La vérité sur l’économie circulaire

 

par Henri de Grossouvre

L’économie circulaire est une ambition certes vertueuse mais elle reste très marginale dans nos économies modernes. Si on veut passer d’une économie linéaire à une économie circulaire il faut une nouvelle révolution copernicienne renversant la logique économique linéaire qui prévaut depuis près de 200 ans avec l’avènement de la révolution industrielle. Seules les sociétés traditionnelles, rurales, paysannes, artisanales et préindustrielles fonctionnaient selon les principes de l’économie circulaire.

Soyons lucides, l’économie circulaire est très marginale dans nos économies linéaires modernes. Si on veut passer d’une économie linéaire à une économie circulaire, il faut un changement d’échelle, une nouvelle révolution copernicienne renversant la logique économique linéaire qui prévaut depuis près de 200 ans avec l’avènement de la révolution industrielle. « Seul 9% des milliards de tonnes de ressources exploitées pour faire tourner l’économie chaque année provient d’une quelconque forme de réutilisation, les 91% restants sont « extraits » de la nature » (Rapport The circularity Gap[1] »)

Dessin Joséphine de Grossouvre / Texte Henri de Grossouvre

Seules les sociétés traditionnelles, rurales, paysannes, artisanales et préindustrielles fonctionnaient selon les principes de l’économie circulaire : les biens y étaient produits en fonction de besoins alors que l’économie industrielle produit des biens pour des consommateurs anonymes. L’avènement du fordisme, aux Etats-Unis puis en Europe occidentale a accéléré les conséquences néfastes de l’économie linéaire selon le principe : on produit, on consomme, on jette. Avant la seconde guerre mondiale, on transmettait encore souvent des objets acquis en fonction de besoins afin de les transmettre aux générations suivantes. Les crises économiques, écologiques, sanitaires et la guerre en Ukraine ont accéléré la prise de conscience de l’urgence écologique par les populations et les gouvernements mais des pratiques présentés comme vertueuses et relevant de l’économie circulaire relèvent bien souvent d’une logique consumériste comme par exemple les plateforme de pairs à pairs d’objets de seconde main qui permettent d’économiser pour consommer ou voyager, induisent des déplacements supplémentaires souvent sans achat et privent en même temps les associations caritatives vivant du don d’objets qui leurs étaient auparavant donnés. eauCela dit, le discours sur l’économie circulaire, l’économie verte, les pratiques vertueuses des entreprises, les éco gestes même s’ils ne changent pas le système en profondeur ont dégagé une dynamique nouvelle, un esprit positif, de nouvelles aspirations. Mais nous avons seulement une génération, 30 ans (objectif européen de 2050) pour changer radicalement un modèle construit depuis près de 200 ans et basé sur les énergies fossiles et une économie linéaire.

Pas de changement d’échelle sans changement radical des normes et de la politique fiscale en concertation avec le secteur privé

« Nous avons d’abord besoin de normes pour contrôler les émissions liées à la production industrielle, aux mobilités, aux systèmes de chauffage des logements, etc.[2] » (Gouverner la transition écologique, Canfin & Pech)

La crise financière de 2008 et la crise sanitaire ont entrainé un retour de l’intervention légitime des Etats mais les Etats ne peuvent agir sans étroite concertation et négociation avec les forces vives de l’économie et doivent rendre leurs politiques environnementales intelligibles tout particulièrement dans un contexte de crise économique et de fragilisation sociale de grandes parties des populations. Le problème de la transition écologique et du passage à l’économique circulaire n’est pas tant de savoir quoi faire « mais plutôt comment le faire plus vite et à plus grande échelle[3] ». Au-delà des actions individuelles, des écogestes plus utiles à la prise de conscience qu’à la transition climatique et des actions vertueuses d’entreprises, il faut changer d’échelle et changer de système. Les pouvoirs publics doivent agir en coopération avec les entreprises privées mais aussi communiquer auprès des citoyens et les consulter pour que les mesures soient comprises et acceptées. Pour ne prendre qu’un exemple, malgré les nombreuses initiatives dans le domaine de la plasturgie et les nouvelles technologies le plastique vierge est toujours moins cher que le plastique recyclé. Dans chaque secteur, il nous faut identifier les opérateurs pertinents, organes de l’Etat, collectivités, grandes entreprises, petites entreprises, associations de consommateurs, ONG… et organiser des plateformes de négociation destinées à préparer un changement législatif et économique qui sera ainsi mieux compris et accepté et plus efficace. C’est ce qu’on fait les Suédois avec l’initiative « Fossile free Sweden[4] ».

« Passer à l’économie circulaire » équivaut à se poser la question, comment faire à grande échelle ce que nous savons déjà faire le plus souvent à petite échelle et quels sont les freins qui nous en empêchent. Sans rentrer dans le détail technique et réglementaire, il y a beaucoup de sujets pour lesquels nous savons où il faut agir et pour changer d’échelle nous devons nous concentrer sur ces sujets sur lesquels le consensus est majoritairement établi :

  • Electrifier la mobilité et développer les mobilités douces
  • Passer à 100% d’énergies non fossiles et diminuer drastiquement l’usage du plastique dont le pétrole et le gaz sont la matière première
  • Isoler les bâtiments à grande échelle
  • Arrêter l’artificialisation des sols
  • Passer à une alimentation plus locale et moins carnée

Les sujets sur lesquels nous ne savons pas encore sur quoi il faut agir dépendent le plus souvent de l’innovation technologique à venir, nous ne sommes pas encore sûrs, par exemple, que l’hydrogène sera l’énergie de demain ou si nous serons capables de trouver de nouvelles solutions de stockage de l’électricité. L’économie de la fonctionnalité privilégiant l’usage par la location des produits sur leur vente participe à la transition vers une économie circulaire. De nombreuses entreprises ont déjà mis en place des systèmes permettant de remplacer progressivement le modèle économique de rémunération au volume par une rémunération à la performance environnementale impliquant une baisse relative des volumes. Les petites entreprises sont plus fragiles aux changements rapides de modèles économiques qu’il faut anticiper en concertation avec les différents acteurs de chaque secteur. La préservation des ressources en eau, notamment en raison du stress hydrique croissant va être un sujet de plus en plus important dans les années à venir et la législation doit évoluer et accompagner les évolutions et les besoins. En France, il n’est par exemple, pour le moment, pas autorisé de réalimenter les nappes avec des eaux usées traitées alors que cela se fait dans plusieurs pays dans le monde. Les eaux usées traitées peuvent aussi servir à nettoyer les voiries ou à arroser pour préserver la ressource en eau potable. A l’économie circulaire « industrielle » doit faire écho l’économie circulaire « naturelle » des ressources vitales comme l’eau.

Ne pas imposer d’en haut, impliquer, les entreprises, les citoyens et surtout la jeune génération militante climatique

La principale solution pour accélérer la transition vers l’économie circulaire nous semble donc être la réglementation fiscale, une législation permettant de changer d’échelle. Mais croire que l’on peut transformer l’économie et la société d’en haut est illusoire, les changements réglementaires ne seront efficaces et acceptés que s’ils sont négociés avec les principaux acteurs, publics, privés, citoyens. Nous avons tous, dans nos différents pays, des exemples de mesures qui ont suscité des troubles sociaux ou ont dû être simplement abandonnés face aux réactions des populations.[5] Les entreprises dont les modèles économiques sont remis en cause par la transformation doivent aussi être impliquées dans les processus de transformation, tout particulièrement les petites et moyennes entreprises ayant moins de capacité à anticiper les changements et de résilience face aux crises. Une attention particulière doit être donnée à la jeune génération militante climatique, « éco-anxieuse », dont la colère « naît de la dichotomie entre, d’une part le sentiment d’urgence des répondants ainsi que leur engagement personnel et, d’autre part, constat qu’il font d’une relative inaction à l’échelle collective, dans leur cercle proche, sur leur lieu de travail, et dans la vie publique  »[6] Une génération dont la relation au travail salarié a par ailleurs également changé et dont les diplômés préfèrent de plus en plus être payés moins dans une association ou une ONG œuvrant pour le climat plutôt que travailler et faire carrière dans une grande entreprise perçue avec suspicion. Il faut impliquer et associer cette jeune génération dans la transformation de l’économie linéaire vers une économie circulaire avant qu’elle ne décroche afin de faciliter une transformation sans heurts de nos systèmes économiques et sociaux.


Henri de Grossouvre


[1] « The circularity Gap » est un rapport rédigé annuellement par l’entreprise sociale Circle Economy, soutenue par l’ONU Environnement

[2] « Gouverner la transition écologique », P. Canfin & T. Pech, novembre 2021

[3] Ibid.

[4] Fossile Free Sweden, about us : https://fossilfrittsverige.se/en/about-us/

[5] En France le mouvement des gilets jaunes a, par exemple, été suscité par la hausse des carburants et l’Ecotaxe adoptée à l’unanimité au parlement a été abandonnée sur la pression des Bonnets rouges.

[6] « Dans la tête des éco-anxieux. Une génération face au dérèglement climatique ». Marie Caillaud, Rémi Lauwerier, Théo Verdier, Note de la Fondation Jean Jaurès, octobre 2022.


 

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