FRANCE

REPUBLIQUE FRANCAISE

Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat chargé du numérique

Intelligence artificielle : l’État exhorte les entreprises à voir plus loin que le bout de leur nez.

Les données sont la matière première de l’intelligence artificielle. De leur disponibilité en très grand nombre dépend l’émergence de nouvelles solutions pour les entreprises, de nouveaux usages et applications pour tous. (Crédits : jcomp) Pour stimuler l’innovation dans l’intelligence artificielle, le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, a appelé mardi 18 septembre les entreprises françaises à davantage ouvrir et mutualiser leurs données. Problème : la collaboration n’est pas le fort des grands groupes français, qui considèrent souvent la donnée comme un or noir qu’il faut protéger de la concurrence.

Mounir Mahjoubi veut que les grands groupes français changent complètement leur logiciel vis-à-vis des données. Mardi 18 septembre, dans un communiqué de presse, le secrétaire d’État au Numérique a incité les entreprises à davantage partager, mutualiser et valoriser leurs données. Une condition indispensable, selon lui, pour stimuler l’innovation en France dans l’intelligence artificielle. Conformément aux recommandations du rapport remis en mars dernier par Cédric Villani, qui établit une stratégie pour la France dans l’intelligence artificielle, l’État lance donc officiellement un appel à manifestation d’intérêt pour la mutualisation des données, ouvert jusqu’au 16 novembre prochain.

« Dans le cadre du déploiement de la stratégie française en matière d’IA, nous soutiendrons les initiatives privées d’ouverture et d’échange de données pour que naisse en France, dans tous les secteurs, une économie ouverte de la data compétitive« , indique le secrétariat d’État au Numérique.

L’objectif affiché par la Direction générale des entreprises (DGE) de Bercy, qui pilote le projet : soutenir des initiatives de mutualisation de données au sein de plateformes sectorielles ou cross-sectorielles, et les aider à trouver « des modèles économiques leur permettant de générer une activité viable et pérenne »« sans nouveaux financements publics », à un horizon moyen de trois ans.

Les bases de données, le nerf de la guerre pour l’innovation dans l’I.A.

Effectivement, les données sont la matière première de l’intelligence artificielle. De leur disponibilité en très grand nombre dépend l’émergence de nouvelles solutions pour les entreprises, de nouveaux usages et applications pour tous. Ce n’est pas un hasard si les géants du Net américains (Google, Apple, Facebook, Amazon,Microsoft, IBM…) ainsi que leurs concurrents chinois (notamment les »BATX » Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) dominent de la tête et des épaules, y compris en matière de financement, la recherche mondiale dans l’intelligence artificielle.

Grâce à leurs écosystèmes à 360 degrés se déployant sur de nombreux secteurs d’activité, ils disposent d’une énorme masse de données qu’ils mettent à profit pour entraîner leurs algorithmes.C’est le principe du machine learning (apprentissage automatique), qui repose sur la disponibilité d’une multitude de jeux de données annotés. Si la recherche travaille actuellement à des méthodes d’apprentissage autodidacte pour que l’IA déduise elle-même des solutions avec très peu de données à sa disposition – comme l’a prouvé le laboratoire DeepMind de Google avec le jeu d’échecs -, cette technique est aujourd’hui trop embryonnaire pour vraimentconcurrencer le machinelearning.

« À l’image des réseaux, la valeur des jeux de données croît plus que proportionnellement à leur taille : là où les données d’une PME,par exemple une exploitation agricole, n’ont que très peu de valeur,des bases de données de place, agrégeant les données d’un grand nombre d’opérateurs peuvent ouvrir des perspectives considérables »,insistait Emmanuel Macron, lors de sa présentation du rapportVillani.

Retard culturel des grands groupes français sur l’open data

Problème: « De tels jeux de données sont aujourd’hui des ressources rares pour les acteurs français », pointe le secrétariat d’État au Numérique. Si la France soutient officiellement l’open data depuis la loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire votée en 2016, les grands grands groupes français ont du mal à changer leur approche vis-à-vis des données.

Ainsi, une étude de 2017 financée par l’Union européenne établissait qu’environ 90% des entreprises interrogées affirmaient ne pas partager leurs données avec d’autres entreprises. Et même à l’intérieur des organisations, les silos de données constituent des barrières à la réutilisation des données d’un service à l’autre…

« Des initiatives de partage de données existent, mais elles manquent d’ampleur. Culturellement, les grands groupes restent très en retard sur l’open data, à la fois parce que le chantier est complexe et parce qu’ils considèrent la donnée comme un actif stratégique », indique à La Tribune le directeur de l’innovation d’une grande entreprise française.

Un enjeu de souveraineté pour la France et l’Europe

D’après le rapport Villani, l’ouverture des données ou open data constitue « une lame de fond » de l’économie numérique. Et si les entreprises sont friandes des « hackathons » et autres ouvertures « ponctuelles », elles doivent passer à la vitesse supérieure. Pour Cédric Villani, il s’agit d’un enjeu de souveraineté pour la France et l’Europe :

« Le premier acte de la « bataille de l’IA » portait sur les données à caractère personnel. Cette bataille a été remportée par les grandes plateformes. Le second acte va porter sur les données sectorielles : c’est sur celles-ci que la France et l’Europe peuvent se différencier. L’objectif est d’abord stratégique pour les acteurs français et européens, car c’est un moyen pour les entreprises d’un même secteur de rivaliser avec les géants mondiaux de la discipline », indique-t-il.

L’État pourrait aussi passer par la loi pour imposer l’open data dans chaque secteur. Dans l’énergie, la loi Transition énergétique pour une croissance verte a imposé aux opérateurs d’énergie de mettre en place des politiques d’ouverture de leurs données sur les consommations de gaz et d’électricité afin de favoriser l’innovation. □ SylvainRolland , La Tribune, 18/09/2018

► Forum sur la gouvernance de l’Internet : Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat chargé du numérique, engage avec Facebook une expérimentation inédite en matière de régulation appliquée aux contenus haineux

A l’occasion du Forum sur la gouvernance de l’internet, le président de la République, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’une expérimentation inédite avec Facebook.

Alors que l’on observe une recrudescence des discours de haine et des violences en ligne, le Président de la République et le Premier ministre ont fait de la régulation des contenus haineux et du harcèlement en ligne une priorité absolue des prochains mois en matière de régulation de l’internet.

« Nous collaborons collectivement à la définition d’un cadre innovant de régulation des contenus haineux suite à la remise du rapport Avia-Taïeb-Amellal et des premières conclusions des Etats généraux de la régulation du numérique », déclare Mounir Mahjoubi.

L’approche retenue par la France, afin d’avoir un impact immédiat sur les grandes plateformes dites « systémiques », est d’expérimenter la co-régulation par le travail conjoint entre les acteurs et les régulateurs afin d’assurer le respect des objectifs d’intérêt général dans un domaine. En l’espèce, il s’agit d’assurer l’effectivité des législations nationales ou européennes futures souhaitées par le Premier ministre en matière de retrait des contenus haineux.

Le secrétaire d’Etat chargé du numérique est chargé d’assurer la conduite opérationnelle de l’expérimentation, en mobilisant les services des ministères, dont le ministère de l’économie, ainsi que ceux des autorités administratives indépendantes volontaires. « Cette expérimentation constitue le premier pas d’une régulation inédite et efficace qui permet le respect sans concession d’objectifs d’intérêt général tout en favorisant l’innovation et le développement du numérique.

Nous allons fixer des objectifs clairs aux acteurs afin de pouvoir évaluer de manière approfondie l’ensemble des moyens mis en oeuvre. Nous responsabilisons ainsi les acteurs tout en ayant un impact immédiat et perceptible par les citoyens.

Nous ne pouvons pas tolérer la place que prennent ces contenus sur les plateformes et leurs incidences sur la vie de nos concitoyens ».

Expérimentation :

L’expérimentation de terrain consiste en un travail commun approfondi entre une équipe de régulateurs français (4 à 5 personnes issues d’autorités administratives indépendantes volontaires et des administrations centrales) et les équipes de Facebook sur les moyens, processus internes et algorithmes mis en oeuvre par cette entreprise pour traiter les contenus haineux.

L’objectif est de pouvoir observer et évaluer de manière approfondie le mode de traitement des discours de haine par la plateforme ; de parvenir à des conclusions partagées sur la meilleure façon de réguler ces contenus ; et, le cas échéant, de rendre compte de la réalité et de la qualité des efforts mis en œuvre pour détecter, qualifier et traiter les cas litigieux.

Il s’agit d’une première mondiale, qui pourrait être étendue à d’autres acteurs volontaires, ainsi qu’à d’autres domaines de régulation du numérique. □

Paris, le12.11.2018 / N°204 / Secrétariat de Florian HUMEZ.


Articles connexes & Commentaires

12/02/2018


ON A PARLÉ À MOUNIR MAHJOUBI DE LA FUITE DES CERVEAUX FRANÇAIS, DE L’ARGENT CHINOIS DANS L’IA ET DES OPÉRATIONS SÉDUCTION DES GAFA

Mounir Mahjoubi à la Nuit de l’IA, organisé par Artefact, à Paris, 8 février 2018. Marie-Catherine Beuth/Business Insider 

Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au numérique, a de vastes responsabilités, qui vont de la transformation numérique de l’Etat au soutien aux  la French Tech.

Lors de la Nuit de l’intelligence artificielle, le 8 février 2018, à Paris, le jeune ministre a aussi souligné l’importance de sa mission en matière de lutte contre la fracture numérique et d’inclusion quand « 20% des Français passent à côté » de la révolution numérique.

A l’occasion de cet événement, Business Insider France a interrogé Mounir Mahjoubi sur les enjeux actuels en matière d’intelligence artificielle, alors que Cédric Villani doit remettre ses recommandations sur la stratégie de la France dans l’intelligence artificielle.

Business Insider France : Le plan de la France pour l’IA prévoit-il suffisamment de moyens pour faire face aux investissements considérables annoncéspar la Chine?

Mounir Mahjoubi : On ne résume pas la stratégie de la France en matière d’intelligence artificielle à un montant. C’est bien plus que cela. Elle va impliquer le privé et le public. La mobilisation est générale: comment peut-on faire émerger des entreprises dans l’écosystème, des startups dans la deep IA ou des startups qui utilisent l’IA, pour créer de nouveaux étages. Il faut former,grandir et déployer. Un des piliers de cette stratégie, ce seront les talents.

Mais les talents fuient. Par exemple, nos data scientists vont chez Facebook parce qu’on n’a pas de jeux de données de la même envergure à leur offrir en France. Comment allez-vous remédier à ça?

C’est le sujet avec le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) qui pose la question du statut et de la mise à disposition des données publiques et du recueil de données privées. Il faut créer de nouveaux véhicules juridiques pour cela. Les données de santé ne sont pas assez utilisées. Or on pourrait avoir plus de services. Il faut aussi se poser la question de quels jeux de données on a besoin: de transport, d’énergie, de santé? Facebook a des données sur les interactions et les photos.

Facebook qui installe FAIR, son laboratoire de recherche sur l’IA, en France —c’est donc une bonne ou une mauvaise chose ?

Les investissements étrangers qui participent à créer des startups et développer la recherche sont positifs pour la France. C’est toujours vertueux d’avoir des centres de recherche chez nous. Mais mon objectif n’est pas que Facebook recrute 50 chercheurs de plus en France, c’est qu’une startup française recrute 50 chercheurs puis 1000 chercheurs en France et aille à l’international. Il faut voir grand. □  Catherine BEUTH 

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