Ferhat Abbas par Albert Camus : un Algérien étranger et étrange

«Il ne suffit pas de prendre un fusil pour représenter un peuple.»
(André Malraux)


Par Nassim Abbas
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Albert Camus a su d’un trait mettre en lumière les différentes facettes du portrait de Ferhat Abbas et la substance du Manifeste. Car Camus était un Juste, distinction qui sied à ce grand intellectuel humaniste et de conviction.
Relisons ensemble ces bonnes feuilles publiées dans Actuelles III, Chroniques algériennes, 1939-1958 (NRF – Gallimard 1958) sur le parti du Manifeste (page de 114 à 119) où il dressa une esquisse de cette personnalité de conviction, de savoir et de culture :
«J’ai dit, dans mon dernier article, qu’une grande partie des indigènes nord-africains, désespérant du succès de la politique d’assimilation, mais pas encore gagnés par le nationalisme pur, s’étaient tournés vers un nouveau parti, ‘’les Amis du Manifeste’’. Il me paraît donc utile de faire connaître aux Français ce parti avec lequel, qu’on lui soit hostile ou favorable, il faut bien compter.

Le président de ce mouvement est Ferhat Abbas, originaire de Sétif, diplômé d’université en pharmacie, et qui était, avant la guerre, un des partisans les plus résolus de la politique d’assimilation. À cette époque, il dirigeait le journal Entente qui défendait le projet Blum-viollette et demandait que soit instaurée en Algérie une politique démocratique où l’Arabe trouva des droits équivalents à ses devoirs.
Aujourd’hui, Ferhat Abbas, comme beaucoup de ses coreligionnaires, tourne le dos à l’assimilation. Son journal Égalité, dont le rédacteur en chef, Aziz Kessous, est un socialiste, un ancien partisan, lui aussi, de l’assimilation, réclame la reconnaissance d’une nation algérienne — Ferhat Abbas parlait exactement d’une République algérienne — liée à la France par les liens du fédéralisme, Ferhat Abbas a une cinquantaine d’années. C’est incontestablement un produit de la culture française. Son premier livre portait en épitaphe une citation de Pascal. Ce n’est pas un hasard. Cet esprit est en vérité pascalien par un mélange assez réussi de logique et de passion. Une formule comme celle-ci : ‘’la France sera libre et forte de nos libertés et de notre force’’ est dans le style français. C’est à notre culture que Ferhat Abbas la doit et il en est conscient. Il n’est pas jusqu’à son humour qui ne porte la même marque, quand il imprime en gros caractères, dans Égalité, cette petite annonce classée : ‘’Echangeons cent seigneurs féodaux de toutes races contre cent mille instituteurs et techniciens français’’.»

Ferhat Abbas exprime sa foi dans la science et le progrès, il disait : «Dans le siècle de la locomotive et de l’avion, le spectacle d’une multitude déguenillée est une absurdité historique […].» Ces mots résonnent aujourd’hui avec plus de force dans un univers où le monde digital et l’Intelligence artificielle sont les marqueurs de la société de demain.
Marqué par une rupture avec une époque vécue par Ferhat Abbas pour la revendication des droits et une place pour l’Algérie dans le concert des nations et celle qui va poindre, il préconisait avec force «d’en appeler à une révolution économique et sociale fondée sur le travail, la discipline et l’amour de la science». Cette expression est le reflet de ses réflexions de prison écrites en mai 1946, dans Mon testament . Il conclut : «Ni assimilation ni nouveau maître.» Il y a là un humanisme profond, une conviction de vivre pour l’Algérie. Il explique que le savoir et la connaissance sont les seuls outils pour mettre fin au cycle millénaire de misère permanente (invasion, colonisation…), de notre droit à vivre et à exister, en somme un hymne à l’humanisme et au vivre-ensemble.
Camus poursuit en nous faisant découvrir la pensée de Ferhat Abbas à travers le Manifeste : «Cet esprit cultivé et indépendant a suivi l’évolution qui a été celle de son peuple et il a traduit cet ensemble d’aspirations dans un manifeste publié le 10 février 1943 et qui fut accepté par le général Catroux comme base de discussion.»
Car Ferhat Abbas croit avec force à l’État moderne et aux lois modernes qui balaient tout mais offrent des outils d’évaluation pour s’y adapter et ne pas uniquement subir cette évolution. Lucide sur les réalités des rapports de force, Ferhat Abbas, estimera Malika Rahal, est l’homme qui a «laissé à la postérité cette orientation… Comme à l’entrée du laboratoire de cet éminent universitaire, inscrivons au seuil de notre mouvement d’émancipation : ‘’Ici, pour aller vite, il faut marcher doucement’’».

Évoquant par la suite le Manifeste, Camus affirmait que c’est autour «de ces idées et de celui qui les représente qu’une grande partie de l’opinion musulmane s’est réunie».
Albert Camus, audacieux dans ses interrogations et questionnements et plein d’humilité et de sincérité dans ses réponses, rend compte de l’amorce d’un courant de pensée salvateur, où des maîtres-mots comme Humanisme, Liberté et Égalité des cultures s’inscrivent dans le progrès des nations futures.
Il dira : «Ferhat Abbas a groupé des hommes et des mouvements très divers, comme la secte des oulémas, intellectuels musulmans qui prêchent une reforme rationaliste de l’islam et qui étaient jusqu’ici partisans de l’assimilation, ou des militants socialistes, par exemple. Il est très évident aussi que des éléments du PPA, Parti nationaliste arabe dissous en 1936, mais qui poursuit illégalement sa propagande pour le séparatisme algérien, sont entrés dans les Amis du Manifeste, qu’ils considéraient comme une bonne plate-forme d’action.
Il se peut que ce soit eux qui aient compromis les Amis du Manifeste dans les troubles récents. Mais je sais, de source directe, que Ferhat Abbas est un esprit politique trop averti pour avoir conseillé et souhaité de pareils excès, dont il n’ignorait pas qu’ils renforceraient en Algérie la politique de réaction. L’homme qui a écrit «pas un Africain ne mourra pour Hitler» a donné sur ce sujet des garanties suffisantes.

À travers surtout sa qualité d’intellectuel, Camus a bien articulé sa chronologie autour d’une étape de l’évolution du combat du militant et du leader nationaliste. À travers cet itinéraire de Ferhat Abbas, c’est l’élite du peuple algérien qui est en marche.
Peut-on alors affirmer sans aucun préjugé que Ferhat Abbas a pris le train de la révolution en marche, comme certains voudraient le faire croire ? Hier, certains prétendaient que Boussouf aurait ramené Ferhat Abbas à la révolution pour en faire le président !? Aujourd’hui, en parcourant le livre de Daho Djerbal sur les mémoires intérieurs de Bentobbal, ce dernier affirmait que c’est lui-même qui l’aurait mis à la tête du GPRA !? Rien que cela. Que ces personnes soient rassurées ! Même outre-tombe, Ferhat Abbas n’a nul besoin de pseudo-témoignages pour être ce qu’il a toujours été : un homme indépendant, droit et fidèle à ses principes ! Je le redis une fois encore, l’Histoire ne se fait ni à travers des anecdotes et encore moins par des contre-vérités grotesques. De son vivant et du vivant de ces personnages, il raconta dans Autopsie d’une guerre les péripéties qui le ramèneront au cœur de la révolution et à la tête du GPRA (pages 72 à 86 et 237-238). Il est essentiel de rapporter l’événement pour les «mauvais élèves en histoire», comme le disait le général Giap :
«Pendant qu’en France et en Algérie, le général prépare le référendum du 26 septembre 1958, le CCE étudie le dossier de sa transformation en GPRA. Le 9 septembre, il prend la décision de la réaliser. Mehri avertit Fethi Dib, le Dr Debaghine et Boussouf informaient le roi du Maroc et Mahmoud Cherif Bourguiba.»
Il ajoutera plus loin : «Personnellement, j’avais indiqué que les quatre formations qui se trouvaient au sein du FLN devaient être représentées : le CRUA-le MTLD-l’UDMA et les Oulémas. Quant à la présidence du conseil, j’avais proposé Krim ou Lamine Debaghine. L’un était historique, l’autre présida la Délégation extérieure.» Il poursuit: «Ces deux candidatures se heurtèrent à deux oppositions. Pour Krim, elle vint de Bentobbal et Boussouf. Quant à Lamine Debaghine, il fut écarté par les détenus de la Santé. Autant dire par Ben Bella. C’est dans ces conditions que les frères me désignèrent, À L’UNANIMITÉ, à la présidence du GPRA.»
Nul besoin d’y revenir ni de s’y étaler. Laissons les morts enterrer les morts.
Par ailleurs, dans un entretien récent à un quotidien, l’ancien diplomate
M. Djoudi rapporte un fait incongru, «celui de la visite du président du GPRA à Rabat, le défunt Ferhat Abbas. Lors de son séjour au Maroc, il a subi d’énormes pressions pour lui faire signer un document à l’effet que Tindouf est un territoire marocain. Il y a d’autres faits beaucoup plus graves que je ne peux citer, par obligation de réserve».

Dans ce registre, Ferhat Abbas s’est exprimé de son vivant et ne s’en cacha jamais des meilleures relations fraternelles avec le peuple marocain, les autorités et le palais royal. D’ailleurs, lors de sa fin de mission, entre rester à Tunis, préconisé par Boussouf, ou se rendre en Yougoslavie comme l’invita le maréchal Tito en mettant à sa disposition une villa, il préféra se rendre au Maroc, car comme il le dit, il s’est toujours senti comme chez lui. Quant aux «pressions» et autres, cela fait partie des affabulations. En vérité, Ferhat Abbas, en évoquant les frontières, a évoqué en priorité la représentativité que ne leur a pas encore conférée le peuple algérien qui se bat pour son indépendance. Ce qui fut bien compris et respecté par la partie marocaine. Relisons, une fois encore, Ferhat Abbas dans Autopsie d’une guerre à la page 305 : «Au lendemain d’Évian, le roi Hassan II nous invita… j’étais accompagné de Yazid, Bentobbal et Boussouf, le voyage se déroula le 2 juillet 1961 au milieu d’un enthousiasme délirant de la part du peuple marocain et des Algériens résidant au Maroc… C’est au cours de ce voyage que la question de la frontière algéro-marocaine vint à l’ordre du jour. Sous la présidence de Sa Majesté, nous exposâmes notre point de vue sur ce problème. Le GPRA n’était pas compétent pour traiter un tel sujet. Seul le peuple algérien, après son indépendance, et le gouvernement qu’il se serait librement donné, pouvaient, le cas échéant, en débattre.»
Il conclut : «Un communiqué commun fut rédigé dans ce sens. Le gouvernement marocain fit preuve d’une grande compréhension.»
Tout est dit : Ferhat Abbas, homme sensé, symbolisant une exigence intellectuelle, pétri de hautes valeurs et à la moralité probe, s’est toujours battu à visage découvert, mais respectueux de ses adversaires, il n’a nul besoin de bonimenteurs pour des témoignages du café de commerce.
Ferhat Abbas n’a jamais revendiqué ce qui ne lui appartient pas. C’est cette authenticité qui le singularise.
N. A.


               RAYMOND DEPARDON, PHOTOGRAPHE DES ACCORDS D’ÉVIAN

                             “Nous étions impressionnés par l’élégance de ces jeunes négociateurs”


Il ne savait pas que ses clichés allaient devenir un témoin visuel d’un des plus importants moments de l’histoire de la Guerre de Libération : les Accords d’Évian. Soixante ans après, Raymond Depardon nous raconte, à partir de sa position de photographe, l’ambiance des négociations et surtout comment il trouvait les membres de la délégation algérienne conduite par Krim Belkacem. “J’avais l’habitude des milieux officiels où les gens sont bien habillés, mais avec des acteurs plus âgés. Là, c’était autre chose, c’étaient des jeunes de 30 à 40 ans. C’était frappant. Je me faisais un plaisir de les prendre en photo”, se souvient-il.

Liberté : Dans quelles circonstances avez-vous été amené à couvrir des événements en relation avec la Guerre d’Algérie ?

Raymond Depardon : J’étais salarié de l’agence Dalmas, j’avais 19 ans et j’étais photographe depuis un an. On était une équipe, avec un rédacteur en chef. Ce n’était pas tout à fait la formule de Gamma ni celle de Magnum d’aujourd’hui, puisque c’était une agence où nous étions salariés. En 1961, les photographes qui étaient avec moi étaient plus âgés, il y avait une certaine réticence, ils avaient fait les barricades, avec le discours de De Gaulle à Alger, enfin tous les événements qui avaient traversé l’Algérie. Et puis, ils ne voulaient plus y aller car il y avait des difficultés à faire des photos, surtout à Alger. C’est pour cela que j’ai été amené à faire mes premières photos à Alger en 1961. J’avais eu beaucoup de difficultés, car la communauté européenne n’aimait pas se faire photographier, la communauté algérienne aussi, parce que craignant que les photos servent à la police ou à l’armée pour les identifier. Donc, personne ne voulait se faire photographier, même les autorités. La photo était mal venue.

Comment êtes-vous venu à couvrir les Accords d’Évian ?

C’était en automne 1961. Pour les besoins des négociations en vue des Accords d’Évian, la délégation algérienne était hébergée par les Suisses dans une villa située en face d’Évian, sur la commune de Bellevue, qui s’appelait Bois d’Avault. C’était une grande maison bourgeoise. Il y avait beaucoup de monde. J’y entrevoyais des personnalités qui allaient devenir célèbres, telles que Krim Belkacem et Redha Malek. Des hélicoptères suisses amenaient tous les matins la délégation algérienne à Évian. À l’époque, j’étais ce que l’on peut appeler un photographe “montant”, l’espoir de l’agence. Les collègues blaguaient : “Ah toi, tu n’as pas fait ton service militaire, alors tu vas faire la délégation du FLN !” Au début, nous avions beaucoup de difficultés car ni les Algériens ni les Suisses ne voulaient de photos. Peu à peu, ça s’est calmé. Nous étions tous autour de la villa, derrière les grilles, avec de gros téléobjectifs, à essayer de photographier cette délégation qu’on ne connaissait pas, qu’on ne voyait pas.

Vous avez réussi à entrer dans la propriété… 

Le premier jour, ils nous ont tous fait entrer dans le jardin de la maison. Il y a eu l’hymne national, tout le monde était au garde-à-vous, avec le drapeau algérien aux fenêtres. Après, beaucoup de photographes se sont retirés car la suite ne les intéressait plus. Mais moi, je suis revenu et je me suis présenté à la délégation et on m’a dit : “Vous pouvez faire toutes les photos que vous voulez.” J’ai donc commencé à déambuler dans la maison, les gens revenaient d’Évian par hélicoptère, ils repartaient et tout cela a duré une dizaine de jours où j’ai fait toutes les photos que je voulais. J’ai pris des photos qui surprennent aujourd’hui car on y voit des gens très joyeux. Une fois, j’ai vu Krim Belkacem qui était concentré sur une terrasse à lire un texte. Dans les salons et bureaux, Il y avait des conférences pour expliquer la démarche du GPRA. J’avais une carte d’accréditation avec ma photo, avec la mention GPRA ; cela me donnait accès à la maison. Je me suis rendu aussi à Évian, le lieu était gardé par des CRS qui protégeaient et accompagnaient les délégations. Tous les soirs, il y avait une conférence de presse sur la progression des négociations, les représentants de deux délégations s’exprimaient.

Quel était le comportement des services d’ordre ?

Je n’avais pas de  souci, puisque j’avais une accréditation officielle GPRA ; cela me donnait accès à la maison. Les services de sécurité fouillaient les sacs et vérifiaient les appareils photo. Une fois, ils ont pris mon objectif pour voir si ce n’était pas une jumelle ou un objet d’attentat, surtout qu’on avait à l’époque un téléobjectif avec une poignée qui ressemblait un peu à un bazooka. Donc, en dehors des précautions d’usage, les services d’ordre me laissaient aller et venir librement.

Comment vous apparaissait la délégation algérienne ?

Elle impressionnait par sa décontraction et le port vestimentaire très élégant de ses membres. Cela tranchait avec l’image qu’on se faisait du FLN dans le maquis, en tenue militaire. En voyant les photos, nous étions attirés par le sourire et l’élégance de ces jeunes négociateurs. J’avais l’habitude des milieux officiels où les gens sont bien habillés, mais avec des acteurs plus âgés. Là, c’était autre chose, c’étaient des jeunes de 30-40 ans. C’était frappant. Je me faisais un plaisir de les prendre en photo.

Au moment des négociations, les autorités françaises s’adonnaient-elles à des manœuvres ?

Oui, profitant de la présence de la presse internationale, les autorités françaises organisaient des déplacements de journalistes en Algérie, pour se justifier, en quelque sorte. J’ai pu m’inscrire facilement et nous sommes partis à Oran. On nous a montré des endroits en Oranie. Nous prenions des photos qui étaient inimaginables avant, comme filmer un général, des soldats, etc. Il y avait des villages récemment construits en pleine campagne, avec des appelés qui jouaient aux cartes. Je peux citer une photo que j’ai prise d’un officier de SAS discutant avec un chef de village. C’était de la propagande sur les “bonnes œuvres” en Algérie.
Il faut préciser que nous n’avions pas la possibilité de faire des photos en Algérie, c’était du domaine très contrôlé des services gouvernementaux. J’ai connu un photographe qui a dû s’engager dans les paras pour un ou deux ans afin de pouvoir faire des photos en Algérie. C’était impossible autrement. Les seules photos que nous connaissons aujourd’hui ont été prises soit par des photographes militaires, soit par des photographes d’Allemagne de l’Est – qui ont d’ailleurs produit un livre, réédité récemment –, ils passaient par la Tunisie et entraient en Algérie pour photographier les zones libérées.

Quel a été l’impact de vos photos sur l’opinion publique française ?

Les gens étaient fatigués, ils en avaient marre de cette guerre. Début 1961, il y avait eu un référendum pour confirmer le vœu du général de Gaulle de faire que les Algériens choisissent eux-mêmes leur destinée ; la plupart des Français étaient contents, surtout ceux de la métropole, ils en avaient marre de partir au service militaire. Mon frère aîné a fait 30 mois, c’était hallucinant. Les agriculteurs, les vignerons de la France profonde n’en pouvaient plus de se séparer de leurs fils pendant deux ans ; les jeunes filles devaient attendre le retour des appelés pour se marier, ce qui a été le cas de ma belle-sœur et de mon frère. Tout le monde pensait la même chose que De Gaulle.

Aviez-vous conscience de fixer l’Histoire à travers vos photographies ?

Je suis arrivé à Paris en 1958, j’avais 16 ans. En 1960, on m’a envoyé dans le Sahara algérien pour couvrir le premier anniversaire de la fête de l’indépendance de la Côte-d’Ivoire, donc j’étais un photographe de la génération de la décolonisation. Très jeune, j’ai pu voir l’incroyable lumière d’Afrique, des gens qui parlaient français, parfois bien sûr, ils me prenaient à partie en tant que Français, mais ils voyaient bien que j’étais trop jeune, que je ne pouvais pas être un colon ni un fils de colonialiste.
Je me souviens qu’en 1970, à la demande de l’agence Havas, je suis allé avec des touristes à Tamanrasset, puis dans le Hoggar. L’Algérie voulait montrer la voie aux touristes dans le désert, le Sahara. C’était tout à fait nouveau. Je suis aussi le seul à avoir suivi la démarche du Frolinat au Tchad. Dans les années 70-80, je suis resté des mois, des années en contact avec les rebelles tchadiens au Tibesti, jusqu’à ce qu’ils prennent le pouvoir en 1980. Donc, j’ai bien été dans le courant de la décolonisation…

Vos photographies constituent un témoignage sur une époque…

À l’époque, j’étais trop jeune, je prenais mes photos sans trop réfléchir. Si je n’étais pas allé moi-même les montrer à Kamel Daoud, afin de faire un binôme entre un Algérien et un Français pour les faire connaître, elles seraient restées au fond d’un tiroir… ça n’intéresse pas grand monde. Il n’y a pas en France de maison de l’Afrique, de maison du Sahara, de l’Algérie, de la colonisation. L’espoir reste permis aujourd’hui avec les nouveaux musées, comme celui de la Porte dorée, tourné vers l’émigration. C’est un sujet qui reste encore tabou, quoiqu’il y ait de l’espoir avec la nouvelle génération. Il y a cette langue, cette culture. Bien sûr, il y a un passé colonial, mais aujourd’hui, il faut peut-être tourner la page et aller de l’avant.

Quel regard portez-vous, aujourd’hui, sur l’Algérie ?

Je la vois très dynamique, avec plein de choses. Il est agréable de se promener dans les rue d’Alger ou d’Oran. J’avais une mission difficile. Certains disent que l’Algérie contemporaine n’a pas d’image. Kamel Daoud et les éditions Barzakh voulaient justement que je fasse des images authentiques de l’Algérie d’aujourd’hui, avec des gens qui vivent avec leur temps. Techniquement, je devais faire les meilleures photos, j’ai pris le meilleur appareil au monde, le plus précis, le plus net, j’ai demandé qu’on ait les meilleurs tireurs… C’est comme lorsque j’ai fait des photos sur New York ! Il fallait des photos au top de la qualité, pour montrer une Algérie contemporaine et moderne.
Dans les rues d’Alger, on nous disait d’abord que nous étions des nostalgiques. “Non, pas du tout !” Alors, ils se détendaient et nous disaient : “Soyez les bienvenus.” C’étaient des moments de grande tendresse. Ma femme Claudine et moi, nous aimons l’Algérie où nous sommes très bien accueillis. Être considéré comme un ami de l’Algérie me fait grand plaisir. J’aimerais bien retourner en Algérie, me balader, visiter les villages et les quartiers, parler avec les gens, prendre quelques photos, venir dans ce beau et grand pays… Les gens sont surpris, mais c’est l’un des plus beaux pays avec sa diversité. Il y a des gens qui le savent, d’autres doivent le découvrir.

Entretien réalisé par : Ali Bedrici

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