LIVRES / RACISME ? UNE AFFAIRE DE «BLANCS» !

    par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                              Livres

La Pensée blanche. Essai de Lilian Thuram. Apic Editions (et, Alliance internationale des éditeurs indépendants, avec le label «Le livre équitable»), Alger 2023, 318 pages, 1.500 dinars

Ce livre revisite tout d’abord certains pans de l’histoire : les conquêtes coloniales, l’esclavage, les empires, le Code Noir, l’instrumentalisation de la science et de la religion, la post-décolonisation et le pillage des ressources naturelles, le vol du patrimoine africain… Il examine les mécanismes intellectuels invisibles qui assoient la domination des Blancs et qui ont construit «La pensée blanche» Il désigne le racisme ordinaire de nos sociétés, tissé d’une succession de petits faits parfois connus, souvent pas du tout : joueurs de football noirs mais pas que… accueillis par des cris de singe, discriminations à l’embauche, contrôles policiers au faciès, politique de «quotas» des minorités…

Il ne veut, en aucun cas, être un livre «anti-Blancs». Il veut seulement qu’on ouvre les yeux avec honnêteté et lucidité sur des faits. Il veut instiller un rêve ; celui de rendre capable d’affronter les problèmes sans préjugés, comme des femmes et des hommes qui descendent tous du même ancêtre. Il entend participer à sa manière «à la libération des esprits pour que nous puissions un jour dépasser les couleurs de peau, pour finir par nous considérer comme ce que nous sommes : des êtres humains.»

A noter que Lilian Thuram, l’ ex-star du football mondial était, en octobre 2023, au Salon international du Livre d’Alger (Sila). Il y a animé un débat à l’Espace Afrique, au pavillon central du Palais des Expositions (Pins maritimes) et une séance – dédicaces avec deux de ses ouvrages : «Mes étoiles noires» (Barzakh) et «La pensée blanche» (Apic). Que disait-il alors : «Quand j’écris, c’est pour l’enfant que j’étais. Né aux Antilles, je suis arrivé en région parisienne à l’âge de 9 ans. Et, je dis souvent que je suis devenu Noir à l’âge de neuf ans, dans cette classe de Cm2 où des enfants m’avaient traité de «sale noir». En fait, je n’ai pas très bien compris le sens. J’ai posé la question à ma mère qui m’a répondu: «c’est comme ça les gens sont racists». A partir de cet âge-là, j’ai commencé à me questionner, pourquoi il y a du racisme dans la société. En grandissant, j’ai pu rencontrer des livres et des personnes pour se rendre compte que cela était lié à l’histoire», a-t-il confié.

Il a évoqué des «constructions» sur la hiérarchisation des races et des gens selon la couleur de leur peau. L’ancien défenseur de l’équipe de France dit avoir interrogé des jeunes sur ce qu’ils ont appris à l’école sur l’histoire des populations noires. «Ils me répondaient avec difficulté en évoquant l’esclavage. Si dans l’imaginaire collectif, l’histoire des populations noires commençait par l’esclavage, il était alors compréhensif que des préjugés négatifs sur les personnes noires existaient. Pour changer l’imaginaire collectif, il fallait ramener des savoirs différents. Nous réfléchissons avec ce que nous connaissons», a-t-il souligné.

L’Auteur : Né le 1er janvier 1972 à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).

Footballeur international, ayant évolué comme défenseur dans les années 1990-2000, et auteur français. Ses qualités de footballeur lui ont valu de nombreuses distinctions ; il est notamment nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1998.

Engagé, il prend publiquement position sur des sujets liés à l’égalité, à l’immigration et au racisme. Il a été membre du Haut Conseil à l’intégration (France). Il crée en 2008 la «fondation Lilian Thuram-Éducation contre le racisme».Lilian Thuram a deux fils, Marcus (né en 1997) et Khéphren (né en 2001), eux aussi footballeurs et internationaux français.

Lilian Thuram a participé par ailleurs aux activités de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et a intégré son Conseil d’administration.

Table : Introduction/ I.L’histoire (Nos imaginaires, Une Antiquité truquée, Qui a découvert l’Amérique, La traite, La religion chrétienne, Les Lumières, La science des races, Coloniser, Civiliser, Une colonisation qui dure ?) / II. Être blanc (Des territoires, Un racisme systémique, Qui n’est pas blanc ?)/ III. Devenir humain (Le suicide de la race, Pwofitasyon (la profitation), Devenir barbare, L’en-commun) /Conclusion/ Bibliographie/ Index des noms/ Remerciements

Extraits : «L’histoire que se racontent les Occidentaux et la Chrétienté place les personnes blanches au centre du monde. Cette histoire a été enseignée à l’école, propagée par l’inconscient collectif et diffusée dans les débats publics» (p.23), «Quand les hommes de Colomb (ndlr : Christophe) emprisonnent ou tuent des Indiens, c’est un «incident fâcheux». Quand ils kidnappent des femmes indigènes, c‘est un «excès».Mais quand les Indiens répondent à la violence par la violence, c’est une «tragédie» ou un «massacre» (p 41), «Encore une fois, les puissants utilisent et réinterprètent la religion pour construire un discours légitimant sa violence : les croisades, la traite, la colonisation… Le monde d’aujourd’hui n’ y échappe pas» (p.53), «Si les formes ont changé, si les discours ont évolué, si les lois ont été modifiées, il existe une continuité et un héritage entre le racisme d’hier et d’aujourd’hui» (p.165), «Le racisme est présent même là où on ne l’attend pas. Par exemple, à l’heure de l’intelligence artificielle appliquée aux situations quotidiennes les plus diversifiées (…). Les algorithmes sont en train de remplacer les humains…» (p.176-177), «Ceux qui véhiculent l’idée qu’il y aurait un racisme anti-Blancs sont extrêmement dangereux car ils nourrissent des partis politiques qui croient en la guerre des races» (p.210)

Avis – Hélas, en France, il n’y a pas que Zemmour, Bardella, les Le Pen, Messiah et Cie qui sont racistes… parce qu’ils sont (ou se pensent) blancs. La «pensée blanche» est présente partout et elle cause encore bien du mal au monde. Il faut absolument lire ce livre de Lilian Thuram pour mieux comprendre la «chose» immonde qu’est le racisme… .un mal qui dure encore de nos jours, bien souvent invisible. Devenu systémique, il est, de plus, enrobé d’hypocrisie et de multiples «biais implicites», ce qui le rend encore bien plus dangereux. Criminel même ! Les Palestiniens en sont les victimes depuis des décennies… et l’entité sioniste qu’est Israël en profite largement, en allant jusqu’au génocide programmé et planifié à Washington, à Londres et à Paris et exécuté, depuis octobre 2023, à Ghaza et en Cisjordanie.

Citations : «La pensée blanche n’est pas une question de pigmentation de la peau. C’est une manière d’être au monde depuis, au moins,

Les Croisades» (p.18), «L’histoire est un matériau intellectuel et une science humaine avec lesquels on bâtit le présent» (p.28), «La religion est le meilleur prétexte, le plus incontestable pour légitimer une domination. Elle est là pour habiller de vertu la férocité des marchands. Et donner une bonne excuse à tout le monde de ne pas protester -ou pas trop fort. Qui oserait se risquer à contrarier Dieu ?» (p.51), «Il n’y a pas eu et il n’y aura jamais de colonisation sans crimes» (p.102), «Avant d’être blanc, on est surtout plus clair que d’autres. En effet, il n’y a personne de blanc, c’est une invention politique et économique» (p.139), «Dès l’enfance, les non-Blancs n’ont pas le droit de rêver à tout. Les occasions sont déjà restreintes ? La pensée blanche les «oriente» (p.145), «Le Dieu chrétien est sans doute la plus grande invention de la pensée blanche» (p148), «Le communautarisme n’existe toujours que chez l’autre» (p.205), «Facebook (comme d’autres réseaux sociaux) crée de faux liens.

Et laisse croire qu’il fabrique des liens alors qu’il ne fait que renforcer la solitude de chacun. Il fait de chacun de nous un corps frontière. Il y a de plus en plus de murs dans le monde. De plus en plus de réserves. La violence et donc la peur augmentent et enferment chacun dans une pseudo-sécurité (p.253-254), «Personne ne peut atteindre un haut niveau en refusant les remises en question» (p.291), «Devenir un être libre n’est pas perdre de sa puissance ou de sa superbe. C’est au contraire une invitation à entrer en résistance» (p.296).

Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée. Ouvrage de Achille Mbembe. Chihab Editions, Alger 2013, 254 pages, 1.000 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/bibliotheque dalmanach/relations internationales)

L’Afrique décolonisée ! L’auteur nous la présente à travers un essai magnifiquement écrit, bien que compliqué comme tout essai politico-philosophique rédigé par un intellectuel de haut niveau. L’essai commence sur un registre narratif et autobiographique. Début du moment post-colonial. L a décolonisation – surtout là où elle fut octroyée – prit «l’allure d’une rencontre par effraction avec soi-même». Les deux chapitres qui suivent examinent les paradoxes de la «postcolonialité»… chez une puissance (la France) qui «décolonisa sans s’auto-décoloniser», d’où l’impuissance à écrire une histoire commune à partir d’un passé commun.

Du côté des nouvelles nations indépendantes (parfois «greffes hétérogènes de fragments, à première vue, incompatibles et conglomérats de sociétés au temps long»), on «reprend» la course. A tout risque. Plongée dans l’inconnu. Heureusement il y a la «volonté de vie». Donc, l’Afrique est en train de se construire (…)

L’Auteur : Théoricien du post-colonialisme, à la pensée engagée dans l’action, fortement anti-cléricaliste et pour une théologie de la libération. Camerounais d’origine (né en 1957, sa région fut un bastion du mouvement nationaliste camerounais). Docteur en histoire (La Sorbonne, Paris) et Dea en sciences politiques (Iep, Paris) il est professeur d’histoire et de sciences politiques en Afrique du Sud. Chercheur, il a également enseigné aux Etats-Unis. Auteur de plusieurs publications (dont «De a postcolonie») globalement sur le même thème et sur l’Afrique

Avis – Pour mieux connaître le colonialisme et le racisme blancs… et le néo-colonialisme. (…)

Citations : (…) «L’Afrique demeure une région du monde où le pouvoir, quel qu’il soit et sous le sceau du satrape, se dote automatiquement d’immunité. Les choses sont en effet simples. Le potentat est une loi en lui-même» (p.23), (…), « La colonisation moderne était l’une des filles directes des doctrines qui consistaient à trier les hommes et à les diviser en deux groupes : ceux qui comptent et que l’on compte, d’une part, et le «reste», d’autre part, ce qu’il faut appeler les «résidus d’hommes» ou encore les «déchets d’hommes» (p.239), «L’humanité de l’homme n’est pas donnée. Elle s’arrache et se crée au fil des luttes» (p 341), «Tout sang versé ne produit pas nécessairement la vie, la liberté et la communauté» (p.243).


PS : Vient de paraître en France un ouvrage de Sylvie Laurent (Seuil, 512 pages) dont le titre est : «Capital et race. Histoire d’une hydre moderne». L’histoire économique du «capitalisme racial»… une sorte de «nouvelle histoire du capitalisme»


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