LIVRES / AU CONFESSIONNAL… DE GHANEM

      par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                      Livres

Conversations méditerranéennes. Recueil d’entretiens de Ali Ghanem. Casbah Editions, Alger 2022, 413 pages, 1.300 dinars.

On en apprend des choses sur les interviewés. Il est vrai que lorsque l’interviewer sait y faire en matière de maïeutique (art de faire «accoucher»), l’interviewé, bien souvent pris au dépourvu, se «laisse aller», nous faisant ainsi découvrir des faces cachées (toujours lumineuses, cela va de soi) de sa personnalité ou de sa vie ou de ses expériences. Ainsi, on apprend qu’Ait Ahmed a beaucoup écrit, dans les années 40… de poèmes en kabyle et en français sur l’air de «Lili Marlène» et cela avait servi à véhiculer un hymne national. Il a même composé une chanson nationaliste pour les fêtes populaires sur un air du terroir…

Ainsi, on apprend que Omar Sharif s’«adore», déclarant que «la personne la plus connue dans tout le monde arabe, c’est moi, ce n’est ni Chadli, ni Moubarak, ni Kadhafi, ni Hafez El Assad, ni Saddam Hussein. Tous ces hommes ont nui à notre réputation, ont fait du tort aux Arabes»… Ainsi, on apprend que Boualem Sansal est de nature réservé, extrêmement timide qui n’aime pas du tout s’exprimer en public…et que sa violence «est proportionnelle à celle que nous vivons». Ainsi, on apprend que Yasmina Khadra n’a jamais offert de fleurs à son épouse, car «les fleurs c’est fait pour pousser et fleurir dans les champs, pas dans un bocal».

Ainsi on apprend que Tahar Ouettar respecte Boudjedra et Mimouni et qu’il «aime bien» Tahar Djaout, «tant sur le plan humain que littéraire». Ainsi, on apprend que Slim, le dessinateur de presse a été le premier algérien à caricaturer Chadli Bendjedid «dans un hebdo qui paraissait à 180.000 exemplaires», tout en déclarant qu’il «faut faire la part des choses entre la caricature et l’insulte». Ainsi, on apprend que Jean Pierre El Kabbach «est toujours attaché à l’Algérie… sans pourtant avoir la nostalgie de l’Algérie française»… et que la mère de l’écrivain Marc Lévy est originaire d’Oran… Une véritable mine d’informations sur tous ceux – Algériens ou étrangers- qui ont, pour la plupart, l’Algérie au cœur et au corps! En apparence légères, mais qui nous font les aimer encore plus…. ou ne pas les détester.

L’Auteur: Cinéaste, auteur de plusieurs films dont «Mektoub» et «Une femme pour mon fils» sont les plus connus. Auteur de romans.

Sommaire : Près de cinquante entretiens , de Aït Ahmed, Boualem Sansal, Yamina Benguigui, Anissa Boumediene, Hervé Bourges, à Mohand Sidi Said, Germaine Tillon, Henri Alleg, Rachid Mimouni, Edwy Plenel en passant par Nourredine Saâdi, Jean Lacouture, Omar Sharif, Malek Chebel, Tahar Ouettar…Des entretiens ,pour la plupart publiés dans «Le Quotidien d’Oran» entre 1989 et 2020

Extraits : «Cette notion de «liberté-égalité-fraternité» n’englobe pas tous les peuples. En fait, cette notion n’est que dans la tête des Français» (Calixthe Beyala, romancière franco-camerounaise, p 88), «Les gens ne se définissent pas forcément, seulement par l’endroit d’où ils viennent. Ils sont aussi de l’endroit où ils vivent, de la culture qu’ils portent en eux» (Calixthe Beyala, p 88), «Nous avons beaucoup de riches algériens, mais ils ne donneraient pas un centime pour la culture ou pour l’art. Jamais ! Ils donneront pour des pizzerias, pour ce qui «rapporte» immédiatement» (Rachid Boudjedra, p 106), «C’est très important de rester longtemps dans un pays, mais, plus on le connaît, moins on sait le décrire. Quand on ne fait qu’y passer, au contraire on a tout de suite un premier jugement qu’on pense définitif (…). Pour émettre un jugement sur un pays, il vaut mieux ne pas le connaître trop longtemps (Hervé Bourges, p 143), «Je crois qu’il y a un trait commun propre à toute la classe dirigeante de l’Algérie. C’est la paranoïa du pouvoir qui est un véritable handicap quand il s’agit de régler les problèmes de la société» (Mohamed Harbi, p195) «La France est le pays de la liberté et des droits de l‘Homme. Pourtant dès qu’il s’agit de ses propres problèmes, elle peine à les reconnaître. S’agissant des crimes de guerre ou du droit d’ingérence, elle est toujours prête à aller balayer ailleurs, mais rarement devant sa porte.» (Ali Ghanem, p 401)

Avis : Assez surprenant comme ouvrage. On attendait Ali Ghanem (qui écrit très bien, qui sait entretenir l’attention, tout particulièrement avec ses questions très directes, parfois provocatrices) et on rencontre, en direct, une cinquantaine de «confessions» et de confidences – express. Commencez à lire et vous irez de (bonne) découverte en (bonne) découverte.

Citations : «C’est vrai qu’on peut attendre de l’Etat des facilités, mais on ne peut en attendre des orientations. Seulement, l’Etat adore donner des orientations» (Yasmina Khadra, p 41), «Un pays libre, c’est un pays où la presse et l’édition sont libres, et cela donne une culture de la démocratie» (Jamel Eddine Bencheikh, p 51), «Il faut laisser cette langue (note: arabe) s’épanouir, vivre et accueillir les mots dont elle a besoin, même s’ils sont étrangers. Il n’y aura pas renaissance de la langue s’il n’y a pas renaissance de l’esprit. Et réciproquement…» (Jamel Eddine Bencheikh, p 53), «Si vous ne laissez pas la langue d’un pays exprimer le profond, cela devient une langue savante qui ne l’exprime pas. A sa manière, l’écrivain pose les pierres d’un édifice qu’il construit partout» (Jamel Eddine Bencheikh, p 54), «Les Algériens sont des gens qui sont constamment en embuscade, ils ont peur qu’on les agresse, ils cherchent à agresser. Et, c’est ainsi que des clans se forment sous toute forme de prétextes» ((Jamel Eddine Bencheikh, p 57), «Je ne crois pas que l’avenir des amitiés réside dans l’abandon des identités mais au contraire dans leur affirmation» (Jacques Berque, p 85), «Nous sommes un peuple comme tous les peuples avec des côtés «cons» et des côtés «merveilleux». Et moi, j’aime ce peuple et ce pays (Rachid Boudjedra, p 111) , «Si les Arabes, hommes ou femmes, ont de la sexualité dans le regard, c’est que leur sexualité ne se vit de la même manière que si elle était libérée par le discours. Nous avons un blocage au niveau du discours. Nommer les choses nous paraît insurmontable. La pratique, en revanche, est très satisfaisante» (Malek Chebel, p 170), «La liberté s’acquiert à partir du moment où on a une idée de soi qui n’est pas dominatrice à l’égard des autres» (Mohamed Harbi, p 190), «Le pouvoir est par essence protecteur et paternaliste, quand il n’est pas despotique; l’intellectuel est par essence fortement individualisé avec une grande exigence de la liberté» (Amin Maalouf, p 245), «Dans un État qui existe, les citoyens ont la mémoire répertoriée. Ils savent d’où ils viennent et où ils vont » (Fatima Mernissi, p 250), «La vérité est une, même si chacun peut la juger à sa manière. En revanche, le mensonge est multiple» (Edgar Pisani, p 280), «Aucun homme politique n’est un vrai homme politique s’il n’a en tête, quelque part, une utopie» (Edgar Pisani, p 283), «Après un certain âge, on n’a pas de passion ni d’ambition. Ce sont des sentiments de jeunes qui disparaissent avec l’âge» (Omar Sharif, p 367)

Ps : -Je tiens à préciser, encore une fois, que je ne suis pas un «critique littéraire», ce genre ayant ses spécialistes et son style…mais seulement un journaliste chroniqueur tentant de faire découvrir et apprécier des livres (et des revues).

-Autre précision: ma chronique ne traite que de productions éditoriales nationales, c’est-à-dire publiées en Algérie, qu’elles proviennent d’auteurs algériens ou étrangers.


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