LIVRES / LES TURCS « DIALNA » !

  par Belkacem Ahcene-Djaballah  

                                                         Livres

Histoire des derniers beys de Constantine (depuis 1793, jusqu’ à la chute de Hadj-Ahmed). Un recueil d’articles de E. Vayssettes parus dans la Revue africaine 1859-1860, et présentés par Rebahi Abderrahmane. Grand Alger Livres Edition . Collection Histoire. Alger 2005. 218 pages 380 dinars.

 

Un livre d’histoire(s) assez instructif ! L’auteur des articles, écrits en 1857, n’a raté aucune occasion pour mettre en exergue, sans hésitation, la férocité des Turcs, « qui savaient, selon lui, manier beaucoup plus le sabre que la plume » et défendre « l’Arabe qui, courbé sous le poids du plus brutal despotisme, oublia entièrement les productions de l’intelligence, pour ne songer qu’à soustraire ses biens ou sa vie à la rapacité de l’oppresseur ». Il oublie d’ajouter que si les citadins ont fait le « dos rond » (encore que Constantine est réputée pour « ne devoir son salut, face aux sièges, qu’au courage de ses habitants et non point à l’initiative de ses chefs, toujours absents au moment du danger »), les ruraux et les montagnards ont été continuellement rebelles et ont livré des batailles épiques avec des victoires retentissantes.

Rebahi Abderramane, dans sa présentation et son avant-propos, n’y va pas, aussi, de « main-morte ». Pour lui, « avec une poignée d’hommes, les Turcs sont restés, pendant plus de trois cents ans, maîtres du pays » car leur force « reposait sur la concentration (entre les mains des conquérants) de tous les pouvoirs militaires, et sur l’exclusion sévère des indigènes de toute participation à l’autorité suprême »…. et « les trois siècles de domination turque furent un regrettable HIATUS dans l’histoire algérienne ».

Galerie des portraits (évidemment, légèrement ou très fortement retouchés par l’auteur initial pour les besoins de la cause coloniale) des 19 derniers beys de Constantine, un véritable royaume, jusqu’au 13 octobre 1837 – après le très fameux Salah Bey dont le règne avait duré vingt ans…et qui voulait même proclamer son indépendance – certains ayant duré un seul mois, d’autres quatre années avec une moyenne générale de deux ans. Presque tous ayant fini décapités, sur ordre du Dey. On ne plaisantait pas avec le pouvoir à l’époque: On avait donc le constructeur , juste et pacifique..qui faisait trop confiance à son voyou de fils, un corrompu et un pervers, le kourougli ferme et droit mais « pas de chance », l’aventurier, l’administrateur ferme doublé de guerrier intrépide…mais qui aimait le sang, le juste et bon qui se souvient de toutes les « crasses », le tyran sanguinaire, le débauché pervers, spécialiste des orgies et des tortures barbares… ( il n’a duré qu’un seul mois, heureusement), l’« occasionnel » (six mois), l’ignorant grossier et incompétent…qui ira jusqu’à inventer un instrument spécial destiné à « bien » couper les cous (la Chettabia), l’indolent se reposant sur ses adjoints cruels et voleurs, le revanchard qui finit (toujours) mal, le généreux sincère et naïf, le vieillard sénile et incapable qui délègue ses pouvoirs aux cupides (un mois de règne), le sévère (à la turque !) mais équitable (c’est selon !)….puis résistant contre l’occupation française….et qui mourut dans son lit, bien au chaud, à Alger, à 63 ans, en 1850 , ……avec une pension de 12.000 francs.

A méditer!

Avis : Pour méditation ! Chaque soir, avant de vous endormir, lisez un chapitre et faites connaissance avec un des beys…..Vous ne dormirez pas bien, c’est certain, mais, le matin, vous vous sentirez plus qu’heureux de vivre aujourd’hui dans une Algérie libérée (et/ou ayant échappé à) d’ une tyrannie sanguinaire…..qui aurait pu durer.

La bataille de Constantine : 1836-1837. Essai de Badjadja Abdelkrim. Chihab Editions, Alger 2016, 171 pages, 850 dinars.

Ahmed Ben Mohamed Chérif (Hadj Ahmed Bey) est né en 1787 à Constantine. Son grand-père, Ahmed Bey El Kolli était un Turc ayant régné à Constantine de 1756 à 1771. Le père d’Ahmed Bey, Mohamed Chérif, était un Kourougli, qui fut khalifa (lieutenant) du Bey Hossein de 1792 à 1795. De même que son père, Mohamed Chérif, qui épousa une fille Bengana, Hadja Rokia qui donna naissance à Ahmed Bey.

La maison natale, Dar Oum Noum se trouvait à l’emplacement précis du Centre culturel de l’ANP (ex-mess des officiers), en face du Palais du Bey.

A dix-huit ans, il fut nommé Caid El Aouissi (chef des Haracta) par Abdallah Bey (1805)….C’est en août 1826 qu’il fut désigné par le Dey Hussein comme Bey de Constantine succédant ainsi au fantasque Bey Manamani.

27 juin 1830 : Les troupes françaises débarquent sur les plages de Sidi Fredj. Hadj Ahmed Bey se trouvait sur le champ de bataille avec ses hommes….mais, on n’écouta guère sa proposition d’une autre stratégie que celle de l’Agha Ibrahim , le gendre du Dey.

Août 1830, la ville de Bône (Annaba) est prise par les Français ….avec pour objectif, de s’en servir de base de départ pour la conquête de Constantine.

Première bataille de Constantine fin 1836 avec une armée française de 8.800 hommes… face à une armée algérienne de 9. 900 hommes environ (dont 2.400 défendant la ville). La stratégie constantinoise (défense de la ville, laisser venir l’ennemi, l’enfermer entre l’attaque, grâce à une troupe battant la campagne, et la défense) est payante et l’armée française essuie une très lourde défaite

Deuxième bataille, en octobre 1837…mais cette fois-ci, en raison surtout d’erreurs et de contradictions du commandement constantinois, l’armée française (forte de 13.000 hommes) entre dans la ville le 13 octobre face à une résistance populaire incroyable.

Ahmed Bey continuera la lutte plusieurs années de suite….jusqu’en 1848. Fait prisonnier, il mourra en captivité à Alger, le 30 août 1850. Il fut enterré à la zaouïa de Sidi Abderrahmane à Alger, laissant trois veuves et deux filles.

L’Auteur : Né à Constantine, conservateur des Archives de la wilaya de Constantine (1974-1991) , il a été directeur des Archives de la wilaya de Constantine, puis directeur général des Archives nationales de 1992 à 2001. Il a occupé plusieurs fonctions électives au sein des organes du Conseil international des Archives. Auteur de plusieurs ouvrages et communications.

Avis : L’ouvrage a déjà été publié dans des journaux (El Moudjahid puis An Nasr) en 1982, puis en 1984 (Editions Dar el Baath), mais il conserve intacte sa valeur historique. Beaucoup d’éclairages, bien des questionnements….. Polémiques en vue ?

Extraits : « Les deux chefs de la résistance de l’époque (Emir Abdelkader et Hadj Ahmed Bey) commirent la même erreur que celle de nos premiers ancêtres, Massinissa et Syphax, deux princes berbères qui avaient choisi de s’entretuer au lieu de s’unir, en faisant alliance avec les deux impérialismes de l’antiquité : Rome pour le premier et Carthage pour le second. Résultats des courses tant pour l’Antiquité que pour le début de la période contemporaine : l’Algérie perdit son indépendance » (p 109), « Il y a trop de lectures sur l’Emir Abdelkader, et peu ou pas sur Hadj Ahmed Bey » (p 115),

Citations : « Les ignorants ne savent pas combien l’archive est le moteur de la mémoire, l’élément indispensable à l’écriture de l’histoire ; sans elle, pas d’histoire » (p 123) , « Le mythe des « héros » est dangereux, surtout le jour où des vérités vont apparaître pour éclabousser ceux que l’on croyait de preux chevaliers sans reproche » (p 148)

Les mémoires de Hadj Ahmed Bey (1774-1850). Etude de Djilali Sari. Anep Editions, Alger 2015. 211 pages, 650 dinars.

Hadj Ahmed Bey, unique bey fils d’une mère algérienne ( Hadja R’quya Bent Gana), a été le dernier bey de Constantine. Investi en 1826, il n’a jamais cédé aux offres de l’occupant contrairement aux deux autres beys (de Médéa et d’Oran), et il a mené la résistance jusqu’à fin mai 1849. Il y eut même une tentative de le remplacer par le Bey de Tunis. Il ne fut capturé que suite à un double traquenard. . Il fut interné (en résidence surveillée) à la ruelle Scipion (Bab Azoun Est/Alger). L’auteur , à travers une analyse de contenu fouillée et plus que rigoureuse, démontre que les « Mémoires « de Hadj Ahmed Bey », connues du grand public et surtout des chercheurs , ne sont, en fait, qu’une traduction en partie falsifiée des propos et autres confidences recueillies (sans témoins) par un officier des Bureaux arabes, le capitaine de Rouzé, seule personne admise à entrer auprès du chef désormais « prisonnier » à Alger. Déjà, au départ, un entrefilet du 6 mars 1849 (pp 139 et 140) parue dans le journal colonial ‘Akhbar’, annonce la couleur par un ton moqueur et folklorique. Il décrit un Ahmed Bey confiné en son domicile, « au milieu de son harem de treize femmes et qui mènent une existence assez triste…ne voyant de l’extérieur que le petit espace de ciel qui s’étend au-dessus de la cour » ….jusqu’au 30 août 1850, date de son décès.

Marcel Emeri, un chercheur -grand découvreur de documents au fonds des Archives, sans aucune mention, comme l’original du traité de la Tafna – qui a présenté les « Mémoires » en 1949 n’est pas plus totalement objectif. Il trouve que « le style du document et la tournure d’esprit du rédacteur (le capitaine de Rouzé) sont d’une allure tellement barbaresque (sic !) » qu’il est « obligé d’admettre que le bey Hadj Ahmed a dicté lui-même ses souvenirs ».

Il reconnaît cependant que si les adversaires du Bey l’ont présenté comme un « tyran cupide et sanguinaire » (sur la base du seul document existant écrit par un homme qui le détestait, un certain Salah El Antri, Secrétaire du bureau arabe de Constantine , « médiocrement informé » ) , une opinion adoptée par les généraux (français )…… dans ses mémoires, on retrouve « un homme pondéré, pacifique, respectueux de la volonté du peuple exprimée par la voix des notables, généreux, autant qu’il est possible, envers ses ennemis »…..Et, d’ajouter que « bien que ce Turc n’était pas un ange et s’il avait été un tyran détesté, il n’aurait pas pu lutter pendant 18 ans contre nous…. et lors de sa reddition, en 1848, interné, quelques jours à Constantine, toute la population se cotisa pour le pourvoir en vêtement et en vivres »

L’Auteur: Géographe de formation, et historien, docteur d’Etat, il est professeur à l’Université d’Alger depuis 1966. Membre de plusieurs Unions scientifiques internationales, il a participé à différentes manifestations scientifiques nationales et internationales. Auteur d’un grand nombre d’ouvrages. L’essentiel de ses publications (pour la plupart traduites en arabe) est consacré à l’évolution du pays et au reste du Maghreb durant les décennies écoulées, en privilégiant l’approche interdisciplinaire. Quatre ouvrages sur Tlemcen. Son ouvrage –phare est celui publié en 1975 (Sned puis Enag, en français puis en arabe): « La dépossession des fellahs, 1830-1962 ». (Voir article de l’auteur sur le sujet abordé in ‘Le Quotidien d’Oran’ du 30 décembre 2015)

Extrait: «En dépit d’une correspondance soutenue et bien argumentée, Istanbul ne manifeste aucun geste laissant espérer une probable assistance dans les meilleurs délais possibles. En fait, un silence prolongé et déstabilisant humiliant» (p 104)

Avis : A lire surtout par les étudiants en Histoire pour déconstruire les études historiques d’origine coloniale, pour affiner leurs approches méthodologiques et leurs analyses (critiques)

Citation : « Ils (les Français) n’ont aucun droit sur nos territoires dont chaque pouce est un bien hérité depuis des milliers d’années : nous sommes libres, comment se permettent-ils de nous vendre au gouverneur de Tunis ? Possèdent-ils quelque chose pour pouvoir le vendre ? » (Extrait de la pétition signée par 60 principaux chefs du Constantinois, et adressée au Parlement britannique, par Hadj Ahmed Bey, p 9)


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