apparait extrêmement dépendant, pourraient être en mesure d’infléchir les décideurs israéliens sur la tournure de la guerre. Après leurs appels à des « trêves » ou « pauses » humanitaires, et les rappels sur l’obligation des parties de protéger les populations civiles conformément au droit international, les Etats-Unis – mais aussi plusieurs Etats européens, dont la France – pourraient finir par s’inquiéter de leur opinion publique et des risques que fait peser sur leur propre territoire l’importation du conflit, de la dégradation de leurs relations avec les Etats arabes de la région et des risques d’une guerre régionale dans laquelle ils se retrouveraient forcément impliqués. Si pour le moment les Etats-Unis se sont refusés à appeler à un cessez-le-feu, arguant du « droit d’Israël à se défendre », ils pourraient en revanche décider d’inciter Israël, parallèlement à l’instauration de « pauses humanitaires », à suivre davantage des opérations de type incursions. En outre, Washington a déjà fait part de ses inquiétudes quant aux conséquences négatives que l’absence de protection des civils palestiniens, la crise humanitaire et l’ampleur des destructions font peser sur une stratégie de sortie de guerre.

Israël fait l’impasse sur la question du « jour d’après »

Sous la pression des Etats-Unis, le Premier ministre israélien a donné très récemment des directives à certaines de ses administrations pour commencer à travailler sur les options possibles de gouvernance politique et sécuritaire dans la bande de Gaza à l’issue de la guerre. Mais à ce stade, les opérations militaires israéliennes ne sont pas portées par une stratégie claire de sortie de crise. Selon un conseiller proche des cercles décisionnaires israéliens, il existe un bras de fer entre les Américains et le cabinet de guerre israélien sur les options à privilégier. Washington insiste, comme le reflètent les déclarations du Secrétaire d’Etat Anthony Blinken, sur la nécessité d’un retour de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza. Le cabinet de guerre israélien y est fortement réticent à ce stade. Très critique d’une Autorité palestinienne (AP) considérée comme un partenaire peu fiable et hostile, les autorités israéliennes, y compris les figures d’opposition du cabinet de guerre B. Gantz et G. Eisenkott, pencheraient davantage pour l’instauration d’un « conseil local gazaoui », qui travaillerait en coordination limitée avec Ramallah. Celui-ci n’inclurait aucun représentant de l’AP mais des personnalités de la société civile, des universitaires, des représentants de certaines factions de l’OLP, des Palestiniens de la diaspora ou de la Cisjordanie, à l’exclusion de tout membre du Hamas. En d’autres termes, cette option reviendrait à instaurer dans la bande de Gaza une administration palestinienne, en relation avec Ramallah – et non pas sous le contrôle de Ramallah –, à qui incomberait la gestion civile et sécuritaire de la zone. A l’image de la zone A de Cisjordanie, les forces israéliennes se réserveraient non seulement le droit d’intervenir à tout moment mais disposeraient également d’une coordination sécuritaire avec le « conseil local », comme c’est actuellement le cas avec les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Dans un cas comme dans l’autre, ces scenarii ne sont pas viables, faisant peu cas de la réalité palestinienne. Tout d’abord, aucun acteur palestinien ne prendra le risque d’installer son autorité à Gaza – si tant est que le leadership politique et militaire du Hamas soit démantelé – après une victoire israélienne. L’Autorité palestinienne est déjà perçue comme « collaboratrice » par l’immense majorité des Palestiniens, qui dénoncent parallèlement sa corruption et sa dérive autoritaire. Cette crise de légitimité a fait progressivement perdre à l’AP de sa capacité de contrôle au sein même des Territoires dont elle a la charge en Cisjordanie, comme en témoigne l’émergence d’une nouvelle génération de groupes armés. Tout mouvement de l’Autorité palestinienne en ce sens ne porterait pas seulement un coup fatal à sa légitimité, il accentuerait sa dislocation à l’œuvre aujourd’hui. Vidé de toute substance politique et privé de tout pouvoir régalien, un « conseil local » comme l’envisagent les autorités israéliennes pourra difficilement échapper à une trajectoire similaire. En outre, quel serait l’intérêt pour l’AP ou les acteurs supposés d’un conseil local de porter le poids de la gestion civile et sécuritaire d’un territoire qui non seulement s’apparentera à un bourbier sécuritaire – il est inconcevable, de l’aveu même des dirigeants israéliens, d’éliminer l’ensemble des combattants des Qassam et d’autres groupuscules armés–, mais qui peinera en outre à se relever de la crise humanitaire engendrée par les opérations israéliennes ? Penser que l’Autorité ou un « conseil local » serait à même de gérer administrativement et sécuritairement la bande de Gaza dans un tel contexte relève d’une illusion.

Enfin, tout aussi chimérique est la réflexion circulant actuellement, selon les médias locaux et internationaux, ainsi que selon certaines déclarations, notamment européennes, sur l’opportunité d’instaurer une force multinationale comme possible alternative à la gouvernance du Hamas dans la bande de Gaza. La forme et la composition d’une telle force resteraient à définir, mais l’idée d’une participation de pays arabes a été fortement relayée dans les médias locaux et internationaux. La présidente de la Commission européenne, U. von der Leyen, a pour sa part mentionné l’idée d’une force de maintien de la paix sous mandat onusien sans donner davantage de précisions. D’une part, ces réflexions sont en décalage avec les options discutées en ce moment par Washington et Tel Aviv. D’autre part, Israël s’est toujours catégoriquement refusé à confier sa sécurité à un acteur extérieur. Par ailleurs, au-delà des obstacles sur le plan sécuritaire et administratif que représenterait une telle mission, il semble peu probable que les Etats arabes de la région soient disposés à prendre le risque d’être perçus à leur tour comme étant à la solde des Israéliens.

La sortie de la guerre ne peut faire l’économie du politique

Aussi inaudible que cela puisse être pour Israël, au vu de l’atrocité des attaques du 7 octobre et du traumatisme qu’elles représentent pour la population israélienne, la leçon à tirer de la guerre actuelle va à rebours de ce que la vaste majorité des dirigeants israéliens ont tenté de faire croire à leur population depuis l’échec des accords d’Oslo. Réduire la question palestinienne à une gestion sécuritaire agrémentée de quelques concessions économiques ad hoc ne peut garantir la sécurité de ses citoyens. Les seules voix de gauche, minoritaires, qui se sont aventurées à tenir un discours différent sont inaudibles depuis des années. Les Etats européens portent une grande responsabilité dans cette fuite en avant sécuritaire israélienne. Depuis l’échec du processus d’Oslo, l’Europe a inlassablement insisté sur la nécessité de parvenir à une solution à deux Etats sans pour autant définir une politique pro-active qui inciterait les acteurs au conflit à faire des pas en ce sens. Au contraire, l’Union européenne et ses Etats membres ont privilégié une politique de micro-management de court terme, dans l’objectif de maintenir une relative stabilité. Ils ont tenté de compenser leur désengagement politique par une aide au développement et une assistance humanitaire. Les guerres répétées à Gaza depuis 2008, comme les irruptions de violence à répétition à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, n’ont pas infléchi la trajectoire de la politique européenne, malgré les avertissements non seulement des experts mais aussi des diplomates déployés sur le terrain mettant en garde contre cette « bombe à retardement ». Au cœur de cette inertie se trouvent certes les désaccords européens internes, mais aussi et surtout le calcul des principaux Etats membres, qui estiment le coût d’un investissement diplomatique trop élevé et ses bénéfices trop incertains pour un conflit perçu, en fin de compte, comme « contenu ». Cette approche est certes compréhensible au vu des défis de politique étrangère majeurs auxquels font face les Européens, mais elle est profondément erronée, comme en témoignent les semaines passées qui, au-delà des souffrances des Israéliens et des Palestiniens, font craindre un embrasement régional.

Les initiatives européennes pour permettre l’accès à l’aide humanitaire sont nécessaires. Face aux incertitudes quant à la tournure de la guerre, il est du devoir des pays européens d’assurer un accès humanitaire et la protection des civils. Dans ce cadre, les initiatives européennes, comme la conférence humanitaire internationale pour Gaza à Paris le 9 novembre 2023, sont les bienvenues. Mais elles ne sont pas suffisantes et il est indispensable que les Européens tirent les leçons de leurs erreurs du passé.

Dans le contexte actuel, cela signifie d’abord que les Européens doivent appeler à un cessez-le-feu et travailler aux conditions pour y parvenir. Le cours de la guerre montre certes que le seul interlocuteur extérieur à même d’influencer les cercles décisionnaires israéliens est Washington, mais rien n’empêche certains Etats membres de l’Union européenne d’œuvrer ensemble, avec l’appui de leurs partenaires régionaux, pour convaincre les Etats-Unis de la nécessité de forcer les parties à définir les termes d’un cessez-le-feu.

Sur le plus long terme, les Européens doivent aller à contre-courant de l’analyse qui est majoritaire actuellement en Israël, à savoir que le 7 octobre vient d’anéantir tout espoir de processus de paix. L’Europe doit faire entendre à Israël, aussi inaudible que cela puisse être à ce stade, que la sécurité de ses citoyens ne pourra pas faire l’économie d’une résolution de l’équation politique de la question palestinienne. Vis-à-vis des Palestiniens, les Européens doivent s’atteler à créer les conditions d’un renouveau politique sans lequel toute dynamique politique est illusoire. La politique européenne qui a consisté ces dernières années à renforcer Mahmoud Abbas dans l’espoir d’affaiblir le Hamas a non seulement échoué : elle s’est révélée contre-productive. En premier lieu parce qu’elle a permis au président de l’Autorité palestinienne d’ignorer toutes les pressions européennes pour rendre possible un renouvellement de la scène politique dans les Territoires palestiniens – report constant de la tenue d’élections générales, échecs répétés des processus de réconciliation entre le Fatah et le Hamas –, qui aurait pu à terme aboutir à la réunification entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Cette politique a laissé la porte ouverte à un autoritarisme grandissant de l’Autorité palestinienne, aggravant sa crise de légitimité sur laquelle le Hamas a su capitaliser. Si bien que la scène palestinienne se retrouve aujourd’hui réduite à une Autorité considérée par son peuple comme des « sous-traitants » de l’occupation israélienne et à des partis politiques palestiniens éclatés qui, à l’instar du Fatah, peinent à faire émerger une figure politique capable de réunir autour d’un projet politique commun. Or, aujourd’hui, l’Europe manque cruellement d’interlocuteurs à même de permettre une dynamique de sortie de crise – comme le souligne aussi l’irréalisme de l’ensemble des scenarii envisagés autour d’une sortie de crise à Gaza –, et plus encore d’enclencher à l’avenir un véritable processus de paix.


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