Peut-on ériger un centre de compétitivité sur les nanomatériaux à Tlemcen ?

par Mustapha Benmouna*

La création de centres de compétitivité est un objectif stratégique ; Exemple des nanomatériaux

L’un des thèmes forts qui occupent les débats dans les milieux universitaires, dans les cercles politiques et dans la société elle-même est le besoin de doter l’Algérie de pôles d’excellence dans l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique. Les tendances technologiques modernes se précisent, de plus en plus, et connaissent des mutations importantes et rapides. Avec le développement spectaculaire des méthodes de communications, l’avènement de l’Internet, les choses s’accélèrent et des pays comme l’Algérie s’activent à suivre ce développement en créant les conditions nécessaires pour le réaliser, dans les meilleurs délais possibles.

La mise en place de pôles d’excellence est un passage incontournable pour assurer le transfert de technologies nouvelles et leur intégration dans l’Economie nationale et notre mode de vie en société. Les nanotechnologies et la science des nanomatériaux ont connu un bond spectaculaire pendant les dernières décennies dans presque toutes les régions du monde (Amériques, Europe, Asie, Australie). L’Afrique en général et l’Algérie en particulier ne doivent pas rester à l’écart de cette révolution technologique en relevant le défi de la compétitivité et en utilisant pleinement leurs ressources humaines et matérielles. Pour l’Algérie, la mise en place de pôles d’excellence dans l’Enseignement supérieur et la Recherche lui confer la possibilité de jouer un rôle moteur en Afrique et dans le bassin méditerranéen où la position stratégique qu’elle occupe lui dicte de le faire. Beaucoup d’efforts ont été consentis pour encourager la recherche de haut niveau dans les universités et centres de recherche. Evidemment beaucoup reste à faire pour atteindre l’excellence et la compétitivité aux normes internationales. Il reste à créer l’environnement favorable pour les échanges entre les chercheurs à différents niveaux et à réaliser la synergie des ressources humaines et la complémentarité des compétences.

En juillet 2002, j’avais soumis au ministère un projet de Centre de recherche sur les nanomatériaux en collaboration avec l’Institut Max-Planck de recherche sur les polymères de Mayence, en Allemagne. Ce projet a eu l’appui de notre ambassade à Berlin et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique au plus haut niveau, mais il n’a pas été concrétisé. Même si je considère cela comme un échec personnel, je pense que la vraie raison est le manque, sur place, d’une masse critique de chercheurs capables de porter un partenariat de cette envergure et de l’inscrire dans la durée, à la mesure de nos ambitions et du top niveau de nos partenaires. Une façon d’atteindre cette masse critique est de constituer des réseaux de laboratoires de recherche ayant des intérêts communs dans la recherche. Je reviendrai sur cette question de réseaux dans une prochaine contribution. Il faut, malgré tout, faire preuve d’optimisme puisque notre pays a des atouts à faire valoir dans ce domaine, sachant que la recherche sur les nanomatériaux est prépondérante à l’échelle nationale.

Les thèmes récurrents des projets en physique et en chimie sont les matériaux poreux, ceux à réactivité chimique, les polymères, les verres et céramiques, les conducteurs, les semi conducteurs et les supraconducteurs, les matériaux à activités biologiques et les matériaux pour l’énergie. La recherche reste surtout à caractère fondamental et il y a une grande difficulté à associer le secteur socioéconomique en tant que partenaire de l’université dans les projets de recherche. Pour assurer la jonction entre la recherche universitaire et le développement socioéconomique, il faut imaginer une approche innovante adaptée aux conditions socioéconomiques et culturelles de notre pays, ainsi que des objectifs stratégiques arrêtés par les responsables. Parmi ceux-là, on peut citer : Zéro chômage pour diplômés; Autosuffisance alimentaire et l’esprit du compter-sur-soi ; Création de pôles d’excellence en recherche fondamentale et appliquée. Les appels à projets lancés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique sont toujours accompagnés d’une demande expresse faite aux chefs de projets d’avoir un partenaire socioéconomique. L’expérience montre que ces appels n’ont pas eu d’échos favorables et que cette approche n’est pas la bonne. Une autre méthode est nécessaire pour réussir le défi de la recherche utile. Celle qui semble être en cours actuellement porte des prémisses dans ce sens.

Les nanomatériaux et leurs applications ont un caractère pluridisciplinaire.

Il s’agit d’explorer les propriétés des matériaux à l’échelle nanométrique, c’est-à-dire du milliardième du mètre. Pour bien comprendre le comportement de la matière, on ne peut pas se contenter d’étudier ses propriétés macroscopiques, celles accessibles à l’œil nu, mais on est parfois amené à la sonder à plus petite échelle pouvant atteindre le nanomètre. Il y a là un caractère fédérateur du sujet qui intéresse avec la même acuité le chimiste, le physicien, le biologiste et bien d’autres spécialités médicales et technologiques. La forte imbrication de la physique, la chimie et la biologie peut être décrite très schématiquement de la façon suivante. Le chimiste s’efforce de construire des édifices supramoléculaires à l’aide de petites molécules. C’est un véritable art que de produire un agencement de molécules et aboutir à des ensembles harmonieux doués d’une fonction spécifique. Fabriquer des chaînes macromoléculaires avec des architectures variées comme des dendrimères ayant un nombre contrôlé de générations, des agrégats micellaires, des films multicouches, des réseaux interpénétrés, des cycles olympiques et bien d’autres formes nécessite non seulement des connaissances élaborées en chimie mais aussi une vision d’artiste et un doigté d’orfèvre. Greffer des molécules sur une surface fonctionnalisée chimiquement est devenu une pratique courante dans les grands laboratoires de recherche. Par des méthodes adaptées, le chimiste est capable d’élaborer des nano objets et maîtriser leurs propriétés structurales et physicochimiques.

C’est un défi technologique puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, d’assembler des éléments de la dimension du nanomètre pour former un ensemble harmonieux ayant une finalité précise (exemples de nanotubes, nano machines, etc.). Le physicien s’intéresse aux interactions entre les molécules avant et après formation des ensembles et des complexes macromoléculaires. Il essaie de déterminer les conditions de stabilité des agrégats formés, de comprendre les interactions entre nanoparticules et polymères, d’identifier les processus de leur intercalation et d’adhésion aux matrices. La diffusion des molécules vers un substrat solide, la cinétique d’adsorption et la conformation des chaînes macromoléculaires sur une surface sont des thèmes de recherche récurrents, depuis des années, à la fois sur le plan théorique et expérimental. Selon la nature des molécules et en fonction de l’état de la surface, on peut trouver des conditions variables. Cet aspect est important notamment dans la mise au point de greffes destinées à être introduites dans le corps vivant et qu’il faut choisir soigneusement pour être compatibles avec le milieu biologique considéré et éviter le rejet. Il faut donc prendre en compte à la fois la nature chimique des objets, les interactions physiques et l’aspect de biocompatibilité. Le rôle du biologiste dans ce contexte est déterminant. Le physicien et le chimiste interviennent surtout dans la mise au point du dispositif à greffer. Ensuite, l’intervention du biologiste est nécessaire pour examiner les conditions de biocompatibilité. Il faut étudier le comportement des cellules au voisinage ou en contact d’un matériau stérilisé en considérant des cellules prélevées directement sur l’organisme ou des cellules de culture. Ce comportement est caractérisé à travers plusieurs phases. Une phase d’approche où les interactions chimiques et physiques sont prépondérantes. Une phase de contact où les cellules explorent rapidement le milieu en présence pour tester si elles peuvent s’y installer. Ces deux phases sont déterminantes surtout par les aspects liés à la chimie et la physique du problème. Si la première étape se termine par un succès et les cellules ne meurent pas, alors vient la phase à caractère biologique où les cellules se déploient sur le matériau et mettent en œuvre leur dispositif biologique. Dans un autre ordre d’idées, le biologiste se penche sur des phénomènes naturels qui mènent à la possibilité de s’inspirer sur les systèmes vivants en les mimant pour fabriquer des assemblages de nano objets. La mise au point d’usines biologiques pour fabriquer ces objets n’est plus vraiment une fiction et fait partie des préoccupations actuelles des chercheurs.

Une bonne connaissance de l’aspect fondamental du comportement des molécules individuellement ou en groupe, la maîtrise des microstructures de la cellule vivante ouvrent la possibilité de concevoir des thérapies à l’échelle de la cellule. Il s’agit là juste d’un exemple particulier, présenté très schématiquement, de l’imbrication de la physique, la chimie et la biologie. Il y a bien évidemment beaucoup d’autres exemples à la mesure du vaste domaine couvert par chacune de ces trois spécialités. Quelques exemples d’applications pratiques susceptibles de nous intéresser sont : traitement des eaux et pollution (polymères, membranes) ; éco agriculture et sécurité alimentaire (hydrogels, colloïdes, mousses) ; médicaments (nanoparticules et largage ciblé) ; énergies renouvelables (cellules photovoltaïques). Les applications des nanomatériaux sont très variées et vont du magnétisme à l’optique, la mise au point de bio détecteurs ou bio machines, etc. Des progrès sont rapportés chaque jour changeant irrévocablement notre mode de vie dans la société moderne et il est de notre devoir de préparer les générations futures à ce changement. Une grande attention est accordée aux applications liées au contrôle de la lumière et de l’énergie. L’émission et l’absorption de l’énergie sont intimement liées aux communications optiques, aux technologies d’affichage, au captage de l’énergie et au stockage de l’information.

Le recours aux nanoparticules dans la détection et le traitement ciblé de nombreuses maladies comme le cancer est un thème récurent dans la littérature spécialisée. Transporter des molécules anticancéreuses par des nanoparticules permet d’augmenter leur sélectivité pour la tumeur et réduire fortement les effets collatéraux observés dans les méthodes classiques de chimiothérapie, radiothérapie et de chirurgie. Le largage ciblé de molécules bioactives ou de médicaments vers une tumeur constitue à présent un défi majeur pour la prévention, la localisation et le traitement du cancer. Le fait que les médicaments doivent traverser de nombreuses barrières physico-chimiques et biologiques pour atteindre la cible nécessite la mise au point de nanoparticules douées de grandes capacités de reconnaissance et de réponse adéquate aux conditions du milieu ou aux signaux extérieurs. La structure des nanoparticules peut être modifiée par le greffage ou l’adsorption de molécules sur leur surface afin d’éviter le contact avec le tissu non ciblé. De telles modifications permettent d’augmenter leur biocompatibilité, leur capacité de reconnaissance pour les fixer sur les cellules cancéreuses. La diffusion des nanoparticules vers la cible doit donc être contrôlée avec précision. Il s’agit là d’un domaine de recherche pluridisciplinaire regroupant des physiciens, des chimistes et des biologistes en plus des mathématiciens et informaticiens et bien sûr le corps médical. Cette problématique s’inscrit pleinement dans les tendances actuelles de l’ère des nanotechnologies (i.e. nano médecine) engageant des équipes pluridisciplinaires.

En radiothérapie, l’intérêt des nanoparticules est aussi de transporter une source radioactive jusqu’au lieu de la tumeur. Les rayonnements ionisants et les radio-isotopes peuvent être bénéfiques ou dangereux selon leurs utilisations et la maîtrise ou non de leurs modes de fonctionnement. Les aspects bénéfiques englobent l’imagerie médicale et la détection des tumeurs, la stérilisation des emballages alimentaires et instruments chirurgicaux, la production d’électricité et bien d’autres applications à des fins pacifiques. Les conséquences de l’exposition aux rayonnements ionisants sont peut être un peu moins connues par les non initiés à ce sujet. En plus de la nature de la source d’irradiation, il faudrait prendre en compte le temps d’exposition, la distance entre la source et la personne irradiée ainsi que les obstacles susceptibles de servir comme écrans de protection. Les rayonnements ionisants les plus courants en radiobiologie sont les rayons gamma et X qui sont fortement pénétrants dans l’organisme humain mais avec un pouvoir d’ionisation relativement faible. Les particules béta (électrons) ont un pouvoir d’ionisation assez élevé alors que les particules alfa (Hélium) ont un grand pouvoir d’ionisation et sont très dangereuses. Une exposition à ces rayonnements, même de courte durée, peut causer un cancer.

En radiothérapie, ce même principe d’exposition aux rayonnements ionisants est utilisé pour guérir le cancer en éliminant les cellules tumorales. L’approche de radiothérapie ciblée est encore plus précise, entrainant moins d’effets collatéraux. Elle repose sur l’utilisation de nanoparticules de polymères (par exemple un dendrimère) contenant un isotope radioactif (par exemple le Rhénium émettant des particules béta). Cette approche a fait l’objet en 2018 d’un projet innovant sous forme d’une plateforme de radio pharmacie à l’Université de Tlemcen susceptible de constituer le noyau d’un pôle d’excellence (de plus amples informations à ce sujet sont disponibles sur le web). Comme dans le cas du projet de centre de recherche sur les nanomatériaux que j’ai cité au début de cette contribution, cette plateforme a aussi bénéficié de l’accord de toutes les instances concernées, en particulier le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et la wilaya de Tlemcen. A ma connaissance, il n’y a aucune information permettant de conclure que ce projet n’a pas été définitivement abandonné. Je saisis cette occasion pour rendre hommage à la mémoire du défunt professeur Mustapha Djafour (recteur de l’Université de Tlemcen de 2015 à 2018) qui n’a ménagé aucun effort pour la réussite de ce projet et la mise en place à Tlemcen d’une plateforme de radio pharmacie pour le traitement du cancer.

*Professeur de Physique (retraité)


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