LE PROCESSUS DE RECONNAISSANCE DU DROIT DU PEUPLE PALESTINIEN À L’AUTODÉTERMINATION, ET LES ENTRAVES DES ORGANISATIONS SIONISTES À CE MOUVEMENT

par  Arezki IGHEMAT[1]

[1] Détenteur d’un PhD en Économie et d’un Master en Littérature francophone (Purdue University, Indiana, USA), l’auteur a enseigné dans plusieurs universités et instituts, en Algérie et à l’étranger[1]. Il a également été chercheur[1] au CREAD et à l’INESG, et est l’auteur de 4 ouvrages concernant diverses questions économiques et politiques en Algérie et dans le monde, et plus d’une centaines d’articles pour divers supports, dont certains pour la revue Géostratégiques de l’Académie de Géopolitique de Paris. Aujourd’hui l’auteur est en retraite et Secrétaire Général du GRAL (Groupe de Réflexion sur l’Algérie).

Ann Harbor (Michigan), 4 mai 2024. Salma Hamamy porte le drapeau de la Palestine, lors d’une manifestation pro-palestinienne, à l’occasion de la cérémonie de lancement du printemps de l’Université du Michigan. Nic Antaya / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

 

Résumé : Dans cet article, nous montrons d’abord les progrès accomplis par le peuple palestinien dans sa lutte constante, et qui continue à ce jour, pour la reconnaissance de son droit à l’autodétermination et à l’indépendance. Ces progrès ont été entravés – et continuent à l’être aujourd’hui – par les actions entreprises par les organisations sionistes, depuis la fin de l’Empire ottoman et le début du Mandat britannique sur la Palestine, afin d’empêcher d’un côté que le peuple palestinien réalise son droit à l’indépendance, et de l’autre côté pour réaliser leur rêve d’un « foyer national juif », devenu au fil des années l’État d’Israël, mis en place le 14 mai 1948. Comment résoudre ce conflit « éternel » et complexe ? Cette question va tarauder les instances internationales pendant encore plusieurs années, voire plusieurs décennies.

Mots-clés : Palestine, Israël, Droit des peuples à l’autodétermination, Indépendance, Nations Unies, International, Sionisme, Immigration.

THE RECOGNITION PROCESS OF THE PALESTINIAN PEOPLE’S RIGHT TO SELF-DETERMINATION AND THE HARRIERS OF ZIONIST ORGANIZATIONS TO THIS MOVEMENT

Abstract : In this article, we first show the progress made by the Palestinian people in their constant struggle, which continues to this day, for the recognition of their right to self-determination and independence. This progress has been hampered – and continues to be today – by the actions undertaken by Zionist organizations, since the end of the Ottoman Empire and the beginning of the British Mandate of Palestine, in order to prevent, on one side, that the Palestinian people realize their right to independence, and on the other side to realize their dream of a “Jewish national homeland”, which over the years became the State of Israel, established on the 14th of May, 1948. How to resolve this “eternal” and complex conflict? This question will torment international bodies for several more years, or maybe for several decades to come.

Key words : Palestine, Israel, Right of peoples to self-determination, Independence, United Nations, International, Zionism, Immigration.

In my formal capacity as Chairman of the PLO and leader of the Palestinian Revolution, I proclaim before you that, when we speak of our common hopes for the Palestinians of tomorrow, we include in our perspective all Jews now living in Palestine who choose to live with us in peace and without discrimination […] I have come bearing an olive tree branch on one hand and the freedom-fighter gun on the other. Do not let the olive branch fall from my hand. I repeat, do not let the olive branch fall from my hand[1].

Between ourselves, it must be clear that there is no room for both peoples [Jewish and Palestinians] together in this country [Palestine]… We shall not achieve our goals of being an independent people with the Arabs from here [Palestine] to the neighboring countries, to transfer all them, not one village not one tribe, should be left […] The only solution is a Palestine, at least Western Palestine (west of the Jordan River) without Arabs”[2].

INTRODUCTION

DEPUIS LE DÉPART DE LA PUISSANCE MANDATRICE – qui avait été désignée comme Autorité administrative de la Palestine par le Conseil Supérieur de la Société des Nations (le 25 avril 1920), dont l’action sur le terrain a commencé le 29 septembre 1923 suite au Traité de Lausanne (Suisse) mettant fin au conflit entre les Puissances alliées et l’Empire ottoman, et dont la mission a pris fin le 14 mai 1948, jour où Israël a déclaré son indépendance – les Nations Unies (qui avaient pris le relais de la Société des Nations) avaient adopté une série de résolutions inscrivant la « Question palestinienne » dans l’agenda de l’organisation, puis reconnaissant, de jure, le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’indépendance.

Ce processus, qui a débuté en 1947 et a été ravivé, après un silence de plusieurs années, par l’attaque du Hamas palestinien sur Israël le 7 octobre 2023, ne se fera pas sans embûches de la part des organisations sionistes, puis des autorités israéliennes, appuyées par les puissances occidentales, dont l’objectif ultime est la création d’un « foyer national juif » (Jewish National Home) en terre de Palestine.

Dans la première partie de cet article, nous décrirons le processus de reconnaissance du droit des palestiniens à l’autodétermination et à la souveraineté sur leur territoire ancestral. Dans une seconde partie, nous parlerons des entraves de toutes sortes à ce mouvement par des organisations sionistes, et des arguments avancés pour contrecarrer les progrès vers la création d’un État palestinien. Il faut souligner que cet article couvre la période 1947-1977, l’autre article publié dans ce même numéro couvrant la période 1917-1947.

LE PROCESSUS DE RECONNAISSANCE DU DROIT DU PEUPLE PALESTINIEN À L’INDÉPENDANCE

Plusieurs résolutions de l’ONU – aussi bien à l’Assemblée générale qu’au Conseil de Sécurité – avaient été adoptées depuis la prise en charge par les Nations Unies de ce qui sera la « Question palestinienne ». L’une de ces résolutions – car il n’est pas possible de toutes les citer dans un article de revue tant elles sont nombreuses – est la Résolution 194 (III) du 11 décembre 1948 de l’Assemblée générale, concernant le statut de Jérusalem et le retour des réfugiés palestiniens à leur territoire.

Concernant la question particulière des réfugiés palestiniens, la résolution indique :

« […] Les réfugiés [palestiniens] qui souhaitent retourner dans leurs foyers et vivre en paix avec leurs voisins devraient être autorisés à le faire dans les meilleurs délais possibles et une compensation devrait être payée à ceux qui choisissent de ne pas retourner ainsi qu’à ceux dont la propriété a été perdue ou endommagée conformément aux principes de la loi internationale »[1].

Une deuxième décision importante est la Résolution 237 (du 14 juin 1967) du Conseil de Sécurité sur la question des réfugiés palestiniens et le traitement des prisonniers de guerre. Cette résolution :

« (a). En appelle au gouvernement israélien d’assurer la sécurité des habitants de la région où les opérations militaires ont eu lieu et à faciliter le retour de ceux qui avaient fui la région depuis le déclenchement des hostilités »,

« (b). Recommande aux gouvernements concernés le respect scrupuleux des principes gouvernant le traitement des prisonniers de guerre et la protection des civils en temps de guerre inscrits dans les Conventions de Genève du 12 août 1949 »[2].

La troisième décision notable est la Résolution 242 (du 29 novembre 1967) du Conseil de Sécurité demandant qu’Israël se retire des territoires qu’elle a occupé et reconnaissant le droit des peuples encore sous domination coloniale à l’autodétermination. Cette résolution demande :

« (I). Le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés dans le récent conflit [1967] »

« (II). La fin de toutes réclamations ou états de belligérance et le respect et la reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de tout État de la région et de leur droit à vivre en paix dans des frontières sécurisées libres de toutes menaces ou actes de force »[3].

Le problème avec cette résolution, c’est qu’elle ne parle pas spécifiquement de la Palestine. La seule allusion et insinuation au peuple palestinien est dans la référence aux réfugiés palestiniens.

Il faut attendre l’année 1969 pour que les droits du peuple palestinien en général, et son droit à l’autodétermination en particulier, soient reconnus. La Résolution 2535 B (XXIV) du 10 décembre 1969 de l’Assemblée générale (1827ème session plénière) est la première à reconnaître explicitement les droits du peuple palestinien, stipulant qu’elle « Réaffirme les droits inaliénables du peuple palestinien ». La même résolution condamne les actions d’Israël en Palestine en ces termes indiquant qu’elle : « Attire l’attention du Conseil de Sécurité sur la situation grave résultant des politiques et pratiques israéliennes dans les territoires occupés et sur le refus d’Israël d’appliquer la résolution ci-dessus »[4].

Cependant, c’est surtout la Résolution 2672 C (XXV) du 8 décembre 1970 (de l’Assemblée générale) qui reconnaît explicitement et spécifiquement le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Cette résolution, adoptée avec 47 voix pour, 22 voix contre et 50 abstentions, stipule que l’Assemblée générale :

« (a). Reconnaît au peuple palestinien les droits [en général] et le droit à l’autodétermination [en particulier] conformément à la Charte des Nations Unies, et (b) Déclare que le respect plein et entier des droits inaliénables du peuple palestinien est un élément indispensable pour l’établissement d’une paix juste et durable au Moyen-Orient » [5].

Cette résolution a été accompagnée par une autre, plus générale, mais qui inclut le peuple palestinien – la Résolution 3070 (XXVIII) du 30 novembre 1973 de l’Assemblée générale qui reconnaît les droits des peuples sous colonisation à leur autodétermination. Cette résolution, adoptée par 97 voix pour, 5 voix contre et 28 abstentions, souligne que l’Assemblée générale :

« (a). Réaffirme le droit inaliénable de tous les peuples sous domination coloniale étrangère et sous subjugation extérieure à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance et

(b). Réaffirme également la légitimité de la lutte des peuples pour leur libération de la domination étrangère et de la subjugation par les moyens à disposition, la lutte armée incluse, et

(c.) Condamne tous les gouvernements qui ne reconnaissent pas le droit à l’autodétermination et à l’indépendance des peuples, notamment les peuples d’Afrique encore sous domination coloniale et le peuple palestinien »[6].

En 1974, la 7ème Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la Ligue arabe, tenue à Rabat (Maroc) le 28 octobre 1974, reconnaît elle-aussi le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’indépendance :

« La Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de Rabat : (a) Affirme le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et au retour dans sa patrie ; (b) Affirme le droit du peuple palestinien à établir une autorité nationale indépendante sous le commandement de l’Organisation de Libération de la Palestine [OLP], le seul représentant légitime du peuple palestinien sur tout le territoire palestinien libéré »[7].

L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a aussi été reconnue comme seul représentant du peuple palestinien par la Résolution 3210 (XXIX) du 14 octobre 1974 de l’Assemblée générale qui stipule :

« L’Assemblée générale : Considérant que le peuple palestinien est la principale partie à la Question palestinienne, invite l’Organisation de Libération de la Palestine, le représentant du peuple palestinien, à participer aux délibérations de l’Assemblée générale dans les sessions plénières »[8].

La même année, une autre Résolution de l’Assemblée Générale réitère la reconnaissance du droit des Palestiniens à l’autodétermination et au retour dans leur patrie :

« L’Assemblée générale : (a) Reconnaissant le droit du peuple palestinien à l’autodétermination conformément à la Charte des Nations Unies ; (b) Exprimant sa préoccupation dans le fait que le peuple palestinien a été empêché de jouir de ses droits inaliénables, en particulier du droit à l’autodétermination […]Réaffirme le droit inaliénable du peuple palestinien en Palestine, incluant : (I) Le droit à l’autodétermination sans interférence extérieure et (II) Réaffirme aussi le droit des palestiniens à l’indépendance et à la souveraineté nationales […] et (III) Réaffirme le droit des palestiniens à retourner dans leurs foyers et leurs propriétés desquels ils ont été exproprié et déraciné »[9].

Toujours en 1974, l’Assemblée Générale admet la Palestine comme « organisation observatrice » à l’ONU : « L’Assemblée Générale a conféré simultanément à l’OLP le statut d’observateur au sein de l’Assemblée générale et dans les autres conférences internationales qui sont organisées par l’ONU »[10]. Cette résolution a été adoptée par 95 voix pour, 17 voix contre et 19 abstentions. Auparavant, Yasser Arafat, alors président de l’OLP, avait souligné dans son fameux discours du 13 novembre 1974 à l’Assemblée générale la volonté du peuple palestinien de vivre en paix avec la communauté juive de Palestine :

« En ma capacité formelle de Président de l’OLP et de leader de la Révolution palestinienne, je proclame devant vous que, lorsque nous parlons de nos espoirs communs pour les palestiniens de demain, nous incluons, dans notre perspective, tous les juifs vivant actuellement en Palestine qui choisissent de vivre avec nous en Palestine en paix et sans discrimination […] Nous leur offrons [aux juifs] la solution la plus généreuse, celle de vivre ensemble dans le cadre d’une paix juste au sein de notre Palestine démocratique […] Aujourd’hui, je suis venu brandissant une branche d’olivier dans une main et le fusil du combattant dans l’autre. Ne laissez pas la branche d’olivier tomber de ma main. Je répète, ne laissez pas la branche d’olivier tomber de ma main »[11].

Ainsi que nous le verrons plus loin dans la deuxième partie de cet article, ce discours de tolérance diffère complètement des propos et de l’attitude des leaders sionistes qui rejettent catégoriquement l’idée d’une cohabitation des juifs avec les palestiniens. Suite à ces divergences d’opinion, l’Assemblée Générale, dans une Résolution de 1975, constate qu’en dépit des résolutions précédentes, aucun progrès notable n’a été accompli vers l’établissement d’un État palestinien :

« Aucune solution au problème de la Palestine n’a encore été trouvée ; le problème de la Palestine continue de mettre en danger la paix et la sécurité internationales ; et aucun progrès n’a été accomplis vers : (a) l’exercice par le peuple Palestinien de ses droits inaliénables en Palestine, y inclus le droit à l’autodétermination sans interférence extérieure et le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales ; (b) l’exercice par les Palestiniens de leur droit au retour dans leurs foyers et propriétés desquels ils ont été exproprié et déraciné »[12].

De son côté, la Commission de l’ONU sur les Droits de l’Homme, dans sa Résolution 31/20 du 15 février 1977, reprenant la Résolution 3376 (XXX) du 10 novembre 1975 de l’Assemblée Générale, qui a été adoptée par 23 voix pour, 3 voix contre, et 6 abstentions, a exprimé son regret et sa préoccupation pour le non-respect et le manque de progrès accomplis dans la reconnaissance du droit Palestinien à l’autodétermination et à l’indépendance[13]. Quelles sont les entraves—notamment des organisations Sionistes—à ce processus pourtant prometteur de reconnaissance du droit des Palestiniens à leur indépendance ? C’est ce que nous verrons dans la deuxième partie.

LES ENTRAVES SIONISTES À LA RECONNAISSANCE DU DROIT DES PALESTINIENS À L’INDÉPENDANCE

Depuis 1917, les organisations Sionistes, puis les gouvernements Israéliens après 1948, n’ont ménagé aucun moyen militaire, juridique, diplomatique et médiatique pour s’opposer à ce processus inéluctable d’ascension de la question Palestinienne sur la scène internationale. Ce n’est pas, bien sûr, l’objectif de cet article de recenser et d’analyser dans l’ensemble ces actions – tant elles sont nombreuses et diverses – mais nous en citerons quelques-unes que nous considérons comme significatives de cette offensive, sioniste puis Israélienne, contre la reconnaissance du droit du peuple Palestinien à l’indépendance. Les organisations sionistes, notamment l’Agence Juive (the Jewish Agency), ont d’abord et constamment utilisé l’argument de la persécution des Juifs par les Nazis en Europe. C’est ainsi, par exemple, que lors de la 52ème réunion de l’Assemblée Générale, le 31 Août 1947, le représentant de l’Agence Juive avait déclaré :

« Les membres du Comité [Spécial] se demanderont, j’en suis sûr, pourquoi des bateaux chargés de réfugiés Juifs dépourvus d’assistance – des hommes, femmes et enfants qui ont subi l’enfer de l’Europe Nazie – sont déplacés du foyer national Juif par le Gouvernement Mandataire qui s’est donné comme obligation principale la mission de faciliter l’immigration Juive vers le pays [la Palestine]. […] Le plus important est que les Juifs puissent être autorisés à se réimplanter en Palestine en nombre illimité […] Si cette promesse n’est pas tenue, alors il y a très peu de choses à discuter »[14].

David Ben Gourion, un des leaders du sionisme et du gouvernement israélien, parlant au nom de l’Agence Juive, utilisera lui aussi l’argument de la « faiblesse » et de l’insécurité de la communauté juive pour justifier l’immigration des juifs vers la Palestine et faire valoir la thèse de l’impossibilité d’une cohabitation entre juifs et palestiniens :

« Nous sommes un petit peuple sans défense et nous savons qu’il ne peut pas y avoir de Sécurité pour nous, ni en tant qu’individus, ni en tant que peuple, ni dans la Diaspora dans notre propre État aussi longtemps que l’ensemble de la famille humaine n’est pas unifié dans la paix et la bonne volonté  […] Nous sommes attachés à notre attitude, que nous avons soutenue l’année dernière, selon laquelle nous sommes prêts à considérer la question d’un État Juif dans une zone adéquate de Palestine et que nous réclamons la Palestine dans sa totalité »[15].

L’Agence Juive défend, en outre, l’idée du retour du « peuple Juif » dans son « foyer national » (Jewish National Home) :

« Le problème Juif en général n’est rien d’autre que la vieille question des juifs sans patrie [Jewish homelessness] pour laquelle il n’y a qu’une seule solution : celle fournie par la Déclaration Balfour et par le Mandat, à savoir, la (re)-constitution du « foyer national Juif » en Palestine »[16].

L’Agence Juive poursuit en disant que le plan d’un État palestinien où vivrait la communauté Juive – plan dénommé « Plan de la Minorité », ou encore « Plan Fédéral », proposé par la minorité des membres du Comité Spécial sur la Palestine (Iran, Inde et ex-Yougoslavie) – était inacceptable pour les raisons explicitées par le passage suivant :

« Bien que [le Comité] parle d’États, il prévoit en fait des sortes de cantons ou provinces semi-autonomes. La Palestine serait un État Arabe avec deux enclaves Juives. Les Juifs seraient gelés sous forme de minorité permanente dans l’État Fédéral et n’auraient même pas le contrôle de leurs propres politiques fiscales ou d’immigration, cette dernière, en même temps que d’autres questions, d’une importance fondamentale, serait laissée entre les mains de la majorité Arabe »[17].

Un des top leaders du sionisme, Chaim Weizmann, a aussi été catégorique dans son refus du « Plan de la Minorité » (Plan Fédéral) et dans son exigence de l’établissement d’un État Juif excluant les Palestiniens. Weizmann déclare à ce propos :

« L’idée d’accorder aux Juifs un statut minoritaire dans un État Arabe avait été rejetée par tous les comités et tous les tribunaux impartiaux […] Ce n’est pas pour devenir citoyens d’un État Arabe que les Juifs, suite aux promesses internationales, ont établi leur « foyer national » en Palestine […] Par conséquent, une seule solution, à savoir la partition de la Palestine et l’établissement d’un État Juif, tel que promis dans le « Plan de la Majorité[18] »[19].

Le texte du Mandat Britannique sur la Palestine du 24 juillet 1922 prévoyait déjà l’établissement d’un État Juif tel que réclamé par les organisations sionistes, notamment l’Agence Juive. Dans son article 2, le texte du Mandat stipule :

« L’autorité Mandatrice sera responsable pour placer le pays [la Palestine] sous des conditions politiques, administratives et sociales telles qu’elle assurera l’établissement d’un ‘foyer national Juif’ [Jewish national Home] tel que prévu dans le préambule et le développement d’institutions à gouvernance autonome tout en sauvegardant les droits civils et religieux de tous les habitants de Palestine, sans considération de race ou de religion »[20].

Le Mandat considère donc que l’État juif serait l’État dominant et que les palestiniens (et les autres communautés vivant en Palestine) seraient des minorités au sein de cet État, ce qui est conforme aux revendications des organisations sionistes. Le même texte, dans son article 4 (alinéa 1), prévoit aussi que l’Agence Juive (The Jewish Agency) serait le principal partenaire de l’Autorité Mandatrice dans le processus d’établissement de l’État Juif :

« Une Agence Juive appropriée sera reconnue comme organisme public dont la mission est de conseiller et de coopérer avec l’Autorité Mandatrice dans les domaines économique, social et autres devant contribuer à l’établissement d’un ‘Foyer National Juif’ et réaliser les intérêts de la population Juive de Palestine et, sous les auspices de l’Administration, d’assister et participer au développement du pays [la Palestine][21].

Dans son alinéa 2, l’article 4 du Mandat poursuit en précisant que l’Agence Juive dont il est question à l’alinéa 1 est l’Organisation Sioniste :

« L’Organisation Sioniste [the Zionist Organization] … sera reconnue comme étant cette Agence. Elle prendra les dispositions, en collaboration avec le Gouvernement de Sa Majesté Britannique, pour assurer la coopération de tous les Juifs qui voudraient assister à l’établissement du ‘Foyer National Juif’ »[22].

L’article 6 du Mandat va encore plus loin dans le projet d’établissement d’un « Foyer National Juif ». Il encourage l’immigration illimitée des Juifs vers la Palestine :

« L’Administration de la Palestine… facilitera l’immigration Juive dans des conditions qui conviennent et encouragera, en collaboration avec l’Agence Juive à laquelle il est fait référence à l’article 4, l’établissement des Juifs sur le territoire [Palestinien], y compris sur les terres appartenant à l’État et les terres non travaillées… »[23].

Le Mandat ne s’est pas arrêté là. Dans son article 7, le Mandat stipule que l’Administration Mandatrice élaborera une loi sur la nationalité qui encouragera et facilitera aux Juifs l’acquisition de la nationalité Palestinienne :

« L’Administration de la Palestine sera responsable pour élaborer une loi sur la nationalité. Dans cette loi, seront insérées des clauses ayant pour but de faciliter l’acquisition de la Nationalité Palestinienne aux Juifs qui décideraient de résider en permanence en Palestine »[24]

Il est clair, à la lecture de toutes ces dispositions du Mandat, que le terrain était déjà défriché, en 1922, pour permettre la réalisation de l’objectif ultime des organisations sionistes, à savoir l’établissement d’un véritable « État » juif et pour encourager l’immigration Juive vers la Palestine. S’appuyant sur ces textes prémonitoires, les leaders sionistes ont consolidé leurs acquis territoriaux et diplomatiques et ont continué leur marche inéluctable vers l’établissement, non pas d’un « Foyer National Juif », mais d’un véritable « État » juif. C’est ce que confirme Menahem Begin lors de sa réunion avec l’organisation sioniste milicienne Irgoun en 1948 :

« Nous nous sommes fixés quatre objectifs stratégiques : (I) Jérusalem, (II) Jaffa, (III) la plaine de Lydda-Ramleh, et (IV) le « Triangle »[25]. La conquête de Jaffa, cependant, était considérée comme un évènement d’importance primordiale dans la lutte pour l’indépendance Hébraïque »[26].

D’autres leaders sionistes, comme Theodor Herzl, ont eu des positions encore plus extrêmes et plus exclusives, allant jusqu’à parler du transfert des palestiniens vers les pays arabes frontaliers :

« Nous essaierons d’évacuer [secrètement] la population pauvre [les Palestiniens] vers les frontières en leur offrant un emploi dans les pays de transit et en leur interdisant tout emploi dans notre pays [la Palestine]. Le processus d’expropriation et d’évacuation des pauvres [Palestiniens] doit être entrepris discrètement et minutieusement »[27].

Un autre leader Sioniste encore plus extrémiste et plus exclusif est Joseph Weitz, ancien responsable du Département ‘Colonisation’ de l’Agence Juive, écrit que la possibilité d’une cohabitation entre juifs et palestiniens est absolument hors de question :

« Entre nous soit dit, il doit être clair qu’il n’y a pas de place pour les deux peuples [Juifs et Palestiniens] dans ce pays [la Palestine] […] Nous ne pourrons pas atteindre notre objectif, être un peuple indépendant, à côté des Arabes, dans ce petit pays. La seule solution est une Palestine – au moins la Palestine occidentale (à l’ouest du Jourdain) sans les Arabes […] Et il n’y a pas d’autre voie que le transfert des Arabes de la Palestine vers les pays voisins, les transférer tous… pas un seul village, pas une seule tribu, ne doit être laissée […] C’est seulement après ce transfert que le pays sera en mesure d’absorber les millions de nos coreligionnaires. Il n’y a pas d’autre moyen »[28].

Il faut souligner ici l’attitude négativiste du représentant Israélien à l’offre de dialogue et de cohabitation de Yasser Arafat à l’Assemblée de l’ONU en 1974 :

« Il est évident que les initiatives concernant les discussions sur la soi-disant ‘Question Palestinienne’ sont préoccupées primordialement non pas par la réalisation des droits des Palestiniens, mais par l’annihilation des droits du peuple Juif. La destruction d’Israël et le déni du droit du peuple Israélien à l’autodétermination et à l’indépendance sont les objectifs officiels de l’OLP […] Sa Convention stipule que « L’établissement d’Israël est fondamentalement nul et non-avenu. La revendication des liens historiques entre les Juifs et les Palestiniens ne correspond pas aux réalités historiques. Les Juifs ne sont pas un seul peuple et n’ont pas une personnalité indépendante »[29].

Noter que les sionistes réclament leur autodétermination et leur indépendance au même titre et selon les mêmes arguments que les palestiniens, comme s’ils étaient expropriés et expulsés de leur patrie de la même manière que les palestiniens l’ont été.

CONCLUSION

Dans les développements qui précèdent, nous avons pu observer que de 1947 à 1977 (la période couverte par le présent article) la « Question Palestinienne », qui avait été ignorée par l’Autorité Mandatrice et par la Ligue des Nations, a été remise sur la table par l’Organisation des Nations Unies qui a pris le relai de la Société des Nations en 1945.

Depuis cette date – et surtout depuis 1947 – des débats avaient eu lieu au sein de l’Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité ayant eu pour résultat l’adoption d’un certain nombre de résolutions visant à trouver une solution définitive au conflit éternel entre la minorité juive, d’un côté (qui utilisait tous les moyens, militaires, diplomatiques, médiatiques, et autres, pour établir ce qui était, au départ un « Foyer National Juif » (Jewish National Home) et qui est devenu un État Juif en terre Palestinienne) et, de l’autre côté, le peuple palestinien.

Nous avons vu que des progrès notables ont été réalisés par le peuple Palestinien dans la reconnaissance de son droit à l’autodétermination et à l’indépendance reconnu par plusieurs résolutions des Nations Unies et par certaines conférences internationales comme celle de Rabat en 1974. Cependant, ce processus de reconnaissance de la légitime revendication du peuple Palestinien à établir un Etat indépendant et souverain, n’a pas été sans entraves de la part des organisations Sionistes, en particulier de l’Agence Juive, qui, appuyées par les grandes puissances occidentales – notamment la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis – avaient utilisé tous les moyens pour, d’un côté, empêcher ce processus logique et légitime de reconnaissance de l’indépendance Palestinienne d’aboutir, de l’autre côté, réaliser leur propre objectif d’établissement d’un État juif qui sera, en fait, concrétisé par la Déclaration d’Indépendance d’Israël, le 14 mai 1948.

Depuis cette date, des conflits récurrents entre les forces israéliennes et le peuple Palestinien ont fait un nombre incalculable de morts et de blessés de chaque côté, mais surtout du côté palestinien, ainsi que des dommages matériels importants, notamment du côté palestinien. Le dernier conflit en date – l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas sur Israël et la riposte des forces armées israéliennes, a remis la « Question Palestinienne » de nouveau sur la scène internationale après que cette question ait été mise sous le tapis pendant plusieurs décennies

L’éternelle question d’une solution juste et durable à ce conflit est ainsi remise sur le devant de la scène internationale et sera, sans aucun doute, dans les années voire les décennies à venir, l’un des sujets les plus préoccupants des instances internationales. n

Références :

– 7ème Conférence des Chefs d’États et de Gouvernements de la Ligue Arabe, 28 octobre 1974.

– 52ème Réunion, Comité Spécial sur la Palestine, 3 août 1947, p. 114.

– 54ème Réunion, Comité Spécial sur la Palestine, 7 mars 1948, p. 252.

– Arafat Yasser, Discours à l’Assemblée Générale de l’ONU, 13 novembre 1974.

– Archives officielles de l’Assemblée Générale, 2ème session, Supplément n° 11, Document A/364, Rapport du Comité Spécial de l’ONU sur la Palestine, Vol. III, p. 62.

– Archives officielles de l’Assemblée Générale, 2ème session, Comité Ad Hoc sur la Question Palestinienne, 4ème réunion, pp. 15-19.

– Archives officielles de l’Assemblée Générale, 2ème session, Comité Ad Hoc sur la Question Palestinienne, 18ème réunion, pp. 123-124.

– Archives officielles de l’Assemblée Générale, « Question palestinienne », Agenda Item 108, 29ème session de l’Assemblée Générale, ONU, 13 novembre 1974.

– Begin Menahem, The Revolt, Los Angeles, Nash, 1972, p. 348.

– Herzl Theodor, The Complete Diaries, NY, Herzl Press, 1969, Vol. I, p. 88.

– Résolution 237 du Conseil de Sécurité, ONU, 14 juin 1967.

– Résolution 242 du Conseil de Sécurité, ONU,  de novembre 1967.

– Résolution 2535 B (XXIV) du Conseil de Sécurité, ONU, 10 décembre 1969.

– Résolution 2672 C (XXV) du Conseil de Sécurité, ONU, 8 Décembre 1970.

– Résolution 3070 (XXVIII) du Conseil de Sécurité, ONU, 10 novembre 1973.

– Résolution 31/20 (XXXI) de l’Assemblée Générale (Commission sur les droits de l’homme), ONU, 15 février 1977.

– Résolution 3210 (XXIX) de l’Assemblée Générale, ONU, 14 octobre 1974.

– Résolution 3226 (XXIX) de l’Assemblée Générale, ONU, 22 novembre 1974.

– Résolution 3237 (XXIX) de l’Assemblée Générale, ONU, 22 novembre 1974.

– Résolution 3379 (XXX) de l’Assemblée Générale, ONU, 10 novembre 1975.

– Texte du Mandat sur la Palestine, SDN, 24 juillet 1922 (notamment les articles 2, 4, 6, 7).

– « The Origins and Evolution of the Palestinian Problem : Part II (1947-1977) », Unitednations.org, lien : https://www.un.org/unispal/history2/origins-and-evolution-of-the-palestine-problem/part-ii-1947-1977/ (consulté le 5 mars 2024).

– Weitz Joseph, Diary, cité dans Hirst David, The Gun and the Olive Branch, San Diego, Harcourt Brace Javanovich, 1977, p. 142.


[1] « The Origins and Evolution of the Palestinian Problem : Part II (1947-1977) », Unitednations.org, lien : https://www.un.org/unispal/history2/origins-and-evolution-of-the-palestine-problem/part-ii-1947-1977/ (consulté le 5 mars 2024)

[2] Résolution 237 du Conseil de Sécurité, ONU, 14 juin 1967.

[3] Résolution 242 du Conseil de Sécurité, ONU,  de novembre 1967.

[4] Résolution 2535 B (XXIV) du Conseil de Sécurité, ONU, 10 décembre 1969.

[5] Résolution 2672 C (XXV) du Conseil de Sécurité, ONU, 8 Décembre 1970.

[6] Résolution 3070 (XXVIII) du Conseil de Sécurité, ONU, 10 novembre 1973.

[7] 7ème Conférence des Chefs d’États et de Gouvernements de la Ligue Arabe, 28 octobre 1974.

[8] Résolution 3210 (XXIX) de l’Assemblée Générale, ONU, 14 octobre 1974.

[9] Résolution 3226 (XXIX) de l’Assemblée Générale, ONU, 22 novembre 1974.

[10] Résolution 3237 (XXIX) de l’Assemblée Générale, ONU, 22 novembre 1974.

[11] Archives officielles de l’Assemblée Générale, « Question palestinienne », Agenda Item 108, 29ème session de l’Assemblée Générale, ONU, 13 novembre 1974.

[12] Résolution 3379 (XXX) de l’Assemblée Générale, ONU, 10 novembre 1975 (« Élimination de toutes les formes de discrimination raciale). Cette résolution affirmait que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale » et fut adoptée par 72 voix pour, 35 voix contre, et 32 abstentions. Elle a été révoquée le 16 décembre 1991 par la même Assemblée Générale des Nations Unies avec sa Résolution 46/86.

[13] Résolution 31/20 (XXXI) de l’Assemblée Générale (Commission sur les droits de l’homme), ONU, 15 février 1977.

[14] 54ème Réunion, Comité Spécial sur la Palestine, 7 mars 1948, p. 252 ; 52ème Réunion, Comité Spécial sur la Palestine, 3 août 1947, p. 114.

[15] Archives officielles de l’Assemblée Générale, 2ème session, Supplément n° 11, Document A/364, Rapport du Comité Spécial de l’ONU sur la Palestine, Vol. III, p. 62.

[16] Archives officielles de l’Assemblée Générale, 2ème session, Comité Ad Hoc sur la Question Palestinienne, 4ème section, pp. 15-19.

[17] Archives officielles de l’Assemblée Générale, 2ème session, Comité Ad Hoc sur la Question Palestinienne, 4ème réunion, pp. 15-19.

[18] Le plan de la Majorité a été adopté par le Canada, Guatemala, ex. Tchécoslovaquie, Pays-Bas, Pérou, Suède et Uruguay.

[19] Archives officielles de l’Assemblée Générale, 2ème session, Comité Ad Hoc sur la Question Palestinienne, 18ème réunion, pp. 123-124.

[20] Texte du Mandat sur la Palestine du 24 juillet 1922, article 2.

[21] Texte du Mandat sur la Palestine du 24 juillet 1922, article 4, alinéa 1.

[22] Texte du Mandat sur la Palestine du 24 juillet 1922, article 4, alinéa 2.

[23] Texte du Mandat sur la Palestine du 24 juillet 1922, article 6.

[24] Texte du Mandat sur la Palestine du 24 juillet 1922, article 7.

[25] Le « Triangle » comprend la zone habitée par les Arabes dans le centre-ouest de Eretz Yisrael [État d’Israël] qui s’étend grosso modo sur le triangle dont les pointes sont les villes de Naplouse, Jénine, et Tulkarm, comprenant l’essentiel de la zone non-désertique de la Jordanie, zone qui constitue aujourd’hui l’État d’Israël.

[26] Begin Menahem, The Revolt, Los Angeles, Nash, 1972, p. 348.

[27] Herzl Theodor, The Complete Diaries, NY, Herzl Press, 1969, Vol. I, p. 88.

[28] Weitz Joseph, Diary, cité dans : Hirst David, The Fun and the Olive Branch, NY, Harcourt Brace Javanovich, 1977, p. 142.

[29] Document A/PV 2282, pp. 26-27, cité dans : “The Question of Palestine: Origins and Evolution of the Palestine Problem, Part II (1947-1977)”, Unitednations.org, lien : https://www.un.org/unispal/history2/origins-and-evolution-of-the-palestine-problem/part-ii-1947-1977/ (consulté le 5 mars 2024).


[1] Arafat Yasser, Discours à l’Assemblée Générale de l’ONU, 13 novembre 1974.

[2]  Weitz Joseph, Diary, cité dans : Hirst David, The Gun and the Olive Branch, San Diego, Harcourt Brace Javanovich, 1977, p. 142.

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