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     par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                                           Livres

L’aliénation colonialiste et la résistance de la famille algérienne. Essai de Salima Sahraoui-Bouaziz dite Saadia et Rabah Bouaziz dit Lakhdar. Casbah Editions, Alger 2014, 221 pages, 850 dinars

Un travail à deux accompli au cours de la guerre de libération nationale. Basé sur des observations, sur de la documentation durant les moments de répit alors que la Fédération de France du FLN voyait son action armée «réduite», après les spectaculaires actions du «second front» de l’été 1958.

Un travail de recherche et de réflexion engagé et il ne pouvait en être autrement vu le contexte et les dangers de l’époque. Un travail qui peut paraître manichéiste, avec une impression de parti pris d’accusation systématique du pouvoir colonial. Une impression récusée, aujourd’hui (lors de la réédition en octobre 2013), par Salima Sahraoui-Bouaziz qui «assume» l’opinion que le colonialisme avait sciemment et méthodiquement entrepris de saper la société algérienne dans ses fondements, dans ses valeurs, dans sa dignité. Une opinion qui, il est vrai, ne peut que faire l’unanimité des septuagénaires et bien plus (dont je fais partie).

A noter que cet ouvrage, ce «plaidoyer», a été achevé d’imprimer le 10 août 1961 (ce qui en fait un document d’archives historique inestimable) sur les presses de la coopérative d’imprimerie du pré-Jérôme (propriété de Niels Andersson, qui avait renoncé à ses droits d’édition pour la parution, à Alger, en 2013, celui-là même qui avait édité Henri Alleg et «La Question», Bachir Boumaza et «La Gangrène», Hafid Keramane et «La Pacification», Mohamed Boudia et «Naissances», Robert Davezies, le prêtre de la Mission de France et «Le Temps de la Justice»), à Genève, sous les noms d’auteurs : «Saadia-et-Lakhdar». Avec une préface de (feu) Benyahia Belkacem, membre du collectif des Instructeurs politiques de l’Ecole des Cadres de la Fédération de France et l’un des rédacteurs attaché au Comité fédéral. Facile à lire aujourd’hui, pas facile du tout à faire alors !

Les Auteurs : – Salima Sahraoui-Bouaziz, née le 2 février 1936 à Blida. Grande sportive (athlétisme). Militante FLN dès 1956, Permanente, entre autres, dans l’OS de la Fédération de France du FLN. Médecin neurologue

– Rabah Bouaziz, né le 13 avril 1928. Emprisonné pour ses activités politiques dès 1955. Maquisard (wilaya IV) puis, en 1957, responsable de l’OS (action armée) auprès de la Fédération de France du FLN. Député et membre du Comité central du FLN après l’indépendance. Études de droit et avocat de 1978 à 1983. Décédé à Alger le 11 octobre 2009.

Table des matières : Présentation/La naturalisation/Résistance au service dans l’armée française/La prostitution/Emigration et mariage mixte.

Extraits : «Rien que pour la guerre de 1914-18, sur les 173.000 Algériens que le gouvernement français a expédiés sur les champs de bataille, 56.000, soit les 31% ont été tués, alors qu’il y eut 19% de tués parmi les troupes françaises» (p 46), «En fait, depuis longtemps, ce qui a pu apparaître à la surface de notre société d’opprimés comme résignation n’a été en grande partie qu’une attitude adaptée des nôtres pour mystifier l’ennemi avec lequel nous avons dû constamment ruser face à ses efforts déployés pour créer un climat de passivité, un état d’esprit de vaincu» (p 57), «Pendant la guerre d’Indochine, le recrutement dans certaines régions s’est fait au poids : mille francs le kilo de chair humaine en Oranie.

Le recruteur-maquignon pesait celui qui se présentait et lui remettait une prime en rapport avec le chiffre indiqué par la bascule» (p 83), «Dans nos rangs, dans les cellules des prisons, ici même, nous ont rejoints des hommes de toutes confessions. Vous avez des israélites, des musulmans, des catholiques et des athées aussi. Ceux-là ont choisi l’Algérie libre de demain, non celle de ceux qui se croient pétris dans une farine supérieure. Ceux-là sont des frères et ils ne s’y trompent pas» (p 219).

Avis : Un ouvrage «militant» écrit par deux patriotes engagés dans la lutte clandestine. Une écriture simple et claire et, surtout, directe et sans fioritures. Une approche qui pourrait apparaître comme «has been» mais d’une qualité historique incontestable. Une partie de l’histoire du pays et de sa résistance introuvable ailleurs.

Citations : «La Nation algérienne n’est pas la France, ne peut être la France et ne veut pas être la France. Elle a son territoire déterminé, qui est l’Algérie avec ses limites actuelles» (Cheikh Abdelhamid Ben Badis, cité p 17), «Le peuple algérien avait refusé ses enfants à l’armée française, mais il les a vus avec fierté prendre place dans les rangs de son armée à lui, l’ALN. Les mères algériennes considèrent, à juste raison, chaque combattant de l’ALN comme leur fils» (p 98), «Si ailleurs, elle (note : la prostitution) peut être attribuée à une mauvaise politique sociale ou à une tare d’un régime politique et économique, en Algérie (note : durant la période coloniale), elle est la conséquence d’une domination étrangère qui l’utilise comme moyen de maintien d’un régime imposé» (p.102), «Jusqu’à l’éclatement de la révolution, le poste de radio ou le phonographe ont été boycottés par les nôtres, parce que, précisément considérés comme des instruments malsains» (p 146), «Le racisme ouvert des Européens à l’égard de tout Algérien, non seulement exaspère mais contribue à provoquer la contre-réaction populaire; elle se cristallise face à tout ce qui vient de l’Européen et s’exerce de tout son poids sur quiconque des siens qui tenterait de s’égarer» (p 173), «L’«exode» de jeunes par milliers vers la France (note : durant la période coloniale), le vide qu’ils laissaient, ont profondément impressionné la sensibilité populaire, allant jusqu’à donner un fond nouveau, une expression nouvelle à notre culture» (p 196).

Rendez-vous au Mont-Saint-Michel. Roman de Ahmed Benzelikha. Editions El Hibr, Alger 2023, 126 pages, 950 dinars

Le Mont-Saint-Michel, situé en Normandie (France), est un lieu religieux (car abritant une Abbaye) et touristique mythique côté histoire, mais aussi côté architecture de l’ensemble, assez prodigieux, semblant s’élever vers le ciel, (avec Saint-Michel brandissant son épée) «dans une singulière homogénéité, conjuguant la beauté du site et la hardiesse des hommes».

Il représente, assurément, un haut lieu emblématique de la chrétienté. Ce qui fait oublier qu’au Moyen-Âge, un architecte, né et formé dans l’Andalousie musulmane, avait grandement contribué à sa construction. Andréas était maître maçon, artisan accompli dans l’art de construire. Il avait été formé dans les meilleurs ateliers et chantiers d’Andalousie et de la Méditerranée. Il avait parcouru des milliers de kilomètres et marché des mois et des mois depuis qu’il avait quitté Cordoue.

Des siècles plus tard, un jeune émigrant «harrag», bel homme au demeurant, issu d’un pays du Sahel se retrouve à Ibiza, lieu de tous les plaisirs et de toutes les ambitions. Il est embauché dans la milice d’une secte mondiale tentaculaire, «La Féérique», qui a pour objectif de s’attaquer à la célèbre statue (se trouvant au sommet du mont) en vue de réaliser une prophétie apocalyptique et prendre le pouvoir. Avec un Q. G. installé au Sultanat Palace Empire, lieu de plaisirs, de jeux et de débauche, avec un grand chef, gourou aux allures d’Antéchrist, médium sur les bords, ayant fait ses premières armes au sein d’escadrons de la mort au Guatemala, des cadres aux dents longues, une belle «influenceuse» géniale, la maîtrise des nouveaux procédés technologiques et une «alliance gouvernementale» s’étendant de l’Europe du Nord au golfe Persique, on devine aisément la politique menée et l’idéologie à mettre en place envisagée. Pour cela, il faut détruire la statue de Saint-Michel et la remplacer par celle de la Joconde, symbole «des temps nouveaux». La liberté personnelle ne va-t-elle pas jusqu’à se permettre de choisir son propre «dieu» et faire adorer par les masses la figure déifiée de la Joconde de Léonard de Vinci. L’opération est lancée mais elle échouera, entraînant la mort du Maître et son remplacement par l’influenceuse tombée sous le charme de notre bel émigrant. On attend la suite, car l’Alliance est toujours là.

L’Auteur : Né à Constantine. Universitaire ayant occupé plusieurs fonctions supérieures (secteur de la Communication et auprès de l’Unesco), linguiste, financier, spécialiste en communication, écrivain, auteur de plusieurs études, essais et romans.

Extraits : «La lettre G était un symbole particulier consacré par la Franc-maçonnerie ancienne, placée entre l’équerre et le compas, elle orne le degré de compagnon et commande la connaissance, elle pouvait aussi bien libérer qu’aliéner» (p 28), «Les hommes sont mauvais mais ne se l’avouent pas, c’est pourquoi ils créent des symboles qui sont autant de mensonges, car seul le mal existe. S’il en était autrement, le monde serait-il ce qu’il est ?» (p 39), «Seul celui qui a en lui le plus de haine peut comprendre et dominer les hommes et le monde, car celui-ci est mené par la haine. Seule la haine comme moteur et ses manifestations en vue de sidérer et de tétaniser l’humanité, peuvent permettre de contrôler celle-ci» (p 45), «Le chef de la Féérique savait aussi combien les symboles pesaient souvent plus que la réalité et comment leur fonctionnement était fascinant pour diriger et commander aux gens» (p 78).

Avis : Une bien étrange oeuvre. Roman d’anticipation ? Roman ésotérique ou roman à suspense. Un récit-fiction qui nous décrit le complotisme «religieux» (le mortellement dogmatique) de manière originale. Se lit facilement mais se comprend difficilement.

Citations : «Est ou Ouest, peu importe la direction, toutes ces religions se ressemblent, elles brident les libertés et briment les droits et ne dirigent que vers l‘irrationnel» (p 20), «Le rêve, pour celui qui en perce les signes, était une sorte de porte, sur soi d’abord et sur l’avenir ensuite» (p 88), «Les hommes veulent tous s’élever mais pas dans le même sens, ni pour le même but» (p 115), «La trahison est, sans doute, de la nature humaine, le trait saillant. Elle contient en elle ce qui rabaisse et compromet la dignité. Elle est fondée sur l’ingratitude, le mensonge et le déshonneur. Elle se manifeste par le mensonge, l’hypocrisie et la compromission. Elle vise au faux, à l’indu, à l’abus et à l’inique. Plus encore, celui qui trahit les hommes, trahit Dieu et celui qui trahit Dieu est celui qui ne sera pas sauvé» (p 117).

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